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EEpidémies : comment la mémoire collective peut nous aider à mieux les gérer ?

Connaissez-vous les épidémies zoonotiques ? Les épidémies zoonotiques sont des épidémies dont l’origine est le passage d’un virus de l’animal à l’homme et vice versa.

Dans ce deuxième podcast, dont le triptyque aborde les épidémies zoonotiques, nous allons découvrir comment la perspective historique, la mémoire collective peuvent aider à mieux gérer les épidémies aujourd’hui.

Pour en parler, nous sommes toujours avec Frédéric LE MARCIS, professeur d’anthropologie à TRIANGLE et à Trans VIHMI (à l’ Institut de recherches pour le développement)

> Écoutez le podcast :

> Lire la retranscription des propos de l’interview :

Comment l’histoire influe dans notre rapport au virus ?

Frédéric le Marcis – L’histoire nous rappelle qu’il ne suffit pas d’un virus pour créer une épidémie. Il faut des configurations sociales, biotiques (liées aux êtres vivants) et matérielles particulières. Merrill Singer a désigné cette articulation par le terme « écosyndémie ». En d’autres termes, les épidémies sont le produit de conditions systémiques complexes.

L’histoire montre aussi que les humains vivent avec les virus depuis toujours. Ils négocient avec eux et en ont une mémoire. Cette mémoire, pourtant, est souvent ignorée dans le cadre de la « preparedness ». Elle pourrait pourtant enrichir notre manière de comprendre et de répondre aux risques épidémiques.

Comment interroger cette histoire dans des contextes où les traces écrites manquent ?

© Pixabay

F.L.M. – Cette question est très importante, surtout dans des contextes où comme en Guinée, l’absence de système de santé depuis l’époque coloniale jusqu’à une période récente, et plus largement les inégalités qui le caractérisent, ne permettent pas de documenter ces épidémies. En l’absence d’expansion (liée à la présence de circuits commerciaux, de moyens de transports accrus et plus rapides) ces épisodes épidémiques n’ont pas été diagnostiqués ni pris en charge par les systèmes de santé biomédicaux et sont restés inconnus aux yeux du reste du monde.

Pourtant, différentes traces sont disponibles pour peu qu’on y prête attention. C’est ce que permet l’anthropologie. Comme anthropologue m’intéressant aux expériences épidémiques, à leur origine et aux moyens déployés pour y répondre je me suis intéressé à une épidémie qui a eu lieu dans les années 80 dans la région de Madina Oula. A l’époque pas de système de santé dans cette sous-préfecture pour diagnostiquer, soigner. 150 personnes décèdent. Nous sommes encore sous le régime du premier président Sékou Touré qui refuse à l’époque que l’on communique sur l’épidémie. Une équipe sovieto-guinéenne décrit après coup l’épidémie (à la suite d’une enquête rétrospective de séroprévalence permettant d’apprécier la présence d’anticorps au sein de la population) mais une seule publication aura lieu 7 ans après, soit après le décès de Sékou Touré. La publication rapporte que les chercheurs ont identifié des anticorps de Lassa et Ebola. A l’issue de ces premiers travaux, la région est devenue un haut lieu de la recherche sur les fièvres hémorragiques et sur les réservoirs. Une nouvelle épidémie de Lassa y a été décrite dans les années 2000, mais plus aucun cas d’Ebola n’y a été décrit, même lors de la première épidémie de 2014.

A partir de ce constat j’ai cherché à collecter le souvenir de l’épidémie de 1980 avec deux objectifs :

  • Comprendre les conditions d’émergence de cet épisode épidémique
  • Décrire les modalités locales d’y faire face
  • Etudier la mémoire de cette épidémie et ses effets dans le présent

Pour ce faire j’ai puisé dans différentes sources :

  • Dans les archives coloniales : j’y ai retrouvé la description de la signature du protectorat à la fin du 19e et sécurisation de routes commerciales et donc les conditions politiques et économiques de cette signature. J’y ai également retrouvé les traces de maladies épidémiques non identifiées et se répandant le long des routes nouvellement créé (et décrites succinctement par des infirmiers indigènes : peu formés, pas équipés.
  • Dans les récits individuels et collectifs de l’épidémie de 1980 : dans les familles affectées par la maladie, chez des survivants qui décrivent des symptômes et désignent le mal mais aussi dans le paysage. Dans certains villages on peut encore voir en brousse les cimetières dédiés au traitement des morts dues aux épidémies qui sont considérées comme de mauvaises morts ; On se rappelle également des pratiques de protection contre le mal (prières, invocations, isolation). L’étude de ces modalités permet de comprendre sur quelles bases les populations s’appuient au présent face à une épidémie (et de sortir d’une lecture consistant à accuser les victimes pour leur ignorance).
  • Dans les corps à l’échelle moléculaire : dans le cadre d’une collaboration avec des chercheurs de l’unité TransVHIMI de l’IRD et des chercheurs guinéens en santé publique et en virologie nous avons mis en place une enquête de séroprévalence qui a montré la présence importante d’anticorps contre les fièvres hémorragiques au sein de la population de Madina Oula.
  • J’ai aussi travaillé sur l’expérience des recherches qui ont suivi l’épidémie de 1980. Pour ce faire j’ai retracé le travail d’un épidémiologiste de terrain, Kémoko Condé. C’est lui qui a collecté les données et interagit avec les habitants de Madina pour comprendre l’épidémie. Je ne l’ai jamais connu mais l’accès à ses archives personnels et le souvenir vivace qu’il a laissé dans la région m’ont permis de mieux matérialiser le fait que pour les habitants de Madina Oula, on vit avec les virus. Un film « A la recherche de Kémoko » relate cet aspect de mon travail. Il a été réalisé par Christian Lallier et Mélodie Drissia Tabita du Lab’af, le Laboratoire d’Anthropologie Filmée.

 

Et concrètement, ces enquêtes peuvent aider à se préparer comment ?

F.L.M. – En nous incitant à dépasser une réponse uniquement technologique par le regard posé sur la mémoire épidémique en population. Les populations ont une expérience épidémique, elles ont développé des manières d’y répondre, d’en faire du sens. Plutôt que de lutter contre les populations en « faisant la guerre au virus » comme aiment à le dire les politiques (on se souvient du discours martial des politiques imposant confinement et vaccination), ces enquêtes permettent de souligner les potentialités d’une collaboration avec les populations pour négocier avec les virus. Ce faisant on pourrait rendre plus démocratique la réponse aux épidémies et ce faisant réduire les résistances observées et la défiance des populations face aux autorités sanitaire en période de pandémie.


Précédemment : comment se préparer aux épidémies ?

> À suivre…

Notre prochain podcast questionnera le rôle de l’Etat et des institutions …Rendez-vous donc jeudi prochain.

>> Pour en savoir plus :

Triptyque – Laboratoire Triangle