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LLa prolifération du nucléaire militaire : un risque inévitable ? | The Conversation

©Gerd Altmann de Pixabay

L’arme nucléaire reste plus que jamais perçue comme l’élément de dissuasion le plus convaincant. Plusieurs États pourraient s’en doter, ou chercher à le faire, tandis que la menace de son utilisation est souvent évoquée par les leaders de certains pays qui la possèdent.

Les menaces d’utilisation de l’arme nucléaire régulièrement brandies par le Kremlin à l’encontre de l’Ukraine et de ses alliés, mais aussi le programme nord-coréen, les avancées iraniennes en la matière ou encore la montée en puissance nucléaire de la Chine inquiètent profondément les gouvernements et les populations du monde entier. Le terrifiant spectre d’une déflagration nucléaire mondiale n’est d’ailleurs sans doute pas pour rien dans l’attribution du prix Nobel de la paix 2024 au groupe japonais Nihon Hidankyo, qui lutte pour l’abolition de l’arme atomique.

Il est donc opportun, en ces temps particulièrement troublés, de faire un point sur la prolifération nucléaire militaire – qui doit être distinguée de la construction des centrales nucléaires destinées à produire de l’électricité – et d’en jauger le degré de dangerosité.

La prolifération nucléaire : un phénomène qui n’est pas nouveau

L’arme nucléaire a, dès sa première utilisation par les États-Unis en 1945, démontré au monde son extraordinaire pouvoir destructeur et l’avantage en termes de puissance et d’influence qu’elle confère à celui qui la possède. Dès lors, la période de la guerre froide a initié une course à l’armement nucléaire pour installer la dissuasion entre puissances.

Ainsi, l’Union soviétique a acquis l’arme en 1949, suivie du Royaume-Uni (1952), de la France (1960), d’Israël (années 1960), de la Chine (1964), de l’Inde (1974), du Pakistan (en 1998) et de la Corée du Nord (premier essai réussi en 2006).

L’entrée en vigueur en 1970 du Traité de Non-Prolifération (TNP) n’a pas réussi à enrayer cette dynamique prolifératrice. Toutefois, les superpuissances américaine et soviétique ont voulu, notamment au travers du Traité sur la limitation des missiles antibalistiques de 1972 ou des différents accords dits Strategic Arms Limitations Talks (SALT), limiter l’expansion de leurs arsenaux nucléaires.

L’après-guerre froide : une dynamique paradoxale de réduction des arsenaux et de nouvelles proliférations

Avec la fin de la guerre froide (1991), la menace d’un affrontement nucléaire entre superpuissances a diminué. Les immenses arsenaux de ces deux pays ont considérablement diminué grâce à l’application du traité dit Strategic Arms Reduction Treaty (START).

Toutefois, des dynamiques négatives se sont installées (ainsi, le Pakistan a acquis l’arme nucléaire pour dissuader l’Inde). De nouvelles menaces ont émergé de la part d’États parias et d’acteurs non étatiques. La Corée du Nord, pays agressif et imprévisible, n’a eu de cesse de développer sa capacité nucléaire pour sanctuariser son régime. L’Iran, s’il ne possède pas encore l’arme nucléaire, met en œuvre d’importants efforts pour l’obtenir – des efforts qu’a encouragés la dénonciation en 2018 par Donald Trump de « l’accord sur le nucléaire iranien » de 2015, le Joint Comprehensive Plan of Action (JCPOA).

En outre, la perspective du terrorisme nucléaire – à savoir la menace que des groupes terroristes acquièrent des matériaux nucléaires afin de créer des « bombes sales », c’est-à-dire des bombes capables de disperser des éléments radioactifs – suscite la plus grande préoccupation. Les réseaux de contrebande internationale, soutenus par des États parias, corrompus ou ayant intérêt à la déstabilisation, peuvent faciliter la diffusion des briques technologiques nécessaires à la fabrication de telles armes ou à l’obtention de matière fissile.

Les années 2010 sont marquées par un regain de tension internationale en de nombreux points du globe, ce qui entraîne une augmentation des arsenaux de plusieurs pays nucléaires (en particulier de la Chine et de la Russie) et une modernisation de ceux-ci, notamment au travers du développement de c’est bizarre (vecteurs dépassant Mach 5, recherches visant à accéder à des vitesses dépassant Mach 10…), des portées ou des mesures de protection des vecteurs durant la phase de vol.

De plus, les mécanismes de contrôle des armements peinent de plus en plus à remplir leur rôle. Le Traité sur les forces nucléaires de portée intermédiaire (INF) n’a plus cours depuis 2019, le traité de limitation du nombre d’ogives et de bombes nucléaires stratégiques New Start est à l’arrêt, laissant craindre une nouvelle période d’instabilité stratégique où le nucléaire prendra une place de plus en plus importante dans les doctrines militaires des pays qui en sont dotés et parfois dans le discours des dirigeants concernés.

Les technologies modernes comme facteur facilitateur de la prolifération

Autre ombre au tableau : les technologies modernes ont tendance à faciliter la prolifération. Internet et les technologies de l’information ont rendu plus accessible l’accès aux connaissances et données techniques, par exemple en physique des matériaux, en physique nucléaire ou bien encore en technologie balistique.

Cela inclut les bases de données numériques et les publications scientifiques en accès libre. De plus, le cyberespionnage, utilisé par les États ou des groupes non étatiques, permet de s’approprier des informations sensibles.

La technologie 3D peut également faciliter la fabrication des composants avec précision comme l’utilisation de l’intelligence artificielle permet d’optimiser la gestion des programmes d’armement.

Les instabilités régionales ravivent la prolifération et les risques d’escalade

Dans les régions sous tension, les armes nucléaires sont perçues par les États comme une forme d’« assurance-vie », a fortiori lorsqu’il existe une asymétrie conventionnelle entre deux États rivaux. C’est le cas par exemple de l’Inde et du Pakistan, ou de la Corée du Nord face à son voisin du sud, soutenu par les États-Unis. Ce schéma peut se reproduire dans des régions où l’arme nucléaire n’existe pas ou n’est pas évoquée.

À titre d’exemple, les tensions entre Israël et plusieurs États arabo-musulmans mais également la rivalité entre l’Arabie saoudite et l’Iran peuvent pousser certains pays, notamment l’Arabie saoudite, l’Égypte et la Turquie, à chercher à se doter de l’arme nucléaire.

En Asie, l’accession de la Corée du Nord à l’arme atomique provoque des débats au Japon et en Corée du Sud, pouvant les mener à terme à vouloir à leur tour devenir des États dotés.

L’impuissance des organisations et des sanctions internationales

L’Agence Internationale de l’énergie atomique (AIEA) joue un rôle majeur en s’assurant que la technologie nucléaire n’ait que des fins pacifiques, en dehors des pays dotés légalement, en menant des inspections de toutes les installations nucléaires du monde en application du TNP. Malheureusement, l’efficacité de cette organisation dépend de la volonté des États quant à l’accès aux installations. Par exemple, l’Iran et la Corée du Nord n’ont pas hésité à interdire aux membres de l’AIEA l’accès à leurs infrastructures nucléaires.

Le Conseil de sécurité des Nations unies peut également jouer un grand rôle dans la limitation de la prolifération nucléaire. Il a par exemple été impliqué dans l’élaboration du JCPOA. Mais là encore, son efficacité souffre de la divergence politique de ses membres, à commencer par celle qui caractérise les États-Unis d’une part, la Chine et la Russie de l’autre.

Les sanctions internationales (le plus souvent américaines et/ou européennes) peinent également à restreindre la prolifération. Si elles cherchent à affaiblir les capacités économiques et technologiques des États proliférants (interdiction du commerce de certains biens, gels des avoirs financiers à l’étranger, restrictions sur l’approvisionnement énergétique et ont un impact significatif sur les économies des pays concernés, elles n’en demeurent pas moins d’une efficacité limitée. En effet, les sanctions peuvent accentuer le caractère paranoïaque de certains régimes et, par conséquent, les inciter à multiplier les efforts afin de se doter au plus vite de la bombe.

Sans oublier que les sanctions sont souvent détournées par l’organisation de réseaux de contrebande ou de sociétés écran, et que certains pays désireux d’acquérir l’arme nucléaire peuvent bénéficier de l’aide d’acteurs extérieurs comme la Chine, la Russie ou le Pakistan, pour n’évoquer que la période récente. Ainsi, la Corée du Nord a bénéficié de l’aide de la Russie et de la Chine, le Pakistan a profité d’un large transfert de connaissances de la Chine, et l’Iran de la Russie.

Comment sortir de cette impasse ?

Si la conjoncture géopolitique s’y prêtait, il serait extrêmement utile de tenter de raviver le TNP, et de renforcer les mesures techniques (par l’utilisation de l’IA et du big data ainsi que des drones et robots) afin de permettre à l’AIEA de mieux vérifier que les États respectent leurs engagements internationaux de ne pas détourner leur production nucléaire civile à des fins militaires. Il serait également utile de promouvoir des accords multilatéraux élargis.

Malheureusement, la situation actuelle n’est guère favorable à un tel scénario. La Chine et la Russie se sont lancées dans une politique impériale, les États-Unis veulent maintenir leur imperium et peuvent réélire un président aussi brutal qu’imprévisible en la personne de Donald Trump.

La déstabilisation du Moyen-Orient menace de précipiter la région entière dans la guerre.

Qu’en est-il du droit international ? Jugé par beaucoup de nations comme étant d’extraction occidentale, il ne peut être à l’origine d’un consensus général. La seule orientation imaginable, une fois que les guerres d’Ukraine et de Gaza auront pris fin, serait la réactivation de dialogues stratégiques entre grandes puissances qui pèseront sur les orientations de leurs alliés ou partenaires, et qui, en réaffirmant leurs assurances de sécurité, pourront persuader ceux-ci de ne pas poursuivre dans la voie du nucléaire militaire. Enfin, la diplomatie coercitive, mélange de sanctions et d’offres de coopération, doit être explorée de manière encore plus approfondie.

La prolifération nucléaire, un risque inévitable ? L’avenir pousse au pessimisme. Il apparaît en dernier ressort que seul un apaisement des différentes zones de tension pourrait faire s’estomper le spectre de la prolifération. Sacré défi !The Conversation

>> L’auteur :

Laurent Vilaine, Docteur en sciences de gestion, ancien officier, enseignant en géopolitique à ESDES Business School, Institut catholique de Lyon (UCLy)

Cet article est republié sous licence Creative Commons.

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