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PPréserver la nuit : un enjeu de sciences pour nous tous | #4 Dossier Pop’Sciences « Quand la lumière éclaire le vivant »

L'environnement lumineux de Lyon la nuit. / monlyon - free download

Article #4 – Dossier Pop’Sciences Quand la lumière éclaire le vivant

Responsable d’effets en cascade sur la biodiversité et de dégradation de la qualité du ciel, la pollution lumineuse s’est accentuée au cours de la dernière décennie. Des solutions technologiques existent pour en diminuer les impacts en ville. À nous toutefois de redécouvrir comment la nuit est belle !

Un article de Caroline Depecker, journaliste scientifique, rédigé
pour Pop’Sciences – 29 juin 2023

Lorsqu’elle brille la nuit, la lumière perturbe l’activité des êtres nocturnes et le rythme de leur horloge biologique. S’ajoutant aux nombreuses études sur le sujet, des chercheurs universitaires de Bruxelles ont enfoncé le clou récemment. Ils viennent de montrer que cette lumière, même faible, empêche les papillons de nuit d’entrer en diapause, un état dormant génétiquement programmé qui permet aux insectes de survivre à l’hiver. Cette lumière nuit donc à leurs chances de survie. Pour la communauté scientifique, la pollution lumineuse pourrait contribuer de façon significative au déclin  continu des lépidoptères observé à grande échelle. « Du point de vue de l’écologue, la pollution lumineuse est définie comme l’excès d’éclairage artificiel nocturne, un facteur anthropique qui impacte la faune et la flore, explique Hélène Foglar, du bureau d’étude Athena-Lum. Cet éclairage agit sur les organismes vivants dans toutes les directions, mais différemment selon les longueurs d’onde. Même s’il y a consensus pour dire que le bleu, indicateur de la lumière du jour, perturbe toutes les espèces ».

L’éclairage nocturne, une menace pour la pollinisation

L’éclairage de nuit a des effets délétères sur les papillons et, plus largement, sur les insectes pollinisateurs. En modifiant la dynamique de leurs populations, comme l’ont montré des biologistes britanniques lors d’une étude réalisée en situation réelle en 2021. Observant quelques 500 parcelles situées à la campagne, les chercheurs ont ainsi comptabilisé moitié moins de chenilles de lépidoptères nocturnes dans les buissons de rues éclairées par des lampadaires que dans ceux laissés dans l’obscurité.
Le comportement des insectes s’en trouve aussi altéré. Lors de travaux publiés la même année, des scientifiques se sont intéressés à des papillons et des coléoptères nocturnes évoluant dans les Préalpes suisses. Ils ont constaté que les plantes des prairies illuminées connaissaient une baisse de 62% de visites des pollinisateurs par rapport aux sites expérimentaux vierges de pollution lumineuse. Avec une incidence observée sur la production en fruits desdites plantes, une baisse de l’ordre de 10%.

©Samuel-Challeat-Observatoire environnement nocturne-CNRS

 

Pour les chercheurs, il est question de réactions en chaîne sur le cycle végétal selon le raisonnement suivant : la pollution lumineuse réduit le succès reproducteur des plantes sur lesquelles les insectes viennent se nourrir nuitamment, entraînant par ricochet moins de ressources alimentaires pour leurs congénères diurnes, impliqués eux aussi dans la reproduction d’autres espèces végétales. Est-ce que nos cultures vivrières, dépendant pour les trois quarts de la pollinisation, pourrait être menacées par la pollution lumineuse ? La question est soulevée.

Les dômes de lumière urbains voilent les étoiles

« L’extension des villes est telle qu’aujourd’hui, il faut aller en Antarctique pour espérer trouver un ciel astronomiquement sombre ! » s’exclame Isabelle Vauglin, astrophysicienne au Centre de recherche en astrophysique de Lyon – CRAL. Grâce à leurs télescopes, les astronomes étudient les objets de l’univers en observant la lumière que les corps célestes émettent ou renvoient. Les sites d’observation sont choisis en fonction de caractéristiques physiques associées à leur atmosphère et surtout d’un paramètre : la qualité lumineuse de leur fond de ciel. « On évalue la luminosité d’un astre en magnitude, soit son intensité lumineuse par unité de surface », explique Isabelle Vauglin. Or, les halos lumineux qui se forment autour des grands centres urbains à cause de l’éclairage nocturne masquent les plus petits points brillants : on estime avoir perdu près d’une magnitude de sensibilité depuis qu’on fait ces mesures, c’est considérable ».

©Samuel-Challeat-Observatoire environnement nocturne-CNRS

 

Pour la scientifique, le fond de ciel de nombreux sites s’est nettement dégradé comme à l’observatoire du Pic du Midi, impacté par Lourdes, Bagnères de Bigorre et Toulouse. Mais le problème touche aussi des sites plus isolés qu’on croyait jusque-là épargnés. Parmi eux, le désert chilien d’Atacama abritant les quatre observateurs du Very Large Telescope de l’ESO1, ou encore le Mauna Kea, un volcan endormi portant une douzaine de télescopes à son sommet et situé à 4200 mètres d’altitude à Hawaï. « Pour les gens, l’île rime avec cocotiers, plages et hôtels de luxe. Mais, pour un astronome, de nuit, c’est plutôt guirlande de Noël et brouillard lumineux… », déplore Isabelle Vauglin. À cause de la pollution lumineuse, les étoiles disparaissent progressivement des écrans radars des scientifiques : cette invisibilisation se fait au rythme de 2% par an d’après des mesures satellitaires. Un chiffrage de 2023, basé sur des données issues d’un programme de sciences participatives, suggère un phénomène bien plus rapide et évalue l’augmentation de l’invisibilisation des étoiles à 10% an.

C’est en déambulant sous les lampadaires que des solutions pour moins de leds émergent

Responsable d’effets en cascade sur la biodiversité et de dégradation de la qualité du ciel, la pollution lumineuse s’est accentuée au cours de la dernière décennie. Entre 1992 et 2017, les émissions dans le visible auraient augmenté de 270 % à l’échelle mondiale, voire 400% dans certaines zones, d’après les résultats d’une équipe de chercheurs anglo-espagnols publiés en 2021. En cause, l’évolution des éclairages et le recours massif aux leds. Devant ce constat inquiétant, écologues et astronomes multiplient les efforts, à travers leurs conférences et publications, pour montrer combien la nuit est précieux à préserver. Certains défendent même cette idée en encourageant l’émergence d’une nouvelle discipline : la noctilogie [Encart].

Des solutions pour un éclairage plus respectueux de l’environnement émergent. « Les leds ambres2 sont celles qui préservent le mieux le vivant, car leur spectre est exempt de bleu », argumente Hélène Foglar. La biologiste, membre de l’Observatoire de l’environnement nocturne, conseille les communes sur les bonnes pratiques en matière d’éclairage. « À consommation égale, elles éclairent un peu moins que les autres, mais vu le sur-éclairage récurrent constaté dans les rues, leur usage est largement envisageable ». Lors de déambulations urbaines nocturnes, l’écologue accompagne les élus afin de jauger l’éclairement qui y règne. Munie d’un petit spectromètre, elle réalise avec eux des mesures révélatrices de la température d’éclairage des lampadaires et de l’impact que celui-ci peut avoir sur les organismes vivants. Le résultat est catastrophique pour la première génération de leds de puissance dédiée à l’éclairage public et installée il y a 10 ans. La dominante spectrale était le bleu.

©Samuel Challeat,- Observatoire environnement nocturne – CNRS -GEODE

Observer 5 000 étoiles au pied de son immeuble

Les discussions engagées sous les réverbères permettent d’identifier les endroits où le niveau d’éclairement ressenti est trop important ou superflu, d’envisager des pistes pour réduire in fine la pollution lumineuse. Hélène Foglar ajoute : « De façon générale, on constate que le matériel d’éclairage est choisi avant en fonction de performances vendues sur catalogue, de façon assez déconnectée de la réalité de terrain. Il y a beaucoup d’informations à donner », comme de cas d’école à citer. Ainsi, la possibilité de moduler à souhait l’intensité de l’éclairage urbain, illustrée par la commune de Saint-Fargeau. Lors de la rénovation de son parc leds, la ville de l’Yonne a mis en place un éclairage dit « connecté » : la puissance d’alimentation des diodes est commandée à distance. Elle est abaissée de 25% à 90% de sa valeur nominale selon les moments de l’année.

Pour diminuer la pollution lumineuse, peut-on éteindre les rues de la ville, à des moments choisis ? L’idée est loin de faire consensus, mais le tenter permet de sensibiliser au problème et marque les esprits. Isabelle Vauglin porte l’événement « La nuit est belle ! » qui se déroulera sur le bassin lyonnais, en septembre 2023 pour la troisième fois consécutive. « À cette occasion, l’éclairage public n’est pas allumé lorsque le Soleil se couche, explique la scientifique. Les gens redécouvrent alors le sens réel du mot nuit et, pour certains, retrouvent avec plaisir les quelques 5 000 étoiles que l’on peut normalement voir à l’œil nu ». Grâce aux animations organisées ce soir-là et si le ciel, clément, se révèle propice à l’observation astronomique à pied d’immeuble.

De Genève à Grenoble, éteindre les réverbères

L’opération festive est menée en collaboration étroite avec Éric Achkar, ex-président de la société astronomique de Genève et Pascal Moeschler, ex-conservateur au Muséum d’histoire naturelle de Genève (MHNG), à l’origine tous deux de la première édition sur le territoire du Grand Genève, en 2019. En 2022, 300 communes de la zone franco-genevoise avaient laissé leurs lampadaires éteints. Côté Rhône-alpin, 35 municipalités, hors Grand Lyon, avaient accepté d’y participer. « Calcul fait, les kilowattheures économisés sont considérables et c’est un bon point, car les élus y sont sensibles », commente Isabelle Vauglin. La sensibilisation à la pollution lumineuse fonctionne et l’action prend de l’ampleur. En 2023, les astronomes de l’observatoire de Grenoble comptent célébrer eux aussi la « Nuit est belle ! », en sus d’agglomérations du Haut-Jura et de l’Ain.

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Encart

         La noctilogie, une science pour étudier la belle nuit

Faire de la nuit un objet d’étude à part entière.  C’est avec cette envie profonde qu’Éric Achkar et Pascal Moeschler ont porté sur les fonts baptismaux une nouvelle science : la noctilogie. La naissance a été actée, en janvier 2020, par un article dans la revue de la Société astronomique de France. Transdisciplinaire, cette approche vise à scruter la nuit et ses multiples facettes comme un nouveau champ d’exploration scientifique. Avec à la clé, pour Éric Achkar, la possibilité de nous réconcilier avec elle : « Il y a un enjeu profondément important du rapport que nous avons avec la lumière qui, la nuit, se trouve déstabilisé. À travers cette science, l’enjeu qui se joue, c’est la représentation collective de la nuit. Elle est à changer pour aller vers une plus grande acceptabilité de la baisse d’éclairage, en ville notamment. »

>> Tout savoir sur la noctilogie, la nouvelle science d’étude de la nuit :

Vidéo réalisée par Philippe Verdier, journaliste spécialiste du développement durable, mise en ligne avec son aimable autorisation.

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Notes :

[1] ESO : European Southern Observatory 

[2] Les luminaires dotés de la technologie led ont un pic d’émission à 440 nm (bleu), principale cause de l’effet sur la faune. Grâce à la technologie led ambre, au ton orangé, ce pic d’émission est éliminé, et a beaucoup moins d’impact sur l’environnement et la faune.

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