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LLe psychotrauma | #5 Dossier Pop’Sciences « Santé mentale : entre pathologies et bien-être »

The Great Wave off Kanagawa, between circa 1830 and circa 1832 in Metropolitan Museum of Art / ©Metropolitan Museum of Art - Wikimédia commons

Enquêter sur la dimension sociale et politique du psychotraumatisme.
Accident, violences, attentats, viols, maltraitances, harcèlement : les liens entre ces évènements et la santé mentale paraissent aujourd’hui évidents. Prévenir l’apparition d’un état de stress post-traumatique est devenu un enjeu de santé publique majeur. Dès lors éviter les situations et les actes traumatogènes se révèlent être un enjeu social et politique d’envergure.

Un article de Nicolas Chambon, sociologue et Gwen Le Goff, directrice-adjointe de l’ Orspere-Samdarra rédigé
pour Pop’Sciences – 15 février 2024

Histoire
Au cours du XXe siècle, des médecins militaires commencent à caractériser la « névrose de guerre » à la suite de la Première Guerre mondiale. Puis au sortir de la seconde guerre mondiale apparaissent les concepts de « syndromes d’épuisement », « syndrome de survivant » ou encore « syndrome des camps de concentration » décrivant les conséquences psychiques des horreurs vécues pendant la guerre. On les envisage alors comme des réactions normales face à des facteurs de stress intense.
C’est à la suite de la guerre du Vietnam et de l’activisme des vétérans de retour au pays, qu’apparait l’entité « Post traumatic Stress Disorder », PTSD (Trouble de Stress Post Traumatique, TSPT en français), qui sera inscrite dans le Manuel diagnostique et statistique des troubles mentaux (DSM 3) en 1980, ouvrant la voie à une reconnaissance et ainsi à une indemnisation. D’abord « réservé » au monde militaire, cette notion passe dans le domaine civil suite à différents attentats (RER B en France en 1995, le 11 septembre 2001  aux États Unis).

Définitions du psychotraumatisme
Elles sont encore aujourd’hui plurielles et non consensuelles. De manière usuelle on définit un événement traumatique comme un évènement qui confronte « au réel de la mort.»1
Aujourd’hui et depuis les 30 dernières années, les définitions se précisent du fait des recherches et du développement des connaissances. On peut comprendre le psychotraumatisme comme une fracture dans le parcours de vie, qui fait suite à événement, entrainant une détresse et une souffrance marquée. C’est un événement majeur dépassant le cadre du vécu ordinaire, représentant une menace pour ceux qui le subissent et causant des sentiments d’impuissance, d’horreur ou de terreur.
Un événement n’est pas traumatisant en soi et nous sommes inégaux face au vécu d’un même événement. On pourrait considérer que les événements ont un potentiel traumatique plus ou moins élevé, mais que le développement de souffrances et de troubles psychiques associés varie en fonction des facteurs de vulnérabilité et de protection de chacun. En conséquence, il est impossible de préjuger pour l’autre du caractère traumatisant de tel ou tel événement ; ce qui nous apparaît bénin peut provoquer un psychotraumatisme à d’autres, et inversement.
À la différence du stress qui est un mécanisme d’adaptation physiologique à un stimulus, le trauma vient déborder les capacités d’adaptation. Il peut induire des réactions « physiologiques » disproportionnées (tachycardie, hypertension), une dissociation qui se manifeste sous la forme d’une rupture de l’unité psychique, induisant des altérations de la perception et de la conscience. La
dissociation peut être responsable d’une dépersonnalisation, d’une déréalisation ou d’une amnésie traumatique. La dissociation importante est un facteur de risque de développer un trouble mental dans les suites.
La manifestation de ces troubles diffère également selon la temporalité à laquelle ils apparaissent, il est donc important de repérer et de prendre en charge le plus précocement possible le psychotraumatisme, afin d’en éviter la chronicisation.

 

Evening Melancholy, 1896 de Edvard Munch au Munch – Ellingsen Gruppen, Bono / ©Google Art Project – Wikimédia commons

Psychotrauma complexe ?
Une autre forme de psychotrauma ne suivant pas ce schéma (événement → réaction → trouble) est le psychotrauma complexe, qui est plus fréquent chez les personnes en situation de précarité et/ou de migration. Il survient lorsque des individus sont victimes de violences répétées, intenses, perpétrées par d’autres humains (inceste, guerre, torture, violence conjugale…). Il s’accompagne de
modification profonde de la personnalité et du rapport au monde. En plus de la triade « classique » du trouble de stress post traumatique, évitement (pouvant aller jusqu’à l’agoraphobie) hypervigilance (état d’alerte permanent, sursaut, colères..), reviviscences (cauchemars, flash-back…), le tableau diagnostique comprend l’altération durable de la régulation des émotions, la modification de la personnalité et du rapport aux autres.

Les dimensions sociales et politiques du psychotraumatisme
Le traumatisme comprend une dimension subjective, ne dépendant pas seulement de la nature de l’évènement mais de sa rencontre avec un contexte à la fois personnel et sociétal (la manière dont l’individu, la famille, la communauté et la société réagissent).
Considérer ces dimensions permet de reconnaître le potentiel objectivement douloureux ou traumatique de certains évènements dans un contexte donné, et ainsi de ne pas axer seulement sur la difficulté de l’individu à y faire face. La reconnaissance politique et sociale des évènements qui peuvent provoquer de la souffrance permet de plus que se développent des solidarités et des moyens
d’agir sur ces évènements (dans un axe préventif, afin que moins d’individus y soient confrontés), et concourt au développement de moyens d’aide et d’entraide pour faire face à la souffrance associée.
La prévention passe d’une part par des actions politiques en faveur de droits humains (respect du droit d’asile, lutte contre le harcèlement, contre les violences sexistes et sexuelles…), et d’autre part par des actions en santé publique favorisant le repérage et la prise en charge globale du psychotraumatisme. Considérer cette dimension politique permettrait de visibiliser les blessures
qu’on « ne sait pas voir ». À ce titre, l’expérience de la précarité ou de la migration peut induire la confrontation à des évènements à potentiel traumatique.
C’est pourquoi nous cherchons à documenter au mieux ces expériences2 et les impacts sur la santé mentale3, comme à problématiser les enjeux que pose la prise en charge des personnes migrantes dans les Centres Régionaux de Psychotraumatisme4.

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Notes

[1] : Le Traumatisme Psychique par François LEBIGOT. Revue Francophone Stress et Trauma. Nov 2009. Le psychotrauma en quête de reconnaissance.
[2] : Collectif « Paroles expériences et migration »,. Le parcours du combattant. Expériences plurielles de la demande d’asile en France. Presses de Rhizome, 2022
[3] : Chambon, Nicolas, et Gwen Le Gof. « Les leçons du traumatisme », Rhizome, vol. 80-81, no. 2-3, 2021, pp. 2-3
[4] : «les enjeux sociaux et politiques de la prise en charge du psychotraumatisme chez les personnes en situation de migration », thèse de Gwen Le Gof sous la direction de Camille Hamidi, Université Lyon 2, laboratoire Triangle.