LLes épidémies : le rôle des Etats et des institutions Connaissez-vous les épidémies zoonotiques ? Dans ce troisième et dernier podcast dont le triptyque est consacré aux épidémies zoonotiques, c’est à dire les épidémies dont l’origine est le passage d’un virus de l’animal à l’homme, nous allons nous questionner sur le rôle de l’Etat et des institutions. Pour en parler, nous sommes toujours avec Frédéric LE MARCIS, professeur d’anthropologie à TRIANGLE et à Trans VIHMI (à l’ Institut de recherches pour le développement)> Écoutez le podcast :https://popsciences.universite-lyon.fr/app/uploads/2025/04/tri7-3_frederic-lemarcis.wav> Lire la retranscription des propos de l’interview :Pourquoi pensez-vous qu’il est essentiel de se préparer à ces épidémies ?Frédéric le Marcis – Comme anthropologue, je ne prétends pas avoir un rôle « prescriptif » mais j’observe que la préparation aux épidémies est une démarche sociale et culturelle que l’on retrouve dans toutes les sociétés. J’en décrit les pratiques et les conséquences, j’essaie d’en interroger les logiques. Depuis toujours, les hommes ont cherché à se protéger des risques, tout en leur donnant un sens. Prenez les sacrifices, les prières, l’isolement, ou encore la quarantaine : ces pratiques mêlent souvent des logiques savantes et morales.La préparation à la gestion du risque épidémique ne concerne pas seulement tel ou tel État car nous vivons dans un monde interconnecté. Ton épidémie est mon épidémie pourrait-on dire. Ce n’est pas nouveau. : rappelez-vous la grippe espagnole de 1918 à 1921, qui a touché jusqu’à 5 % de la population mondiale, plus loin la peste dites justinienne qui touche l’empire romain au 6e siècle. Et que dire des virus apportés par les Occidentaux qui ont bouleversé les populations amérindiennes lors de la conquête des Amériques ?© PixabayQuel est le rôle des institutions internationales dans les crises épidémiques ? Et jouent-elles bien leur rôle ?F.L.M. – Aujourd’hui, la différence réside dans l’implication des institutions transnationales comme l’Organisation mondiale de la santé (OMS), le Center for Disease Control (CDC) d’Atlanta, ou encore des ONG comme Médecins Sans Frontières (MSF) et ALIMA.Elles sont engagées dans la preparedness dans un paradigme One Health et de santé globale. One Health (penser la santé dans ses dimensions humaines, animales et environnementales) et global Health : la gestion des problèmes de santé ne peut se limiter aux frontières des états. Par ce que les pathogènes circulent, parce que c’est moralement difficile de regarder nos voisins mourir sans rien faire, mais aussi parce que c’est un marché à conquérir (tests, machines diagnostiques, médicaments). D’ailleurs à ce sujet, comment peut-on évaluer économiquement, financièrement l’impact d’une épidémie au niveau mondial, au niveau d’un pays ?F.L.M. – Les économistes le font, ils disposent des outils pour cela, pas l’anthropologie. Mais les impacts sont massifs. Pour le VIH-Sida, dans les premiers temps de l’épidémie certains pays africains ne déclaraient pas leur cas pour ne pas impacter l’industrie touristique qui occupait une place importante dans leur économie, à l’époque coloniale en cas d’épidémie de fièvre jaune, l’administration fermait les frontières et interdisait la circulation des biens entre région. Déjà les commerçants s’élevaient contre ces mesures ! Par exemple j’ai retrouvé des courriers de commerçants français demandant la levée de l’interdiction de circulation de pinasses entre Bamako (Mali) et Kankan (Guinée) pendant une épidémie de fièvre jaune en raison de l’impact sur leur activité. Les mêmes problèmes se sont posés pendant Ebola ou pendant le COVID. Hervé Péléraux, Mathieu Plane, Raul Sampognaro, économistes estiment qu’en France, au premier semestre 2020, le confinement avait conduit à une baisse de 18,9 %. Mais à côté de l’impact direct sur l’économie, il faut également mesurer l’impact social et psychologique. On sait par exemple que les jeunes ont payé un lourd tribu psychologique au confinement… Il faut là aussi retenir que l’impact du covid n’est pas le même selon les pays et qu’au niveau des individus il diffère en fonction du statut socio-économique. Le confinement n’a pas le même impact selon que vous le vivez depuis votre maison secondaire ou dans un petit appartement, il est négociable si le télétravail vous est possible, etc…Et quel rôle jouent les États ?F.L.M. – Les États n’ont pas tous les mêmes moyens pour faire face aux crises. Prenons l’exemple de la France. L’Agence Nationale de Recherche sur le Sida (ANRS) fondée pour répondre aux enjeux de l’épidémie de sida en 1988 est devenue ANRS-MIE (Maladie Infectieuses Emergentes) dans la foulée de la première épidémie d’Ebola en 2021. Cette agence de l’INSERM structure et finance des recherches dans le monde entier dans le but de surveiller les risques, (par exemple les mutations du covid), pour développer des vaccins ou des molécules afin de traiter les maladies. Ces recherches s’accompagnent de formations dispensées aussi dans les pays moins avancés et de la mise en place de réseaux de laboratoires (et donc de la vente de machine, de la fourniture d’intrants, de SAV). Elles sont également suivi du soutien à la mise en place de structures opérationnelles pour organiser la surveillance. En Guinée, par exemple, des structures comme l’Agence Nationale de Sécurité Sanitaire (ANSS) ou les plateformes One Health regroupent des experts en santé humaine, animale et environnementale pour prévenir et répondre rapidement aux risques. Mais leur action dépend largement du financement de bailleurs internationaux.Des carrières scientifiques et politiques se construisent dans le cadre de cette industrie.Peut-on aussi voir une épidémie comme une épreuve pour le pouvoir ?F.L.M. – Une épidémie est aussi un test pour le pouvoir, qu’il soit politique ou médical. Gouverner dans un régime démocratique, c’est préserver la vie, et les crises épidémiques viennent menacer cette capacité.Que nous apprennent les épidémies sur la longue durée ?F.L.M. – D’abord, qu’elles ne sont pas uniquement une affaire de zoonoses. Elles prospèrent dans des contextes sociaux et politiques spécifiques : absence de systèmes de santé efficaces, inégalités, déplacements accrus de biens et de personnes. Au lieu d’accuser les victimes pour des pratiques jugées propice aux zoonoses (consommation de viande de brousse par exemple), ce que nous apprend l’étude dans la longue durée de la vie avec les virus c’est que les populations développent des savoirs et des pratiques, qu’elles ne sont pas ignorantes du risque mais qu’elles le négocient en fonction d’enjeux qui sont aussi sociaux et moraux. Il y a là une leçon à retenir quand nous sommes prompts à placer nos espoirs dans l’unique technologie vaccinale pour lutter contre une épidémie sans agir au préalable sur la faiblesse du système de santé et ses inégalités, sans se rappeler qu’on ne fait pas la guerre au virus mais qu’on négocie avec lui, y compris la possibilité de vivre avec lui comme des êtres sociaux. Dans ce contexte la preparedness ne peut se faire sans la population, encore moins contre elle. Se préparer c’est aussi apprendre à tenir compte des contextes spécifiques dans lesquels les zoonoses ont lieu et qui favorisent le développement des épidémiesEnfin une dernière leçon de l’expérience épidémique est celle d’une négociation.Plutôt que de déclarer la “guerre” au virus, peut-être faut-il envisager une négociation : apprendre à vivre avec, comme des êtres sociaux. Se préparer, ce n’est pas seulement développer des vaccins ou des médicaments. C’est aussi comprendre les contextes spécifiques qui favorisent les épidémies, agir sur les inégalités et impliquer les populations. Après tout, une épidémie, c’est une affaire collective. Alors, que pouvons-nous faire pour mieux nous préparer ensemble ?Précédemment : comment l’histoire peut aider à se préparer aux épidémies ?> À suivre…Notre triptyque concernant les épidémies s’achève …Rendez-vous jeudi prochain pour un tout nouveau sujet !>> Pour en savoir plus :Triptyque – Laboratoire Triangle
DDe la défense des savoirs critiques. Quand le pouvoir s’en prend à l’autonomie de la recherche L’autonomie des savoirs et de l’université est aujourd’hui remise en cause par le pouvoir politique, soutenu par certains intellectuels. Les récentes polémiques autour des « déviations identitaires » et du supposé caractère idéologique des sciences sociales en sont des manifestations visibles. Le colloque organisé en Sorbonne en janvier 2022 par l’Observatoire du décolonialisme et le Collège de philosophie pour « reconstruire les sciences et la culture », sanctifié par le politique, est à cet égard paradigmatique des controverses actuelles.L’essai de Claude Gautier et Michelle Zancarini-Fournel interroge les notions d’engagement et de distanciation critiques en les situant dans l’histoire du temps présent, puis en envisageant trois moments où s’est posée la question de l’autonomie de l’université et des savoirs : l’affaire Dreyfus, Mai-Juin 1968, le mouvement de contestation de 2019-2020 contre la loi de programmation de la recherche.Alors que de nouvelles approches académiques soulignant l’imbrication des dominations suscitent inquiétudes et rejet, les auteurs montrent qu’elles permettent de penser un universalisme pluriel pour la société d’aujourd’hui et de demain.La rencontre sera introduite par deux étudiants en histoire de la pensée politique. Les auteurs présenteront ensuite leur travail. Cette présentation sera suivie d’un débat d’environ 2 heures avec le public.Pour en savoir plus :ENS de Lyon
EEnQuête de Pouvoir, de Rome à Lugdunum Stratégies, alliances, oppositions… Cette exposition interroge toutes les facettes du « Pouvoir » à travers une crise politique de l’Empire romain qui se cristallisa à Lyon, en 197, lors d’une bataille restée dans les annales !L’exposition : le 31 décembre 192, l’empereur Commode meurt sans avoir désigné de successeur. Cet événement déclenche une crise politique conduisant à une guerre civile. Pertinax, le candidat désigné par le Sénat pour succéder à l’empereur est rapidement assassiné par sa garde rapprochée. Quatre sénateurs s’affrontent alors pour le pouvoir : Julianus, Niger, Septime Sévère et Albinus. Cette quête du pouvoir impérial entraîne le visiteur à la suite des protagonistes dans les provinces de l’Empire puis à Lyon, où se déroule une bataille décisive et pourtant méconnue en 197 ap. J.-C : La bataille de Lugdunum ! […]L’exposition, dont Patrice Faure (Université Jean Moulin Lyon 3) et Frédéric Hurlet (Université Paris X) sont les commissaires scientifiques, entretient un lien étroit avec le projet sur la bataille de Lugdunum qui avait été organisé par le laboratoire (en collaboration avec Matthieu Poux et ArAr) en 2017. Elle traite plus largement de la nature du Principat, de la transmission et de la conquête du pouvoir, d’Auguste à Septime Sévère.En savoir plus :Lugdunum
LLes enfants, dès 4 ans, envisagent plus le pouvoir au masculin qu’au féminin On sait peu de choses sur la façon dont les représentations de pouvoir interagissent avec celles du genre dans la petite enfance. Des chercheurs et chercheuses de l’Institut des sciences cognitives Marc Jeannerod, en collaboration avec les universités d’Oslo (Norvège), de Lausanne et de Neuchâtel (Suisse) ont voulu savoir si les enfants âgés de 3 à 6 ans de différents pays (la France, le Liban et la Norvège), attribuent plus de pouvoir aux figures masculines qu’aux figures féminines. Les résultats de cette étude montrent que dès l’âge de quatre ans, les enfants associent pouvoir et masculinité, et ce même dans des pays considérés comme moins inégalitaires comme la Norvège. Pour aboutir à ces conclusions, les scientifiques ont mis en place plusieurs expériences avec des panels d’enfants. Retour sur les protocoles mis en place… Expérience 1 : la posture physiqueDans une première expérience, ils ont montré aux enfants une image où figuraient deux personnages non genrés dont l’un adoptait une posture physique de dominance et l’autre une posture de subordination. Dans un premier temps, les enfants devaient deviner lequel de ces deux personnages exerçait du pouvoir sur l’autre. Ils devaient ensuite assigner un genre à chaque personnage (qui est la fille, qui est le garçon). Les résultats révèlent qu’à partir de quatre ans, une large majorité d’enfants considère que le personnage dominant est un garçon. L’association pouvoir-masculinité a été observée aussi bien chez les garçons que chez les filles, et aussi bien au Liban qu’en France et en Norvège mais pas de manière significative chez les enfants de 3 ans.© Julien Wolga (CC BY-NC-SA)Expérience 2 : le genre de l’autreDans une deuxième expérience, des enfants de 4 et 5 ans, tous scolarisés en France, devaient cette fois se figurer qu’ils étaient eux-mêmes sur cette image et que l’autre personnage était soit une fille soit un garçon. Lorsque les enfants devaient considérer leur relation de pouvoir avec un personnage du même genre qu’eux, les filles comme les garçons s’identifiaient largement au personnage dominant. Mais lorsqu’ils devaient considérer leur relation de pouvoir avec un personnage de genre différent, les garçons s’identifiaient plus souvent au personnage dominant alors que les filles ne s’identifiaient significativement pas plus à l’un ou l’autre des personnages. Expérience 3 : genre, argent pouvoirEnfin, dans une troisième expérience, des enfants de 4 et 5 ans du Liban et de France assistaient à une série d’échanges entre deux marionnettes, l’une représentant une fille et l’autre un garçon, derrière un cache. Dans un cas, les marionnettes s’apprêtaient à jouer ensemble et l’enfant entendait l’une imposer ses choix à l’autre. Dans l’autre cas, une marionnette disposait de plus d’argent que l’autre pour acheter des glaces. En France comme au Liban, la plupart des garçons considéraient que la marionnette qui imposait ses choix ou qui avait plus d’argent était la marionnette masculine. Par contre, les filles des deux pays n’attribuaient pas la position dominante préférentiellement à l’un ou l’autre genre. Hiéarchie entre les genres : un phénomène précoceCes résultats, publiés le 7 janvier 2020 dans la revue Sex Roles, montrent une sensibilité précoce des enfants à une hiérarchie entre les genres, bien que les filles, dans certaines situations, n’associent pas pouvoir et masculinité. Les scientifiques s’attachent maintenant à savoir quelles formes de pouvoir ils attribuent aux figures féminines et s’ils légitiment l’expression d’un pouvoir genré.LIRE LE COMMUNIQUÉ DE PRESSE DU CNRS