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MMaladie d’Alzheimer : repérer ses signes au plus tôt

©PxHere

La prise en charge de la maladie d’Alzheimer est d’autant plus efficace que celle-ci est diagnostiquée de façon précoce. Avec cet objectif en tête, les scientifiques lyonnais du projet Sensational étudient comment notre capacité à nous orienter évolue avec la maladie en utilisant un jeu vidéo.

 

Un article de Caroline Depecker, journaliste scientifique
pour Pop’Sciences – 10 mars 2025 – Dans le cadre de la Semaine du cerveau 2025.

« Où sont passées mes clés, je les avais bien posées sur le meuble en entrant, non ?! » « J’étais venu faire quoi dans la cuisine !? » Avec l’avancée en âge, il n’est pas rare que de petits oublis fassent irruption dans notre quotidien et nous posent quelques tracas. Préoccupante, la question de leur source peut devenir obsédante. Les oublis constituent en effet les premiers symptômes de la maladie d’Alzheimer, une pathologie redoutée car responsable de la majorité des cas de démence en France. Pourrions-nous être concernés ?

« Après 50 ans, la plainte cognitive est extrêmement fréquente, commente Antoine Garnier-Crussard, médecin gériatre au Centre mémoire ressources recherche des Hospices Civils de Lyon. Près d’une personne sur deux se plaint de soucis de mémoire. Or, ces derniers reflètent plus souvent des problèmes d’attention qu’un stade naissant de la maladie d’Alzheimer ».

Sous l’effet du stress qui accompagne notre mode de vie occidental et lorsque les stimulations liées à notre environnement sont excessives, notre cerveau est parfois dépassé. Alors qu’il se trouve momentanément dans l’incapacité de traiter l’ensemble des informations qui affluent vers lui, certaines d’entre elles ne sont pas enregistrées. Ce défaut d’enregistrement (par exemple, l’image des clés sur le meuble de l’entrée) prend l’apparence d’un oubli alors qu’il est davantage dû à un défaut d’attention. Le phénomène peut s’accentuer avec l’âge. En effet, comme tout élément physique du corps humain, le cerveau vieillit lui-aussi et devient moins « performant ».

Les facultés cognitives peuvent donc décliner quelque peu au cours du vieillissement. Les fonctions exécutives sont particulièrement touchées. Ces processus cognitifs de haut niveau comme la capacité à s’organiser, à planifier, à gérer son temps ou les imprévus, sont nécessaires à l’individu pour adapter son comportement à l’environnement et atteindre ses objectifs. « Notre mémoire est affectée de même, précise Antoine Garnier-Crussard. Ainsi que notre flexibilité mentale. Nous retenons un peu moins bien les choses anodines et avons plus de mal à nous adapter à la nouveauté ».

La maladie d’Alzheimer prend naissance dans les régions de l’hippocampe

Se plaindre d’oublis ou d’être plus lent à comprendre en vieillissant est normal. Mais si, s’aggravant avec le temps, la plainte cognitive inquiète l’entourage, il faut rester vigilant. « Les oublis associés à un contenu à haute valeur émotionnelle et ceux qui impactent la gestion du quotidien, comme de ne plus connaitre le prénom de ses enfants ou de ne plus savoir faire ses courses, constituent des signaux d’alerte et ne sont jamais uniquement liés à l’âge », ajoute le médecin à l’hôpital des Charpennes. La consultation d’un généraliste, puis parfois d’un spécialiste des troubles cognitifs (gériatre, neurologue ou psychiatre), est importante pour savoir s’il y a lieu de s’inquiéter.

Image histopathologique de plaques séniles observées dans le cortex cérébral d’un patient présentant une présénilité de la maladie d’Alzheimer. Imprégnation argentée. / ©KGH – Wikimedias Commons

La dégénérescence des neurones qui caractérise la maladie d’Alzheimer évolue sur plus de 20 ans. Elle prend naissance dans les régions proches de l’hippocampe, une structure cérébrale ressemblant au petit poisson en forme de cheval et située au niveau des tempes, dont le rôle pour la mémoire et la navigation spatiale est crucial. Cette lente dégradation des cellules neurales est due à plusieurs mécanismes biologiques, notamment l’accumulation de la protéine bêta-amyloïde sous forme de plaques entre les neurones, d’une part, et celle de la protéine tau dans les neurones, d’autre part. Chez les sujets malades, cette protéine tau normalement fonctionnelle a subi une modification chimique (on dit qu’elle est phosphorylée) qui la rend in fine toxique pour l’organisme.

Des progrès remarquables pour le dépistage sanguin de la maladie

« Certains tests cognitifs, effectués en général par des neuropsychologues, permettent de détecter si les difficultés rencontrées par le patient sont plutôt associées à un problème de stockage de l’information qu’à un souci de récupération de celle-ci », explique le Dr Antoine Garnier-Crussard. Le premier cas nécessite la mise en jeu de circuits neuronaux présents dans l’hippocampe, et pas le second. Un stockage de l’information défectueux constitue ainsi un indice précieux qui orientera potentiellement la recherche diagnostique vers une maladie d’Alzheimer.

Si cette investigation s’avère probante, le diagnostic de précision de la maladie est posé après un dernier examen : la réalisation d’une ponction lombaire. Cette dernière permet d’obtenir un échantillon du liquide céphalorachidien présent autour du cerveau et de la moelle épinière, et de vérifier la présence anormale des protéines amyloïde et tau phosphorylée. Alors qu’aujourd’hui, il n’existe pas de traitement curatif de cette maladie neurodégénérative, les stratégies thérapeutiques déployées auprès du malade consistent avant tout à en freiner le développement [voir encadré] et à soulager le patient au quotidien, en essayant de maintenir une qualité de vie et une autonomie suffisante le plus longtemps possible. Ces stratégies sont d’autant plus efficaces que le diagnostic de la maladie d’Alzheimer est réalisé tôt.

Pour diagnostiquer précocement celle-ci, les chercheurs examinent plusieurs pistes. L’une d’entre elles consiste à doser la protéine tau phosphorylée dans le sang des patients. Peu coûteux, ce type de solution a connu une avancée remarquable dernièrement, et son déploiement en pratique clinique est plausible au cours des prochaines années.

Un jeu vidéo pour étudier comment le sens de l’orientation est modifié

À Lyon, les scientifiques impliqués dans le projet de recherche Sensational proposent eux une autre approche : utiliser le sens de l’orientation comme marqueur de la pathologie d’Alzheimer et en tester la qualité grâce à un jeu vidéo. « La fonction d’orientation est en effet atteinte très tôt dans la maladie, commente Antoine Garnier-Crussard qui pilote le volet recherche clinique de Sensational. À travers ce projet, on évalue aussi l’attention visuelle des individus en suivant le mouvement de leurs yeux par oculométrie ». L’hypothèse testée ainsi est que plus une personne a du mal à s’orienter, plus elle cherche d’indices visuels un peu partout et au hasard.

Sorti en 2016, Sea Hero Quest, le jeu vidéo sur lequel s’appuie le projet, a été téléchargé par plus de 4 millions de personnes dans le monde. Il a été développé entre autres par Antoine Coutrot, chercheur CNRS au laboratoire LIRIS de Lyon et pilote du projet. Dans le jeu, disponible sur smartphone, le joueur incarne un capitaine de bateau. Il a quelques secondes pour observer une carte, puis doit se la remémorer et identifier des repères pour se frayer un chemin à travers des labyrinthes aquatiques de plus en plus complexes. Ses performances, révélatrices de sa capacité à s’orienter, sont enregistrées. Le joueur renseigne aussi des questions ayant trait à son profil démographique. La base de données ainsi constituée depuis la sortie du jeu a livré de premiers résultats scientifiques. Ces derniers ont révélé notamment que l’âge est un facteur déterminant des compétences en orientation : plus nous vieillissons et plus il est difficile de s’orienter. Viennent ensuite le sexe et la nationalité de la personne.

Objectif premier du projet Sensational : confirmer en environnement contrôlé (à l’hôpital) les effets de l’âge sur les stratégies d’orientation de participants sans troubles cognitifs et les comparer aux performances de patients touchés par la maladie d’Alzheimer. Outre la tâche expérimentale de navigation spatiale sur Sea Hero Quest, les participants (220 sujets sains et 50 malades) remplissent des questionnaires visant à évaluer leurs capacités cognitives et leur style de vie. Une prise de sang permettant de mesurer leur taux de protéine tau phosphorylée et un marqueur génétique de la maladie est encore effectuée. L’étude débutée l’an passé devrait s’achever à l’automne. Les résultats sont attendus pour 2026-2027. « Même si on en est encore loin, on pourrait imaginer utiliser ce jeu associé à la prise de sang comme outil de repérage précoce de la maladie d’Alzheimer », livre le médecin gériatre.

Encadré —————————————————————————-

Maladie d’Alzheimer : prise en charge et prévention
Du fait de la perte de repères et de mémoire, la maladie d’Alzheimer est éprouvante pour la personne malade et ses proches. Visant à soulager le patient, les mesures thérapeutiques reposent sur la prise en compte du retentissement psychologique de la maladie et la mise en place d’activités artistiques, physiques et cognitives améliorant son quotidien. Des médicaments permettent de réduire certains symptômes. La prévention de la maladie repose essentiellement sur l’adoption d’une bonne hygiène tout au long de sa vie qui s’attachera en outre à favoriser les interactions sociales et la stimulation intellectuelle.

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