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Université de Lyon|Université Jean Monnet - UJM

ÉÉtudier la fatigue, pour aider les malades et préparer les sportifs de demain

©Visée.A

Le laboratoire interuniversitaire de biologie de la motricité (LIBM) développe des connaissances de pointe dans le domaine du « sport-santé ». Dans la ligne de mire des chercheurs : la fatigue. Pernicieuse, elle est à la fois le symptôme principal de nombreuses maladies et du manque d’activité physique, mais également l’une des causes principales de blessures chez les sportifs. Retour sur une visite du LIBM dans le cadre du Pop’Sciences Forum « Ce qui dope le sport »

Par Samuel Belaud   |   16 décembre 2020

La recherche scientifique en physiologie et biomécanique humaine a permis de mieux comprendre les effets de l’activité physique sur la santé[1], mais également comment les performances sportives continuent de s’améliorer. Toutefois, les chercheurs ont encore du chemin à parcourir pour continuer à accompagner les athlètes dans l’obtention de nouveaux records, pour mieux protéger leur santé ou encore améliorer la prévention des blessures.

A Saint-Étienne, depuis 2015, une partie des équipes du LIBM a rejoint l’institut régional de médecine et d’ingénierie du sport (IRMIS) sur le Campus Santé Innovations de l’Université Jean-Monnet au cœur de l’hôpital Nord stéphanois. Le laboratoire et sa plateforme technique sont devenus en quelques années une place forte, reconnue à l’international, de la recherche et de la formation en sport-santé. Bénéficiant de nombreux équipements de pointe et d’un « terreau fertile » croisant les approches médicales et scientifiques, les chercheurs poursuivent trois objectifs. D’abord, cerner et décrire les effets du sport sur nos fonctions motrices et cérébrales. Ensuite, développer des solutions cliniques pour des patients ou de futurs patients blessés, handicapés ou malades. Enfin, produire de nouveaux équipements et prototypes, qui bénéficient directement aux performances motrices des pratiquants.

Le LIBM s’intéresse aux activités physiques et sportives et à la santé. ©Visée.A

La fatigue représente un risque sanitaire pour les sportifs (augmentation du risque de blessure) autant que pour tout le reste de la population. En effet, l’inactivité physique et la hausse de la sédentarité sont à l’origine d’une augmentation des maladies chroniques, dont la fatigue est un des symptômes principaux. C’est donc naturellement qu’une partie des équipes du LIBM s’est saisie de cet enjeu de santé publique, et qu’une chaire universitaire sur le sujet a été créée en lien avec l’IRMIS et le CHU de Saint-Etienne : ActiFS, pour Activité physique, Fatigue, Santé. L’objectif : mieux comprendre les causes (sédentarité, surmenage …) et les facteurs (dysfonctionnements neuromusculaires, troubles du sommeil…) de la fatigue, afin d’« améliorer la qualité de vie des personnes souffrant de maladies chroniques et de handicap et des personnes âgées »[2], de prévenir les maladies dues à l’inactivité et de préserver les sportifs du surmenage ou de l’épuisement trop intense.

Comprendre et lutter contre la fatigue

La fatigue peut être « chronique », c’est-à-dire latente et qui dure dans le temps. Dans ce cas-là, elle résulte d’un problème de santé comme une maladie, un surmenage physiologie et/ou psychologique, et provoque une « sensation d’épuisement qui nuit au fonctionnement normal (…) d’une personne et ne se s’améliore pas avec le sommeil ou le repos. »[3] L’autre type de fatigue est lié à l’activité physique. Elle intervient lorsque nous sommes épuisés par un effort sportif trop intense, ou trop long et est qualifiée de fatigue « aiguë ».

Les équipements de pointe du laboratoire permettent d’étudier la motricité à toutes les échalles.©Visée.A

Complexe et difficile à définir, cette perte de force peut avoir deux origines distinctes : nerveuse ou musculaire. On parle alors de fatigue centrale et de fatigue périphérique. Les causes de la fatigue ne se situent donc pas seulement dans les muscles, le cerveau lui aussi joue un rôle majeur. Il est notre instrument final de régulation de l’effort (continuer, réduire, augmenter ou arrêter) et d’acceptabilité de la pénibilité de celui-ci.

Pour étudier cette fatigue aiguë du sportif, les doctorants et chercheurs du LIBM s’appuient sur des instruments de mesure électro-physiologiques (des électrodes ou des patch-clamps mesurant l’activité électrique des neurones) ou encore métaboliques (pour évaluer la consommation d’oxygène, la ventilation, ou la fréquence respiratoire). Ils étudient les facteurs déterminants de la fatigue dans de nombreuses activités sportives, qu’elles soient d’endurance (trail) ou plus intenses (sprint).

Fatigue et efforts extrêmes

Au cours de la visite de laboratoire, nous avons rencontré Thibault Besson, Loïc Espeit et Frédéric Sabater Pastor tous trois doctorants, attachés à mieux connaitre les mécanismes et les origines de la fatigue. Leurs recherches s’intéressent notamment aux efforts produits dans la pratique de l’utra-trail, ces courses d’endurance en altitude sur de très longues distances (supérieures à 100 km) et dont le succès ne fait que croitre ces dernières décennies. Pour l’un, le travail de thèse a pour objectif d’améliorer les performances des coureurs d’ultra-trail, en identifiant mieux le bon dosage entre l’effort et le degré de fatigue centrale. Pour l’autre, il s’agira de déterminer l’influence de la fatigue sur la locomotion en fonction du sexe … et essayer comprendre pourquoi – malgré les différences physiologiques préalables – des femmes peuvent avoir une meilleure capacité de résistance à la fatigue que les hommes sur des courses très longues distances.

Les électrodes posées sur le muscle permettent de mesurer l’efforts de contraction de celui-ci. ©Visée.A

Le masque est directement relié à un logiciel mesurant les constantes de dépenses d’énergie et la manière dont elles évoluent au cours de l’effort. Le tapis de course permet de simuler une pente jusqu’à 12% d’inclinaison.©Visée.A

Ces deux ambitions de recherche se croisent au cœur d’une expérience grandeur nature menée sur des coureurs de l’Ultra-trail du Mont Blanc (UTMB®) [4]. Des équipes de scientifiques du LIBM et du CHU de Saint-Étienne ont conduit, par 3 fois ces dix dernières années, des études visant à comprendre les mécanismes de la fatigue neuromusculaire des coureurs d’ultra endurance. La dernière s’est tenue à Chamonix, du 23 août au 1er septembre 2019, sur une cohorte 86 « trailers » de tous niveaux, femmes et hommes confondus. Cette année, les chercheurs ont cherché à consolider une hypothèse, issue de l’expérimentation sur l’UTMB de 2012, démontrant que la fatigue musculaire des femmes était moins prononcée que celle des hommes après la course. Or, depuis que la pratique de l’ultra-endurance se féminise, de plus en plus de courses affichent des victoires féminines au classement général. Plus une course est longue, plus les femmes auraient de chance de la remporter. L’étude ambitionne d’expliquer ce phénomène – très particulier aux courses d’ultra-endurance – en identifiant l’origine de la fatigue (centrale et/ou périphérique) et en comparant la force maximale des coureurs avant et après l’ultra-trail.

Les résultats sont très attendus. Car théoriquement la probabilité que des femmes surclassent des hommes dans des épreuves sportives est quasi nulle. Les hommes ont en effet une capacité moyenne de résistance à l’effort plus important que les femmes, que ce soit en termes de force musculaire ou de capacité de transport d’oxygène dans le sang (expliquant leur meilleure VO2max). Pourtant, si elles sont de plus en plus nombreuses à prendre des départs de courses d’ultra-endurance, elles sont également aussi de plus en plus nombreuses à les remporter, comme Courtney Dauwalter en 2017[5], qui a devancé de 10 heures le premier homme sur l’ultra marathon Moab 200 (383 kms).

 

Notes

[1] Activité physique : contextes et effets sur la santé. Rapport. Paris, Inserm.

[2] Chaire ActiFS

[3] Santé Qualité de Vie – chaire ActiFS

[4] Etude sur la fatigue et la récupération – UTMB

[5] Courtney Dauwalter, Trail Runner Mag

©Visée.A

Samuel Belaud