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The Conversation|Université Lumière Lyon 2

RRegards croisés sur l’antisémitisme ordinaire en France | The Conversation

Depuis les attaques du Hamas sur des civils israéliens le 7 octobre et les représailles massives d’Israël à Gaza, des événements graves et une hausse de l’antisémitisme en France ont conduit à des prises de position politique ou médiatique, tandis que de nombreux débats émaillent les discussions pour savoir ce qui est antisémite ou non. Parmi les artistes engagés sur ce sujet, l’illustrateur Joann Sfar a publié une série de posts Instagram afin d’exprimer son ressenti. La chercheuse Solveig Hennebert s’est appuyée sur certains de ses dessins afin d’expliciter un certain nombre d’éléments constitutifs de l’antisémitisme. Si certains faits ont surgi en lien avec le contexte, ils doivent aussi être analysés dans l’histoire longue de l’antisémitisme, sans prétention à l’exhaustivité. Illustrations publiées avec l’aimable autorisation de Joann Sfar.

Les dernières semaines ont vu une hausse des actes antisémites en France : 1 518 ont été recensés entre le 7 octobre et le 15 novembre. Depuis le début des années 2000, les chiffres oscillent entre 400 et 1 000 par an habituellement, mais il est courant d’observer des pics de propos ou violence antisémites selon les actualités nationales ou internationales. Face à ces actes antisémites, les personnes juives ou – assimilées – ont souvent exprimé un sentiment d’abandon lors de cérémonies commémoratives ou encore dans les entretiens que j’ai réalisés au cours de mon enquête de terrain de thèse.

J’utilise à dessein la formulation « personnes juives ou assimilées » que j’ai forgée dans le cadre de mes recherches. Cela permet d’inclure les personnes qui se définissent comme juives par religion, par culture, par rapport à leur histoire familiale ; tout autant que celles qui ne se considèrent pas comme juives, mais subissent l’antisémitisme malgré tout, du fait de représentations discriminantes liées au nom de famille, à l’apparence physique, etc.

L’antisémitisme renvoie à la haine contre les personnes juives envisagées comme appartenant à une « race ». Cette conceptualisation remonte entre autres au XVe siècle avec les premiers statuts de pureté de sang dans la péninsule ibérique. Avant (sans que cela ait totalement disparu), les persécutions étaient plutôt liées à de la l’antijudaïsme, c’est-à-dire que les personnes étaient visées en tant que membres d’une religion et non d’une supposée race.

Les chiffres de l’antisémitisme

Le recensement des crimes et délits est source de nombreuses interrogations méthodologiques, mais les chiffres restent malgré tout des indicateurs à prendre en compte. Les données sont collectées de la même manière à toutes les périodes, et indiquent donc quoi qu’il en soit une hausse drastique.

Des événements nationaux ou internationaux sont parfois identifiés comme le déclencheur d’une « nouvelle » vague d’attaques antisémites, et souvent associés au conflit israélo-palestinien. Cependant, des recherches scientifiques ont montré que les perceptions antisémites sont également en hausse lors d’événements centrés sur la France, comme ce fut le cas en 1999, au moment des débats sur l’indemnisation des spoliations subies par les Juifs pendant la Seconde Guerre mondiale.

Il convient de garder en tête que si analytiquement le contexte peut avoir du sens, il faut prendre en compte ce qu’il y a de structurel dans l’antisémitisme tel qu’il s’exprime en France.

L’héritage de l’extrême droite

La présence du Rassemblement national et plus largement de l’extrême droite au rassemblement contre l’antisémitisme du 12 novembre a causé de nombreux débats, certains allant même jusqu’à parler de « recomposition du champ politique ». À l’inverse, des organisations se sont mobilisées pour rappeler les liens du RN avec les idéologies antisémites.

L’antisémitisme tel qu’il s’est exprimé ces dernières semaines s’inscrit dans une histoire longue avec des références au nazisme, un ancrage à l’extrême droite, et repose sur des mythes et des préjugés séculaires. En effet, de nombreux préjugés antisémites sont hérités de la l’antijudaïsme chrétien :

  • « les Juifs ont de l’argent »
  • « les Juifs contrôlent le monde »
  • « les Juifs contrôlent les médias »
  • « les Juifs sont des tueurs d’enfants »…

L’ensemble de ces mythes qui sont formulés ainsi ou réappropriés selon des tournures différentes sont à comprendre dans une généalogie historique.

Un nouvel antisémitisme ?

Ces dernières années nous assistons à des discours sur ce qui est présenté comme « un nouvel antisémitisme ». Celui-ci serait le fait des populations musulmanes – ou assimilées – et aurait des spécificités liées à l’islam.

Cependant, des enquêtes scientifiques montrent que ce sont toujours en partie les mêmes mythes issus de l’Europe chrétienne qui sont mobilisés dans les discours antisémites.

Les stéréotypes principaux sont ceux qui renvoient à l’argent et au pouvoir notamment. Par ailleurs, le rejet des Juifs va souvent de pair avec des visions négatives d’autres minorités.

Ainsi l’expression « nouvel antisémitisme », ne semble pas appropriée puisque ce sont les mêmes préjugés qui reviennent. Même si des évolutions sont perceptibles, il est nécessaire encore une fois de penser les préjugés dans une histoire longue.

« Laissez-moi hors de propos »

La question du silence de certains vis-à-vis des événements n’a pas manqué de soulever aussi celle de l’antisémitisme à gauche. Le sujet ne cesse d’être discuté depuis le 7 octobre, même si ce débat est présent depuis de nombreuses années. Les différentes personnalités politiques de gauche accusées se défendent de tous préjugés à l’encontre des Juifs. Un argument souvent mobilisé est de renvoyer à la tradition antisémite de l’extrême droite. S’il est vrai que les électeurs du Rassemblement national ont des préjugés antisémites particulièrement élévés, ceux des électeurs de La France Insoumise sont également supérieurs à la moyenne, rapporte Nonna Mayer dans Le Monde. Ce sont par ailleurs notamment les mythes séculaires du rapport des Juifs à l’argent et au pouvoir qui persistent, y compris à l’extrême gauche.

L’antisémitisme de personnes à gauche du spectre politique n’est cependant pas récent, et des travaux universitaires montrent même que certains préjugés étaient présents au sein des mouvements de résistance de gauche (et de droite) pendant la Seconde Guerre mondiale.

Des manifestations directes de la violence

Au niveau international, de nombreux actes de violences physiques ont été perpétrés, des menaces de mort proférées. En France comme ailleurs, on a recensé des cris de « mort aux Juifs », des incitations à « gazer les Juifs », des tags « interdit aux Juifs » notamment devant des boutiques parisiennes. Les agressions physiques, qu’elles soient mortelles ou non, sont également multiples, et la qualification antisémite n’est pas évidente.

Les discussions politico-médiatiques qui interrogent la réalité de la motivation antisémite des auteurs de certains faits contribuent à un sentiment d’abandon chez certaines personnes juives – ou assimilées, ressenti déjà présent lors d’actes antérieurs aux événements du 7 octobre.

Les crimes sont souvent d’autant plus traumatiques quand les personnes sont attaquées à leur domicile comme ce fut le cas de Mireille Knoll et Sarah Halimi.

Le propos n’est pas de dire que toute personne juive agressée l’est à ce titre là, cependant les propos tenus par les agresseurs, les tags laissés sur les lieux, les revendications… sont des éléments qui doivent contribuer à interroger le motif. Par ailleurs, je ne remets pas en cause la non-poursuite des personnes qui ne sont pas responsables pénalement ; cependant le fait que leur violence se soit tournée contre des personnes juives – ou assimilées – doit être interrogé socialement. Si les troubles psychiatriques peuvent expliquer le passage à l’acte, les préjugés antisémites s’inscrivent dans un contexte social.

Banaliser

Depuis le 7 octobre, des discours relativisent l’existence de l’antisémitisme, soit à travers une minimisation : des chiffres, des formes de la violence, de l’existence des victimes, ou encore du caractère antisémite de certains actes. S’il est vrai que c’est à la justice de statuer sur le caractère aggravant « antisémite », cela n’empêche pas que le motif soit envisagé en amont.

Le traitement médiatique des actes antisémites est complexe, et y compris après la Seconde Guerre mondiale, la spécificité des discriminations raciales n’était pas nécessairement dite ouvertement. Parfois sous couvert d’humour, la judaïcité des personnes est moquée ou tournée en dérision.

Les manifestations directes et paroxystiques de la violence, tels que les meurtres, les coups et blessures… ne doivent pas conduire à minimiser ce qu’il est commun d’appeler des « micro-agressions ».

Nous pouvons poser l’hypothèse que l’une des conséquences des violences extrêmes (qu’elles soient racistes, sexistes, homophobes…) est de contribuer à banaliser les autres formes d’agressions. Ainsi, par rapport au génocide, ou aux meurtres, d’autres actes peuvent paraître anodins, ils sont pourtant constitutifs de l’expérience de l’antisémitisme et témoignent de la permanence des préjugés et discriminations.

« Leur peur, ma rage »

De nombreuses personnes font le récit de micro-agressions qu’elles subissent dans leur quotidien. Par exemple, le fait d’associer automatiquement les personnes juives – ou assimilées – à Israël et plus spécifiquement au gouvernement en place, ou les personnes musulmanes – ou assimilées – au Hamas et au terrorisme.

L’usage même du terme « antisémitisme » est parfois remis en question sur la base de l’argument selon lequel « les Arabes/les Palestiniens/les Musulmans » seraient également des Sémites.

Utiliser ce terme pour parler uniquement des discriminations envers les personnes juives – ou assimilées – serait alors selon eux excluant. Pourtant l’expression « peuples sémites » n’est pas une réalité sociale, mais le fruit d’une conceptualisation raciste en Europe au XIXe siècle.

Il s’agissait à l’époque de soutenir les idéologies stigmatisant les personnes juives – ou assimilées – en présentant une théorie pseudo-biologique sur les « sémites ». Cela a permis d’enraciner le discours racialiste envers les individus qui ne peuvent plus sortir du groupe par la conversion (bien que celle-ci ne protégeait pas toujours). Par ailleurs, à cette époque, les discours étaient centrés sur l’Europe et les Juifs, et l’antisémitisme dans ce contexte a véhiculé le sens qu’on lui connaît aujourd’hui.

« Dieu et moi ne sommes pas en bons termes »

Depuis le 7 octobre, et face à la multiplication des actes antisémites, de nombreuses personnes juives – ou assimilées – ont pris la parole dans les médias, sur les réseaux sociaux, auprès de leurs proches… pour parler de leur vécu de l’antisémitisme. Certains à l’inverse ne prennent pas la parole, d’autres prient… ces réactions sont variées, à l’image de la diversité de la population juive.

Certains ont exprimé leurs critiques face à l’absence de la gauche dans la lutte contre l’antisémitisme, et à la présence de l’extrême droite.

Le collectif « Golem » a même été créé dans ce prolongement, à l’image d’une autre organisation, les « guerrières de la paix » créée en 2022, qui se mobilise aux côtés de personnes musulmanes – ou assimilées, contre « les racismes » et pour la paix en Israël-Palestine.

L’humour peut aussi être un moyen de surmonter les violences vécues au quotidien. Joann Sfar propose par exemple « la nouvelle blague juive », présentée en ouverture de cet article, pour dire que « ça ne va pas ». Cependant, l’humour ne doit pas faire oublier que certains propos peuvent être antisémites s’ils stigmatisent une population (à travers une tradition, des traits physiques, etc.), même s’ils sont pensés pour faire rire.The Conversation

Auteure : Solveig Hennebert, Doctorante, Université Lumière Lyon 2 – 30 novembre 2023

Cet article est republié à partir de The Conversation sous licence Creative Commons.

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