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Reprogrammation mentale : une dialectique corps & cerveau | Un article Pop’Sciences

RReprogrammation mentale : une dialectique corps & cerveau | Un article Pop’Sciences

De la découverte de l’incroyable plasticité du cerveau, notamment en situation de handicap, sont nées des approches thérapeutiques totalement innovantes, très  loin des séances de rééducation classiques qui nous paraissent aujourd’hui presque désuètes. Au-delà de comprendre l’auto-adaptation dont le cerveau est capable, les thérapeutes, à l’appui des connaissances neuroscientifiques, parviennent désormais à stimuler ou leurrer le cerveau pour modifier ses réponses à bon escient, à savoir en faveur de l’amélioration du patient. Un pan entier de soins d’un genre nouveau s’ouvre, laissant entrevoir des solutions thérapeutiques jusqu’alors ignorées. Partenaire de la Semaine du Cerveau, Pop’Sciences vous emmène à la découverte de ces nouvelles approches fascinantes.

Un article rédigé par Nathaly Mermet, Docteur en Neurosciences,

journaliste scientifique & médicale, Lyon, pour Pop’Sciences – 17-03-2021

On ne peut aujourd’hui avoir une vision uni-directionnelle ! La dialectique entre le corps et l’esprit combine la façon dont le pouvoir descendant (soit du cerveau vers le corps) s’exerce sur le plan thérapeutique pour la « réparation », la réappropriation de son corps par le patient ET la façon dont le corps renvoie des informations sensitives et proprioceptives au cerveau dans le « sens montant », par exemple en provoquant la sécrétion d’endorphines, les neuro-hormones du plaisir, par le cerveau en réponse à un effort sportif intensif.

La dialectique entre recherche et thérapie

La même dialectique s’opère entre chercheurs et thérapeutes ! Les services de médecine physique et de réadaptation neurologique, tel celui de l’hôpital Henry Gabrielle, accueillent des patients présentant un handicap neurologique, suite principalement à une affection aiguë, afin de les faire bénéficier de programmes de rééducation intensifs visant à maintenir un certain niveau d’autonomie (bilan d’évaluation et reprise de rééducation). Impliquant une équipe pluri-professionnelle ainsi que des plateaux techniques et des méthodes de rééducation innovantes (tapis de marche, posturographie, exo-squelette, imagerie motrice, adaptation prismatique, neuromodulation cérébrale…), ces programmes sont assurés, dans le cadre d’une hospitalisation brève (1 semaine) ou de longue durée (plusieurs mois). Les activités de recherche du service portent quant à elles notamment sur l’étude des mécanismes de récupération et de plasticité cérébrale pour mieux comprendre et rééduquer le handicap neurologique et l’étude des troubles de la conscience après coma. Elle est réalisée en collaboration étroite avec le Centre de Recherche en Neurosciences de Lyon, l’Université de Lyon, l’École Normale Supérieure de Lyon, l’Institut Fédératif de Recherche sur le Handicap, la fondation Neurodis ainsi que les plateformes Mouvement et handicap et Neuro-immersion.

L’analyse du mouvement est historique au laboratoire de recherche adossé au Service de Médecine Physique et de Réadaptation de l’Hôpital Henry Gabrielle. Équipement rare, la plateforme Mouvement et handicap est une plateforme multimodale, qui permet d’analyser autant la vision que la marche, et qui est accessible à la fois aux patients et aux chercheurs. Ces derniers ont ainsi des cas cliniques sous les yeux à explorer, et intérêt réciproque, les patients vont bénéficier d’explorations fort utiles pour leur prise en charge thérapeutique.

Zoom sur la plateforme multimodale Mouvement et handicap

dessin de byciclette dont il manque la moitié

Dessin d’un patient atteint d’héminégligence / ©TLM-Votre santé#9

Parmi les troubles neurologiques « troublants », faisant suite à une lésion cérébrale dans l’hémisphère droit ou une section médullaire, celui de l’héminégligence, une négligence spatiale unilatérale, qui consiste à ne plus avoir conscience de l’hémi-espace controlatéral au côté lésé[Encadré 1]. « C’est un trouble assez difficile à concevoir, car on observe chez certains patients, qui ont des capacités cognitives et intellectuelles intactes, un déficit très particulier dans le registre de l’espace … comme si tout ce qui existe dans l’hémi-espace gauche avait disparu ! » explique le Pr Yves Rossetti, praticien hospitalier dans le Service de Médecine Physique et de Réadaptation de l’Hôpital Henry Gabrielle, et chercheur au sein du  Centre de Recherche en Neurosciences de Lyon (CRNL) co-responsable avec Laure Pisella-Rosine de l’équipe Trajectoires créée depuis janvier 20211. Le syndrome d’héminégligence s’accompagne souvent d’une hémiplégie gauche …mais dont le patient n’a pas conscience non plus ! Parmi les causes de l’héminégligence

Pr Yves Rossetti / ©HCL CRNL

on trouve tout type de lésion : d’origine vasculaire, tumorale, traumatique ou encore chirurgicale. Pour essayer de comprendre ce que les neuroscientifiques appellaient « le syndrome majeur de l’hémisphère mineur » les chercheurs ont inventé différents dispositifs pour observer et décortiquer les mouvements avec une extrême précision.

 

 

L’adaptation prismatique : un excellent « cas d’école »

Grâce à un dispositif utilisant des lunettes très particulières dotées de prismes, il est possible de corriger certains troubles en utilisant la plasticité sensori-motrice. Le principe est, grâce aux prismes, de faire dévier les images à droite …et ainsi de réorienter le cerveau du côté gauche! « Les prismes décalent l’environnement visuel, et après plusieurs exercices de pointage sur une cible, le cerveau “trompé” re-calibre les informations visuelles » explique le Pr Jacques Luauté, chef du Service de Médecine Physique et de Réadaptation. Dans un exercice qui consiste à viser une cible visuelle avec le doigt en regardant à travers les lunettes dotées de prisme, c’est la plasticité cérébrale, en particulier la plasticité sensori-motrice, qui est démontrée. Ainsi grâce à des « cures » avec ces prismes on parvient à « corriger » le cerveau des patients héminégligents : on « trompe » le cerveau au niveau sensoriel, en lui faisant parvenir une image décalée grâce aux lunettes qui créent une erreur. Le cerveau modifie alors les coordonnées visio-motrices pour corriger et atteindre la cible. Si on utilise des prismes qui dévient l’environnement du côté droit, et qui ont des effets consécutifs on peut arriver à réorienter le comportement du patient du côté gauche, et donc produire un bénéfice thérapeutique.

Lunettes dotées de prismes

Ces lunettes dotées de prismes permettent de corriger certains troubles en utilisant la plasticité sensori-motrice / ©TLM-Votre santé #9

Pour aller encore plus loin qu’avec les prismes, les thérapeutes utilisent depuis quelques années la stimulation transcrânienne à courant continu, ou tDCS, de l’anglais Transcranial direct current stimulation, qui est une technique permettant de stimuler de manière complètement indolore le cerveau humain. La tDCS modifie l’excitabilité cérébrale à l’aide d’un faible courant électrique (1mA) induit par l’intermédiaire de deux électrodes. « L’objectif de cette technique est d’augmenter l’intensité et la durée de l’effet du traitement obtenu avec les prismes » déclare le Pr Rossetti, expliquant que la légère dépolarisation des neurones va permettre une sur-activation du réseau, et in fine le renforcement de la plasticité. « L’hyperfonctionnement grâce à l’abaissement du seuil de déclenchement facilite l’adaptation et améliore l’effet thérapeutique sur le déséquilibre attentionnel. » rapporte-t-il. Avec des séances de 20 minutes de stimulation électrique les effets obtenus peuvent durer 4 mois[Encadré 2] et la technique pourrait être déclinée aux acouphènes unilatéraux ainsi à la douleur.

Lever les blocages grâce à la reprogrammation neuro-motrice

Un des objectifs majeurs de l’ensemble des recherches au sein des services de réadaptation est le développement de nouvelles méthodes pour améliorer la récupération et amplifier les gains de la rééducation. Jouer sur les inhibitions motrices centrales afin de dépasser les limites de la rééducation classique: telle est l’approche proposée par la startup lyonnaise Allyane . « La reprogrammation neuro-motrice repose sur une triade » explique Shingo Kitada, MKDE kinésithérapeute au sein du Centre de formation de l’Olympique Lyonnais (OL) pour la moitié de son temps, et praticien de la méthode Allyane au sein de la Clinique éponyme : 1/ l’utilisation de l’imagerie et la visualisation mentale, 2/ le ressenti en proprioception, qui consiste en la perception du mouvement et de l’articulation concernée par le patient et 3/ l’utilisation de sons de basse fréquence pour placer le cerveau dans un rythme approprié favorisant l’occurrence de l’imagerie mentale.

L’utilisation de sons basse fréquence consolide la reprogrammation_Allyane / ©France 3 AURA_02-2019

Si les deux premières composantes sont relativement “classiques”, la troisième repose sur une approche particulière : celle de provoquer le déclenchement d’ondes Alpha, qui mettent le cerveau dans un état proche de celui dans lequel il se trouve lors de la pratique de la méditation2. « De façon surprenante les ondes cérébrales se calquent sur les ondes sonores » rapporte Shingo Kitada, ancien sportif de haut niveau ds domaine du ski qui a expérimenté la préparation mentale, et qui suite à ses études de kinésithérapie est “tombé dans la marmite des neurosciences”. C’est lors d’un master sur le handicap et l’autonomie qu’il s’est d’ailleurs intéressé à la reprogrammation neuro-motrice. Si dans le sport de haut niveau la préparation mentale est un incontournable (visualisation du slalom en ski de descente avec les caractéristiques des portes, du circuit et de ses courbes pour course moto ou auto, etc.), et se trouve largement boostée par le changement d’état du cerveau, la “méthode” de reprogrammation neuro-motrice peut aussi bénéficier à tout patient atteint de handicap et même moins entraîné à l’exercice de visualisation et de proprioception. « Les personnes à qui on met le casque se détendent spontanément et développent la capacité à “descendre” sur le rythme Alpha qui correspond à un état d’hypovigilance du cerveau » indique Shingo Kitada, précisant que chez le non sportif on peut utiliser les termes du patient s’il a des difficultés à ressentir. Après une prothèse orthopédique (genou, hanche, épaule, mais aussi colonne dans le cas du remplacement de disques vertébraux), qui est une “agression” du corps, de nombreux patients vont garder une douleur qui les conduit à compenser …induisant des douleurs généralisées dans un cercle vicieux infernal.

« La méthode va alors permettre de passer par un côté plus central de la commande motrice afin de se concentrer sur le ressenti du patient, en l’occurrence pour ressentir la bonne activation » explique Shingo Kitada, soulignant que l’approche fonctionne aussi toute autre pathologie impliquant des déficits moteurs, à condition qu’il n’y ait pas de limitations mécaniques et/ou cognitives chez le patient (par exemple, rupture des ligaments croisés antérieurs (LCA) ou entorses de cheville sur le versant traumatique, post AVC et paralysie cérébrale en neurologie).

Utilisation de sons de basse fréquence pour placer le cerveau dans un rythme approprié favorisant l’occurrence de l’imagerie mentale / ©Allyane

Outre en post opératoire, la reprogrammation neuro-motrice peut également être utilisée en amont de l’intervention chirurgicale afin de préparer le cerveau à se concentrer sur la bonne activation musculaire. Un travail de thèse est d’ailleurs en cours afin de mieux comprendre les phénomènes d’activation dans le cerveau. Plusieurs équipes de kinésithérapie sont d’ores et déjà formées à cette méthode dans le domaine du sport de haut niveau (Fédération Française de Ski, Centre national de football de Clairefontaine, LOU Rugby, etc.) et Allyane a établi des partenariats de recherche et soins avec des établissements de référence tels le centre Orthopédique Santy, le centre médico-chirurgical de réadaptation des Massues ainsi qu’avec des associations de patients qui proposent des équipements adaptés (association Ants, salle Eden).

La méthode de reprogrammation neuro-motrice qui s’appuie sur des connaissances récentes en neurosciences et la puissance du cerveau permet permet de gagner en temps et en performance. « On ne remplace pas la rééducation, mais l’approche, très complémentaire, permet de passer des paliers de rééducation »  conclut Shingo.

La réalité virtuelle alliée

Autre approche thérapeutique disruptive faisant du cerveau une “ressource technologique essentielle” : la rééducation en réalité virtuelle. « C’est la recherche de solutions pour aider mes patients qui m’a conduit à la réalité virtuelle » déclare Franck Assaban, kinésithérapeute et entrepreneur, fondateur de la société Virtualis qui transpose le “gaming” aux outils thérapeutiques.

Rééducation en réalité virtuelle / © Virtualis

Spécialisé au départ dans la prise en charge des troubles de l’équilibre en kinésithérapie, il fabrique dans un premier temps de manière plutôt artisanale un équipement de désensibilisation au mal des transports avec un masque d’apiculteur, du fil de fer et du papier journal !« Cela marchait très bien pour reproduire les sensations à l’arrière d’une voiture lorsque l’on n’a pas de vue extérieure » confie t-il, rappelant que dans le mal des transports il y a conflit entre la perception par l’oreille interne et la vision, les deux systèmes étant en interaction permanente. « La technologie intégrant un casque de réalité virtuelle s’est imposée naturellement et rapidement pour la prise en charge des troubles de l’équilibre.  Dans certains aspects de ce type de prise en charge, il n’y a que très peu de solutions nouvelles depuis l’avènement de la boule d’optocinétique médicale dans les années 90 (qui nécessite de travailler dans le noir et dans une pièce dédiée dotée d’un mur hémisphérique …) » rapporte F. Assaban. La technologie VR s’est étendue depuis à de nombreuses autres pathologies pour la rééducation fonctionnelle, la traumatologie, la neurologie, etc. « Le potentiel est énorme » affirme t-il, et les résultats sont étonnants tant en neurologie, qu’en traumatologie, soulignant par ailleurs que la réalité virtuelle ne remplace pas le kinésithérapeute, mais qu’il s’agit d’un outil complémentaire.

Rééducation de l'équilibre en réalité virtuelle / © Virtualis

Rééducation de l’équilibre en réalité virtuelle / © Virtualis

Selon le Pr Rossetti, l’engouement actuel pour la “réalité virtuelle”, qui est davantage un “environnement virtuel”, ne doit pas occulter le besoin de mieux comprendre les mécanismes. « A travers les prismes on a accès à une vraie réalité virtuelle réaliste !» observe-t-il.

A pathologies curieuses, approches thérapeutiques originales …et c’est donc la plasticité sensori-motrice qui va modifier le fonctionnement cérébral et mener à la reprogrammation mentale ! Sachez aussi que la plateforme d’analyse du mouvement située dans le service hospitalier Henry Gabrielle au sein d’un réseau de recherche international est unique au monde : des chercheurs du monde entier viennent y mener des travaux de recherche avec des patients du réseau.

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Notes :

(1) Votre Santé “Mouvement & Handicap” : la plasticité du cerveau en situation de handicap (TLM, juillet 2017) :  écoutez le Pr Y. Rossetti expliquer le syndrome d’héminégligence à 1’44”

(2) Lire aussi La méditation à la croisée des neurosciences et de la psychologie, un article Pop’Sciences, Nathaly Mermet, 27-03-2020

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          Encart 1

         Le mystère des hémisphères… et pourquoi l’héminégligence ?

Notre cerveau est composé de deux hémisphères cérébrales reliées par le corps calleux qui compte quelques 500 millions de neurones et permet la communication entre les deux. Dans l’histoire de la neurologie, la découverte des fonctions s’est faite « grâce » aux lésions :

  • l’hémisphère gauche est celui du langage, de la logique, du raisonnement …il est dit « dominant » ;
  • l’hémisphère droit est dédié à ce qui est plus global : l’esthétique, la représentation …et est qualifié de « mineur ».

 

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Encart 2

Comment récupérer son GPS interne grâce à l’adaptation prismatique ?

Effets sensori-moteurs et fonctionnels à long terme d’un traitement hebdomadaire par adaptation prismatique dans la négligence : un essai randomisé et contrôlé en double insu. Rode G, Lacour S, Jacquin-Courtois S, Pisella L, Michel C, Revol P, Luauté J, Halligan P, Pélisson D, Rossetti Y.Ann Phys Rehabil Med. 2015 Apr;58(2):e1-e15.  Voir la vidéo sur Youtube

PPour aller plus loin

 

Vance Bergeron : de la matière molle à la neuro-rééducation

VVance Bergeron : de la matière molle à la neuro-rééducation

Spécialiste des propriétés physico-chimiques de la matière molle et passionné de vélo, ce chercheur franco-américain s’est retrouvé tétraplégique à la suite d’un accident de la circulation. Aujourd’hui, il a réorienté ses travaux dans le domaine de la neuro-rééducation et a lancé un programme de recherche qui fédère chercheurs, médecins et personnes concernées par le handicap.

Lorsqu’il me reçoit dans son bureau, Vance Bergeron, en short et tee-shirt, est en train de s’entraîner sur un vélo stationnaire un peu spécial. Des électrodes posées sur ses cuisses sont reliées à un encodeur. Le courant qui les traverse permet à ses muscles de se contracter en cadence et d’actionner le pédalier au rythme souhaité. Du coin de l’œil, le chercheur surveille le tableau de bord où s’affichent ses paramètres physiologiques. En 2017, il participa à Zürich au Cybathlon, la première compétition pour athlètes handicapés bénéficiant d’une assistance. A lire en entier sur CORTEX Mag