Homme - société Article Institut Catholique de Lyon - UCLy|The Conversation CCulte musulman : la réorganisation voulue par l’État est-elle en marche ? | The Conversation ©MIOM, DICOM | A.Lejeune Depuis février 2022, le Forum de l’islam de France (Forif) a remplacé le Conseil français du culte musulman jugé inefficace par Emmanuel Macron. Cette nouvelle instance, plus décentralisée, permettra-t-elle de répondre aux problématiques nombreuses – lutte contre l’islamisme radical, formation des imams, financement des mosquées, violences contre les musulmans – qui touchent l’islam en France ? Éléments de réponses, en ce mois de ramadan, dans l’Hexagone.L’islam occupe une place centrale dans les débats sur la laïcité et l’identité nationale. Dans ce contexte, la notion d’un « islam de France » s’est imposée comme un projet politique visant à structurer cette religion tout en garantissant son autonomie et en limitant les influences étrangères. C’est dans cette perspective qu’a été lancé, en 2022, le Forum de l’islam de France (Forif), sous l’égide du président de la République Emmanuel Macron, pour renouveler le dialogue entre l’État et les représentants du culte.Le Forif se veut une alternative au Conseil français du culte musulman (CFCM). Jugé inefficace et affaibli par des divisions internes, ce dernier a été écarté au profit d’une approche territorialisée et déconcentrée visant à instaurer un dialogue plus direct avec les responsables religieux.Cette reconfiguration se heurte à une difficulté majeure : l’islam en France ne dispose ni de structure cléricale unifiée ni d’autorité centralisée. Contrairement aux cultes catholique et protestant, historiquement dotés d’instances de gouvernance claires, les acteurs du culte musulman sont souvent organisés sur des bases nationales ou communautaires. Cette diversité complique toute tentative d’institutionnalisation et rend la question de sa représentation particulièrement sensible.C’est dans ce contexte que la clôture de la deuxième session du Forif, présidée le 18 février 2025 par le ministre Bruno Retailleau, a restitué les travaux des groupes de travail en vue des Assises territoriales de l’islam de France (Atif). Les axes majeurs évoqués concernent la reconnaissance du métier d’imam, la création d’un conseil national des aumôneries musulmanes, l’amélioration de l’accès aux services bancaires pour les associations cultuelles, la sécurisation des lieux de prière et leur encadrement.La « loi séparatisme » et le contrôle de l’ÉtatLe Forif mise sur l’ancrage local et sur les acteurs de terrain (imams, aumôniers, responsables associatifs et élus) pour définir des priorités, mais aussi pour s’engager à mettre en œuvre les dispositifs définis. Loin d’imposer une ligne unique, l’État encadre néanmoins cette concertation et tente de responsabiliser les parties prenantes.Dès avril 2022, le Forif a publié un guide précisant les nouvelles obligations légales issues de la loi du 24 août 2021, dite « loi séparatisme ». Présenté comme un moyen de lutter contre la diffusion de l’islamisme radical en renforçant le contrôle de l’État sur certaines associations, ce texte suscite pourtant des réactions mitigées.La loi impose à toutes les associations recevant des subventions publiques la signature d’un contrat d’engagement républicain (CER), conditionnant l’accès aux financements à un respect strict des « principes de la République ». Elle permet ainsi d’écarter les associations considérées comme non conformes aux exigences républicaines, mais elle constitue également un levier de pression politique.Le président du Conseil des mosquées du Rhône Kamel Kabtane a ainsi dénoncé les restrictions administratives faites à certaines associations cultuelles sans qu’aucune infraction ne leur soit reprochée. Une enquête menée dans le cadre du Forif a ainsi mis en lumière la fermeture inopinée de comptes, la difficulté d’accéder aux services financiers, ainsi que les restrictions affectant la gestion des dons suite à des contrôles encadrés par la « loi séparatisme ».Si la plupart des acteurs religieux approuvent la loi séparatisme – une adhésion qui leur permet de rester admis au sein du Forif –, d’autres critiques, émanant d’institutions et de chercheurs en sciences sociales, le considèrent comme une loi fourre-tout qui restreint les libertés fondamentales et privilégie une approche sécuritaire au détriment d’une véritable politique de mixité sociale.Financement des mosquées et formation des imamsSi l’État vise, à travers cette réorganisation, à démentir l’idée que l’islam en France serait une « religion d’étrangers, pour les étrangers et financée par les étrangers », le lien avec certains États étrangers est difficile à dissoudre, que ce soit par le biais d’imams étrangers, de financements de certaines mosquées ou par le maintien d’une influence via les réseaux associatifs.Depuis le 1er janvier 2024, environ 300 imams détachés ne sont plus autorisés à exercer sur le territoire français. Jusqu’alors, ces imams, majoritairement envoyés par le Maroc, l’Algérie et la Turquie, étaient rémunérés par leur pays d’origine pour officier dans quelque 2 500 mosquées. Leur interdiction a rendu plus urgente la mise en place d’une formation locale, combinant enseignement théologique et connaissance du cadre républicain. Pourtant, les imams étrangers sont toujours présents sur le territoire, mais en étant désormais pris en charge par des associations cultuelles françaises. Leur maintien en France est toutefois conditionné à leur suivi d’une formation sur la laïcité, la liberté religieuse et la citoyenneté, un dispositif visant à encadrer leur mission dans le respect des principes républicains.Lors du Forif en février 2024, le ministre de l’intérieur d’alors Gérald Darmanin a proposé la création d’un « statut de l’imam » en France. Il a fixé un délai de six mois pour définir leurs conditions d’emploi, leur protection sociale et les compétences requises, notamment linguistiques et universitaires.Le statut de l’imam se heurte pourtant à plusieurs obstacles : diversité des sensibilités théologiques, absence d’un cadre national de certification et nécessité d’établir une confiance mutuelle entre les instances représentatives des imams et les établissements universitaires désignés pour les former (aucun chiffre officiel n’est communiqué sur le nombre d’imams formés). À cela s’ajoute le manque de ressources financières des associations cultuelles pour salarier des imams dans des conditions viables, rendant leur professionnalisation encore plus complexe.Violences contre les musulmansAutre chantier porté par le Forif, celui des discriminations et des violences. Un guide spécifique a été publié en 2022 pour aider associations et fidèles à signaler les faits problématiques. La création de l’Association de défense contre les discriminations et les actes antimusulmans (Addam) marque une évolution : les acteurs religieux ne sont plus seulement bénéficiaires des dispositifs publics, mais prennent également part au repérage et au signalement des actes antireligieux.Une plateforme de signalement et un réseau de référents locaux ont été mis en place pour renforcer la protection des espaces religieux. Cette démarche apparaît d’autant plus vitale dans un contexte marqué par le conflit israélo-palestinien.Les chiffres du ministère de l’intérieur montrent une évolution fluctuante : 213 faits avaient été recensés en 2021, 188 en 2022, avant d’atteindre 242 en 2023, puis de redescendre à 173 en 2024, soit une baisse de 29 %. Cependant, cette diminution est contestée par l’Addam qui estime qu’elle ne reflète pas l’ensemble des signalements.Par ailleurs, certains représentants musulmans estiment qu’il existe un déséquilibre dans la reconnaissance des violences ciblant différentes communautés, ce qui peut engendrer des crispations avec leurs homologues juifs.Un dispositif en quête de légitimitéTrois ans après sa création, le principal défi du Forif est de s’imposer comme une instance légitime et constructive, et non comme un simple outil consultatif dépendant des orientations gouvernementales.Par ailleurs, son fonctionnement repose sur une logique décentralisée et, en l’absence d’un organe décisionnel propre, son efficacité à fédérer les différents courants du culte musulman en France suscite des interrogations.Si le Forif marque une volonté de reconfigurer la relation entre l’État et l’islam en France, il reste confronté à des contradictions structurelles. Son avenir dépendra de sa capacité à dépasser le stade expérimental pour s’inscrire dans un cadre institutionnel reconnu. À défaut, il pourrait rejoindre la liste des dispositifs antérieurs qui, faute d’ancrage et d’adhésion des acteurs concernés, n’ont jamais abouti à un façonnement durable du culte musulman.Auteur :Ali Mostfa, Maître de conférences sur le fait religieux islamique, UCLy – Institut catholique de LyonCet article est republié sous licence Creative Commons.>> Lire l’article original :THE CONVERSATION