MMaladie d’Alzheimer : repérer ses signes au plus tôt ©PxHereLa prise en charge de la maladie d’Alzheimer est d’autant plus efficace que celle-ci est diagnostiquée de façon précoce. Avec cet objectif en tête, les scientifiques lyonnais du projet Sensational étudient comment notre capacité à nous orienter évolue avec la maladie en utilisant un jeu vidéo. Un article de Caroline Depecker, journaliste scientifiquepour Pop’Sciences – 10 mars 2025 – Dans le cadre de la Semaine du cerveau 2025.« Où sont passées mes clés, je les avais bien posées sur le meuble en entrant, non ?! » « J’étais venu faire quoi dans la cuisine !? » Avec l’avancée en âge, il n’est pas rare que de petits oublis fassent irruption dans notre quotidien et nous posent quelques tracas. Préoccupante, la question de leur source peut devenir obsédante. Les oublis constituent en effet les premiers symptômes de la maladie d’Alzheimer, une pathologie redoutée car responsable de la majorité des cas de démence en France. Pourrions-nous être concernés ?« Après 50 ans, la plainte cognitive est extrêmement fréquente, commente Antoine Garnier-Crussard, médecin gériatre au Centre mémoire ressources recherche des Hospices Civils de Lyon. Près d’une personne sur deux se plaint de soucis de mémoire. Or, ces derniers reflètent plus souvent des problèmes d’attention qu’un stade naissant de la maladie d’Alzheimer ».Sous l’effet du stress qui accompagne notre mode de vie occidental et lorsque les stimulations liées à notre environnement sont excessives, notre cerveau est parfois dépassé. Alors qu’il se trouve momentanément dans l’incapacité de traiter l’ensemble des informations qui affluent vers lui, certaines d’entre elles ne sont pas enregistrées. Ce défaut d’enregistrement (par exemple, l’image des clés sur le meuble de l’entrée) prend l’apparence d’un oubli alors qu’il est davantage dû à un défaut d’attention. Le phénomène peut s’accentuer avec l’âge. En effet, comme tout élément physique du corps humain, le cerveau vieillit lui-aussi et devient moins « performant ».Les facultés cognitives peuvent donc décliner quelque peu au cours du vieillissement. Les fonctions exécutives sont particulièrement touchées. Ces processus cognitifs de haut niveau comme la capacité à s’organiser, à planifier, à gérer son temps ou les imprévus, sont nécessaires à l’individu pour adapter son comportement à l’environnement et atteindre ses objectifs. « Notre mémoire est affectée de même, précise Antoine Garnier-Crussard. Ainsi que notre flexibilité mentale. Nous retenons un peu moins bien les choses anodines et avons plus de mal à nous adapter à la nouveauté ».La maladie d’Alzheimer prend naissance dans les régions de l’hippocampeSe plaindre d’oublis ou d’être plus lent à comprendre en vieillissant est normal. Mais si, s’aggravant avec le temps, la plainte cognitive inquiète l’entourage, il faut rester vigilant. « Les oublis associés à un contenu à haute valeur émotionnelle et ceux qui impactent la gestion du quotidien, comme de ne plus connaitre le prénom de ses enfants ou de ne plus savoir faire ses courses, constituent des signaux d’alerte et ne sont jamais uniquement liés à l’âge », ajoute le médecin à l’hôpital des Charpennes. La consultation d’un généraliste, puis parfois d’un spécialiste des troubles cognitifs (gériatre, neurologue ou psychiatre), est importante pour savoir s’il y a lieu de s’inquiéter.Image histopathologique de plaques séniles observées dans le cortex cérébral d’un patient présentant une présénilité de la maladie d’Alzheimer. Imprégnation argentée. / ©KGH – Wikimedias CommonsLa dégénérescence des neurones qui caractérise la maladie d’Alzheimer évolue sur plus de 20 ans. Elle prend naissance dans les régions proches de l’hippocampe, une structure cérébrale ressemblant au petit poisson en forme de cheval et située au niveau des tempes, dont le rôle pour la mémoire et la navigation spatiale est crucial. Cette lente dégradation des cellules neurales est due à plusieurs mécanismes biologiques, notamment l’accumulation de la protéine bêta-amyloïde sous forme de plaques entre les neurones, d’une part, et celle de la protéine tau dans les neurones, d’autre part. Chez les sujets malades, cette protéine tau normalement fonctionnelle a subi une modification chimique (on dit qu’elle est phosphorylée) qui la rend in fine toxique pour l’organisme.Des progrès remarquables pour le dépistage sanguin de la maladie« Certains tests cognitifs, effectués en général par des neuropsychologues, permettent de détecter si les difficultés rencontrées par le patient sont plutôt associées à un problème de stockage de l’information qu’à un souci de récupération de celle-ci », explique le Dr Antoine Garnier-Crussard. Le premier cas nécessite la mise en jeu de circuits neuronaux présents dans l’hippocampe, et pas le second. Un stockage de l’information défectueux constitue ainsi un indice précieux qui orientera potentiellement la recherche diagnostique vers une maladie d’Alzheimer.Si cette investigation s’avère probante, le diagnostic de précision de la maladie est posé après un dernier examen : la réalisation d’une ponction lombaire. Cette dernière permet d’obtenir un échantillon du liquide céphalorachidien présent autour du cerveau et de la moelle épinière, et de vérifier la présence anormale des protéines amyloïde et tau phosphorylée. Alors qu’aujourd’hui, il n’existe pas de traitement curatif de cette maladie neurodégénérative, les stratégies thérapeutiques déployées auprès du malade consistent avant tout à en freiner le développement [voir encadré] et à soulager le patient au quotidien, en essayant de maintenir une qualité de vie et une autonomie suffisante le plus longtemps possible. Ces stratégies sont d’autant plus efficaces que le diagnostic de la maladie d’Alzheimer est réalisé tôt.Pour diagnostiquer précocement celle-ci, les chercheurs examinent plusieurs pistes. L’une d’entre elles consiste à doser la protéine tau phosphorylée dans le sang des patients. Peu coûteux, ce type de solution a connu une avancée remarquable dernièrement, et son déploiement en pratique clinique est plausible au cours des prochaines années.Un jeu vidéo pour étudier comment le sens de l’orientation est modifié À Lyon, les scientifiques impliqués dans le projet de recherche Sensational proposent eux une autre approche : utiliser le sens de l’orientation comme marqueur de la pathologie d’Alzheimer et en tester la qualité grâce à un jeu vidéo. « La fonction d’orientation est en effet atteinte très tôt dans la maladie, commente Antoine Garnier-Crussard qui pilote le volet recherche clinique de Sensational. À travers ce projet, on évalue aussi l’attention visuelle des individus en suivant le mouvement de leurs yeux par oculométrie ». L’hypothèse testée ainsi est que plus une personne a du mal à s’orienter, plus elle cherche d’indices visuels un peu partout et au hasard.Sorti en 2016, Sea Hero Quest, le jeu vidéo sur lequel s’appuie le projet, a été téléchargé par plus de 4 millions de personnes dans le monde. Il a été développé entre autres par Antoine Coutrot, chercheur CNRS au laboratoire LIRIS de Lyon et pilote du projet. Dans le jeu, disponible sur smartphone, le joueur incarne un capitaine de bateau. Il a quelques secondes pour observer une carte, puis doit se la remémorer et identifier des repères pour se frayer un chemin à travers des labyrinthes aquatiques de plus en plus complexes. Ses performances, révélatrices de sa capacité à s’orienter, sont enregistrées. Le joueur renseigne aussi des questions ayant trait à son profil démographique. La base de données ainsi constituée depuis la sortie du jeu a livré de premiers résultats scientifiques. Ces derniers ont révélé notamment que l’âge est un facteur déterminant des compétences en orientation : plus nous vieillissons et plus il est difficile de s’orienter. Viennent ensuite le sexe et la nationalité de la personne.Objectif premier du projet Sensational : confirmer en environnement contrôlé (à l’hôpital) les effets de l’âge sur les stratégies d’orientation de participants sans troubles cognitifs et les comparer aux performances de patients touchés par la maladie d’Alzheimer. Outre la tâche expérimentale de navigation spatiale sur Sea Hero Quest, les participants (220 sujets sains et 50 malades) remplissent des questionnaires visant à évaluer leurs capacités cognitives et leur style de vie. Une prise de sang permettant de mesurer leur taux de protéine tau phosphorylée et un marqueur génétique de la maladie est encore effectuée. L’étude débutée l’an passé devrait s’achever à l’automne. Les résultats sont attendus pour 2026-2027. « Même si on en est encore loin, on pourrait imaginer utiliser ce jeu associé à la prise de sang comme outil de repérage précoce de la maladie d’Alzheimer », livre le médecin gériatre.Encadré —————————————————————————-Maladie d’Alzheimer : prise en charge et préventionDu fait de la perte de repères et de mémoire, la maladie d’Alzheimer est éprouvante pour la personne malade et ses proches. Visant à soulager le patient, les mesures thérapeutiques reposent sur la prise en compte du retentissement psychologique de la maladie et la mise en place d’activités artistiques, physiques et cognitives améliorant son quotidien. Des médicaments permettent de réduire certains symptômes. La prévention de la maladie repose essentiellement sur l’adoption d’une bonne hygiène tout au long de sa vie qui s’attachera en outre à favoriser les interactions sociales et la stimulation intellectuelle.—————————————————————————————–PPour aller plus loinLa maladie d’Alzheimer, Institut Pasteur.La prévention de la maladie d’Alzheimer, efficace ? Fondation Alzheimer, replay conférence du 12 mars 2024 à l’occasion de la Semaine du cerveau 2024.Mémoire et vieillissement, une fatalité ?, interview d’Antoine Garnier-Crussard, chronique scientifique de RCF Dis pourquoi ?, 25 février 2025Semaine du cerveau 2025, du 10 au 25 mars.
LLa bronchopneumopatie chronique obstructive, c’est quoi ? | Du Neuf Docteur ? Du Neuf Docteur ? vous parle de la bronchopneumopathie chronique obstructive, BPCO, une maladie présente chez une partie de la population française et qui touche les poumons. Du Neuf Docteur ? vous explique dans cette vidéo quelles en sont les causes et les traitements actuels pour soulager les patients.> La vidéo : >> Pour plus d’information rendez-vous sur la chaine YouTube :Du neuf docteur ?
QQuand les vecteurs attaquent Quelques clés pour comprendre les maladies vectorielles en FranceLes maladies vectorielles représentent un défi croissant pour la santé publique et animale en dans le monde en général, et la France hexagonale ne fait pas exception. Cette conférence propose de décrypter les problématiques liées à ces pathologies, avec un éclairage particulier sur les maladies affectant les animaux.À travers des exemples récents tels que la Fièvre Catarrhale Ovine (FCO), le Virus de la Fièvre Hémorragique de Crimée-Congo (CCHFV) et la Maladie Hémorragique Épizootique (MHE), nous explorerons les dynamiques d’émergence, les impacts sur les écosystèmes et les stratégies de prévention. Une occasion unique de mieux comprendre et anticiper ces enjeux majeurs pour la santé et l’agriculture.Intervenant : Vincent Legros, enseignant en pathologie infectieuse à VetAgro Sup (Campus vétérinaire), chercheur détaché au Centre international de Recherche en Infectiologie, dans le laboratoire EVIR dirigé par François-Loïc Cosset.Pour en savoir plus :Musée de sciences biologiques
SSurveillance des pathologies infectieuses depuis la Covid : état des lieux et plan d’actions en Auvergne-Rhône-Alpes Depuis la pandémie de Covid-19, de nouvelles épidémies bouleversent notre quotidien : bronchiolites, rougeole, coqueluche, infections invasives à méningocoques …Pourquoi ces maladies refont-elles surface ? Quels moyens mettons-nous en œuvre pour y faire face ?Pour répondre à ces questions, le Dr Anne-Sophie Ronnaux-Baron, responsable du pôle régional de veille sanitaire (ARS ARA), nous en parlera lors de la conférence captivante pour comprendre cette évolution épidémiologique et découvrir les actions concrètes des acteurs de notre région qui se mobilisent face à ces défis.Le Musée de sciences biologiques docteur Mérieux vous invite à découvrez les défis sanitaires de l’après-Covid et les solutions en Auvergne – Rhône – Alpes !>> Pour plus d’information, rendez-vous sur le site : Musée de sciences biologiques dr Mérieux
FFaire face aux maladies de société Selon les données du 6e rapport du GIEC, le changement climatique est la plus grande menace pour la santé humaine. Maladies cardiovasculaires causées par les hausses des températures, maladies respiratoires liées à la pollution atmosphérique, maladies animales transmissibles à l’homme causées par l’effondrement de la biodiversité et l’agriculture intensive, ou encore problèmes de santé mentale, avec le développement de troubles anxieux et des traumatismes causés par les catastrophes naturelles. Toutes ces maladies de société ont un trait commun : « Elles sont intrinsèquement liées aux nouveaux modes de vie de nos sociétés industrialisées. C’est un constat difficile, dont il ne faut pas se détourner », ont affirmé Marianne Chouteau et Adina Lazar, enseignantes chercheuses à l’INSA Lyon. À l’occasion du deuxième séminaire « Let’s look up! » en mai dernier, le collectif de chercheurs et d’enseignants-chercheurs de l’INSA Lyon et de l’Université Lyon 1 ont exploré cette thématique.>> Le cas des zoonosesLes dernières décennies ont montré une accélération dans l’émergence de zoonoses, ces maladies qui passent de l’animal à l’homme. Déjà identifié depuis le Néolithique, il est désormais connu que ce mécanisme de contamination peut être à l’œuvre dans différents cas : lors d’un contact direct avec un animal contaminé ; par l’intermédiaire de l’environnement (eau, sols) ; par l’intermédiaire d’un animal vecteur ; ou encore par la consommation d’aliments d’origine animale contaminés. C’est avec la présentation détaillée de cette pathologie bovine que débute la présentation de Thierry Baron1,chef de l’Unité Maladies Neurodégénératives de Lyon. Après des années de recherches sur les maladies à prions, il dirige aujourd’hui des études sur la maladie de Parkinson et autres variants. À travers ses travaux, il a pu montrer que le développement de cette maladie pouvait être favorisé par l’exposition à divers composés naturels ou artificiels comme les pesticides. « Les maladies à prions sont, dans la plupart des cas, considérées comme sporadiques, et leur cause est inconnue. Mais parfois des clusters de malades sont observés localement, il est alors possible d’aller rechercher les déterminants possibles de ces maladies par des enquêtes de terrain », explique le directeur de recherches de l’ANSES.>> Environnement et technologie : les autres déterminants de la santéDans les années quatre-vingt, la crise de la vache folle avait sévi en Europe, causé notamment par la concentration d’animaux d’élevage. La crise avait entraîné des victimes humaines, des milliers de vaches abattues et une crise économique pour la filière bovine, conséquences d’un changement du procédé industriel de fabrication de farines animales. La baisse de la température de cuisson, qui visait à optimiser la qualité nutritive, limiter le coût de production, et réduire l’impact sur l’environnement et le personnel technique, a conduit à une crise de grande ampleur. Ainsi, dans le cas de la crise de la vache folle, la barrière de l’espèce a été franchie : le prion est passé du mouton à la vache, puis de la vache à l’homme via l’alimentation causant 28 décès recensés et confirmés. Intrinsèquement liée à l’organisation industrielle, cette crise a souligné les limites de la logique de performance de nos sociétés. « C’est une illustration de la nécessité de (…)>> Lire la suite de l’article sur le site :Insa lyon
PPesticides et cancer Une soirée grand-public est organisée sur le thème des Pesticides et cancer, de la recherche à la prévention.Cette soirée permettra de réunir des experts scientifiques sur ce sujet pour présenter un état des lieux de la recherche actuelle et présenter des résultats liés à des projets menés depuis plus de 10 ans sur le territoire de la Métropole de Lyon.> Programme :18h-18h45 : visite des stands et accueil café ;18h45-20h : conférence plénière ;20h-20h30 : visite des stands et cocktail convivial.Intervenantes : Dre Mary Schubauer-Berigan | Cheffe, Branche Synthèse des données et classification, Centre International de Recherche sur le Cancer (CIRC)Dre Astrid Coste | Epidémiologiste, Centre Léon Bérard (CLB)Co-organisée avec : le Centre International de Recherche sur le Cancer – CIRC -, le Centre Léon Bérard – CLB – et le Cancéropôle Lyon Auvergne Rhône Alpes – CLARA.Dans le cadre de : la 8e édition Série d’échanges et dans le cadre de la campagne de prévention Protégeons-nous des pesticides.> Pour plus d’information, rendez-vous sur le site : CLARA©DR
88e journée thématique du Centre de recherche en cancérologie de Lyon | En anglais Le centre de recherche en cancérologie de LYON – CRCL – vous invite à sa 8e journée thématique.À cette occasion, nous aurons le plaisir d’accueillir quatre conférenciers au cours d’une journée.>> Le programme > à consulter en lignePrésidentes de séance : Maria Ouzounova, Charlotte Rivière9h30 – Introduction |Patrick Mehlen, Directeur du CRCL & Marc Billaud, CRCL9h45 – Sous pression : comprendre comment la compression stromale régule la mécanotransduction tumorale |Jorge Barbazan, Fondation de l’Institut de Recherche en Santé de Saint-Jacques-de-Compostelle (IDIS), Espagne11h – Mécanobiologie nucléaire de la migration cellulaire confinée | Jan Lammerding, Université Cornell, IthacaPAUSE DÉJEUNERPrésident(e)s de séance : Virginie Petrilli, Olivier Meurette14h – Le défi (et les opportunités) de l’interface physique-biologie pour intégrer la mécanobiologie dans le développement des maladies | Olivier Destaing, Institut pour l’Avancée des Biosciences, Grenoble15h30 – Condensats biomoléculaires mécano-actifs comme médiateurs de la stabilité du génome et de la biogenèse des organelles | Stephen Michnick, Université de Montréal, Montréal >> Pour plus d’information, rendez-vous sur le site :CRCL
PPenser la santé | #1 Dossier Pop’Sciences « Santé mentale : entre pathologies et bien-être » Tête de femme « Méduse », Lumière et Ombre, 1923 au musée des Beaux-Arts de Lyon / ©Jawlensky Alexej von – Wikimédia commonsSi la santé est un état, c’est aussi un concept. La question de la santé peut alors être envisagée autrement que sous l’angle de la médecine, comme situation particulière d’un organisme, mais aussi à partir de ce qu’implique sa définition. La philosophie s’est ainsi emparée du terme et de ce qu’il entend décrire, conduisant une véritable enquête réflexive à la recherche des contours d’un objet polymorphe.Un article rédigé par Ludovic Viévard, rédacteur,pour Pop’Sciences – 29 février 2024 Absence de maladie ou bien-être ?Longtemps comprise comme un déséquilibre des humeurs composant le corps, la santé ne se conçoit qu’à partir du 19e siècle comme l’absence de maladie. Elle devient science de la pathologie et, dans ce modèle dit biomédical, elle est le domaine exclusif du médecin. En 1946, l’Organisation mondiale de la santé en formule une nouvelle définition :« un état de complet bien-être physique, mental et social, [qui] ne consiste pas seulement en une absence de maladie ou d’infirmité ».Un état positif donc, dans la mesure où il n’est pas l’effet d’un manque, mais sous-tend une forme de plénitude de l’être que celui-ci soit envisagé dans sa dimension relationnelle ou individuelle. Avec l’explosion des maladies chroniques, la santé évolue encore ; puisqu’il s’agit de vivre avec et non d’en guérir, elle sera considérée comme « la capacité d’adaptation et d’autonomie face à des défis sociaux, physiques et émotionnels »1.Engelshut, 1931 / ©Gemäldescan Christian Mantey – Wikimédia commonsLa santé comme objet d’enquête philosophiqueCe (trop) rapide tour des conceptions de la santé vise seulement à souligner combien la notion de santé a varié. Mais au-delà de l’histoire des idées – qui en décrit l’évolution des formes dans le temps –, la santé peut être interrogée en tant que concept. C’est tout l’objet de la philosophie de la santé explique Élodie Giroux, professeure des universités en philosophie des sciences et de la médecine – Université Jean Moulin Lyon 3, pour qui il s’agit « d’interroger des concepts du sens commun, de les critiquer ou de questionner leur usage »2. Une entreprise d’autant plus nécessaire que la santé est un concept « vulgaire », dira le philosophe G. Canguilhem, au sens où il appartient à tout le monde. Cette enquête philosophique, indique la chercheure, « engage des questions [telles que] : qu’est-ce que la normalité humaine ? Qu’est-ce que l’identité, la norme, la différence, la ressemblance, les rapports entre le même et l’autre ? Y a-t-il une définition biologique de la norme et de l’espèce humaine ? Comment s’articulent les dimensions biologiques, sociales, psychiques de la vie humaine dans les notions de santé et de maladie ? »3L’individu, la société, la planètePour comprendre la pleine portée de ce questionnement philosophique, on peut évoquer quelque unes des frontières qu’il bouscule. Georges Canguilhem, par exemple, portera son effort critique sur la rationalité médicale. La médecine, essentiellement empirique et statistique, édicte un état normal qu’elle oppose au pathologique. Or, dira Canguilhem, la vie est normative, au sens où elle produit ses propres normes nécessaires à son maintien et à son développement. Ainsi, écrit Élodie Giroux, « les concepts de normal et de pathologique n’ont de signification que par rapport à cette normativité du vivant, qui elle-même ne peut se comprendre que dans la relation d’influence réciproque d’un vivant avec son milieu »4. On voit que la question de la santé quitte le registre de la pure objectivité pour faire part à la subjectivité de la personne.Mais la santé peut aussi s’interroger dans sa dimension sociale. On retrouve ici la définition de l’OMS dans laquelle « la santé est envisagée comme un état qui permet avant tout à l’individu humain d’assumer ses fonctions relationnelles, sociales et familiales et son rôle professionnel »5. Si pour Élodie Giroux cette définition pose difficulté en ce qu’elle fait insuffisamment la différence entre santé et bonheur, elle installe une conception dite bio psychosociale de la santé. Dans ce modèle, l’individu est relié à un ensemble de systèmes de plus en plus extérieurs à lui-même et qui, de ses cellules à la biosphère, contribuent à en définir la santé.Ainsi, au-delà de la dimension sociale, la santé peut-elle être analysée dans le lien de l’individu à l’environnement. Se font alors jour des perspectives globalisantes, avec la notion de santé environnementale, de santé globale ou d’une seule santé (One Health). Si cette dernière approche « ne repose pas encore sur une définition consensuelle », souligne Élodie Giroux, elle permet « d’alerter sur l’interdépendance entre santés humaine, animale et environnementale et l’importance de l’interdisciplinarité »6.On le voit, la santé n’engage pas que le corps et l’esprit. Penser la santé, c’est conduire une réflexion sur l’humain, son rapport à lui-même et aux autres, humains et non humains, ainsi que son environnement.—————————————————————Notes[1] : Huber, M., Knottnerus, J.A., Green, et al. (2011), « How should we define health? », BMJ 2011, 343(4163)[2] : « Note de fin », Revue Phares, vol. XVI, hiver 2016[3] : « Note de fin », Revue Phares, vol. XVI, hiver 2016[4] : Philosopher sur les concepts de santé : de l’Essai de Georges Canguilhem au débat anglo-américain », Dialogue, 52 (2013)[5] : « Concept de santé », Encyclopædia Universalis [s.d.][6] : « Concept de santé », Encyclopædia Universalis [s.d.]
UUn champ en perpétuelle transformation | #2 Dossier Pop’Sciences « Santé mentale : entre pathologies et bien-être » A Woman Suffering from Obsessive Envy, circa 1819-1820, au Musée des beaux-arts de Lyon / ©Alain Basset, Stéphane Degroisse – Wikimédia commonsLa conception de la maladie mentale et de sa prise en charge a considérablement changé au fil du temps. Mais c’est à partir de 1950, et surtout depuis les années 1990, qu’interviennent les ruptures les plus fortes et que s’impose le terme de santé mentale. Celle-ci est intégrée au champ de la santé globale alors que la priorité est désormais de maintenir les personnes atteintes de troubles psychiques dans l’espace social.Un article rédigé par Ludovic Viévard, rédacteur,pour Pop’Sciences – 29 février 2024 De la folie au trouble mentalTrès ancienne – on la trouve déjà dans l’Antiquité – la notion de folie désigne l’inverse de la raison. Le fou est aliéné c’est-à-dire incapable de rationalité. Infirme, possédé ou puni par Dieu, les interprétations sont diverses mais la conséquence est toujours la même : le fou est rejeté de l’espace social. Avec l’apparition de la psychiatrie, la « folie » cède progressivement la place à la « maladie mentale ». Mais au fil du 19e siècle, cette dernière est de plus en plus souvent considérée comme héréditaire et donc incurable. Ce n’est qu’après la Seconde Guerre mondiale que le rapport entre normalité et pathologie est requestionné, en particulier par le philosophe Georges Canguilhem, ouvrant la voie à une autre conception, moins stigmatisante de la maladie mentale. C’est notamment sur la base de ses travaux que l’OMS propose, en 1946, une définition positive de la santé comprise comme un « état de complet bien être physique, mental et social qui ne consiste pas seulement en une absence de maladie ou d’infirmité ». Pour l’historienne de la psychiatrie Isabelle von Bueltzingsloewen, « c’est à partir de là qu’on peut commencer à parler de santé mentale ».La visita al hospital, 1889 in the book: Historia del Arte ©Photo scan – Wikimédia commonsDe l’enfermement à la déshospitalisationUne seconde transformation concerne la prise en charge des personnes atteintes de troubles mentaux. Isabelle von Bueltzingsloewen explique que « jusqu’à la Seconde Guerre mondiale, celle-ci se fait quasi exclusivement à l’hôpital psychiatrique – terme qui n’apparaît qu’en 1937 pour remplacer celui d’ »asile d’aliénés » ». Après la guerre, et surtout à partir des années 1960, se manifeste la volonté de rompre avec l’enfermement jusqu’ici considéré comme une thérapeutique à part entière. Les hôpitaux psychiatriques s’ouvrent sur l’extérieur et « on assiste à une déshospitalisation des patients grâce à la création de structures extra-muros. Le nombre de longs séjours asilaires diminue progressivement pour ne plus concerner que les patients « en crise » ». Aujourd’hui, la plupart des personnes atteintes de troubles mentaux sont suivies hors de l’hôpital, dans des centres médico-psychologiques (CMP), des hôpitaux de jour, des centres d’accueil thérapeutiques à temps partiel (CATTP) ou vivent dans des foyers ou des appartements thérapeutiques. Cette évolution s’est traduite par une diminution drastique du nombre de lits hospitaliers. Or les moyens des structures extra-hospitalières étant insuffisants,nombre de patients vivent dans la rue ou sont en prison.Vers une réhabilitation socialeSi ce mouvement de déshospitalisation est soutenu par de nombreux psychiatres et par les politiques de santé publique, il a été rendu possible par l’apparition, à partir des années 1950, de nouveaux traitements médicamenteux (antipsychotiques, anxiolytiques, neuroleptiques retard, etc.). Mais il va aussi de pair avec l’affirmation du courant optimiste du rétablissement (Recovery). Venu d’Amérique du Nord, celui-ci se développe en France depuis les années 1990. « Ce qui est visé est moins la guérison que le renforcement des capacités et du « pouvoir d’agir » (empowerment) du patient qui, grâce aux techniques de remédiation psycho-sociale1, mais aussi grâce à des dispositifs tels que l’allocation aux adultes handicapés (AAH), doit pouvoir prendre sa vie en main et trouver sa place dans la société », indique Isabelle von Bueltzingsloewen. Puisant à la même inspiration, l’accompagnement des patients par des pairs, c’est-à-dire par des personnes ayant ou ayant eu elles-mêmes des troubles, prend une place de plus en plus importante grâce à la création des groupes d’entraide mutuelle (GEM).De l’aliénation à la neurodiversitéÉvoquons une dernière transformation qui concerne le regard porté sur les personnes atteintes de troubles de la santé mentale. Si les préjugés sont encore tenaces, les évolutions précédentes ont induit un mouvement progressif de déstigmatisation et d’inclusion des personnes atteintes de troubles psychiques. Elles se prolongent dans la prise de parole de personnes qui refusent d’être catégorisées comme malades ou souffrant d’un quelconque trouble. Ainsi, précise Isabelle von Bueltzingsloewen, « les voice-hearers, par exemple, considèrent qu’il est tout à fait normal d’entendre des voixet renvoient l’anormalité du côté de ceux qui n’en entendent pas ». À ceux qualifiés de neurotypiques, il est ainsi opposé une neurodiversité qui installe la possibilité d’une différence radicale, y compris dans le rapport à l’autre et au réel.—————————————————————Note[1] : Reprogrammation mentale : une dialmectique corps & cerveau, un article Pop’Sciences rédigé par Nathalie Mermet – Mars 2021
LLe rétablissement en santé mentale | #3 Dossier Pop’Sciences « Santé mentale : entre pathologies et bien-être » Apparue dans les pays anglo-saxons dans les années 1970, la notion de rétablissement en santé mentale a peiné à se faire une place en France. Du chemin a été parcouru depuis, et aujourd’hui, le rétablissement est l’un des objectifs affichés de la prise en charge psychiatrique.Un article de Clémentine Vignon, journaliste scientifique, rédigépour Pop’Sciences – 29 février 2024L’idée qu’une personne présentant des troubles psychiques puisse réussir à mener une vie ordinaire n’allait pas de soi. En santé mentale, un certain fatalisme l’emportait, y compris chez les soignants.Mais le champ de la psychiatrie n’a cessé d’évoluer. Aujourd’hui, le rétablissement est reconnu et constitue même l’une des principales cibles de la prise en charge en santé mentale. Au centre hospitalier Le Vinatier, à Bron, les patients qui présentent des troubles sévères, de l’ordre de la schizophrénie ou du trouble bipolaire, peuvent notamment bénéficier de techniques de réhabilitation psychosociale. « Leur objectif n’est ni la diminution ni la disparition des symptômes, mais le rétablissement de la personne, c’est-à-dire de lui permettre de réussir sa vie selon ses propres critères », indique le Pr Nicolas Franck,psychiatre et chef du pôle Centre Rive Gauche, où se situe le centre ressource de réhabilitation psychosociale, une structure nationale reconnue.La réhabilitation psychosocialeEn renforçant le pouvoir de décision et d’action des patients, la réhabilitation psychosociale vise avant tout leur réinsertion sociale et/ou professionnelle. Elle s’appuie sur une panoplie d’outils tels que la remédiation cognitive, dont l’objectif est de réduire l’impact des troubles cognitifs sur la vie du patient, ou encore l’entraînement des compétences sociales (capacités d’écoute empathique, résolution de conflits, etc.). Ces techniques ont pour point commun de se focaliser sur les capacités des personnes plutôt que sur leurs limitations. Elles consistent en des exercices de résolution de problèmes concrets, des mises en situation, ou encore des jeux de rôle.Tout l’enjeu est d’amener les patients à mieux se connaître afin qu’ils puissent construire leur projet de soin en fonction de leur projet de vie, selon des objectifs professionnels, familiaux, amicaux ou autres.Les bénéfices de la réhabilitation psychosociale sont largement démontrés. « Grâce à elle, de nombreux patients reprennent des trajectoires de vie favorables après avoir été interrompues par la maladie », soutient le Pr Nicolas Franck (Université Claude Bernard Lyon1 / Centre hospitalier Le Vinatier). Ils retrouvent un travail, des relations sociales satisfaisantes, fondent une famille, et certains finissent même par se détacher complètement de la psychiatrie. Pour d’autres, la poursuite d’un traitement médicamenteux demeure une condition essentielle du rétablissement. Dans tous les cas, seul le patient est à même de se prononcer sur son rétablissement.Tangotee, between 1919 and 1921 of the Private collection / © Christie’s – Wikimédia commonsPrise en charge précoce : une prioritéPlus la prise en charge du patient est précoce, plus la réhabilitation psychosociale aura de chance d’aboutir à un rétablissement. Or, les patients qui bénéficient aujourd’hui de la réhabilitation sont souvent déjà bien avancés dans la maladie. La détection précoce des troubles psychotiques, notamment auprès des jeunes, est donc une priorité. Dans cet objectif, le dispositif PEP’s a été créé en 2019 par le Pr Frédéric Haesebaert (Université Claude Bernard Lyon 1/Centre hospitalier Le Vinatier), chef de service au Vinatier, pour accueillir des jeunes adultes de 18 à 35 ans présentant un premier épisode psychotique.Accolé au centre référent de réhabilitation psychosociale de Lyon, ce dispositif permet de proposer rapidement de la réhabilitation aux personnes qui en ont besoin. « On sait que c’est dans les 2 à 5 premières années qui suivent le premier épisode qu’on obtient un maximum de bénéfices de nos interventions », soutient Frédéric Haesebaert. La prise en charge précoce, rappelle le psychiatre, réduit fortement la mortalité.Afin de repérer encore plus efficacement les jeunes en souffrance psychique, Frédéric Haesebaert a eu l’idée d’aller au devant d’eux directement dans les universités. Avec le service de santé universitaire (SSU) de l’Université Claude Bernard Lyon 1, il a co-construit le projet PRIOR-ETU. Dans les faits, un psychiatre du Vinatier est détaché sur le campus LyonTech-la Doua pour mener des consultations auprès des étudiants. En fonction des situations, les étudiants sont ensuite suivis à l’université ou peuvent intégrer le dispositif PEP’s. Une action qui a du sens, quand une étude scientifique publiée en 2020 a montré que seuls 6 % des étudiants qui avaient présenté des troubles psychologiques pendant le confinement, déclaraient avoir consulté un professionnel de la santé (étude nationale portant sur plus de 69 000 étudiants1).Lutter contre la stigmatisationD’autres actions sont mises en place afin de sensibiliser les étudiants sur la santé mentale. C’est le cas du programme ETUCARE, financé par l’ARS Bourgogne-Franche-Comté et conçu par des chercheurs en psychologie du laboratoire DIPHE de l’Université Lumière Lyon 2 en collaboration avec l’IREPS BFC. « Il s’agit d’une plateforme en ligne que nous avons co-construite avec les étudiants et qui les sensibilise sur différentes thématiques en lien avec lasanté mentale, comme la régulation des émotions ou encore la gestion du stress » explique Rebecca Shankland, professeur en psychologie du développement au sein du laboratoire DIPHE (département PsyDev). Ce type d’initiative vise aussi à lutter contre la stigmatisation en santé mentale. Tout comme le dispositif ZEST (zone d’expression contre la stigmatisation), porté par le centre ressource national de réhabilitation psychosociale, qui encourage la prise de parole des personnes concernées par des troubles psychiques. Ou encore l’engagement des pair-aidants, ces patients rétablis qui s’appuient sur leur expérience pour accompagner les personnes concernées par un trouble mental. Preuves vivantes qu’il est possible d’être en bonne santé mentale malgré un syndrome psychiatrique, ils laissent entrevoir une issue positive, insufflent de l’espoir, et guident les patients sur le chemin du rétablissement.—————————————————————Note :[1] JAMA Netw Open. 2020 Oct; 3(10): e2025591.PPour aller plus loinBlooming you : comment protéger sa santé mentale après les crises ? – PodcastMūsae stories : casser les codes de la santé mentale pour la rendre accessible – PodcastPlace des sciences : rétablissement, et maintenant – PodcastPlace des sciences : schizophrénie, sur un arbre perché – PodcastCentre ressource de réhabilitation psychosociale : dispositif ZESTProgramme numérique pour prendre soin de sa santé mentale quand on est étudiant : ETUCARE| conçu par des psychologues et chercheurs en psychologie de l’Ireps BFC et de l’Université Lumière Lyon 2 (Laboratoire DIPHE, Département de psychologie du Développement, de l’Éducation et des Vulnérabilités).