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LLes insectes : pourquoi faut-il les protéger ? | Un article Pop’Sciences

©Pixabay

Ils seraient plus de 5 millions d’espèces sur notre planète, dans les sous-bois, les plaines, les déserts, et même les océans. Ces animaux si discrets qu’on les oublierait presque, ce sont les insectes. Mais à quoi servent-ils ? Quelles interactions ont-ils avec notre environnement et avec l’espèce humaine ? Et en quoi nos activités les impactent-ils en retour ?

Un article de Samantha Dizier, journaliste scientifique
pour Pop’Sciences – 30 mars 2022

Alors que le nombre d’espèces d’insectes est estimé entre 5 et 10 millions, nous n’en connaissons seulement qu’un million d’entre elles1. Et on les retrouve dans tous les milieux et les écosystèmes : des profondeurs des océans jusqu’à l’aridité des déserts. Ces champions de l’adaptation ont donc un rôle à jouer partout sur notre planète.

Une de leur fonction principale est de servir de nourriture à d’autres espèces. Ils font ainsi partie de ce qu’on appelle la chaîne trophique, un ensemble de chaînes alimentaires reliées entre elles et dans lesquelles circulent de la matière et de l’énergie. Les insectes servent ainsi à l’alimentation des oiseaux, des batraciens, des araignées. « Ils ont un rôle fondamental, car ils contribuent à la survie d’un grand nombre d’espèces différentes », explique Emmanuel Desouhant, professeur au Laboratoire de Biométrie et de Biologie Evolutive de Lyon.

Des piliers de notre agriculture

Via leurs rôles dans l’écosystème, les insectes vont également rendre des services directement à l’espèce humaine, des services écosystémiques. Le plus connu d’entre-eux est alors la pollinisation. Dans le monde, près de 90 % des plantes à fleurs sont pollinisées par des insectes, tels que les abeilles. En Europe, ce sont également 84 % des cultures qui sont dépendantes de la pollinisation. Une étude de 2015 a démontré que le déclin des pollinisateurs pourrait avoir des graves conséquences sur notre santé, avec notamment une diminution de la diversité alimentaire, entraînant des déficits en nutriments2. Ils ont ainsi un rôle prépondérant dans notre alimentation. D’autant plus avec l’émergence de nouvelles utilisations de ces espèces comme source de nourriture pour les animaux d’élevage, mais aussi pour l’Homme.

Et la pollinisation n’est pas leur seul rôle de soutien pour notre agriculture. Les insectes peuvent aussi nous apporter des services de lutte biologique. Certains vont pouvoir défendre nos cultures contre les insectes ravageurs. « Ces insectes, nommés agents de lutte biologique, vont tuer les insectes ravageurs soit par prédation, soit en pondant leurs œufs à l’intérieur de leurs corps », explique Emmanuel Desouhant. Cela peut alors permettre de s’affranchir de pesticides ou de produits phytosanitaires, un exemple emblématique étant la coccinelle prédatrice des pucerons.

Bousier © Pixabay

Une autre fonction des insectes, qui est moins mise en lumière, mais tout aussi utile est leur rôle de nettoyage. Les insectes dits détritivores contribuent notamment au recyclage de la matière organique, issue des cadavres ou des excréments. Leur rôle est alors sanitaire en évitant la prolifération des bactéries. Cette fonction est aussi liée à un autre rôle encore plus méconnu : celui de la régénération des sols. « Un bon exemple est celui du bousier, raconte Emmanuel Desouhant. Il utilise les excréments pour en faire des boules de matières fécales qu’il va enfouir dans le sol et dans lesquelles les femelles vont pondre. Ce simple acte, lié à la reproduction d’une seule espèce d’insecte, va avoir trois conséquences pour son écosystème. Cet enfouissement contribue à l’aération des sols. Il va également entraîner l’enfouissement de graines, permettant la régénération des plantes. Et cet apport en matière organique va contribuer à la nutrition des sols. »

Plus sensibles au réchauffement climatique

Ces espèces sont donc des piliers fondamentaux de nos écosystèmes et sont en constante interaction avec l’ensemble de leurs composantes . Ils sont ainsi d’autant plus touchés par les activités humaines. Notre système agricole et l’aménagement des territoires entraînent la disparition de nombreux habitats naturels. En 2019, une étude internationale a constaté que 40 % des espèces d’insectes seraient sur le déclin3. La principale source de ce déclin serait dû à la perte de leurs habitats. L’utilisation de produits de traitement dans les cultures est également une cause importante de mortalité de population d’insectes.

La mondialisation peut aussi être un facteur important de modification des populations, avec l’apparition d’espèces invasives : « Avec l’augmentation de la circulation des biens et des Hommes, de plus en plus d’espèces exotiques arrivent dans des pays où elles n’étaient pas présentes et y prolifèrent, n’ayant pas d’ennemis naturels dans ces nouveaux milieux », analyse Emmanuel Desouhant. De nombreux exemples peuvent être cités, tels qu’une petite mouche invasive venant d’Asie, Drosophila suzukii, qui ravage les plantations de fruits rouges.

Drosophila suzukii © LBBE

Le changement climatique est également dévastateur au sein de ces espèces. « Les insectes sont des ectothermes, souligne Emmanuel Desouhant. Ils n’ont pas de régulation interne de leur température et sont donc soumis aux variations thermiques externes. Ils sont ainsi d’autant plus sensibles au réchauffement climatique. » De plus, ils voient leurs sources de nourriture être directement touchées par les modifications du climat. Le changement climatique entraîne la mort d’un grand nombre de plantes, bouleversant directement les insectes se nourrissant de celles-ci, les phytophages. Cela peut alors soit être une cause de mortalité, soit de dispersion des populations. On observe ainsi de nombreuses espèces migrer vers de latitudes de plus en plus hautes, telles que Aedes albopictus, mieux connu sous le nom de moustique tigre. Cette sensibilité au réchauffement climatique peut expliquer que le taux d’extinction des insectes est huit fois plus élevé que chez les mammifères, les oiseaux ou les reptiles. La biomasse d’insectes diminue alors de 2,5 % par an depuis 30 ans3.

Des répercussions en chaîne

Ces disparitions causent des réactions en chaîne, et de nombreuses disparitions d’espèces d’oiseaux, de reptiles ou d’amphibiens sont imputables aux disparitions d’insectes. « Certaines espèces d’oiseaux synchronisent leurs pontes avec la période où on observe la plus forte abondance des larves d’insectes », donne en exemple Emmanuel Desouhant. Si cette réserve alimentaire est faible, la mortalité des juvéniles en sera d’autant plus importante. La diminution des pollinisateurs peut également mettre en péril certaines de nos cultures. Les conséquences sont alors aussi multiples que le rôle que jouent ces espèces dans nos environnements.

Les insectes ne doivent ainsi pas être oubliés dans nos actions de protection de l’environnement. Ces maillons essentiels du bon fonctionnement de nos écosystèmes doivent être protégés au même titre que des espèces plus emblématiques comme l’ours polaire ou le thon rouge. Cette protection passe par la protection de leurs habitats, la diminution des sources de pollution ou d’utilisation de produits phytosanitaires. « Cela doit également passer par l’éducation, rappelle Emmanuel Desouhant. Nous devons apprendre très tôt à vivre avec les insectes, ou en tout cas à les reconnaître comme des partenaires dans le maintien de la biodiversité. »

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Notes

  1. Nigel E. Stork, How Many Species of Insects and Other Terrestrial Arthropods Are There on Earth?, Annual Review of Entomology, 2018, 63:31–45.
  2. Matthew R. Smith et al., Effects of decreases of animal pollinators on human nutrition and global health: a modelling analysis, The Lancet, 2015, 386: 1964–7.
  3. Francisco Sánchez-Bayo et al., Worldwide decline of the entomofauna: A review of its drivers, Biological Conservation, 2019, 232:8-27.

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