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INSA Lyon

«« Face à la transition écologique, nos sensations et émotions sont utiles. Elles expriment nos aspirations profondes »

©Unsplash - V. Lionel

Chiffres vertigineux, données du GIEC et de l’IPBES inquiétants, et éco-anxiété : dans une ère où l’utilitarisme déconnecte l’Humain de son environnement et où la vision occidentale privilégie la rationalité au détriment de la sensibilité, émerge un nouveau paradigme. Et si nos sens permettaient de mieux « préserver » et donner envie de « prendre soin de » ? 

Dans le cadre de la conférence Archipel, Thomas Le Guennic, professeur agrégé de sciences économiques et sociales au Centre des Humanités de l’INSA Lyon et Magali Ollagnier-Beldame, chargée de recherche en sciences cognitives, laboratoire ICAR UMR CNRS 5191, ont proposé un atelier « d’initiation à l’écologie sensible » ; un champ scientifique en émergence. Ils expliquent pourquoi il est intéressant de s’attarder sur l’équation suivante : homo sapiens = homo sensibilis

Pédagogie, recherche ou même politique publique, l’écologie sensible est une approche qui semble applicable à toute activité humaine. Comment la définiriez-vous ? 

TLG : Je dirais que c’est une approche qui permet de compléter toute connaissance théorique des relations entre les humains et les « autres qu’humains » vivant sur la Terre, à partir de la sensorialité et de la corporéité. Nous connaissons beaucoup de choses sur la nature grâce à la démarche scientifique, mais nous n’avons plus l’habitude, en tant que membres de sociétés occidentales, modernes et urbanisées, d’une approche sensible et émotionnelle de celle-ci. Par exemple, il y a plusieurs façons de percevoir un arbre : il peut représenter un organisme qui capte du Co2 ; il peut représenter un stock de planches ; ou il peut aussi être un être à part entière, qui a le droit de vivre pour lui-même. Il est très inhabituel pour nous, européens occidentaux, de ne pas considérer le vivant comme une ressource définie par son coefficient d’utilité plutôt que comme un être vivant égal à nous-même. Cette approche sensible de la nature est traditionnellement et magistralement portée par les arts, aujourd’hui encore au sein de nos sociétés. Ce qui prouve que nous n’avons pas totalement oublié et que la situation est plus riche et complexe. Ce dont nous avons certainement le plus besoin aujourd’hui est de mettre en relation ces perspectives. Par exemple que la contemplation esthétique de la nature puisse informer la connaissance scientifique, et inversement. Actuellement, de nombreux artistes trouvent ainsi une profonde inspiration dans les recherches en biologie. Elles sont pour eux un point de départ à une proposition artistique et à un regard très riche sur le vivant.

MOB : J’ajouterais que l’écologie sensible est un champ scientifique en émergence, une future interdiscipline peut-être ! Elle se place notamment à la croisée des sciences cognitives, des sciences humaines et sociales et des sciences du vivant. Plusieurs travaux1 en philosophie, géosciences, biologie, anthropologie et en éco-psychologie mettent en évidence notre perte de contact avec l’expérience de la nature et du vivant. Ce déficit présente des conséquences : en vivant dans un monde que nous percevons « désanimé », nous développons un peu de la nature, nous craignons l’altérité ou nous sommes même éco-anxieux ; autant de raisons que bon nombre d’entre nous expérimentent au quotidien et qui poussent à explorer le monde vivant à travers nos sens.

Face aux conséquences du changement climatique, le « rapport au sensible » gagne timidement du terrain dans le débat public, interrogeant particulièrement nos représentations du « vivant ». Avez-vous des exemples de changements dans la perception de la relation entre l’homme et la nature ?

MOB : On peut aujourd’hui percevoir que ces représentations commencent à évoluer : la philosophie de l’environnement est une branche scientifique très dynamique ; ou encore dans le domaine du droit, certains juristes travaillent sérieusement à donner des droits aux fleuves, aux forêts ou aux océans. (…)

 

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[1] Dont ceux de Abram, Albrecht, Pyle, Ingold, Fisher.