Homme - société / Science grand public / Technologies - information - communication / Toutes thématiques Dossier Pop'Sciences - Université de Lyon LLa relation chercheur – journaliste : vécus et expériences | #2 – Dossier Pop’Sciences : Journalisme et science, quelles relations ? ©Vincent Noclin - Séminaire Pop'Sciences mars 2025 Comment les chercheurs conçoivent-ils leurs relations avec la presse ? Quand et comment les journalistes sollicitent-ils les chercheurs ? Comment travaillent-ils ensemble ? Pour explorer ces questions, trois chercheurs, trois journalistes et une directrice de la communication sont venus partager leurs expériences lors d’une rencontre organisée par Pop’Sciences à l’occasion d’un séminaire le 17 mars 2025.Chercher, écrire, publier. Les tâches des journalistes et des chercheurs se ressemblent, mais répondent à des objectifs, des logiques et des dynamiques différentes. Pour les premiers , il s’agit d’informer un public plus ou moins éclairé sur des sujets scientifiques en faisant valoir leur pertinence en fonction de l’actualité et en respectant des contraintes temporelles et éditoriales. Pour les seconds, il s’agit de faire avancer un processus de recherche long et méconnu du grand public. La diffusion de cette recherche, et de la science en général, dépend fortement de la relation qu’établissent chercheurs et médias. Comment chacun envisage cette relation ? Comment la vivent-ils et quelles pistes entrevoient-ils pour l’améliorer ?Sélectionner des sujets : des contraintes et des critères différentsLa relation entre journalistes et chercheurs commence dès le choix des sujets à traiter. Pour ouvrir la table-ronde du séminaire Pop’Sciences du 17 mars 2025, les journalistes ont donc été invités à présenter leurs critères de sélection.Leurs réponses ont révélé tout d’abord que chaque type de média n’est pas soumis aux mêmes contraintes ni aux mêmes objectifs. Une première différence réside dans le temps dédié au traitement des sujets. De ce point de vue, la presse spécialisée semble bénéficier d’une temporalité plus étendue, comme le souligne Grégory Fléchet : « Au journal du CNRS ou à Pop’Sciences, on a plus de temps pour préparer un article, cela peut prendre des semaines. Cela nous laisse le temps de préparer des questions en amont, de nous intéresser aux sujets. ». Les médias locaux, généralistes, sont en revanche soumis à des délais plus réduits. « Les heures sont comptées dans les rédactions » témoigne Muriel Florin, journaliste au Progrès. À cette contrainte temporelle s’ajoutent aussi des impératifs d’audience, notamment en presse écrite, qui peuvent conditionner le choix des sujets traités : « Il faut que cela ait un intérêt pour le grand public. Si je fais un sujet sur les tatouages, par exemple, cela va mieux marcher qu’un sujet beaucoup plus pointu ». Et cet intérêt du grand public pour des sujets scientifiques peut être suscité par divers moyens : « Le but est que l’auditeur prenne conscience que la science sert à quelque chose, qu’il voie quelles peuvent en être les retombées pratiques », estime Anaïs Sorce, journaliste et chroniqueuse à la radio RCF Lyon. Tandis que, pour Muriel Florin, la préoccupation sociale pour certains sujets est également un élément essentiel : « C’est important qu’il y ait un intérêt sociétal, par exemple le plastique, la pollution, ce genre de chose. Ce sont des sujets scientifiques qui intéressent ».Communiquer avec le grand public : une mission peu valorisée chez les chercheursSi « la mission de communication auprès du grand public est indispensable et fondamentale pour le chercheur », comme le précise Patrice Abry, directeur de recherche au laboratoire de physique de l’ENS de Lyon, celle-ci est aussi « contradictoire avec son évaluation » selon Jean-François Gérard, directeur adjoint scientifique à l’institut de chimie du CNRS, car peu valorisée et reconnue dans les carrières universitaires. D’autant que, dans certaines disciplines, les chercheurs ne sont pas les interlocuteurs privilégiés. C’est notamment le cas en droit reconnaît Arthur Braun, : « Les journalistes peuvent aussi se tourner vers des avocats, des magistrats, vers des praticiens de manière générale ». Ces raisons encouragent donc d’autant plus les chercheurs à privilégier exclusivement des outils de communication purement académiques (publications, colloques). Surtout que l’exercice médiatique peut également susciter certaines peurs liées au fait de devoir prendre position ou de s’exprimer sur un sujet qu’un chercheur connaît moins : « Souvent les chercheurs craignent de se faire embarquer dans un chemin où on va demander leur avis et ainsi engager leur institution, leur laboratoire, leurs tutelles… », explique Aude Riom, directrice de communication à l’ENS de Lyon. « Nous ne sommes sollicités que sur des catastrophes »À ces craintes s’ajoute le sentiment, pour les chercheurs, de n’être sollicités que dans l’urgence. « Nous ne sommes contactés la plupart du temps que lorsqu’il y a des catastrophes, des problèmes », commente Jean-François Gérard, regrettant de ne pas voir aborder des sujets qui ne sont pas forcément spectaculaires et ne font pas immédiatement sensation. Or, ces situations d’urgence nécessitent un traitement médiatique immédiat auquel les chercheurs ne sont pas toujours préparés, rendant parfois l’exercice embarrassant : « Un de mes collègues en droit constitutionnel était sur un plateau de télévision le soir de la dissolution [du gouvernement] » relate Arthur Braun « le pauvre s’est retrouvé submergé par un tas de questions techniques auxquelles il n’avait aucune réponse ». Les chercheurs sont également sollicités pour répondre à des déclarations ou vérifier des informations circulant sur les réseaux sociaux. « C’est encore de l’urgence », remarque Jean-François Gérard, craignant de devoir parfois apporter des réponses sur des problèmes « plus difficiles […] contenant des connotations politiques ».Des objectifs différents, des concessions à réaliser ?©Vincent Noclin – Séminaire Pop’Sciences mars 2025Si les chercheurs sont parfois surpris par la manière dont les médias les sollicitent, cela est sans doute dû au fait que leurs objectifs diffèrent. « Le chercheur fait de la science, et les médias doivent apporter des sujets qui vont intéresser un public et qui vont avoir une audience », explique Muriel Florin, avant d’ajouter que ces deux démarches ne sont « pas incompatibles à partir du moment où chacun fait un petit pas vers l’autre ». Ce petit pas peut, de la part des journalistes, se traduire par un ensemble d’intentions visant à favoriser une relation de confiance, comme le fait de faire relire leurs articles ou bien de transmettre leurs questions en amont d’une interview, quitte, selon Grégory Fléchet, « à perdre en spontanéité dans les réponses ». Les chercheurs, quant à eux, pourraient envisager l’exercice médiatique comme une forme particulière de transmission de leurs connaissances pour laquelle, comme le rappelle Patrice Abry : « il y a une responsabilité de se préparer ».Co-construction et relation de confiance : des clés pour mieux travailler ensemble ?Cette logique de « concessions » constitue cependant une piste assez limitée pour améliorer la relation entre chercheurs et journalistes. Étendre cette perspective consisterait à favoriser un travail de « co-construction » qui impliquerait, selon Aude Riom, « de sortir de nos logiques cloisonnées pour rentrer dans des logiques d’encouragements et de rencontres qui donnent du sens à notre métier de chargée de communication ». Cette co-construction pourrait prendre forme à travers l’implication directe des chercheurs dans la recherche de sujets à exploiter, une pratique déjà instaurée au sein de la rédaction d’Anaïs Sorce : « On a mis en place un dialogue en demandant directement aux scientifiques : “ comment traiter cette info ? ”, “ quel sujet pouvez-vous nous proposer ? ”. Ce lien nous permet de travailler sur un temps plus long ». De leur côté, les journalistes pourraient se rendre directement dans les laboratoires (comme cela a pu être fait dans le cadre de la résidence croisée chercheurs-journalistes) afin de présenter la science telle qu’elle se réalise au jour le jour, à côté de chez soi, ce que propose Grégory Fléchet : « Le public doit se demander comment les chercheurs travaillent, et ça peut être notre rôle de montrer cela sous la forme de reportages d’immersion, par exemple ».Les chargés et directeurs et directrices de communication dans les universités ou les laboratoires peuvent aussi soutenir des initiatives fructueuses, en établissant notamment des listes de chercheurs à contacter selon les thématiques des sujets que les journalistes souhaitent aborder. Cette pratique, déjà mise en place au CNRS, a reçu un accueil favorable, notamment auprès de l’équipe de Jean-François Gérard : « Cela crédibilise la fonction de vulgarisation et cela légitime le droit du chercheur à répondre puisqu’il se sent soutenu par son institution, ce qui est particulièrement important. ».Les idées ne manquent donc pas pour faciliter le dialogue entre chercheurs et journalistes. Toutefois, la qualité de ce dialogue dépend avant tout de contacts répétés entre ces deux métiers, participant à une meilleure compréhension des professions de chacun et au partage d’une mission commune : favoriser la diffusion du savoir scientifique.Un article rédigé par Étienne Richard, assistant communication Pop’Sciences – 16 avril 2025