Pop’Sciences répond à tous ceux qui ont soif de savoirs, de rencontres, d’expériences en lien avec les sciences. Le site est en cours de maintenance : il peut apparaître des défauts d'affichage pendant quelques jours. Nous vous remercions pour votre patience et compréhension.

EN SAVOIR PLUS

Ressources

Biologie - santé / Homme - société

Dossier

Pop'Sciences - Université de Lyon

AAddictions : la fatalité n’existe pas | #6 Dossier Pop’Sciences « Santé mentale : entre pathologies et bien-être »

The Card Players, between 1890 and 1892 in the Metropolitan Museum of Art / ©Bequest of Stephen C. Clark - Wikimédia commons

Certes, nous ne sommes pas tous égaux face aux addictions. Chacun possède des facteurs de risque et de protection, individuels et environnementaux, qui nous rendent plus ou moins vulnérables. Pour autant, nos destins ne sont pas tracés d’avance et l’évolution des comportements des individus recèle aussi une part de mystère. Face à une hétérogénéité de profils et de trajectoires, les vérités générales sur les addictions doivent être combattues.

Un article de Clémentine Vignon, journaliste scientifique, rédigé
pour Pop’Sciences – 29 février 2024

 

« Je suis complètement accro au chocolat, c’est une vraie addiction ! » On a tous entendu ou prononcé cette phrase au moins une fois dans notre vie, le « chocolat » pouvant être remplacé, selon les goûts, par « sucre », « fromage » ou toute autre gourmandise. Il s’agit pourtant d’une utilisation abusive du terme addiction. L’addiction répond en réalité à des critères très précis, détaillés dans les classifications internationales des troubles mentaux. Parmi ces critères, on retrouve une perte de contrôle de l’usage, un envahissement de la vie de l’individu, ou encore un délitement progressif de son insertion sociale et professionnelle. Les addictions se caractérisent par la poursuite d’un usage en dépit de lourdes conséquences sur la vie de l’individu. Les addictions aux substances reconnues à ce jour concernent le tabac (par le biais de la nicotine), l’alcool, le cannabis, les opiacés (héroïne, morphine), la cocaïne, ainsi que les amphétamines et dérivés de synthèse. Seules deux addictions sans substance sont validées par la communauté scientifique : les troubles du jeu vidéo et du jeu d’argent. Parler « d’addiction aux écrans » pour dénoncer le temps excessif passé sur nos téléphones, est un abus de langage qu’il faut donc éviter.

L’usage ne fait pas l’addiction
« Quelle que soit la substance ou le comportement, l’usage ne fait pas l’addiction », rappelle le Pr Benjamin Rolland, psychiatre addictologue au Centre hospitalier Le Vinatier, à Bron. Un continuum existe entre la consommation dite récréative et la perte de contrôle de l’usage. Mais quels sont les facteurs qui expliquent que certains individus vont finir par basculer dans l’addiction, alors que d’autres parviendront à arrêter ou à contrôler leur usage sur le long terme ? La réponse à cette question est complexe et doit prendre en compte aussi bien les vulnérabilités individuelles (prédispositions génétiques, biologiques, présence de troubles psychologiques ou psychiatriques, etc.) que celles liées à l’environnement, à savoir l’entourage social de l’individu, mais aussi la société dans laquelle il évolue, vectrice de valeurs et de représentations culturelles spécifiques.

L’exemple des soldats américains durant la guerre du Viêt Nam illustre à quel point le contexte dans lequel une substance est consommée est déterminant. « Beaucoup de soldats se sont mis à consommer de l’héroïne pendant la guerre, une substance considérée comme particulièrement addictive. Or, plusieurs études ont montré que lors de leur retour aux États-Unis, la très grande majorité des soldats avaient arrêté leur consommation d’héroïne du jour au lendemain » raconte le Pr Rolland. Sans minimiser les risques sur la santé de l’utilisation d’une telle substance, cet exemple interroge le rôle joué par l’environnement, par rapport à la substance en elle-même, dans le processus addictif.

Playing Cards and Glass of Beer de Juan Gris, 1913 in the Colombus Museum of Art / © Colombus Museum of Art – Wikimédia commons

Un processus dynamique
Qu’ils soient internes à la personne ou environnementaux, les différents facteurs qui fragilisent ou protègent les individus face aux addictions s’entremêlent et sont susceptibles d’évoluer au fil du temps, dans un processus dynamique. « Il y a toujours une part d’imprévu dans l’évolution des comportements des individus », souligne le Pr Rolland, qui y voit-là matière à ne pas sombrer dans le fatalisme. « Alcoolique un jour, alcoolique toujours » ? Un slogan anachronique, qui a le don de l’irriter. Selon le psychiatre, des études épidémiologiques ont d’ailleurs montré que certaines personnes pouvaient reprendre une consommation contrôlée de la substance responsable de leur addiction, alcool y compris, sans pour autant rechuter. Pour le Pr Rolland, il est donc primordial de ne pas sous-estimer l’hétérogénéité des profils des personnes présentant des conduites addictives pour ne pas faire de généralités abusives.

Vers une médecine personnalisée ?
Par ailleurs, il semblerait qu’il n’y ait pas une, mais des addictions. « Les mécanismes cérébraux sous-jacents diffèrent en fonction des addictions, et on a tout lieu de penser qu’ils diffèrent aussi pour une même addiction en fonction des sous-profils de patients » indique Guillaume Sescousse, chercheur en neurosciences dans l’équipe PsyR2 du Centre de Recherche en Neurosciences de Lyon (CRNL). Ses recherches en neuroimagerie portent notamment sur l’addiction aux jeux d’argent, dans laquelle on peut distinguer deux profils principaux bien particuliers. D’un côté, les joueurs dits « émotionnels », au profil plutôt anxieux et dépressif, qui trouvent dans le jeu une échappatoire à leurs soucis, de l’autre les joueurs « impulsifs », qui sont à la recherche d’émotions fortes et ressentent vraiment l’excitation du jeu. Dans les deux cas, c’est la perte de contrôle qui mène à l’addiction.

Partant du postulat que des profils comportementaux différents relèvent de bases cérébrales différentes, y compris pour une même addiction, tout l’enjeu est de mieux comprendre ces dernières afin d’adapter les réponses thérapeutiques. Et ainsi tendre vers la médecine personnalisée ? On en est encore loin, tempère le chercheur, même si l’une des grandes promesses de l’imagerie cérébrale lorsque celle-ci est apparue dans les années 2000 était de devenir un outil d’aide au diagnostic et au pronostic des patients à l’échelle individuelle. « C’est beaucoup plus compliqué que ce qu’on espérait, mais peut-être que l’intelligence artificielle va faire évoluer les choses » espère Guillaume Sescousse.

—————————————————————

PPour aller plus loin