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EEaux minérales naturelles : sécheresse et pressions sur l’eau, quelques idées reçues à déconstruire | The Conversation

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La différence entre les types d’eau – l’eau du robinet dédiée à l’alimentation en eau potable, l’eau de source et l’eau minérale naturelle – reste méconnue du grand public. Chacune a pourtant des spécificités réglementaires, techniques et de qualité.

En période estivale, il arrive souvent que des arrêtés préfectoraux de sécheresse soient mis en place pour restreindre les prélèvements d’eau pour les usages agricoles et industriels (ces derniers prélevant à la fois des eaux de surface : lac, rivière, canaux, et des eaux souterraines). Les producteurs d’eau minérale naturelle (comme Volvic, par exemple) sont affectés au même titre que tous les industriels.

Ces restrictions ne concernent pas directement les prélèvements en eau minérale naturelle embouteillée, mais bien les eaux industrielles utilisées dans le processus de nettoyage des bouteilles et des installations (équipements/circuits), ainsi que des zones de services (chaudières, tours aéroréfrigérantes). Issues souvent de forages peu profonds selon les sites, les eaux industrielles sont nécessaires au maintien de l’état hygiénique de l’usine d’embouteillage.

Face aux contraintes de sécheresse, les minéraliers, comme d’autres industriels, ont mis en place au cours des dernières années des actions visant à optimiser leur processus industriel. Par exemple, en permettant une filtration et une réutilisation des eaux industrielles en boucle fermée.

Le groupe Danone a réalisé de tels investissements à Volvic et à Évian, ce qui a fait diminuer les besoins en eau de rinçage de 1,95 L pour 1 L d’eau minérale naturelle (EMN) embouteillée en 2014 à 1,35 L en 2023 et 1,15 L visé en 2025, comme me l’ont déclaré Danone et Nestlé Waters au cours d’entretiens réalisé dans le cadre de mon travail de doctorat.

Eau minérale naturelle, mode d’emploi

Contrairement à l’eau du robinet, l’eau minérale naturelle se définit par une grande traçabilité avec une origine uniquement souterraine. Elle doit présenter une certaine qualité. Pour l’eau potable du réseau, au contraire, l’enjeu d’utilité publique est surtout quantitatif.

Captée, utilisée ou embouteillée à proximité directe de l’émergence, l’eau minérale naturelle ne subit aucun traitement chimique. L’ajout de chlore ne concerne que l’alimentation en eau potable pour pallier le risque sanitaire dans le réseau de distribution.

Enfin, les composants physico-chimiques de l’EMN doivent rester stables dans le temps. Cette méconnaissance sur l’eau minérale naturelle complique souvent la vision médiatique et celle de nos concitoyens. Un enjeu important dans le contexte du changement climatique, avec la multiplication d’épisodes de sécheresse.

Eaux minérales naturelles et épisodes de sécheresse

Peu de médias font la distinction entre les différents types d’eau et les raccourcis brouillent la bonne compréhension des consommateurs. Tentons d’y voir plus clair.

De manière générale, les eaux minérales naturelles émanent de gisements profonds : le temps de cheminement de l’eau et la profondeur sont variables d’un site à l’autre, mais il peut aller de quelques années à une centaine d’années voire plusieurs milliers d’années. Leur transit souterrain est par exemple de 3-4 ans à Thonon, 5 ans à Volvic, 15 ans à Évian, 20-25 ans à Cilaos, et 50-60 ans à Meyras.

C’est au cours de ce long parcours que les eaux acquièrent les caractéristiques physico-chimiques spécifiques à chaque terroir géologique. Cette spécificité est déterminée par la composition des roches, la température et la durée de transit. Les épisodes ponctuels de sécheresses n’ont par conséquent que très peu d’impact sur le renouvellement de la ressource.

De manière ponctuelle toutefois, selon des particularités locales hydrogéologiques, des interférences entre nappes superficielles et gisements profonds peuvent exister. C’est notamment le cas à Vittel, où un conflit très médiatisé a eu lieu de 2016 à 2019, concernant l’usage de la ressource en eau.

Le cas de Vittel Bonne Source, une exception

À Vittel, dans les Vosges, les connaissances hydrogéologiques ont démontré dès 1975 des interférences entre certains aquifères souterrains, associées à un lent renouvellement de la ressource en eau et des prélèvements d’usage multiples dans un espace géologique local précis. Située dans le secteur sud-ouest de Vittel, cette zone très limitée (85km2) est nommée nappe captive Grès du Trias Inférieur (GTI).

Entre 1960 et 1980, la multiplication des forages entre 1960 et 1980 dans une zone géographique restreinte, afin de répondre aux besoins en eau potable des collectivités locales, des agriculteurs et des industriels, a généré un déficit de la nappe (de 2,5 millions de m3 par an).

Un arrêté préfectoral a interdit tout pompage supplémentaire, ce qui a permis de stabiliser la situation à partir de 1980. Les prélèvements ont drastiquement chuté (de 4,7 millions de m3 en 1979 à 3,27 millions de m3 en 2010), permettant une forte baisse du déficit (de 2,9 millions de m3 par an en 1979 à 1,15 million de m3 par an en 2010). Malgré cela, le déficit de recharge persiste pourtant.

En 2010, la responsabilité des prélèvements relevait de plusieurs acteurs : d’un côté les industriels (47 %) dont 19 % par la fromagerie l’Ermitage et 28 % par Nestlé Waters, et de l’autre les syndicats des eaux pour alimenter le réseau d’eau potable (44 %), dont 19 % en fuite de réseau et 25 % en consommation réelle.

En ce qui concerne Nestlé Waters, les prélèvements dans cette nappe concernent des forages peu profonds d’eau industrielle et du forage de l’eau minérale naturelle Vittel Bonne Source, exploité depuis 1990 et dédié à l’export en Europe (80 % Allemagne, 15 % Suisse, 5 % Europe de l’Est).

Cette eau faiblement minéralisée représente 22 % de la production de l’usine avec 307 millions de bouteilles par an, à côté des eaux minérales naturelles fortement minéralisées de Vittel Grand Source, Contrex et Hépar, exploitées par des forages sur d’autres gisements indépendants.

Volontarisme de Nestlé Waters

Pour répondre au problème, les industriels ont engagé dès 2016 des actions pour diminuer leurs prélèvements : la fromagerie a optimisé son processus, divisant par 3 ses prélèvements afin d’aboutir à 1,25 litre d’eau industrielle pour 1 litre de lait. Nestlé Waters a cessé d’exploiter les forages d’eau de rinçage dans la nappe GTI en substitution de forages d’autres gisements indépendants. Bien qu’autorisée par la préfecture à prendre jusqu’à 1 million de m3 par an dans la nappe GTI, Nestlé Waters a diminué ses prélèvements à 744 000 m3 en 2018.

Des démarches de concertation sont menées cette année-là entre les membres de la CLE (collectivités territoriales, les industriels, associations…), suivies de l’intervention de l’Agence de l’Eau Rhin-Meuse. Un protocole d’engagement est signé en 2020 sous l’égide de la préfecture pour fixer des actions d’économies d’eau, dont chaque usager contribue au prorata des prélèvements : modernisation du réseau de distribution d’eau potable pour stopper les fuites et prélèvement de 300 000 m3 d’eau potable par an dans d’autres nappes, une plus grande sobriété des bâtiments des collectivités publiques et des activités industrielles.

Le but : mettre un teme au déficit de la nappe en 2027 avec un prélèvement maximum à 2,1 millions de m3 par an.

Face à ces nouveaux objectifs de réduction et aux très fortes pressions médiatiques continues du collectif Eau 88, Nestlé Waters a annoncé l’arrêt des contrats à l’export de Vittel Bonne Source vers la Suisse en 2019, et vers l’Allemagne (Lidl) en 2021, accompagné d’un plan social associé à l’arrêt d’environ 20 % de la production de l’usine.

Pour cette raison, dès 2023, Nestlé Waters baisse ses prélèvements à 200 000 m3 par an dans la nappe GTI. Face à la surreprésentation médiatique de ce type de collectif, nous pouvons nous interroger sur la capacité des médias et des concitoyens à avoir une lecture claire des enjeux actuels sur la filière EMN.

Si cette situation est spécifique à un des gisements à Vittel, la carence de connaissances hydrogéologiques générale en France ne permet pas une identification exhaustive d’autres exceptions locales, et laisse planer des doutes sur l’émergence de cas similaires.

Des prélèvements mineurs face à l’usage d’eau potable

Pourtant, en dehors de ces cas spécifiques, la filière EMN en France représente des prélèvements d’eau modestes, par rapport à l’usage d’eau potable. À l’échelle nationale, ils représentent ainsi 7,26 millions de m3 par an pour l’embouteillage et 5,39 millions de m3 par an pour le thermalisme. Les utilisations économiques actuelles ne valorisent que 37 % de la capacité française de ressource en eau minérale naturelle.

Les 12,65 millions de m3 d’eau minérale naturelle par an prélevés par les usages historiques restent limitée au regard de la consommation d’eau potable, qui représente 3,68 milliards de m3 par an. À cela s’ajoutent 937 millions de m³ d’eau potable perdus par les fuites du réseau vieillissant.

Autrement dit, la mise en avant des EMN embouteillées sur la scène médiatique semble disproportionnée en comparaison avec d’autres enjeux liés à l’eau : elle est davantage un symbole de clivage qu’un enjeu national lié aux changements climatiques et des épisodes de sécheresse.

Alors que le « Plan Eau » présenté en 2023 par le gouvernement vise à améliorer la gestion de l’eau en France et faire face aux sécheresses, remettons la place des eaux minérales naturelles en perspective : bien souvent en avance sur le déploiement législatif, les minéraliers ont depuis longtemps fait émerger les bonnes pratiques de gestion.

Les actions d’optimisation pour réduire de 10 % les prélèvements d’eau en 2030 dans tous les secteurs économiques et résorber les fuites du réseau d’eau potable sont des interventions d’ores et déjà en cours sur les territoires de la filière EMN.The Conversation

>> L’auteur :

Guillaume Pfund, Docteur en Géographie économique associé au laboratoire de recherche Environnement Ville Société, Université Lumière Lyon 2

Cet article est republié sous licence Creative Commons.

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