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IInaction climatique : et si on était victime du biais de « statu quo » ? | The Conversation

©Emily DeNio de Pexel

Manuel d’un monde en transition(s), sous la direction de Lucas Verhelst, éditions de l’Aube, 2025.

Pourquoi ne fait-on rien (ou si peu ?) face à l’ampleur des risques environnementaux ? Cette question vous a sûrement traversé l’esprit. Un ouvrage collectif tâche précisément d’y répondre en listant 101 obstacles aux changements nécessaires pour la sauvegarde de notre espèce comme du vivant.

Ces obstacles peuvent être de nature soit neuropsychologique, soit politique, soit sociologique ou bien liés à la constitution des savoirs. Et pour les surmonter, 101 pistes d’action sont proposées. Dans cet extrait du Manuel d’un monde en transition(s) (éditions de l’Aube, 2025), la professeure associée en transition écologique et entrepreunariat social Fanny Verrax nous parle du biais cognitif de « statu quo » et appelle à un changement d’échelle comme de référentiel pour le surmonter.

Le biais de « statu quo » est un biais cognitif de résistance au changement qui, par principe, nous fait percevoir toute situation nouvelle comme présentant plus de risques que d’avantages. Au-delà de « l’aversion du risque », autre biais bien documenté, le biais de « statu quo » traduit également notre préférence collective pour l’inertie et le maintien des habitudes.

Il est intéressant de constater qu’il existe un domaine dans lequel le biais de « statu quo » se manifeste peu : l’innovation technologique, assimilée à un progrès qu’il ne serait pas nécessaire de questionner. En revanche, bon nombre de propositions innovantes de nature sociale, économique ou politique, nécessaires à la transition écologique, se heurtent à ce fameux biais de « statu quo ».

Dans le domaine de la mobilité, par exemple, privilégier les modes doux, ne plus se déplacer seul en voiture (autosolisme), rouler moins vite, partir moins loin en vacances… tous ces changements essentiels se heurtent à l’illusion de l’impossibilité de faire autrement que ce que nous faisons aujourd’hui, à cette idée que ce serait trop compliqué, trop chronophage, trop liberticide. Bref, que la situation actuelle, même si elle n’est pas idéale, représenterait, dans un certain sens, le meilleur des mondes possibles.

Prenons garde au décalage du point de référenceQue faire face à une inertie de principe ? Tout d’abord, il s’agit de reconsidérer le temps long. En 1800, un individu parcourait en moyenne cinq kilomètres par jour, en une heure environ. Aujourd’hui, nous consacrons toujours une heure quotidienne à nos déplacements, mais nous parcourons en moyenne 50 kilomètres par jour. Pourquoi une telle distance, à cette vitesse, avec ce moyen de transport (la voiture individuelle thermique) serait-elle intrinsèquement meilleure ou plus désirable que toutes les autres façons de se déplacer ?

N’y a-t-il pas une forme d’ethnocentrisme et d’arrogance présentiste à penser que notre façon de vivre serait nécessairement plus désirable ? À moins que ce ne soit la vitesse ou la distance en elles-mêmes qui représentent des valeurs intrinsèques ? Que dire alors d’un monde où l’on parcourait en moyenne 100 ou 200 kilomètres par jour ? Serait-il nécessairement meilleur ?

La conscience du temps long, s’appuyant sur des réalités historiques documentées, et une extrapolation des évolutions possibles, permettrait de considérer nos pratiques contemporaines pour ce qu’elles sont : non pas un idéal, mais une pause arbitraire dans une évolution aux multiples détours.

Cette parade est cependant d’autant plus difficile à effectuer que nous nous heurtons collectivement à un décalage du point de référence, élément essentiel de l’amnésie écologique. Le point de référence renvoie à une situation qui est considérée collectivement comme une norme. Prenons un exemple concret : l’évolution des normales saisonnières de Météo France.

Tous les dix ans, l’institution élabore de nouvelles normes météorologiques, calculées sur une période de référence de trente ans. Pour la période allant de 1960 à 1990, les normales s’établissaient à partir d’une température annuelle moyenne de 11,82 °C. Pour la période allant de 1990 à 2020, la température annuelle moyenne passait à 12,97 °C. Dès lors, cette température constitue la nouvelle normale, le nouveau point de référence.

Le concept de décalage du point de référence a été notamment établi par le biologiste Daniel Pauly pour caractériser l’évolution des écosystèmes marins causée par la surpêche, mais qui peut aujourd’hui s’appliquer à de nombreux domaines : le retrait du trait de côte, l’effondrement de la biodiversité, la déforestation, etc.

En effet, les générations successives transforment le monde et le dégradent, mais la mémoire ou l’expérience de ce qui est perdu est rarement transmise, et la nouvelle situation constitue une nouvelle norme. Ainsi, contre le biais de « statu quo », il faut bien sûr interroger le passé et explorer l’avenir afin de resituer nos pratiques actuelles dans un contexte, mais également documenter le présent, pour que les destructions actuelles ne deviennent pas le nouveau point de référence de la génération suivante.The Conversation

 

Autrice :

Fanny Verrax, professeur associé en transition écologique et entrepreneuriat social, EM Lyon Business School

Cet article est republié sous licence Creative Commons.

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