Biologie - santé / Homme - société Dossier Pop'Sciences - Université de Lyon LL’autonomie : un droit humain | #4 Dossier Pop’Sciences « Santé mentale : entre pathologies et bien-être » After Right - to the Left, 1932 in Christie's London / ©wassily kandinsky - Wikimédia commons Les sociétés démocratiques reposent sur le principe d’une égale capacité civile et politique de tous les citoyens à décider et à agir pour eux-mêmes. Dans de nombreuses situations de vulnérabilité (liées notamment à des difficultés de santé mentale), cet idéal d’égale autonomie est fragilisé, conduisant des proches ou des professionnels à intervenir pour la personne, parfois à sa place, pour la protéger d’une décision – ou absence de décision – qui pourrait mettre la personne en danger. Les mesures civiles de protection (curatelles, tutelles) ou de soin sans consentement donnent un cadre juridique à ces interventions visant à protéger ou soigner des personnes vulnérabilisées. Ces mesures prévoient dans différentes traditions juridiques que cette intervention doit se faire « dans le meilleur intérêt de la personne », ce qui a constitué pendant longtemps le paradigme de régulation du soin et de l’accompagnement.Un article de Benoît Eyraud, Maître de conférences en sociologie, rédigépour Pop’Sciences – 23 février 2024 Avec la Convention Internationale relative aux droits des personnes handicapées (CIDPH), adoptée par les Nations Unies en 2006 et ratifiée par la France en 2010, ce paradigme change. Son article 12, qui traite de la capacité juridique, introduit un changement de regard et de règles juridiques par rapport aux personnes en situation de vulnérabilité. Il fait des « volontés et préférences » de la personne, et non plus de « ses intérêts » ou de « ses besoins », le fondement juridique des décisions ou actions (soins, travail, vie affective, gestion des biens, déplacements, alimentation, hygiène, participation à la vie sociale…). Il préconise de généraliser les systèmes de « prise de décision assistée », en évitant ainsi de décider à la place d’autrui et d’user de la contrainte à son encontre. Cet article a des conséquences importantes en relation avec de nombreux domaines de vie et des transformations de pratiques de soins. Il donne un fondement au développement de nouvelles pratiques cliniques comme celle du rétablissement.Pourtant, le recours à des mesures de « contrainte légale » (tutelles, curatelles, soins sans consentement) ne cesse d’augmenter dans les domaines de la santé mentale, du handicap et de la dépendance. Ainsi, en France, les mesures de protection juridique sont passées de quelques milliers dans les années 1960 à près de 900 000 aujourd’hui. De même, le recours aux mesures de soins sans consentement augmente régulièrement depuis les années 1990, avec une accélération de cette tendance depuis la mise en œuvre de la loi du 5 juillet 2011. Cette évolution n’est pas propre au contexte français, des tendances comparables existant dans de nombreux pays européens ou nord-américains notamment.Ces évolutions paradoxales sont dé battues par les spécialistes et les militants : les promoteurs de la convention de l’ONU sur les droits des personnes en situation de handicap affirment avec force un modèle du handicap fondé sur les droits de l’homme, interdisant toute restriction d’exercice de la capacité juridique pour des raisons de santé ou de handicap, et toute mesure légale de prise de décision substitutive. Ce modèle, que le Comité des droits des personnes handicapées de l’ONU promeut est contesté notamment par des professionnels de la santé mentale, qui craignent qu’il puisse « saper » l’accès effectif aux droits des personnes en situation de grande vulnérabilité.La démarche scientifique et citoyenne Capdroits cherche à donner une caisse de résonance aux débats initiés par ce changement de paradigme, et à analyser ses implications cliniques et sociales.Elle s’appuie sur une méthodologie de mise en problème public de l’expérience qui se caractérise par l’accompagnement à la recherche de personnes ayant l’expérience de mesures de contraintes légales, mais aussi par un accompagnement à la réception publique de ces expériences. La démarche revisite des modalités de recherche-action-participative.Untilted, 1914 in the collection of sotheby’s / ©sotheby’s – wikimédia commonsElle a conduit à prendre position sur au moins trois controverses. La première est directement relative à l’abolition des mesures de prise de décision substitutive. La mise en dialogue souligne que les mesures contraintes de protection posent des problèmes à tous les acteurs concernés, médecins, juges, personnes hospitalisées, en tutelle, en curatelle, mais que leur abolition suscite des inquiétudes ontologiques importantes. A cet égard, l’abolition de ces mesures constitue non pas une utopie déconnectée des réalités, mais un idéal dont il s’agit d’imaginer les conditions sociales de réalisation.La seconde est relative à une critique ordinaire développée par rapport à la notion d’autonomie qui serait « un mythe », une « illusion ». A travers les expériences partagées, nous soulignons la fragilité de cette notion d’autonomie dans la vie sociale, et nous invitons à « ne pas céder sur l’autonomie ». Nous reconnaissons ainsi l’importance de l’autonomie « de vie », en tant qu’appréhension située et relationnelle de l’autonomie, comme droit humain.La troisième est relative au terme de désinstitutionnalisation, explicité dans l’Observation générale n°5 sur l’autonomie de vie et l’inclusion dans la société du comité des droits des Nations Unies. Cette observation insiste sur la place excessive prise par les établissements et services dédiés dans la vie des personnes vulnérabilisées et appelle à leur fermeture. Il nous semble important de reconnaître le changement de regard qui a été favorisé par ce terme tout en prenant en compte les incompréhensions qu’il peut susciter. Nous considérons en cela qu’il s’agit plutôt de s’emparer des institutions.La reconnaissance des droits humains constitue une pierre angulaire autant qu’un horizon de sens des sociétés contemporaines. Ce droit s’est formulé notamment dans l’article 19 de la convention internationale des droits des personnes handicapées comme un droit à l’autonomie de vie, qui consacre pour la première fois en droit positif le droit de bénéficier de conditions de développement de l’autonomie dans sa vie, à égalité avec les autres. Il constitue un pas en avant dans une perspective d’une plus grande justice sociale.PPour aller plus loinLa convention internationale pour les droits des personnes handicapées Degener :Démarche Capdroits, manifeste toutes et tous capables, toutes et tous vulnérables, 2018 Démarche Capdroits, L’autonomie de vie comme droit humain. Une contribution aux débats interpersonnels et institutionnels Eyraud, Minoc, Hanon, 2018, Choisir et agir pour autrui ?Controverses autour de la Convention Internationale pour les droits des personnes handicapées, Eyraud Benoît, Reconnaître la capacité juridique comme droit humain. Une sociologie affirmative, ENS Lyon, 2024 Freeman et alii., 2015