Droit - économie - gestion / Écologie - agronomie - développement durable - énergie / Maths - physique - chimie / Technologies - information - communication Article Université Gustave Eiffel - Campus de Lyon TTransports et économie circulaire : le réemploi des batteries pour une mobilité durable pour tous La mobilité électrique, une solution imparfaiteL’Europe prévoit de réduire de 90% les émissions de gaz à effet de serre provenant des transports d’ici à 20501. Ce chantier passera nécessairement par une profonde transformation de notre société façonnée par et pour l’automobile à motorisation thermique. Pour atteindre cet objectif, l’électrification des transports semble être l’option privilégiée par les pouvoirs publics. Bien que la mobilité électrique présente l’avantage d’améliorer la qualité de l’air des villes et peut permettre de réduire les émissions de gaz à effet de serre, elle n’est pas la solution miracle qui rendrait à elle seule nos habitudes de mobilités durables2. Le coût élevé de cette technologie interroge également sur sa faculté à répondre aux besoins de déplacements de l’ensemble de la population3.Avec l’arrêt annoncé des motorisations thermiques à l’horizon 2035, la question du choix technologique pour la mobilité de demain ne peut être repoussée4. À ce jour, le véhicule électrique est de loin l’alternative la plus mature au véhicule thermique. Il convient désormais de travailler à rendre ce choix pertinent pour rendre notre mobilité plus durable et accessible à tous.Dans un véhicule électrique, la batterie est l’élément qui requiert la plus grande attention du point de vue de l’impact environnemental. De nombreuses études analysant le cycle de vie du véhicule électrique montrent l’influence sur l’impact environnemental que peuvent avoir des facteurs tels que5 :• la taille de la batterie,• sa durée de vie,• l’origine de l’énergie (nucléaire, issue de centrale à charbon, renouvelable) utilisée pour la produire et la recharger.Pour décarboner la mobilité individuelle, il serait notamment judicieux de promouvoir l’utilisation d’énergies faiblement carbonées, de privilégier des véhicules à autonomie réduite et d’adapter leur usage afin de prolonger au maximum leur durée de vie5. Les pouvoirs publics comme les individus ont donc un rôle à jouer dans cette quête vers une mobilité soutenable.Batteries au lithium usagées au laboratoire ECO7 / ©Université Gustave Eiffel – Sophie JeanninL’économie circulaire comme solution pour une mobilité durable pour tousD’après l’agence de l’environnement et de la maîtrise de l’énergie (ADEME)6, l’économie circulaire est un système économique qui vise à :• augmenter l’efficacité d’utilisation des ressources,• diminuer l’impact sur l’environnement,• développer le bien-être des individus.Dans le secteur automobile, la gestion de la fin des véhicules joue un rôle central pour augmenter l’efficacité d’utilisation des ressources tout en réduisant le coût de ces véhicules et en créant de l’emploi localement. Un véhicule est considéré en « fin de vie » lorsqu’il n’a plus les performances suffisantes pour répondre aux besoins des automobilistes. Lorsque ce véhicule est électrique, le vieillissement de la batterie peut être à l’origine d’une dégradation de l’autonomie qui n’est plus acceptable.Dans un rapport de 2020, l’ADEME indique que 549 véhicules électriques ont atteint la « fin de vie » au cours de l’année 2018, ce qui représente 0,0005 % des véhicules en fin de vie sur cette même année7. Ces faibles volumes sont un frein pour l’atteinte d’un équilibre économique par les recycleurs8. Dans l’attente de volumes plus importants et au regard des limites techniques inhérentes au recyclage, les différents acteurs du marché du véhicule électrique imaginent des alternatives à la stratégie classique de gestion de la fin de vie : le tout-recyclage9,10.Le réemploi (ou seconde vie), une solution à développerD’un point de vue environnemental, le réemploi est à privilégier par rapport au recyclage puisque cette stratégie de gestion de la fin de vie permet de prolonger la durée de vie des produits et donc d’augmenter l’efficacité d’utilisation des ressources11. Juridiquement, le réemploi est défini comme l’opération par laquelle un objet qui n’est pas un déchet peut être utilisé à nouveau pour sa fonction initiale. Concrètement, le réemploi consiste à donner une seconde vie aux objets12.Cette stratégie a également un intérêt économique. D’abord, elle répond à un enjeu de souveraineté économique en permettant d’économiser des ressources minières critiques importées (lithium, cobalt, nickel, etc.). Ensuite, les revenus générés par la vente des batteries en fin de vie peuvent permettre aux constructeurs automobiles de réduire le prix de vente de leurs véhicules. Le réemploi permet donc de faciliter l’accès à la mobilité électrique au plus grand nombre. Finalement, cette stratégie peut se déployer au niveau local ce qui permet d’assurer la création d’emplois non délocalisables.Si cette pratique est populaire pour les vêtements et les objets du quotidien, le réemploi en est encore à ses prémices pour les batteries13. Les premières centaines de batteries disponibles pour une seconde vie sont exploitées dans différents projets pilotes impliquant des acteurs industriels et académiques14. Ces projets visent à évaluer l’intérêt économique et la faisabilité technique de la réutilisation de batteries lithium-ion usagées.Les premières conclusions des projets pilotes montrent que l’usage en seconde vie et le degré de collaboration des entreprises impliquées dans le projet impactent significativement l’intérêt économique de ce marché14,15. Les applications stationnaires de stockage d’énergie ont été largement privilégiées dans ces projets. Néanmoins, quelques projets à plus petite échelle ont également testé l’utilisation de batteries de seconde vie dans des applications mobiles comme des bateaux électriques ou des robots chargeurs de véhicules électriques16, 17. Les résultats de ces projets pilotes semblent avoir permis de lever les incertitudes économiques sur la réutilisation des batteries puisque de grands groupes comme Daimler ou Renault ont annoncé la mise en place d’usines dédiées à la seconde vie18.Batterie de seconde vie issue d’un véhicule électrique testée au laboratoire Ampère / ©Université Gustave Eiffel – Sophie JeanninLes défis techniques liés au réemploi des batteriesLe réemploi des batteries soulève également des interrogations du point de vue de la faisabilité technique. Trois verrous scientifiques restent encore à lever pour faciliter le déploiement des batteries de seconde vie :1. Estimation rapide de l’état de santéL’estimation rapide de l’état de santé de la batterie est un prérequis pour l’usage en seconde vie. Sur une batterie neuve, l’état de santé n’a pas besoin d’être évalué à la réception. Tandis que sur une batterie qui a été sollicitée dans une première application et que l’on souhaite réutiliser, l’état de santé est méconnu. Afin de préserver l’intérêt économique de cette batterie de seconde vie, la méthode de caractérisation doit être la plus rapide possible et nécessiter le moins de moyens humains et expérimentaux possibles19.2. Prédiction de la durée de vie restanteL’évaluation de la durée de vie restante permet d’anticiper la défaillance des batteries surveillées et d’affiner les modèles économiques d’assurance, par exemple. Cette information est capitale pour évaluer l’intérêt économique sur le long terme de la batterie de seconde vie par rapport à la neuve.3. Gestion des hétérogénéités de vieillissementÉtant donné les coûts prohibitifs du démontage et du réassemblage, les batteries de seconde vie sont généralement réutilisées sans modifications majeures de leurs structures. Or, les éléments vieillis constituant une batterie peuvent être particulièrement hétérogènes en terme d’état de santé.Ces écarts peuvent contraindre l’utilisateur à limiter la sollicitation en fonction des caractéristiques des éléments les moins performants. Pour faciliter l’usage de batteries contenant des éléments hétérogènes, l’équilibrage est communément utilisé.Cette solution vise à homogénéiser l’état de charge des différents éléments, pour permettre leurs utilisations sur l’ensemble de la plage de fonctionnement20. La mise en place d’une stratégie d’équilibrage permet dans une certaine mesure d’éviter le processus long et coûteux de caractérisation et tri des cellules.ConclusionNotre mobilité ne deviendra pas durable par le simple fait d’être électrique. Les principes de l’économie circulaire peuvent aider à atteindre cet idéal, néanmoins un certain nombre de freins économiques et techniques restent encore à lever. Les travaux de recherche en cours visant à réduire son impact environnemental devraient permettre de tendre vers une mobilité plus soutenable.Toutefois, face à l’urgence climatique des solutions plus immédiates pourraient être mises en place. Le remplissage des véhicules, le report modal vers des mobilités douces, la réduction de la masse des véhicules ou la réduction du besoin de transport sont sans doute des leviers tout aussi pertinents que l’électrification des véhicules21.Marwan Hassini, doctorant au Laboratoire Ampère, Université de Lyon et Licit-Eco7, Université Gustave Eiffel, campus de Bron – Janvier 2022—————————————-Notes[1] Fournir des transports sûrs, efficaces et respectueux de l’environnement, site de la Commission européenne[2] Panorama de l’offre de véhicules : comparer l’impact carbone systémique des technologies de mobilité, The Shift Project[3] Carlos Tavares : avec la voiture électrique, « la brutalité du changement crée un risque social », Les Echos, 18/01/2022[4] Delivering the European Green Deal, site de la Commission européenne[5] Sensitivity Analysis in the Life-Cycle Assessment of Electric vs. Combustion Engine Cars under Approximate Real-World Conditions, MDPI[6] Économie circulaire, ADEME[7] Rapport annuel de l’Observatoire des véhicules hors d’usage – Données 2018, ADEME[8] Webinaire sur les impacts environnementaux des batteries, acc, 13/04/2021[9] Batteries : objets incontournables de la transition énergétique, mais à utiliser avec modération, Carbone 4, 20/04/2021[10] Quelles sont les limites du recyclage ?, ecoconso, 24/11/2020[11] L’économie circulaire, Ministère de la transition écologique[12] Réemploi, récup, réutilisation… Pourquoi ?, Réseau national des ressourceries[13] Panorama de la deuxième vie des produits en France. Réemploi et réutilisation – Actualisation 2017, ADEME[14] Seconde vie des batteries Li-ion, INERIS, 1er/12/2020[15] Batteries de 2de vie, Global Sustainable Electricity Partnership[16] Le Black Swan, premier bateau à passagers équipé de batteries de seconde vie et 100% électrique à Paris, Renault Group, 5/11/2019[17] Rechargez vos véhicules et préservez votre réseau, Mob Energy[18] Re-Factory : le site de Flins entre dans le cercle de l’économie circulaire, Renault Group[19] Fast Electrical Characterizations of High-Energy Second Life Lithium-Ion Batteries for Embedded and Stationary Applications, MDPI[20] L’équilibrage des batteries, Campus Auto’mobilités – vidéo[21] [Dossier Mobilités] #2 – Les 5 leviers à mobiliser pour réussir la décarbonation des transports, Construction 21, 10/03/2021PPour aller plus loinLe monde sans fin, miracle énergétique et dérive climatique, Christophe Blain et Jean-Marc Jancovici, Éditions DARGAUDLa voiture électrique pour nous tirer d’affaire ?, Thierry Ziegler, 29/12/2021Autonomie des voitures électriques, quand le mieux devient l’ennemi du bien, The Conversation, Serge Pelissier, 1er/11/2018 Peut-on recycler les batteries des véhicules électriques ? The Conversation, Serge Pelissier, 19/09/2021Réemploi, récup, réutilisation… Pourquoi ?, Réseau national des ressourceriesThe circulary gap report 2022, CGRi