Article EEpidémies : peut-on s’y préparer ? Triptyque Connaissez-vous les épidémies zoonotiques ?Avec ce nouveau triptyque, nous allons essayer de comprendre les épidémies zoonotiques…sous le regard d’un anthropologue. Les épidémies zoonotiques sont des épidémies dont l’origine est le passage d’un virus de l’animal à l’homme et vice versa. C’est le cas par exemple de la COVID, de la grippe, des maladies à orthoebolavirus comme Ebola ou encore de la fièvre hémorragique Crimée-Congo dont le réservoir est la tique hyalomma marginatum qui d’ailleurs s’est répandue rapidement dernièrement dans le sud de l’Europe. Dans ce premier podcast, nous allons aborder la préparation à ces épidémies, comment aujourd’hui nous les traitons à la différence d’hier. Pour cela, nous partons en Afrique et Roumanie avec Frédéric le Marcis, professeur d’anthropologie à Triangle et à Trans VIHMI (à l’ Institut de recherches pour le développement)…Et vous allez découvrir pourquoi.> Écoutez le podcast :https://popsciences.universite-lyon.fr/app/uploads/2025/04/tri7-1_frederic-lemarcis.wav> Lire la retranscription des propos de l’interview :Vous avez mené des recherches de longue date en Guinée. Vous venez aussi d’entamer de nouvelles enquêtes dans le delta du Danube, en Roumanie. Pourquoi ? Qu’est-ce qui relie ces deux terrains et oriente vos recherches ?Fréderic le Marcis – Depuis la pandémie de Covid, nous avons pris conscience, à l’échelle planétaire, de la menace que représente pour nous, humains, le passage de virus depuis des réservoirs animaux vers l’homme. Cette réalité pourtant n’est pas nouvelle : nous vivons depuis toujours avec des maladies qui traversent les frontières entre espèces. Pensez, par exemple, au VIH, dont l’origine est un virus présent chez les primates, ou à la grippe, dont le réservoir animal sont les oiseaux et les cochons.Ce qui est nouveau, ce sont les dispositifs mis en place pour répondre à ces risques. Ils relèvent de ce qu’on appelle la « preparedness », ou préparation. Elle est fondée sur la certitude que de nouvelles zoonoses surviendront, et confiante dans les capacités technologiques pour y faire face.Pourquoi tant de confiance est accordée aux capacités technologiques pour y faire face ?F.L.M. – La science est appelée par le politique à l’éclairer, à lui permette de comprendre et de répondre aux problèmes posés par les épidémies. On parle de médecine et de politique fondés sur les preuves. Face aux incertitudes que sont les épidémies, les progrès technologiques sont rassurants et entretiennent l’espoir que les Humains peuvent maîtriser le vivant (et ce malgré les mises en causes de l’expertise scientifique associées à la circulation massive d’information sur les réseaux sociaux). On peut citer les avancées des technologies de diagnostique comme le test virologique RT-PCR (nous en avons tous fait lors de la Covid, l’analyse passait par un prélèvement nasopharyngé. Le test RT-PCR est un test sensible et spécifique qui permet d’exprimer le gêne ciblé même s’il est présent en petite quantité). Les progrès de la modélisation permettent d’anticiper le développement d’une épidémie et d’en comprendre la dynamique (et donc de légitimer l’action). Un autre aspect est le développement de réponses thérapeutiques et préventives comme les vaccins, extrêmement rapide pour la covid.En conséquence, la « preparedness » englobe des dispositifs de surveillance, de diagnostic et de réponse aux épisodes épidémiques. Cette notion remonte à la guerre froide aux États-Unis (cf. Andrew Lakoff). Elle inclut aussi des scénarios construits à partir d’épidémies passées, sur lesquels les États et les acteurs sanitaires basent leur préparation. C’est le cas, par exemple, de l’académie de l’OMS qui vient d’ouvrir ses portes à Lyon.Ce qui m’intéresse, en tant qu’anthropologue, c’est de comprendre ces dispositifs : qu’est-ce qu’ils disent de notre manière de comprendre le risque ? Comment y faisons-nous face ? En analysant ces dispositifs, j’examine leurs implications sociales et politiques, leurs implicites et leurs limites.© PixabayD’accord. Aussi, pourquoi avoir choisi d’étudier la Guinée et la Roumanie ?F.L.M. – Ces deux pays offrent des perspectives différentes mais complémentaires sur la « preparedness ». En Guinée, l’épidémie d’Ebola de 2014-2016 a été un moment charnière. Cette épidémie, la plus importante jamais enregistrée en Afrique de l’Ouest, a fait plus de 11 000 morts officiels dans la région (Guinée, Liberia, Sierra Leone). Elle a révélé aux pays du Nord qu’ils n’étaient pas à l’abri de ces maladies, et elle a profondément transformé la manière dont la Guinée gère les risques épidémiques.Quant à la Roumanie, elle constitue un cas différent. Ce pays est situé aux confins de l’Europe, une sorte de « buffer zone » ou zone tampon entre une Europe du Nord supposée à l’abri et un Sud où des maladies comme la fièvre hémorragique de Crimée-Congo (CCHF) sont actives. La tique « Hyalomma marginatum », réservoir de ce virus, est présente en Roumanie, et des traces d’anticorps ont été détectées chez les ovins. Pourtant, aucun cas humain n’y a encore été signalé.Cela permet d’observer des frictions entre les politiques de « preparedness » de l’Union européenne et les réalités locales.Lesquelles ?F.L.M.- Par exemple, en Guinée les programmes internationaux soutiennent le développement de réseaux de laboratoire de diagnostic et forment aux nouvelles technologies (ce qui dans l’absolu est très bien), mais le focus sur ces domaines de pointe se fait alors que le système de santé ordinaire (je pense par exemple à la qualité de la prise en charge des accouchements, à celle du diabète ou en général aux maladies non transmissibles) est défaillant. Cela crée de grandes inégalités. On peut également mentionner la pression exercée en Guinée pendant la pandémie de Covid à vacciner contre la maladie quand localement la population souffrait en premier lieu de la rougeole en raison de campagnes de vaccination insuffisantes. L’agenda vaccinal global vise à gérer le risque pour les pays occidentaux les plus développés plus qu’à répondre aux questions posées dans le domaine sanitaire dans les pays les moins avancés,En Roumanie, surveiller un risque pose des questions géopolitiques et de souveraineté nationale. Ici l’UE attend de la Roumanie qu’elle joue un rôle de rempart, d’alerte face au risque d’émergence. Cependant assumer ce rôle pour la Roumanie c’est accepter de prendre le risque de mettre à mal son économie. La Roumanie possède le troisième cheptel ovin de l’Europe. Elle est le 5e exportateur européen (elle exporte principalement vers les pays du golfe, le Maghreb puis l’Italie, la Bulgarie et la Grèce). Accentuer la surveillance d’un virus qui pour l’heure n’est pas visible, représente localement un risque plus grand que le virus lui-même. Par ailleurs cette invisibilité est aussi le produit d’inégalités sociales : les personnes les plus exposées sont les populations rurales, comme les bergers. Or elles ont peu accès au dépistage ou aux soins.Vous avez mentionné que les politiques de « preparedness » sont récentes. Pourtant, l’apparition de zoonoses n’est-elle pas un phénomène ancien ?F.L.M. – Absolument. Les zoonoses existent depuis toujours. Mais aujourd’hui, on fait le lien entre leur augmentation et des facteurs comme le réchauffement climatique, la déforestation ou la diminution de la biodiversité. Ces phénomènes favorisent les contacts entre humains et réservoirs animaux auparavant inaccessibles. Le changement climatique permet aussi à des réservoirs, comme les tiques, de coloniser de nouvelles zones. Il ne faut pas oublier non plus que les hommes eux-mêmes sont à l’origine de zoonoses. Les humains ont transmis le Covid à leur compagnons canins, la tuberculose passe des humains à nos cousins primates…Cependant, il ne faut pas délaisser la longue histoire des zoonoses et leur dimension politique. Par exemple, la peste Justinienne du 6e siècle, causée par « Yersinia pestis » (un virus dont le réservoir est la puce du rat), n’aurait pas touché toute l’Europe sans les routes commerciales liées à l’Empire romain. En Guinée, mes recherches montrent que les fièvres hémorragiques sont arrivées dans la région de Madina Oula il y a environ 150 ans, à la suite d’un protectorat signé entre la France et le royaume précolonial du Tamisso. Ce protectorat a facilité la circulation des caravanes et la construction d’une route, créant ainsi les conditions propices à la propagation virale. Cette longue histoire des expériences épidémiques constitue une mémoire collective à étudier.> À suivre…Notre prochain podcast abordera ce que l’histoire nous apprend pour ce qui concerne les épidémies…Rendez-vous donc jeudi prochain.>> Pour en savoir plus :Triptyque – Laboratoire Triangle