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CComment la lumière régule notre santé | #1 Dossier Pop’Sciences « Quand la lumière éclaire le vivant »

©Pixabay

Article #1 – Dossier Pop’Sciences Quand la lumière éclaire le vivant

Comment la lumière agit-elle sur notre biorythme ? Pour le savoir, des dispositifs expérimentaux ont été spécialement conçus à Lumen, la Cité de la lumière de Lyon. À la clé, une étude qui s’intéresse aux troubles du sommeil des travailleurs de nuit. Reportage.

Un article de Caroline Depecker, journaliste scientifique, rédigé
pour Pop’Sciences – 29 juin 2023

Malgré mes paupières closes, je sens la lumière qui filtre à travers elles. Impossible d’en ignorer la brillance ou plutôt la luminance, c’est-à-dire le flux de grains lumineux frappant la surface de mes yeux. Le box où je me tiens renvoie une lumière froide et intense : 10 500 degrés Kelvin. « C’est le maximum que l’on puisse faire en termes de température de couleur avec le blanc, je peux la baisser quelque peu si cela gêne », commente Raphaël Labayrade, chercheur au Laboratoire de Tribologie et Dynamique des Systèmes – LTDS (ENTPE1, École Centrale de Lyon, CNRS). L’éclairage, émanant du mur d’en face et du plafond, semble devenir plus apaisant.

Contrôler finement le spectre lumineux grâce à 2400 Leds

Pianotant sur son clavier, le physicien fait la démonstration du potentiel associé au Color Lab, un des espaces dédiés à la recherche et à l’innovation de Lumen, la Cité de la Lumière nouvellement ouverte à Lyon. La pièce se divise en deux cellules, dotée chacune de 21 plaques lumineuses alimentées séparément : un patchwork coloré apparaît tout à coup. « Chaque dalle diffuse la lumière résultant de 2400 diodes électroluminescentes – des leds – colorées ou blanches et plaquées dans un caisson qui se situe derrière, explique le responsable des lieux. L’ordinateur commande l’intensité de chacune des diodes qui émet des photons de longueur d’onde précise. « C’est ainsi que nous contrôlons finement le spectre lumineux de la lumière émise par les dalles », renchérit le scientifique.

Le caisson situé derrière chacune des dalles lumineuses du Color Lab contient 2400 diodes électroluminescentes permettant de contrôler le spectre lumineux. / © C. Depecker

Oui, mais avec quels objectifs ? Moyennant prestations, le Color Lab est mis à la disposition des laboratoires et des entreprises qui désirent mettre au point leurs systèmes d’éclairage, avec une visée particulière : réaliser un rendu fidèle des couleurs, ou renforcer l’attractivité d’un objet par exemple[Encart]. « Selon le cas, optimiser le spectre lumineux est souhaitable », explique Raphaël Labayrade. « Le jeu comparatif des salles jumelles rend mieux compte des résultats obtenus ». Le volume des cellules permet d’accueillir des objets de taille réelle : du mobilier, des œuvres d’art ou bien…des êtres humains. De façon surprenante, une des premières applications imaginées pour le Color Lab concerne la photothérapie, c’est-à-dire l’utilisation de la lumière en médecine.

 

Resynchroniser l’horloge biologique, une nécessité

La lumière du jour est un acteur silencieux de notre santé, elle régule notre biorythme en activant de petits capteurs photosensibles tapissant la rétine de nos yeux : les cellules ganglionnaires à mélanopsine. Localisés au même endroit, les cônes et les bâtonnets sont des photocapteurs qui sont des éléments clés, eux, de la vision. Les premiers sont responsables de la perception des couleurs tandis que les seconds, s’activant à faible luminosité, nous permettent de voir dans la pénombre.

Coupe schématique de la rétine d’un œil humain / Wikimedia Commons

 

Veille et sommeil, température corporelle, production d’hormones, fréquence cardiaque, mais aussi capacités cognitives ou encore humeur : ces fonctions biologiques sont régies par un rythme circadien, un cycle d’une durée comprise entre 23h30 et 24h30. De la taille d’une tête d’épingle, l’horloge interne qui impose ce rythme à l’organisme se situe dans l’hypothalamus, au cœur de notre cerveau, et se compose de 10 000 neurones présentant une activité électrique oscillante. Tel un chef d’orchestre, l’horloge interne bat la mesure. Or, celle-ci est propre à chaque individu. Si elle était livrée à elle-même, l’horloge conduirait les êtres vivants à se décaler les uns par rapport aux autres et chacun finirait par s’endormir à un horaire différent de la veille, rendant impossible la vie en société. Heureusement, des agents extérieurs resynchronisent en permanence l’horloge sur un cycle de 24 heures : la lumière est le plus puissant d’entre eux.

En 2 minutes, le cœur répond à l’influx lumineux

Sensibles au bleu, et plus particulièrement à la longueur d’onde de 480 nm, les cellules à mélanopsine envoient des signaux électriques à l’horloge interne lorsqu’elles sont activées, ce qui provoque la remise à l’heure du cycle. Ce message est transmis encore à d’autres structures cérébrales qui sont impliquées dans les fonctions biologiques citées plus haut. « Les cônes et les bâtonnets auraient aussi un rôle à jouer dans la régulation de l’horloge biologique, explique Claude Gronfier, spécialiste en chronobiologie et chercheur à l’Institut national de la santé et de la recherche médicale (Inserm) de Lyon. Mais avec une sensibilité autre que celle des cellules à mélanopsine. C’est avec l’idée d’investiguer l’action de chacun de ces photorécepteurs que le caisson à l’origine de l’éclairage du Color Lab a été conçu, en collaboration avec les chercheurs de l’ENTPE ».

Sensibles au bleu, et plus particulièrement à la longueur d’onde de 480 nm, les cellules à mélanopsine envoient des signaux électriques à l’horloge interne lorsqu’elles sont activées, ce qui provoque la remise à l’heure du cycle. […].
Ce qui intéresserait le scientifique ? Soumettre des volontaires à l’éclairage de la salle, moduler le spectre lumineux émis par les diodes et observer comment la rétine des volontaires réagit, ainsi que leur physiologie. /
©Wikimedia Commons – D’après un travail fait par YassineMrabet. sur la base de données extraites de « The Body Clock Guide to Better Health » by Michael Smolensky and Lynne Lamberg; Henry Holt and Company, Publishers (2000).

 

Ce qui intéresserait le scientifique ? Soumettre des volontaires à l’éclairage de la salle, moduler le spectre lumineux émis par les diodes et observer comment la rétine des cobayes réagit, ainsi que leur physiologie. Et cela peut aller très vite. Lors d’une étude publiée en 2019 dans la revue Frontiers in Neurosciences, C. Gronfier et son équipe ont montré que la réponse de nos organes vitaux à un changement de lumière était quasi instantanée. Au laboratoire, une trentaine d’adultes ont été en effet exposés à des conditions d’éclairage variables -dont un choix de couleur bleue ou rouge- pendant qu’on mesurait plusieurs de leurs paramètres physiologiques. Résultat : dès les premiers instants d’exposition à la lumière, le rythme cardiaque et la température corporelle augmentent, la pupille se contracte tandis que l’activité cérébrale lente -celle propice à l’endormissement- diminue. Il faut moins de 5 minutes pour que le cerveau, le cœur et la thermorégulation se mettent en route et le corps témoigner d’un regain d’activité.

2 lux suffisent pour impacter le sommeil

« Les effets de la lumière sont observés à des niveaux très faibles, souligne le neurobiologiste de l’Inserm. À partir de 2 lux mélanopiques2, la sécrétion de mélatonine, soit de l’hormone qui favorise l’endormissement, est inhibée ». À titre de comparaison, l’ensoleillement extérieur produit une lumière qui équivaut à 10 000 lux environ. « Ce constat ne peut que renforcer le message préventif déjà édicté en matière d’hygiène lumineuse : trop de lumière le soir, via nos écrans ou nos lampes, a un effet néfaste sur le sommeil en le retardant. Un couvre-feu numérique d’une heure avant l’heure du coucher est d’ailleurs recommandé ».

Prendre l’habitude de s’endormir tard, après minuit, voire au-delà de 2 ou 3 heures du matin, provoque un trouble du sommeil bien connu, appelé « retard de phase du cycle veille/sommeil ». Ce syndrome touche surtout les adolescents, mais aussi les adultes incapables de se coucher à une heure convenable : l’horloge de ces personnes ne déclenche pas l’endormissement suffisamment tôt, ni le réveil. S‘ensuit une dette de sommeil, et un état de fatigue prolongé, lorsqu’il faut se réveiller le matin pour obéir aux contraintes sociales.

Évaluer la sensibilité à la lumière en cas réel

La désynchronisation de l’horloge biologique concerne une autre catégorie de population fragilisée, elle, par ses conditions de travail : les travailleurs de nuit. C’est à leur sujet que débutera bientôt une étude originale, baptisée Light Health3, menée par C. Gronfier et son équipe, en collaboration avec l’ENTPE. Du fait de leur éveil nocturne, de nombreux travailleurs de nuit connaissent des troubles du sommeil. Leur horloge interne les enjoint à la somnolence sur leur lieu de travail et perturbe leurs phases de repos quand ils tentent de récupérer la journée. « Dans l’apparition de ces troubles, quelle est la contribution d’une exposition insuffisante à la lumière du jour de ces employés ? interroge le chercheur de l’Inserm. L’influence de la lumière sur l’horloge biologique a été attestée au laboratoire, de manière contrôlée. Mais qu’en est-il de la sensibilité de chacun d’entre nous à ce facteur, dans les conditions de vie réelle ? Alors que d’autres rythmeurs de temps existent comme les prises de repas et l’activité physique réalisées à heure fixe ».

Le dosimètre lumière « LightMonitor », ou « LIMO » mesure le spectre et l’intensité de la lumière à laquelle les personnes sont exposées ainsi que leur activité. Il est peu encombrant, autonome et léger. / © D.Dumortier

Pour aborder cette question, un autre dispositif expérimental a été conçu : il prend l’apparence d’un petit bloc parallélépipédique et fait office de capteur lumineux. Fruit d’une collaboration entre l’Inserm et l’ENTPE, breveté en 2022, « le Light Monitor, ou LIMO – c’est son autre nom- mesure le spectre et l’intensité de la lumière à laquelle sont exposées les personnes, commente Dominique Dumortier, chercheur au LTDS et concepteur de l’objet. Le jour, il équipe une branche de lunettes portées par les volontaires tandis qu’au coucher, on le fixe à son poignet par l’intermédiaire d’un bracelet ». Cachant un actimètre dans son boitier, le Light Monitor collecte aussi des données sur les mouvements de la personne, renseignant ainsi sur son activité journalière et la qualité de son sommeil.

Light Health et les travailleurs de nuit

Courant 2023, des travailleurs de nuit se verront équiper du dosimètre qu’ils porteront pendant une quinzaine de jours. Grâce à des prélèvements de mélatonine, leur profil circadien sera évalué en début d’expérience. Sont-ils des couche-tôt ? des couche-tard ? Des dosages hormonaux similaires en fin de protocole expérimental détermineront comment l’horloge aura été déréglée. Ces informations seront comparées à un jeu de données médicales (pression artérielle, fréquence cardiaque, etc.), psychiatriques et de tests cognitifs. Le tout au regard du profil de lumière que ces volontaires auront reçu ainsi que de la qualité de leur sommeil. En 2016, un rapport de l’Agence nationale de sécurité sanitaire de l’alimentation – ANSES, alertait sur le lien probable entre le travail de nuit et l’apparition de cancers, de troubles psychiques (anxiété, dépression), de diabète ou d’infarctus du myocarde, au-delà des troubles du sommeil connus. « L’étude Light Health servira à documenter l’hypothèse selon laquelle l’exposition à la lumière est prédictive des effets sanitaires observés chez ce type de population », conclut C. Gronfier. Avec à la clé, la possibilité d’émettre des recommandations et des remédiations à trouver grâce à l’emploi d’éclairages adaptés.

 

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Encart

Comment l’éclairage influe sur la perception visuelle.

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Notes

[1] ENTPE : École Nationale des Travaux Publics de l’État.

[2] Le lux est une unité de mesure qui caractérise l’intensité lumineuse reçue par unité de surface. Associé aux cellules à mélanopsine, le lux mélanopique sert à mesurer la quantité de lumière « utile » à la régulation du rythme circadien.

[3] L’étude Light Health bénéficie du soutien financier de la région Rhône-Alpes-Auvergne.

 

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