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Université Jean Moulin Lyon 3

LLes mesures conservatoires : la « bouée de sauvetage » | Droit international

Le Premier Livre des Rois de la Bible Hébraïque rapporte la sagesse avec laquelle le Roi d’Israël Salomon pu trancher le litige opposant deux femmes revendiquant leur maternité sur le même enfant. A vrai dire, ces deux protagonistes avaient chacune d’elles donner naissance à un nouveau-né. Seulement, l’un d’eux ne survécut pas, conduisant ainsi l’une des femmes parties au litige à prétendre faussement que l’enfant survivant était le sien. Afin d’établir la vérité, le Roi Salomon dû mettre les parties dans une situation qui conduisit l’une d’elles à renoncer à ces prétentions. Mais ce jugement de Salomon aurait-il pu être prononcé s’il était advenu que la mort avait aussi, par concours de circonstances, frappé l’enfant survivant ?

Ce récit biblique met assez bien en lumière les aléas attachés au jugement que toute institution appelée à rendre justice doit prendre. En effet, la disparition ou l’altération de l’objet même sur lequel porte un litige est une éventualité à laquelle une instance juridictionnelle peut faire face. Et c’est dans l’optique de conjurer ce risque que les organes juridictionnels se sont dotés de la capacité de prendre des mesures conservatoires.

Il s’agit d’un ensemble de prescriptions émises en vue de sauvegarder l’objet de la décision par laquelle une juridiction met définitivement fin à un litige. L’examen de cette « bouée de sauvetage » constitue le cœur de la thèse de droit international public que je prépare au sein de l’Ecole Doctorale de Droit de l’Université Jean Moulin Lyon 3. Mon intérêt personnel pour ce sujet résulte de mon appétence pour la recherche en droit international public, discipline juridique fort passionnante. Mais d’un point de vue purement scientifique, l’enjeu de mon sujet de thèse réside dans l’ambition de pallier le défaut d’analyse scientifique de la technique indispensable des mesures conservatoires devant un type de juridiction internationale en particulier : les juridictions pénales internationales.

Qu’est ce qu’une juridiction pénale internationale ?

Une juridiction pénale internationale est une entité qui a la tâche de juger les auteurs de crimes internationaux ; il s’agit de crimes d’une extrême gravité qui heurtent profondément l’humanité dans son ensemble. Les atrocités commises par le Régime Nazi durant la seconde guerre mondiale sont un exemple topique des crimes réprimés par ces juridictions. Celles-ci ont par ailleurs la particularité de n’être rattachées à aucun Etat. Autrement dit, elles ne sont ni françaises, ni allemandes, ni belges etc., mais il s’agit plutôt de tribunaux supranationaux.

Trois Tribunaux en particulier sont qualifiés de juridiction pénale internationale.

Siège du Tribunal pénal international pour l’ex Yougoslavie à La Haye (Pays-Bas)

Le premier d’entre eux est le Tribunal pénal international pour l’ex-Yougoslavie. Cette juridiction fût créée en 1993 par l’Organisation des Nations Unies (ci-après l’ « ONU ») afin de châtier les auteurs des crimes particulièrement abjectes commis durant la guerre qui éclata en ex-Yougoslavie entre 1990 et 1995.

Siège du Tribunal pénal international pour le Rwanda à Arusha (Tanzanie)

Le second Tribunal est le Tribunal pénal international pour le Rwanda. Également mis en place par l’ONU, cette juridiction répond à la nécessité de traduire en justice les responsables du génocide perpétré au Rwanda en 1994.

Siège de la Cour pénale internationale à La Haye (Pays-Bas)

La Cour pénale internationale (ci-après la « CPI ») est le troisième tribunal qualifié de juridiction pénale internationale. A la différence des précédents tribunaux, la Cour pénale internationale est le fruit d’un accord, appelé le Statut de Rome, conclu en 1998 entre cent vingt-trois pays. Cette Cour peut, en théorie, poursuivre les auteurs des crimes les plus graves quel que soit le lieu de leur perpétration.

Les mesures conservatoires en question

Les mesures conservatoires prises par ces tribunaux pénaux internationaux se présentent sous des formes variées. Elles peuvent, par exemple, se traduire par l’ordre de geler les avoirs d’une personne suspectée d’avoir commis un crime international ou encore par l’injonction de saisir certains biens de cette dernière[1].

Mais, quelle que soit la forme qu’elles prennent, les mesures conservatoires ne jouent pleinement leur rôle qu’à travers leur mise en application par leurs destinataires, ce qui n’est pas sans soulever quelques difficultés.  Car, ces mesures s’adressent à des états qui sont bien souvent peu enclins à leur obéir. Pourtant, les états sont les bras et les jambes de la justice pénale internationale. L’application des mesures conservatoires par ceux-ci est donc un enjeu majeur pour la réalisation de la tâche principale de ces tribunaux : réprimer les auteurs de crimes graves qui affectent toute l’humanité.

Etat d’avancement de ma thèse

Le questionnement au cœur de ma recherche consiste donc à se demander si les juridictions pénales internationales disposent de moyens suffisants pour contraindre les destinataires des mesures conservatoires à les exécuter. Mais pour que leur exécution soit envisagée, il importe avant tout d’établir que ces mesures sont bien des normes[2] contraignantes pour les états, car les normes qui leur sont adressées au plan international ne sont pas toutes revêtues d’un caractère obligatoire.

Après avoir entamé une recension approximative des diverses mesures conservatoires, j’ai tenté de construire la justification du caractère obligatoire de celles-ci. A cette tentative, succède désormais celle qui consiste à mettre en relief les possibles leviers dont les tribunaux pénaux internationaux disposent afin d’assurer l’application des mesures conservatoires qu’elles prennent.

A ce stade toutefois, les réponses apportées au questionnement relatif à mon sujet de thèse ne sont encore que très approximatives. Mais leur approfondissement permettra de résoudre, c’est du moins l’ambition de cette thèse, une question encore plus générale en rapport la justice pénale internationale dans son ensemble : celle de son effectivité.

Paul Verma Verma
Doctorant en 2e année – Equipe de Droit International, Européen et Comparé – Centre de Droit International (EDIEC-CDI) – Université Jean Moulin Lyon 3

EDIEC

Article publié dans le cadre des dossiers  » Les doctorants parlent de leur recherche » en partenariat avec Pop’Sciences

 

Bibliographie sélective

  • ASCENSIO Hervé, DECAUX Emmanuel, PELLET Alain, Droit international pénal, Paris, A. Pedone, 2012.
  • COHEN-JONATHAN Gérard, FLAUSS Jean-François (dir.), Mesures conservatoires et droits fondamentaux, Bruxelles, Bruylant, 2005.
  • KELSEN Hans, Théorie pure du droit, traduit par Charles EISENMANN, Paris, L.G.D.J., 1962.
  • RUIZ-FABRI Hélène, SOREL Jean-Marc (dir.), Le contentieux de l’urgence et l’urgence dans le contentieux devant les juridictions internationales : regards croisés, Paris, A. Pedone, Coll. Contentieux international, 2001.

Notes

[1] Le gel des avoirs et la saisie des biens d’un suspect est une mesure conservatoire qui consiste à empêcher ce dernier d’accéder librement à ses comptes bancaires et de disposer de certains de ses biens. Etant donné que les auteurs de crimes internationaux souhaitent, assez bien souvent, échapper à la justice, le but de cette mesure conservatoire est justement de faciliter la localisation d’un suspect ainsi que sa comparution devant les Tribunaux pénaux internationaux. En suivant ce lien, il est possible de consulter un exemple de décision indiquant des mesures conservatoires.

[2] La norme est le phénomène au cœur des sciences juridiques. Selon Hans Kelsen, l’un des plus éminents analystes de la science du droit, « le mot ”norme“ exprime l’idée que quelque chose doit être ou se produire, en particulier qu’un homme doit se conduire d’une certaine façon ». Voir l’ouvrage fondamental de cet auteur qui s’intitule Théorie pure du droit, traduit par Charles Eisenmann, Paris, L.G.D.J, 1962, p. 13.  Autrement dit, une norme est un énoncé prescriptif qui invite son destinataire à se conduire d’une façon déterminée. Ainsi par exemple la règle biblique qui commande aux hommes de ne pas tuer son prochain (Tu ne tueras point) est une norme.