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De 1968 à 2018 : les 50 ans du droit à la ville

DDe 1968 à 2018 : les 50 ans du droit à la ville

Ce dossier thématique aborde la notion de “droit à la ville”. Il intervient dans le cadre du 50e anniversaire de la publication de l’ouvrage Le droit à la ville par Henri Lefebvre en 1968.

Il a été réalisé dans le cadre d’une collaboration entre la Direction Culture, Sciences, Société de l’Université de Lyon et l’École Urbaine de Lyon, visant à impliquer dans un projet de médiation scientifique cinq étudiants de la mention de master Ville et Environnements Urbains (VEU), Khrystyna Gorbachova, Iris Huneau, Lucas Hurstel, Johanna Lubineau et Eya Naimi, encadrés par Samuel Belaud (Université de Lyon) et Mathilde Girault (UMR Triangle). Lorsqu’on se penche sur la notion de droit à la ville, ce format pédagogique révèle toute sa portée performatrice !

 

Le “droit à la ville” est une notion introduite dans l’ouvrage homonyme de Henri Lefebvre, publié en 1968. Ce court manifeste critique vivement les modes de productions dominants de la ville. Il se place particulièrement en contre-courant de la ville capitaliste et néolibérale, considérant les inégalités sociales (de classe) qui la structurent. Le “droit à la ville” s’oppose aussi à la ville fonctionnaliste et standardisée, pour prôner le droit des habitants à auto-produire leur ville. Le “droit à la ville” pourrait se définir par le droit de chaque habitant à imaginer et fabriquer son lieu de vie, à se l’approprier, à y vivre à sa manière, etc. Il ne s’agit donc pas d’un droit au sens institutionnel du terme que l’on pourrait revendiquer, à l’instar des droits de l’homme, mais davantage d’un rapport singulier implicatif que chaque habitant entretient avec la ville comme lieu d’habiter.

50 ans après la publication de cet ouvrage, le contexte urbain a changé mais la notion de “droit à la ville n’est pour autant pas moins d’actualité. Les villes ont grossi et concentré de plus en plus de richesses, les centres-villes se sont patrimonialisés ce qui a engendré une gentrification des quartiers connexes, la compétition métropolitaine a entériné les pouvoirs urbains comme espaces décisionnels, la participation institutionnelle a mis en avant la figure du citoyen et du débat public mais a aussi suscité quelques frustrations, les vagues de migration ont mis en défaut les capacités d’accueil de métropoles pourtant vantées comme espace du cosmopolitisme… Se sont renforcées les ségrégations sociales, les exclusions territoriales, les inégalités environnementales…

Si l’on se penche sur le travail de nombreuses associations et collectifs œuvrant dans divers domaines comme la place des femmes dans l’espace public, le droit au logement, les formes d’appropriations de l’espace public par les citadins, ou la reconnaissance des “invisibles” de la ville  (SDF, minorités, etc.), l’ancrage du “droit à la ville” dans notre époque actuelle apparaît bien réelle. Nous pourrions même dire que certains font du droit à la ville sans le savoir : afin de mettre en avant toute l’actualité de cette notion, nous proposons une carte collaborative d’associations et de collectifs qui, selon nous, agissent selon les principes du droit à la ville tel que nous avons pu le définir dans ce dossier.

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La publication de ce dossier thématique naît conjointement d’une initiative de l’association étudiante de la Mention de master VEU, Urbagora 2.0, qui a réalisé courant mars plusieurs événements visant à faire connaitre cette notion et débattre de son actualité. Ces événements seront rapportés par la suite dans ce dossier.

Les articles

Le droit à la ville, une théorie portée à tous ?  – Johanna Lubineau

Créer du commun par l’habiter : le cas de trajectoires militantes dans le squat officiel bruxellois « 123 » – Khrystyna Gorbachova

La monotonie paysagère comme aliénation moderneEya Naimi

Le son comme révélateur des inégalités sociales – Lucas Hurstel

 

Iris Huneau

Ce travail a bénéficié d’une aide de l’État gérée par l’Agence Nationale de la Recherche au titre du programme d’Investissements d’avenir portant la référence ANR-17-CONV-0004.

Créer du commun par l’habiter : le cas de trajectoires militantes dans le squat officiel bruxellois « 123 »

CCréer du commun par l’habiter : le cas de trajectoires militantes dans le squat officiel bruxellois « 123 »

La crise du logement est toujours un problème massif en France et en Europe occidentale. Ce sont les classes moyennes, populaires ou pauvres qui sont les plus affectées par cette crise tant pour l’accession à la propriété individuelle que pour la location. Souvent c’est encore la politique publique qui est accusée d’inefficacité dans la régulation de la spéculation foncière et immobilière, bien que les politiques d’implication des habitants s’imposent aujourd’hui comme une composante du projet urbain et fait partie de la “bonne gouvernance” dans les pays occidentaux.

Bien que proches, la participation institutionnelle ne correspond pas, selon nous, à la revendication de droit de la ville comme cela a été théorisé par H. Lefebvre. C’est naturellement que ce décalage, malgré les tentatives voilées, fait ressortir des mouvements divers d’initiatives alternatives en matière de logement. Parmis ces initiatives, une a retenu notre attention pour son caractère collectivement impliquant et ses liens avec la portée subversive de la quotidienneté : l’habitat partagé où les habitants s’impliquent en réalisant l’autogestion et la production commune de leurs logement. Ce n’est pas juste une alternative économique à ce que la ville propose en termes de logement, mais un mode de vie que les gens recherchent. Pour mieux comprendre ce raisonnement et la forme pratique de la revendication de droit à la ville qu’il entraîne, nous proposons à votre attention une interview auprès d’habitants d’une communauté auto-gérée bruxelloise, un squat appelé 123 occupé depuis 10 ans avec un accord avec le propriétaire de l’immeuble.

Ci-dessous vous trouverez deux histoires différentes, deux raisonnements différents partageant une toiture et des espaces communs au quotidien. Celles de Steven, un des fondateurs du squat officiel bruxellois 123, et celle de Koen, habitant du squat officiel 123 à Bruxelles.

 

Khrystyna : Présentez-nous, s’il-vous-plaît, votre habitat et votre action. Est-ce que vous reconnaissez votre mode d’habiter dans la notion de droit à la ville (anticapitalisme, anti-exclusion urbaine, valeur du commun, attentions aux pratiques quotidiennes, auto-gestion.. attitude critique) ?

Steven : En septembre 2015 alors que j’étais sans domicile depuis une semaine, j’ai eu la chance d’arriver par hasard au « 123 » . Cela m’a sauvé : j’y ai trouvé une stabilité pour mon logement et une aide psychologique et affective qu’aucune autre structure officielle n’aurait pu m’offrir.

Lorsque la fille qui m’avait prêté sa chambre est revenue, j’ai ouvert un squat qui a duré 6 mois. C’était très bien. Il s’agissait d’un hôtel particulier qui appartenait à la Banca Popolare et qui était vide depuis 15 ans dans le quartier Européen. Dix autres personnes y ont trouvé refuge. Après je suis revenu au 123 et on m’a donné officiellement une chambre.

Pour ceux qui ont des accidents de parcours ou se retrouvent marginalisés, la société n’est pas adaptée pour leur répondre. On ne fait pas confiance à un système qui vous exclut. Oui, l’opposition à un capitalisme totalitaire fait parti du mode vie en squat. La solidarité et l’entraide sont des valeurs pleine de sens que l’on vit tous les jours.

Koen : Depuis Juillet 2017 j’habite à la Rue Royale, un des lieux occupés par la communauté d’habitants auto-gérée bruxelloise dite 123. La semaine passée je suis devenu officiellement habitant moi-même (hourra !). Il s’agit d’une occupation démarrée en squattant, mais existante depuis  10 ans grâce à une convention avec le propriétaire (public !) : la Région Wallone. En novembre 2018 nous devrons quitter les lieux, car le nouveau propriétaire (privé) veut y construire des logements étudiants. Avant j’ai habité pendant plusieurs années en bougeant à Bruxelles d’un endroit à un autre, souvent en logeant chez des ami.e.s, sans avoir un lieu fixe. Je suis de Bruxelles et j’ai un réseau (famille, ami.e.s…) qui m’a permis de faire cela plutôt confortablement, parce que je veux faire ce choix. Je crois que grâce à cette chance là, et la prise de conscience de voir cette expérience ainsi , j’ai pu mettre ma façon de vivre en question et j’ai pu m’approcher de mondes différents que ceux dans lesquels j’ai grandi, desquels j’étais prédestiné à faire partie, ainsi que de travailler mon empathie. Donc, oui, disons qu’on peut appeler cela une attitude critique. A part ça j’ai toujours connu  l’habitat collectif, faisant partie d’une grande famille de plusieurs ménages, travaillant et vivant ensemble, et ayant été en internat, entre autres…

Khrystyna : Est-ce que c’est une forme du lutte pour vous ? Si oui est-ce qu’il s’agit de la lutte urbaine pour le logement ou est-ce qu’elle rejoint plus largement d’autres formes de luttes urbaines?

Steven : C’est souvent par nécessité que l’on se tourne vers la vie en squat : « Il me faut un toit, je ne veux pas dormir dehors, la maison d’à coté est vide, je rentre m’y abriter. »

Le manque de ressources, l’isolement et parfois la fuite amènent à rencontrer d’autres personnes qui vivent les même galères. L’entraide fait que l’on se retrouve et qu’on occupe ensemble des bâtiments créant une forme de communauté. Un jour, la chance sourit et un proprio’ donne une convention, ce qui nous permet de rester. Car déménager tout le temps ou risquer l’arrivée des flics ce n’est pas drôle. En tant qu’individu on a aussi besoin de stabilité. Donc cette lutte n’est pas permanente, mais il s’agit bien d’une lutte pour sa survie et pour se créer un espace vital qui nous convient.

Koen :  Personnellement, je ne le définirai pas comme une lutte permanente – je me méfie d’une lutte en permanence -, mais je comprends que c’est parfois une lutte. De cette façon, je soutiens la lutte pour le droit au logement et contre la pauvreté, revendiquée au 123 par exemple, mais cette manière d’habiter est pour moi surtout une mise en question de la façon de vivre activement ma relation avec mon environnement (bâti, humain…), la recherche d’une sensation d’abondance, la solidarité, le développement de mon statut social dans le système belge, la notion de la propriété, le développement de l’immobilier… bref, la pratique architecturale. C’est cette même motivation qui m’a mené à m’engager dans la lutte contre la loi anti-squat, récemment mise en action en Belgique.

Khrystyna : Est-ce que votre projet est situé en opposition des actions de l’Etat, en alternative ou en complémentarité? Est-ce que vous sentez un conflit entre votre vision et celle de l’Etat concernant l’aménagement de la ville?

Steven : Il y a des groupes qui s’opposent à l’Etat à travers leurs discours, actions, occupations. Il font un grand travail de militantisme et c’est très bien. Personnellement je suis légèrement plus nuancé. Je suis très méfiant face au capitalisme et l’Etat est devenu un de ses outils. Mais sur le principe je trouve bien que de grands groupes de personnes parviennent à s’organiser pour vivre ensemble. C’est juste que l’Etat ne remplit pas cette fonction, ou mal. L’Etat gère des intérêts divers, dont normalement aussi celui de sa population.

Bruxelles, comme d’autres villes, veut « monter en gamme », attirer des personnes avec de plus hauts revenus ou des entreprises dont ils espèrent en principe la perception d’impôts. Du coup on rase des quartiers populaires pour construire des immeubles de standing et des bureaux. A Bruxelles, on ne pourra pas aller en banlieue, il y aura pour certain un problème de langue (néerlandais) et surtout c’est encore plus cher. Donc la solution qui nous reste pour continuer à vivre c’est la résistance, mais c’est dur à organiser. Le suivisme et la soumission à l’autorité sont forts.

Koen :  Disons que c’est un mixte. Comme me l’a dit un autre habitant un jour, il y a des gens qui se disent que le 123 est un lieu de vie alternative, mais rien n’est moins vrai. C’est un mini-cosmos, la société comme elle est, dans toute sa complexité, mais mise en avant, en confrontation. Ce qui n’est pas toujours le cas en dehors de chez nous. Je ne crois pas que nous vivons réellement avec une vision assumée en tête, mais plutôt avec une attitude pragmatique, cherchant des solutions pour la vie quotidienne ; nous cherchons à compléter avec des alternatives s’il n’y a pas d’accès, comme par exemple la récup d’alimentation. Cependant des situations de conflit avec l’Etat deviennent très claires, comme par exemple actuellement notre composition de ménage est questionnée, ce qui a une forte influence sur la somme des allocations des habitant.e.s qui y ont le droit.

Khrystyna : Où peut commencer et où doit s’arrêter le droit au logement à votre avis?

Steven : Si on accepte l’idée de l’Etat, alors il paraît évident que celui ci doit veiller à ce que ses citoyens aient un logement. Ce doit être un droit fondamental. La ville de Vienne avec plus de 35% de son parc immobilier y parvient presque.

Si on considère que les individus peuvent se créer, se trouver leurs solutions de logement. alors il faut les laisser faire, les aider. Et c’est à mon sens là que l’on trouvera les plus belles réalisations.  L’habitat mobile, les yourtes et les occupations sont des logements ! Il n’y a pas à entraver leur développement sous prétexte qu’ils ne répondent  pas aux standards imposés par les promoteurs et les bourgmestres qui délivrent – ou pas – les permis.

Koen :  Je ne travaille plus, j’habite !

Khrystyna : Comment on compose un espace commun ? Est-ce que ça passe par la définition des règles?

Steven : Un espace commun est un espace où tout le monde peut passer ou à envie d’y aller. Nous avons la chance d’avoir une seule cage d’escalier pour notre grande maison de 65 habitants. C’est un lieu où on se croise en permanence, on se voit, on sait s’y l’autre est dans le bâtiments ou s’il va bien.

Notre ASBL (Association Sans But Lucratif) gère aussi un site avec des maisons. Là bas, il n’y a que la rue pour se croiser. Ce n’est pas suffisant comme espace commun. Surtout qu’à Bruxelles l’hiver est griset on ne reste pas dans la rue pour boire des cafés. Du coup, les habitants sont dans leurs maisons et il y a moins d’espaces pour favoriser l’esprit de groupe.

L’architecture est donc un élément essentiel pouvant rendre possible ou pas le partage.

Koen :  Le fonctionnement de notre occupation est très politisé, il est mis en place pour que soit possible de prendre des décisions collectives, d’être transparent… Chez nous, nous devons confronter les conflits, ils ne passent pas sous le radar et, bien qu’il y en a qui ne veulent pas (parfois par conviction), ce fonctionnement demande de l’engagement. C’est une des beautés du lieu, mais c’est aussi très énergivore. En effet, il y a des règles qui se mettent en place de manière pragmatique et je les apprends chaque jour en faisant des trucs. Par contre ce n’est pas du tout donné de les faire respecter ou de réagir si les règles n’ont pas été suivies.

Khrystyna : Votre projet c’est une revendication de valeurs communes de votre micro-société. Est-ce qu’il y a une forme d’exclusion de ceux qui ne suivent pas des règles posées comme communes / produites en commun ?

Steven : Pour se faire virer du 123 il faut vraiment le chercher. La solidarité y est très forte et le compromis fait parti de la culture belge. En principe, s’il y a acte de violence, cela entraine exclusion.

Ce n’est jamais plaisant. Si on ne parvient pas à virer la personne sur le champs alors il faut avoir recours à la voie judiciaire et ça prends beaucoup de temps. Les personnes qui se retrouvent expulsées sont souvent fragiles mais dans une logique mentale destructrice et nihiliste. Le groupe peut le subir physiquement et psychiquement.

On héberge parfois des personnes très marginalisées. Pour certain c’est une aide inouïe et pour d’autres c’est un échec. Si un collectif super bienveillant ne parvient pas à soutenir quelqu’un, alors il faut vite que la personne trouve une autre bouée. Car rester c’est s’enfermer encore plus loin.

Nous faisons collectivement ce que l’on peut pour s’entraider et aider les autres mais parfois on y arrive pas et même il arrive que l’on devienne l’objet de haine ou de paranoïa. Dans ces cas, à notre grand regret, on a recours à l’expulsion pour se protéger.

Koen :  Je comprends le 123 comme un lieu inclusif. Idéalement il y a de la place pour tou.t.e.s, aussi pour des gens et des comportements compris comme asociaux. Dans la vie de tous les jours par contre ce n’est pas toléré et pose problèmes. Parfois des habitant.e.s sont expulsé.e.s de la communauté à cause des problèmes qu’ils et elles causent. L’expulsion a été une de mes premières expériences qui m’a bouleversé le plus. Cependant, comme je l’ai dit juste en haut, ce n’est pas donné de faire suivre les décisions prises selon le protocol commun de la maison, et il arrive que des individus résistent, restent même dans un environnement hostile et se haïssent parfois eux-mêmes. Ils bénéficient d’un soutien d’une source inattendue : l’Etat qui protège leur domicile et empêche un collectif à se débarrasser vite fait des individus « problématiques » que l’Etat a lui-même contribué à marginaliser et exclure…

Khrystyna Gorbachova

68, année historique

668, année historique

Que s’est-il vraiment passé lors de cette séquence singulière de Mai 68 ? Quel a été son impact sur la société française ? Les fameux «événements» s’inscrivent-ils dans un mouvement plus vaste de contestation internationale ?

L’historienne Michelle Zancarini-Fournel revient sur les événements de mai-juin 1968, dont on célèbre cette année le cinquantenaire.

Pour consulter l’intégralité de l’article, rendez-vous sur le site de :

CNRS le Journal

 

Michelle Zancarini-Fournel est professeure émérite d’histoire contemporaine à l’université Claude Bernard Lyon-1, membre du Laboratoire de recherche historique Rhône-Alpes (CNRS/Univ. Lumière Lyon 2/Univ. Jean-Moulin Lyon 3/Univ. Grenoble-Alpes/ENS Lyon).