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Penser la santé | #1 Dossier Pop’Sciences « Santé mentale : entre pathologies et bien-être »

PPenser la santé | #1 Dossier Pop’Sciences « Santé mentale : entre pathologies et bien-être »

Tête de femme « Méduse », Lumière et Ombre, 1923 au musée des Beaux-Arts de Lyon / ©Jawlensky Alexej von – Wikimédia commons

Si la santé est un état, c’est aussi un concept. La question de la santé peut alors être envisagée autrement que sous l’angle de la médecine, comme situation particulière d’un organisme, mais aussi à partir de ce qu’implique sa définition.

La philosophie s’est ainsi emparée du terme et de ce qu’il entend décrire, conduisant une véritable enquête réflexive à la recherche des contours d’un objet polymorphe.

Un article rédigé par Ludovic Viévard, rédacteur,
pour Pop’Sciences – 29 février 2024

 

 

 

 

Absence de maladie ou bien-être ?
Longtemps comprise comme un déséquilibre des humeurs composant le corps, la santé ne se conçoit qu’à partir du 19e siècle comme l’absence de maladie. Elle devient science de la pathologie et, dans ce modèle dit biomédical, elle est le domaine exclusif du médecin. En 1946, l’Organisation mondiale de la santé en formule une nouvelle définition :

« un état de complet bien-être physique, mental et social, [qui] ne consiste pas seulement en une absence de maladie ou d’infirmité ».

Un état positif donc, dans la mesure où il n’est pas l’effet d’un manque, mais sous-tend une forme de plénitude de l’être que celui-ci soit envisagé dans sa dimension relationnelle ou individuelle. Avec l’explosion des maladies chroniques, la santé évolue encore ; puisqu’il s’agit de vivre avec et non d’en guérir, elle sera considérée comme « la capacité d’adaptation et d’autonomie face à des défis sociaux, physiques et émotionnels »1.

Engelshut, 1931 / ©Gemäldescan Christian Mantey – Wikimédia commons

La santé comme objet d’enquête philosophique
Ce (trop) rapide tour des conceptions de la santé vise seulement à souligner combien la notion de santé a varié. Mais au-delà de l’histoire des idées – qui en décrit l’évolution des formes dans le temps –, la santé peut être interrogée en tant que concept. C’est tout l’objet de la philosophie de la santé explique Élodie Giroux, professeure des universités en philosophie des sciences et de la médecine – Université Jean Moulin Lyon 3, pour qui il s’agit « d’interroger des concepts du sens commun, de les critiquer ou de questionner leur usage »2. Une entreprise d’autant plus nécessaire que la santé est un concept « vulgaire », dira le philosophe G. Canguilhem, au sens où il appartient à tout le monde. Cette enquête philosophique, indique la chercheure, « engage des questions [telles que] : qu’est-ce que la normalité humaine ? Qu’est-ce que l’identité, la norme, la différence, la ressemblance, les rapports entre le même et l’autre ? Y a-t-il une définition biologique de la norme et de l’espèce humaine ? Comment s’articulent les dimensions biologiques, sociales, psychiques de la vie humaine dans les notions de santé et de maladie ? »3

L’individu, la société, la planète
Pour comprendre la pleine portée de ce questionnement philosophique, on peut évoquer quelque unes des frontières qu’il bouscule. Georges Canguilhem, par exemple, portera son effort critique sur la rationalité médicale. La médecine, essentiellement empirique et statistique, édicte un état normal qu’elle oppose au pathologique. Or, dira Canguilhem, la vie est normative, au sens où elle produit ses propres normes nécessaires à son maintien et à son développement. Ainsi, écrit Élodie Giroux, « les concepts de normal et de pathologique n’ont de signification que par rapport à cette normativité du vivant, qui elle-même ne peut se comprendre que dans la relation d’influence réciproque d’un vivant avec son milieu »4. On voit que la question de la santé quitte le registre de la pure objectivité pour faire part à la subjectivité de la personne.

Mais la santé peut aussi s’interroger dans sa dimension sociale. On retrouve ici la définition de l’OMS dans laquelle « la santé est envisagée comme un état qui permet avant tout à l’individu humain d’assumer ses fonctions relationnelles, sociales et familiales et son rôle professionnel »5. Si pour Élodie Giroux cette définition pose difficulté en ce qu’elle fait insuffisamment la différence entre santé et bonheur, elle installe une conception dite bio psychosociale de la santé. Dans ce modèle, l’individu est relié à un ensemble de systèmes de plus en plus extérieurs à lui-même et qui, de ses cellules à la biosphère, contribuent à en définir la santé.

Ainsi, au-delà de la dimension sociale, la santé peut-elle être analysée dans le lien de l’individu à l’environnement. Se font alors jour des perspectives globalisantes, avec la notion de santé environnementale, de santé globale ou d’une seule santé (One Health). Si cette dernière approche « ne repose pas encore sur une définition consensuelle », souligne Élodie Giroux, elle permet « d’alerter sur l’interdépendance entre santés humaine, animale et environnementale et l’importance de l’interdisciplinarité »6.

On le voit, la santé n’engage pas que le corps et l’esprit. Penser la santé, c’est conduire une réflexion sur l’humain, son rapport à lui-même et aux autres, humains et non humains, ainsi que son environnement.

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Notes

[1] : Huber, M., Knottnerus, J.A., Green, et al. (2011), « How should we define health? », BMJ 2011, 343(4163)
[2] : « Note de fin », Revue Phares, vol. XVI, hiver 2016
[3] : « Note de fin », Revue Phares, vol. XVI, hiver 2016
[4] : Philosopher sur les concepts de santé : de l’Essai de Georges Canguilhem au débat anglo-américain », Dialogue, 52 (2013)
[5] : « Concept de santé », Encyclopædia Universalis [s.d.]
[6] : « Concept de santé », Encyclopædia Universalis [s.d.]

Émilie Du Châtelet dans la littérature clandestine du 18e siècle | Visages de la science

ÉÉmilie Du Châtelet dans la littérature clandestine du 18e siècle | Visages de la science

Confluences des mondes de la recherche – Les entretiens du Collegium

Le Collegium de Lyon est un Institut d’études avancées (IEA) inscrit dans l’Université de Lyon, membre des réseaux français (RFIEA) et européens (NETIAS) des IEA. Il accueille des chercheurs habituellement en poste à l’étranger pour mener leur projet de recherche innovant pendant 5 à 10 mois.

Dans ce podcast, le Collegium revient sur le travail de la philosophe Natalia Zorrilla Sirlin. Chercheuse au Conseil national de la recherche scientifique et technologique (CONICET) en Argentine, est résidente au Collegium pour cette année 2023-24.

Elle y mène des recherches sur les relations entre la littérature clandestine de la fin du 17e siècle – début du 18e siècle et l’œuvre d’Émilie Du Châtelet, une scientifique et philosophe (la distinction n’a pas grand sens à l’époque) française du 18e siècle. Émilie Du Châtelet est elle-même la seule femme identifiée comme autrice de textes clandestins à l’époque.

Pour analyser les textes du « siècle des Lumières », Natalia Zorrilla Sirlin fait notamment appel au concept de gynodicée. Il s’agit d’un néologisme forgé sur le modèle de la théodicée, la tentative de concilier l’existence d’un Dieu omniscient et omnipotent avec l’existence du mal. La gynodicée est donc une tentative de concilier la reconnaissance de l’égalité des droits entre les hommes et les femmes avec la permanence du patriarcat, ce système fondé sur la domination des femmes par les hommes.

Pour conduire cette recherche, Natalia Zorrilla Sirlin travaille notamment en collaboration avec Susana Seguin au sein de l’Institut d’Histoire des Représentations et des Idées dans les Modernités (IHRIM).

>> Lire l’article sur le site :

COLLEGIUM DE LYON

Pister les créatures fabuleuses

PPister les créatures fabuleuses

D’après la conférence du philosophe Baptiste Morizot – Pauline Ringeade – L’IMAGINARIUM

Philosophe du vivant, Baptiste Morizot est aussi un pisteur d’animaux et ses récits en pleine nature aident à comprendre pourquoi l’humain doit mieux cohabiter avec la faune sauvage. Portés sur scène par une actrice en solo, ses mots vibrent avec les bruissements de la forêt et de ses habitants.

Approchez-vous, regardez, là ! Une empreinte. Celle d’un nanoulak, probablement, ce nouvel hybride entre une ourse polaire et un grizzly. Merci le réchauffement climatique ! Mais, chut, écoutez… Un loup ? Un renard ? À sa table sonore, la comédienne nous emmène découvrir les traces de ces animaux qu’on pensait cachés ou invisibles. Mais ils sont là, il suffit de scruter les indices. C’est ce qu’explique Baptiste Morizot, philosophe et pisteur, dont la conférence pour jeune public est ici adaptée pour le théâtre.

Apprendre à pister, c’est apprendre comment vivent les autres vivants. C’est une manière d’apprendre à vivre avec eux. Sans détruire leur monde parce qu’on ignore comment il est constitué. »

Grâce à la mise en scène inventive de Pauline Ringeade, on ne la voit pas sur le plateau, cette faune familière, du moins pas avec ses yeux. On la devine, on la perçoit dans le jeu de sons et d’objets qui se construit sur place et on ne manque pas de rire des contorsions de la comédienne pour l’imiter. On comprend surtout, à travers les mots de l’auteur, que ces animaux nous observent aussi, nous, bêtes curieuses, qui piétinons notre écosystème sans penser au lendemain. Il y a urgence à pister et à vivre ensemble.

Séance en LSF, le 20 décembre.

En savoir plus le spectacle : 

THÉÂTRE NOUVELLE GÉNÉRATION

©TNG

 

De philosophie en philosophie

DDe philosophie en philosophie

La Société Rhodanienne de Philosophie (SRP) est une association rattachée à la Faculté de philosophie de l’Université Jean Moulin Lyon 3. Elle a pour objectif de diffuser la philosophie à un large public à travers un débat d’idées vivant.

Celle-ci vous propose un cycle de conférences :

  • Les paradoxes de l’imagination | Conférence publique de Jean-Jacques WUNENBURGER, mercredi 15 novembre 2023  (salle Garaud).
  • Politique et paraitre chez Machiavel | Conférence publique de Sébastien ROMAN, mercredi 6 décembre 2023 (amphithéatre Huvelin).
  • Pitié et (im)oralité chez Rousseau | Conférence publique de Johanna Lenne-Cornuez, mercredi 17 janvier 2024 (amphithéatre Huvelin).
  • Husserl ou les ambivalences de la phénoménologie | Conférence publique de Paula Lorelle, mercredi 7 février 2024 (salle Garaud).
  • Ontologie libérale et métaphysique résistante | Conférence publique de Tristan Garcia, mercredi 13 mars 2024 (salle Garaud).

 

Plus d’information sur le site :

La société Rhodanienne de Philosophie

Présentation de son livre « L’accusation » par Aïcha Béchir

PPrésentation de son livre « L’accusation » par Aïcha Béchir

2015. Peu après les attentats terroristes de Charlie Hebdo, la paranoïa enflamme les esprits. Inès, une professeure de philosophie d’origine maghrébine est suspendue par sa hiérarchie à la suite d’accusations d’apologie du terrorisme. Que s’est-il passé ? Inès s’est toujours identifiée aux valeurs de la République, alors qui l’a dénoncé ? Et pourquoi ? Inès va tenter de laver son honneur. Du déracinement à l’assimilation, en passant par le racisme endémique, cette femme en quête de justice et de vérité rencontrera une palette de personnages et redécouvrira sa mémoire enfouie, renouera avec son histoire : l’arrivée de son père en France, l’usine, l’abandon des traditions, le racisme, et ce déracinement qui n’en finit plus de briser les êtres.

La rencontre sera animée par Haoues Seniguer, maître de conférences en science politique à Sciences Po Lyon, membre du laboratoire Triangle. Haoues Seniguer s’intéresse à la question de l’islamisme en contexte majoritairement musulman et aux relations entre islam et politique en France.

Sera également présent Mohamed-Chérif Férjani, professeur émérite de science politique à l’Université Lumière Lyon-2, spécialiste de la politique et du religieux dans le champ islamique.

Pour en savoir plus :

LabEx COMOD – Université de Lyon

Festival Mode d’emploi 2023

FFestival Mode d’emploi 2023

Les débats contemporains vous intéressent ? Vous vous posez des questions, vous voulez vous engager dans la discussion, tenter de formuler des solutions ? Le festival des idées Mode d’emploi, conçu et réalisé par la Villa Gillet est le rendez-vous à ne pas manquer ce mois de novembre !

Des ateliers, des rencontres auront lieu dans toute la Métropole de Lyon avec un trentaine de philosophes, politistes, sociologues, anthropologues, des scientifiques et des journalistes pour explorer les mondes en transition en interrogeant : les cadres politiques et juridiques de nos démocraties, les circonstances dans lesquelles perdurent les inégalités, les possibilités offertes par la réinvention de notre rapport au vivant, les évolutions des modèles de travail, les transformations à l’œuvre dans de nombreux pays du monde de Cuba à l’Allemagne en passant par la Turquie, l’Ukraine ou encore le Mexique.

Tout le programme sur le site de la Villa Gillet :

Festival Mode d’emploi

Festival Mode d’emploi 2023

A la recherche des expériences supérieures

AA la recherche des expériences supérieures

Organisée dans le cadre de la Fête de la Science 2023, cette conférence interroge sur la philosophie des expériences radicales. 

Nous sommes fascinés par les expériences extrêmes. Les sommets des montagnes enflamment plus l’imagination que les mornes plaines, les amours passionnées sont plus souvent célébrées que la vie conjugale, les heures de fêtes excitent plus spontanément l’intérêt que la succession des jours travaillés et des tâches domestiques. Les instants uniques, les moments de vie intense, les expériences rares et exceptionnelles sont bien souvent privilégiés au détriment des routines du quotidien, de la trame de la vie courante, des expériences ordinaires.

Mais faut-il accorder systématiquement plus de valeur et de réalité à ces expériences exceptionnelles ? Faut-il les considérer comme des expériences supérieures, seules capables de nous livrer le sens véritable de nos existences, quand les expériences pratiques ordinaires nous maintiendraient dans un régime d’existence amoindrie ou aliénée ? C’est ce qu’ont défendu un certain nombre de penseurs français renommés comme Bergson, Bataille, Wahl, Blanchot, Deleuze ou encore Foucault.

Nous examinerons cette philosophie des expériences radicales, en montrant l’ascendant qu’elle exerce sur la manière dont nous concevons nos expériences, mais en pointant également ses faiblesses et ses limites, afin d’esquisser une autre philosophie des expériences.

Animée par : Stéphane Madelrieux, professeur de philosophie à l’Université Jean Moulin Lyon 3 et membre honoraire de l’Institut universitaire de France. Il est spécialiste de la philosophie pragmatiste, il interroge les rapports entre philosophie américaine et philosophie française contemporaines.

Pour en savoir plus : https://bu.univ-lyon3.fr/conference-debat-question-de-societe-a-la-recherche-des-experiences-superieures

Une médecine revisitée à l’aune des algorithmes : Quelles questions éthiques soulève l’IA ? | #5 Dossier Pop’Sciences « Diagnostic 2.0 : Quand l’IA intervient »

UUne médecine revisitée à l’aune des algorithmes : Quelles questions éthiques soulève l’IA ? | #5 Dossier Pop’Sciences « Diagnostic 2.0 : Quand l’IA intervient »

Article #5 – Dossier Pop’Sciences Diagnostic 2.0 : Quand l’IA intervient

Entre confiance aveugle et méfiance absolue, comment l’IA doit-elle être éthiquement acceptée et utilisée ? Comment s’affranchir de potentiels biais humains dans les systèmes d’IA utilisés à des fins de diagnostic, ou même thérapeutiques ? Autant de questions qui ne sont plus l’apanage de débats scientifiques, mais doivent être au cœur de débats politiques et sociétaux. Éclairage avec Mathieu Guillermin, physicien et philosophe, chercheur en éthique au sein de l’Unité de Recherche CONFLUENCE Sciences et Humanités (EA1598) de l’Institut Catholique de Lyon (UCLy) et coordinateur du projet international de recherche-action NHNAI qui vise à mettre les ressources des universités participantes au service de la réflexion éthique sociétale.

À l’heure où la médecine 4.0 1 est en marche, le dialogue avec la société s’impose afin de définir les limites dans l’adoption des technologies d’IA et le développement des interactions humains-machines. Les chercheurs, qui sont partie prenante, doivent jouer leur rôle de garde-fou, l’enjeu premier étant de démystifier l’IA, d’en faire comprendre les mécanismes et de la présenter comme une palette d’outils. “Aujourd’hui, la majorité des technologies d’IA s’appuie sur un apprentissage machine (ou machine learning)” rappelle Mathieu Guillermin, soulignant que l’on peut considérer celui-ci comme un apprentissage automatique pour la réalisation d’une tâche précise à partir de données fournies à l’IA.

 

Un article de Nathaly Mermet, journaliste scientifique, et Léo Raimbault, rédigé
pour Pop’Sciences – 5 septembre 2023

<Quelles promesses de l’IA ? … et quels réels enjeux éthiques ?

Les technologies d’IA sont susceptibles d’améliorer la qualité et l’efficacité aussi bien de la prise en charge des patients (diagnostics, pronostics, choix des stratégies thérapeutiques) que la recherche biomédicale. On parle alors de « precision medicine« , médecine de précision ou encore de médecine personnalisée.

Pour autant, “les techniques d’IA ne sont pas infaillibles et soulèvent de nombreux enjeux éthiques, dans le domaine de la santé certes, mais aussi plus largement” alerte Mathieu Guillermin. Par exemple, les logiciels produits par apprentissage automatique sont rarement « meilleurs » que ceux produits par un programmeur, même débutant. Ainsi, on ne peut encore se soustraire aux qualités de travail humaines, notamment en programmation. “Si l’IA est présentée comme quelque chose d’autonome et indépendant de l’intelligence humaine, on égare beaucoup de monde” prévient Mathieu Guillermin.

<Les enjeux éthiques sont donc de natures variées !

Au-delà de la programmation, l’IA répète les schémas présents dans les bases de données d’apprentissages. Par conséquent, si les bases de données servant à guider l’apprentissage sont biaisées, incomplètes ou non représentatives, les prédictions de l’IA seront… d’aussi mauvaise qualité. Or, en médecine, une base de données ne peut être exhaustive et représenter fidèlement la réalité. Par exemple, si une certaine catégorie de personnes est sous-représentée dans les bases de données d’apprentissages, alors l’IA aura bien plus de mal à faire des prédictions correctes pour cette population et génère, de fait, « des biais discriminant injustement ce type de personnes » selon Mathieu Guillermin.

Enfin, “même quand il n’y a pas de discrimination ou de biais, que le niveau de performance est bon, tout n’est pas encore résolu au niveau éthique” examine Mathieu Guillermin. Dans le contexte de l’automatisation des tâches, la substitution d’un être humain, doté d’émotions, de réflexion, de jugement et parfois sujet à l’erreur, par un logiciel qui opère de manière mécanique, ne peut être considérée comme une démarche anodine. La capacité de ces technologies à égaler, voire à surpasser les compétences humaines dans certaines missions soulève des interrogations essentielles en matière d’éthique.

<Comment définir les limites éthiques ?

Promettant de compléter la précision des professionnels de la santé, l’utilisation de l’IA nécessite donc de définir le niveau d’acceptabilité de l’erreur et la responsabilité morale. L’exploration d’un “Nouvel Humanisme à l’Heure des Neurosciences et de l’Intelligence Artificielle” (NHNAI), telle est l’ambition d’un vaste projet international réunissant les universités catholiques de 9 pays 2, dont celle de Lyon : l’UCLy. “À l’origine, la volonté est d’amener la société dans une réflexion éthique autour des neurosciences et de l’intelligence artificielle, et le projet s’inspire de ce que nous faisions déjà en éthique embarquée 3, c’est-à-dire d’amener et animer la réflexion éthique au sein des projets de recherche” explique Mathieu Guillermin.

Le projet du NHNAI cherche ainsi à définir un nouvel humanisme qui embrasserait les avancées technologiques, dont l’IA, tout en préservant les valeurs essentielles de dignité, de liberté et de responsabilité humaine. Il aspire à guider la société vers un avenir où la symbiose entre la technologie et l’humanité s’inscrit dans une perspective éthique et sociale claire.

Alors que l’IA progresse rapidement, il est essentiel de ne pas perdre de vue les valeurs et les préoccupations humaines. À ce titre, le projet remet l’humain au centre des problématiques liées aux nouvelles technologies. Il invite donc non seulement les chercheurs de toutes disciplines, mais également les citoyens à se joindre à la discussion et au débat. Tout un chacun ayant désormais accès à des outils IA à porter de clic (citons ChatGPT), les décisions concernant l’IA ne peuvent se réfléchir uniquement entre experts, mais doivent également refléter les valeurs, les préoccupations et les opinions de la société dans son ensemble.

<Une intelligence artificielle peut-elle être vraiment… intelligente ?

Objet d’un réel engouement médiatique, fascination pour les uns et inquiétude pour d’autres, l’IA est un terme de plus en plus galvaudé, or tout n’est pas Intelligence Artificielle. Alors que le terme “intelligence” désigne initialement une faculté cognitive humaine (ou du moins animale), l’apposition au qualificatif “artificiel” semble antinomique, voire un non-sens. Mais comment apprécier objectivement l’intelligence ? C’est une réflexion qui nous renvoie à un questionnement métaphysique concernant notre existence humaine. “La sémantique obscurcit le débat, mais reste qu’avec les technologies d’IA, le traitement d’information conscient, humain, est remplacé par le traitement d’information automatique” résume Mathieu Guillermin, ce qui en matière de santé mérite toute notre attention.

Considérée comme un algorithme apprenant, conçu par un humain, l’IA reste un outil dont la performance est liée à celle de son concepteur. En revanche, le questionnement est plus ardu dès lors que la performance de l’IA dépasse la performance humaine. In fine, une machine peut-elle avoir un pouvoir de décision ?

En santé, “La réelle question est de savoir comment la modélisation mathématique peut accompagner chacune des trois dimensions du rôle du médecin que sont le diagnostic, le suivi de l’efficacité thérapeutique et le pronostic, en particulier dans le cas de pathologies graves” pointe Pascal Roy, médecin et chercheur en biostatistiques au sein du Laboratoire Biologie Biométrie Evolutive (LBBE) à Villeurbanne (CNRS, Université Claude Bernard Lyon 1, VetAgro Sup). L’IA ne peut donc rester qu’un outil aidant à préciser ou accélérer l’expertise des médecins.

<L’IA est un outil, mais pas une finalité

Mathieu Guillermin nous rappelle l’importance de prendre en compte les questions éthiques dès le début du processus de création d’une IA par les développeurs. En effet, si le code de programmation est mal conçu ou si les exemples utilisés pour entraîner l’IA ne sont pas représentatifs, biaisant l’outil, les résultats de celle-ci seront peu fiables.

« Avoir un esprit ne semble entretenir que peut de liens avec le fait d’exécuter un programme » explique-t-il, faisant référence au philosophe américain John Searle et à sa célèbre expérience de pensée dite « de la chambre chinoise ». L’expérience de Searle vise à démontrer que l’intelligence artificielle est limitée à être une forme d’intelligence artificielle faible et qu’elle est uniquement capable de simuler la conscience, sans être capable de véritables états mentaux, de conscience et d’intentionnalité. En d’autres termes : pour obtenir des résultats fiables et éthiques avec l’IA, c’est à l’Humain de s’assurer que le processus de conception et de formation de l’IA est bien pensé dès le départ pour éviter les biais et les problèmes éthiques ultérieurs. Il faut mettre du sens derrière l’outil.

LLes biais de l’IA : quand l’esprit humain plane sur les données

Extrait de la table ronde « IA et santé » organisée par Pop’Sciences le 26 juin 2023. Un rendez-vous professionnel chercheur / journaliste, développé en collaboration avec le Club de la presse de Lyon (Projet LYSiERES²).

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Notes :

[1] La « Médecine 4.0 » combine l’électronique, les technologies de l’information et de la communication et les microsystèmes dans une médecine moderne. Les progrès électroniques des cent dernières années ont apporté d’énormes contributions à la recherche médicale et au développement de nouveaux procédés thérapeutiques. Ainsi, les capteurs intelligents dotés d’interfaces radio appropriées permettront de relier entre eux les processus diagnostiques et thérapeutiques en médecine, rendant possible le développement de toutes nouvelles formes de traitements. Cette nouvelle « médecine 4.0 » intègre les progrès acquis grâce à la fusion de la technologie des micro-capteurs, de la microélectronique et des technologies de l’information et de la communication, au service d’applications pratiques dans de multiples aires thérapeutiques (chimiothérapie personnalisée, entre autres). La moyenne d’âge des médecins étant actuellement supérieure à 50 ans, le renouvellement par une génération « Digital Native » interviendra d’ici 15 ans, ce qui permettra certainement de transformer l’essai de la médecine 4.0.

[2] Belgique, Chili, États-Unis, France, Italie, Kenya, Portugal, Québec, Taïwan

[3] L’éthique embarquée désigne l’intégration de principes éthiques et de considérations morales directement dans le développement et le fonctionnement de technologies, notamment des systèmes d’intelligence artificielle et des dispositifs autonomes. Cela vise à garantir que ces technologies agissent de manière conforme à des normes éthiques prédéfinies, comme la sécurité, la transparence, la responsabilité, et le respect des droits de l’homme, tout en minimisant les risques liés à des comportements non éthiques.

PPour aller plus loin

L’enseignant qui façonne l’ingénieur de demain | Visages de la science

LL’enseignant qui façonne l’ingénieur de demain | Visages de la science

L’ingénierie n’est-elle qu’affaire de technique ? Romain Colon de Carvajal, fait partie de ces scientifiques pour qui l’ingénierie est bien sûr une affaire de technique, mais aussi d’éthique et de philosophie. Enseignant en génie mécanique à l’INSA Lyon, il est aussi spécialiste des low-techs. Selon lui, il est temps de préparer demain, et pour cela, il faut que les ingénieurs sortent du rang et partent à la reconquête de leur liberté.

  • Les low-techs comme médium pédagogique

Au sein de l’école d’ingénieur lyonnaise, Romain Colon de Carvajal met un point d’honneur à initier ses étudiants à la philosophie « low-tech ». « À partir du moment où l’on a bien compris les usages et à qui est destiné un produit technique, je dirais qu’on conçoit low-tech. (…) Le low-tech permet d’explorer une piste concrète et de mettre en lumière la chaîne de responsabilité, plus facile à appréhender lorsqu’un objet technique est plus simple », introduit l’enseignant au micro des « Cœurs audacieux ».

  • Pour une technologie juste, adaptée

« Pour moi, concevoir low-tech, c’est déjà concevoir intelligemment. Je montre qu’il est nécessaire d’avoir une bonne adéquation entre la réponse technologique et le besoin. Le point de départ est de questionner le besoin. Et ce questionnement peut aller très loin : on peut vraiment remettre en cause certains besoins, comme caractériser le côté gadget de certains produits par exemple, qui serait un travers du high-tech. »

  • Une question de responsabilité et de liberté

« La société actuelle demande à l’ingénieur de travailler sur plusieurs échelles de valeurs : l’utilité sociale, le prix, la valeur environnementale, la performance, le contenu scientifique… On ne le forme pas à jongler entre ces échelles de valeurs. Et souvent, il y a des conflits de valeurs : il existe des produits complètement inutiles socialement, mais très sympas à construire d’un point de vue technique. Et quelle liberté les ingénieurs ont d’aller d’une échelle à l’autre ? »

 

Romain_Colon_Carvajal

 

Enseignant au département génie mécanique de l’INSA Lyon, Romain Colon de Carvajal était l’invité du podcast « Les cœurs audacieux », un contenu audio proposé par l’INSA Lyon (Saison 1- Épisode 2)

 

 

 

Romain Colon de Carvajal Podcast

« Esthétiques du Care pour l’Anthropocène »

«« Esthétiques du Care pour l’Anthropocène »

« Cet ouvrage explore les dimensions imaginaires des diverses crises d’habitabilité qui façonnent l’époque désignée comme “Anthropocène”. Il propose une réponse esthétique à une question morale. Penser l’Anthropocène depuis une perspective morale implique de nous demander comment nos décisions sont modelées et prises, selon quelles échelles de valeur nous décidons ce qui compte et ce qui sera interprété comme secondaire, contextuel ou accessoire« .

L’Ecole urbaine de Lyon, les éditions deux-cent-cinq et Cité Anthropocène présentent le deuxième ouvrage issu d’un cours public de l’Ecole urbaine de Lyon, donné par María Grace Salamanca Gonzaléz, actrice de théâtre et docteure en philosophie.

María Grace Salamanca Gonzaléz est actrice de théâtre et docteure en philosophie. Son doctorat s’est réalisé dans le cadre d’une codirection entre l’Université de Lyon et le programme de recherche “Acteurs sociaux de la Flore médicinale au Mexique” de l’Institut national d’anthropologie et d’histoire (INAH). Maîtresse de conférences en éthique, bioéthique et épistémologie, elle est spécialiste en épistémologies du Sud, praticienne des esthétiques décoloniales dans leur forme théâtrale, membre des comités d’éthique clinique et de la recherche (au Mexique).

>> En savoir plus et commander ce livre sur le site des Éditions deux-cent-cinq.

Ce livre résulte d’un cours public de l’École urbaine de Lyon, dispensé par María Grace Salamanca Gonzaléz, en 2022.

>> En savoir plus sur le cours public 2022 et revoir les vidéos des séances sur notre chaîne YouTube. 

 

Collection « À partir de l’Anthropocène »
Les ouvrages de la collection “À partir de l’Anthropocène”, coéditée par les Éditions deux-cent-cinq et l‘École urbaine de Lyon, dirigée par Michel Lussault et Valérie Disdier, revisitent la pensée et les phénomènes sociaux à partir de la reconnaissance de cette crise de l’habitabilité d’une ampleur inédite et proposent des pistes de réflexion et d’action pour que nous inventions collectivement de nouvelles manières de co-habiter.

>> Découvrir les ouvrages de la collection  sur le site :

édition 205