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Cantines scolaires : comment se manifestent les goûts et s’organisent les relations sociales ?

CCantines scolaires : comment se manifestent les goûts et s’organisent les relations sociales ?

Nous voilà encore à table !

Dans ce troisième et dernier podcast dont le triptyque est consacré aux cantines scolaires, nous abordons l’enfance et plus particulièrement comment au sein d’une cantine, les relations sociales s’articulent, les goûts se manifestent, ou encore les enfants s’expriment…

C’est Élodie Leszczak, doctorante en 2e année au laboratoire Triangle qui nous éclaire, puisque son travail de recherche porte sur « Des normes dans l’assiette : la cantine scolaire, entre production et réception du « bien manger »« .

Alors, prêts à aller à la cantine avec les podcasts de Triangle ! ?

> Écoutez le podcast :

> Lire la retranscription des propos de l’interview :

Comment s’organisent les relations entre les enfants dans une cantine ? Constatez-vous des jeux de pouvoir ou non par exemple ?

Elodie Leszczak – Absolument ! Alors que la cantine est pensée comme un moment de pause, de détente au sein de la journée à l’école, nous sommes nombreux à en avoir des souvenirs négatifs, comme le fait de se faire voler de la nourriture, d’y être harcelé ou d’y manger seul, à l’écart. Ce sont encore des choses qu’on observe sur le terrain, comme le fait que les grands demandent de la nourriture aux plus petits en étant très insistants, de sorte qu’on ne sait pas si le don était volontaire ou pas vraiment. Les adultes font ce qu’ils peuvent pour le limiter, mais ils sont en sous-effectif dans certaines cantines.

Comment se regroupent les enfants dans une cantine ? Est-ce la disposition des tables, les préférences alimentaires, les amitiés.. qui jouent un rôle ?

E.L. – Les filles en particulier utilisent la cantine comme un espace de réaffirmation de leurs liens d’affinité : elles y mangent entre amies, y discutent, s’assurent que leurs amies ne mangent pas seules, attendent que toutes leurs amies aient fini de manger avant de se lever et de partir. Il y a des pratiques plus conflictuelles, comme le fait de s’approprier l’espace (une table proche de la queue pour le rab, par exemple). On remarque aussi que lorsque les enfants choisissent où ils s’assoient, les tables sont très majoritairement non-mixtes. Seul un petit nombre de garçons accepte régulièrement de manger avec des filles.

© Pixabay

Selon le genre, les interactions sociales sont-elles différentes ? Pourquoi ?

E.L. -Oui. Les filles ont tendance à être plus respectueuses et obéissantes, alors que les garçons se permettent des pratiques plus transgressives : tous les vols de nourriture que nous avons observés dans la file du self concernaient des garçons – il est même arrivé que ceux-ci s’en vantent auprès de nous. Les garçons bougent davantage : ils se bagarrent « pour rire », embêtent leurs voisins en tapant dans leur chaise, se lèvent de leur table, parlent avec des élèves assis à d’autres tables, alors que les filles communiquent davantage uniquement avec les voisines de table, et contribuent donc moins au bruit dans le réfectoire. Dans les rares cas où les filles ont des comportements plus conflictuels, elles sont « rappelées à l’ordre » : une fille bouscule un garçon dans la file d’attente, il essaie alors de l’empêcher de passer et la suit jusqu’à sa table pour exiger des excuses.

Les interactions entre les élèves et les agents sont aussi genrées : les garçons se plaignent davantage des repas, et sont plus souvent perçus comme ingrats par les agents.

Qu’est-ce-que les enfants recherchent comme nourriture ? Comment ils l’expriment ?

E.L. – Lorsque je leur demande ce qu’ils aimeraient manger à la cantine, ils réclament en majorité des plats issus de la restauration rapide, comme les burgers, les kebabs, les frites ou les churros. Comme le montrent des travaux en cours comme la thèse d’Audrey Bister, les plats préférés des enfants sont souvent ceux qu’ils consomment chez eux le weekend ou durant des fêtes, exceptionnellement, comme la paëlla. Et à l’école, ils expriment ces préférences assez éloignées du plateau moyen à la cantine de façon plutôt claire, en commentant à haute voix que le plat ne leur convient pas ou les dégoûte, parfois à proximité des agents de cantine qui les ont préparés…

Connaissent-ils bien les aliments  ?

E.L. – Au début de ma thèse, quand j’allais parler avec les enfants pendant leur repas, je leur demandais leur avis sur le menu ; maintenant, j’ai tendance à commencer en leur demandant ce qu’ils mangent. En effet, j’ai été étonnée du nombre d’enfants ne reconnaissant pas des aliments, parfois très communs, même après qu’ils aient vu le menu du jour ou qu’on le leur ait lu. Cela peut prêter à sourire quand ils confondent chou-fleur et fromage par exemple, mais cela dit quelque chose de leur faible consommation de nombreux légumes notamment. Certains agents considèrent que les enfants ont un répertoire alimentaire plus faible qu’il y a 10 ou 20 ans, car ils mangeraient souvent la même chose chez eux (des pâtes, des produits industriels comme les nuggets).

En conclusion : diriez-vous que la cantine est un lieu d’inclusion sociale ou pas ?  Un autre lieu d’apprentissage des normes sociales ?

E.L. – Pour les chercheurs, la cantine est un vrai observatoire de plusieurs phénomènes sociaux : les relations d’affinité, d’inimitié et de pouvoir entre les enfants, leurs pratiques et goûts alimentaires, ou encore la place de l’alimentation ou plus généralement du corps à l’école. Elle est un lieu de socialisation et peut transmettre des normes alimentaires et en cela contribuer à l’intégration de certains élèves, comme les enfants de migrants. Mais elle participe et révèle aussi des exclusions. On a mentionné le mépris d’une partie du personnel éducatif pour les agents de cantine. Mais un autre point qu’il faut souligner à propos de la cantine comme lieu d’exclusion, c’est qu’alors qu’elle est apparue au XIXe siècle pour nourrir les enfants des classes populaires, elle fait aujourd’hui l’objet d’une désaffection massive dans les quartiers les plus pauvres et est surtout fréquentée par les élèves de classes moyennes et supérieures.

Et vous Elodie, allez- vous parfois à la cantine en tant qu’étudiante ?

E.L. – Presque tous les jours de semaine ! J’en profite pour saluer le travail des agents du CROUS de l’ENS DE LYON, qu’on a beaucoup de chance d’avoir sur le campus.

Et cuisinez-vous ? Et quel est votre plat favori ?

E.L. – Et oui, je n’ai pas choisi ce sujet par hasard – j’aime cuisiner. Mon plat préféré est polonais : les krokiety, des crêpes farcies de chou, pliées et panées.


Précédemment : cantines scolaires : métier passion, ou métier alimentaire ?

> À suivre…

Un tout nouveau podcast et une autre thématique !

>> Pour en savoir plus :

Triptyque – Laboratoire Triangle

Cantines scolaires : sociologie de l’alimentation. Qui mange quoi ? | Triptyque

CCantines scolaires : sociologie de l’alimentation. Qui mange quoi ? | Triptyque

Une invitation… à table !  Ce triptyque, composé de 3 podcasts, nous ouvre les portes des cantines scolaires. Qui mange quoi ? Qui sont les personnes qui y travaillent ? Comment les goûts se manifestent dès l’enfance, comment à la cantine, les relations sociales s’organisent….

Cette première interview de ce triptyque s’orchestre autour de la sociologie de l’alimentation, et c’est Élodie Leszczak, doctorante en 2e année au laboratoire Triangle qui nous éclaire, puisque son travail de recherche porte sur « Des normes dans l’assiette : la cantine scolaire, entre production et réception du « bien manger »« .

Venez découvrir qui mange quoi avec les podcasts de Triangle !

>> Écoutez le podcast :

 

>> Lire la retranscription des propos de l’interview :

Tout d’abord, est-ce que les cantines sont obligatoires dans les établissements ? Depuis quand existent-elles et qui les gèrent ?

Élodie Leszczak – Elles sont apparues en France au milieu du XIXe siècle, sous l’impulsion d’initiatives locales de maires, d’instituteurs et de mouvements philanthropiques. Aujourd’hui, les cantines sont gérées par les collectivités territoriales, c’est-à-dire les communes pour l’école primaire, les départements pour le collège, et les régions pour le lycée. Et elles ne sont pas obligatoires : chaque collectivité peut décider d’en proposer une ou pas dans un établissement. Elle peut alors soit l’assurer elle-même en régie directe, soit faire appel à une entreprise privée, ce qu’on appelle une délégation de service public.

Comment étaient organisées les cantines que vous avez étudiées ? Quels étaient leurs publics ?

E.L. – Je réalise des observations directes principalement à l’école élémentaire, mais aussi au collège et en maternelle. J’ai essayé de faire varier les caractéristiques des cantines que j’étudie : une est rurale et l’autre urbaine, une est indépendante et l’autre rattachée à une Caisse des écoles, une se situe en réseau d’éducation prioritaire et l’autre non. Dans les deux cantines où j’ai enquêté jusqu’ici, la cuisine est faite sur place par du personnel communal, c’est pourquoi j’aimerais maintenant trouver un troisième terrain où la cantine est assurée par une entreprise privée et les plats préparés en cuisine centrale.

© Pixabay

De ce fait, avez-vous constaté que selon le genre de l’enfant (fille ou garçon) les choix des aliments étaient différents ?

E.L. – Oui ! Je fais partie de l’équipe de recherche CORALIM, qui est pilotée par Christine Tichit (sociologue et démographe) au sein de l’INRAE (l’Institut national de recherche pour l’agriculture, l’alimentation et l’environnement). On a fait passer pendant plus d’une semaine des questionnaires à une centaine d’élèves, pour qu’ils puissent donner leur avis sur les plats chaque jour. Et on a constaté que les garçons appréciaient en moyenne davantage les repas que les filles, et qu’ils mangeaient de plus grandes quantités qu’elles. Les filles appréciaient en revanche davantage les repas végétariens, alors que les garçons étaient attachés à la présence de viande au menu. Les garçons essayaient davantage de se procurer plus de nourriture que leur portion individuelle, en prenant du rab ou en demandant aux autres élèves s’ils ne voulaient pas leur donner une partie de leur repas – en insistant, parfois !

Est-ce parce que les aliments sont genrés ? Est-ce que c’est le poids de la société ou… bref comment l’expliquez-vous ?

E.L. – Une de nos hypothèses est en effet que la cantine est un des lieux où les enfants intériorisent des rapports genrés à l’alimentation. Des enquêtes sociologiques auprès d’adultes ont montré que les femmes mangent plus de fruits, de légumes et de poisson que les hommes, mais moins de féculents, de fast-food et de viande. Les femmes sont plus nombreuses à faire des régimes hypocaloriques. Et à force de voir que les hommes de leur entourage ont tendance à plus manger que les femmes, et que certains garçons mangent énormément à la cantine et que ça amuse leurs camarades, les enfants sont socialisés à cette différence de comportement alimentaire. Les garçons apprennent qu’il est normal et même valorisé d’avoir bon appétit, alors que ce n’est pas forcément le cas pour les filles. Chez les jeunes, il semblerait que l’idéal des filles reste plutôt la minceur, alors que chez les garçons, c’est le fait d’être musclé plutôt que mince.

Avez-vous également remarqué une différence d’orientation dans l’alimentation selon les classes sociales auxquelles appartiennent les enfants ? Et si oui, quels sont les différents facteurs qui pourraient y contribuer ?

E.L. – Oui, tout à fait ! Les enfants issus de milieux sociaux favorisés connaissent davantage les plats qui sont servis à la cantine, en particulier les fruits et les légumes et les plats typiquement français comme les tomates farcies, tout simplement car ils y sont déjà habitués à la maison. En sociologie de l’alimentation, on constate que les familles de milieu populaire vont privilégier le fait de faire plaisir aux enfants avec des aliments qu’ils aiment, alors que celles de milieu favorisé vont très tôt inciter leurs enfants à goûter de tout, en particulier des aliments considérés comme bons pour la santé comme les légumes. En particulier, les enfants de classe populaire d’origine étrangère regrettent souvent que les plats proposés à la cantine soient très différents de leur propre culture alimentaire, et certains aimeraient pouvoir y manger des aliments plus à leur goût.

 

>> À suivre…

Le prochain podcast du triptyque cantine « parlera » des agents dans les cantines : qui sont-ils, pourquoi ils ont choisi ce métier, ses contraintes, joies…

 

Pour en savoir plus :

Triptyque – Laboratoire Triangle