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UUn champ en perpétuelle transformation | #2 Dossier Pop’Sciences « Santé mentale : entre pathologies et bien-être »

A Woman Suffering from Obsessive Envy, circa 1819-1820, au Musée des beaux-arts de Lyon / ©Alain Basset, Stéphane Degroisse – Wikimédia commons

La conception de la maladie mentale et de sa prise en charge a considérablement changé au fil du temps. Mais c’est à partir de 1950, et surtout depuis les années 1990, qu’interviennent les ruptures les plus fortes et que s’impose le terme de santé mentale. Celle-ci est intégrée au champ de la santé globale alors que la priorité est désormais de maintenir les personnes atteintes de troubles psychiques dans l’espace social.

Un article rédigé par Ludovic Viévard, rédacteur,
pour Pop’Sciences – 29 février 2024

 

 

 

De la folie au trouble mental
Très ancienne – on la trouve déjà dans l’Antiquité – la notion de folie désigne l’inverse de la raison. Le fou est aliéné c’est-à-dire incapable de rationalité. Infirme, possédé ou puni par Dieu, les interprétations sont diverses mais la conséquence est toujours la même : le fou est rejeté de l’espace social. Avec l’apparition de la psychiatrie, la « folie » cède progressivement la place à la « maladie mentale ». Mais au fil du 19e siècle, cette dernière est de plus en plus souvent considérée comme héréditaire et donc incurable. Ce n’est qu’après la Seconde Guerre mondiale que le rapport entre normalité et pathologie est requestionné, en particulier par le philosophe Georges Canguilhem, ouvrant la voie à une autre conception, moins stigmatisante de la maladie mentale. C’est notamment sur la base de ses travaux que l’OMS propose, en 1946, une définition positive de la santé comprise comme un « état de complet bien être physique, mental et social qui ne consiste pas seulement en une absence de maladie ou d’infirmité ». Pour l’historienne de la psychiatrie Isabelle von Bueltzingsloewen, « c’est à partir de là qu’on peut commencer à parler de santé mentale ».

La visita al hospital, 1889 in the book: Historia del Arte ©Photo scan – Wikimédia commons

De l’enfermement à la déshospitalisation
Une seconde transformation concerne la prise en charge des personnes atteintes de troubles mentaux. Isabelle von Bueltzingsloewen explique que « jusqu’à la Seconde Guerre mondiale, celle-ci se fait quasi exclusivement à l’hôpital psychiatrique – terme qui n’apparaît qu’en 1937 pour remplacer celui d’ »asile d’aliénés » ». Après la guerre, et surtout à partir des années 1960, se manifeste la volonté de rompre avec l’enfermement jusqu’ici considéré comme une thérapeutique à part entière. Les hôpitaux psychiatriques s’ouvrent sur l’extérieur et « on assiste à une déshospitalisation des patients grâce à la création de structures extra-muros. Le nombre de longs séjours asilaires diminue progressivement pour ne plus concerner que les patients « en crise » ». Aujourd’hui, la plupart des personnes atteintes de troubles mentaux sont suivies hors de l’hôpital, dans des centres médico-psychologiques (CMP), des hôpitaux de jour, des centres d’accueil thérapeutiques à temps partiel (CATTP) ou vivent dans des foyers ou des appartements thérapeutiques. Cette évolution s’est traduite par une diminution drastique du nombre de lits hospitaliers. Or les moyens des structures extra-hospitalières étant insuffisants,
nombre de patients vivent dans la rue ou sont en prison.

Vers une réhabilitation sociale
Si ce mouvement de déshospitalisation est soutenu par de nombreux psychiatres et par les politiques de santé publique, il a été rendu possible par l’apparition, à partir des années 1950, de nouveaux traitements médicamenteux (antipsychotiques, anxiolytiques, neuroleptiques retard, etc.). Mais il va aussi de pair avec l’affirmation du courant optimiste du rétablissement (Recovery). Venu d’Amérique du Nord, celui-ci se développe en France depuis les années 1990. « Ce qui est visé est moins la guérison que le renforcement des capacités et du « pouvoir d’agir » (empowerment) du patient qui, grâce aux techniques de remédiation psycho-sociale1, mais aussi grâce à des dispositifs tels que l’allocation aux adultes handicapés (AAH), doit pouvoir prendre sa vie en main et trouver sa place dans la société », indique Isabelle von Bueltzingsloewen. Puisant à la même inspiration, l’accompagnement des patients par des pairs, c’est-à-dire par des personnes ayant ou ayant eu elles-mêmes des troubles, prend une place de plus en plus importante grâce à la création des groupes d’entraide mutuelle (GEM).

De l’aliénation à la neurodiversité
Évoquons une dernière transformation qui concerne le regard porté sur les personnes atteintes de troubles de la santé mentale. Si les préjugés sont encore tenaces, les évolutions précédentes ont induit un mouvement progressif de déstigmatisation et d’inclusion des personnes atteintes de troubles psychiques. Elles se prolongent dans la prise de parole de personnes qui refusent d’être catégorisées comme malades ou souffrant d’un quelconque trouble. Ainsi, précise Isabelle von Bueltzingsloewen, « les voice-hearers, par exemple, considèrent qu’il est tout à fait normal d’entendre des voix
et renvoient l’anormalité du côté de ceux qui n’en entendent pas ». À ceux qualifiés de neurotypiques, il est ainsi opposé une neurodiversité qui installe la possibilité d’une différence radicale, y compris dans le rapport à l’autre et au réel.

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Note

[1] : Reprogrammation mentale : une dialmectique corps & cerveau, un article Pop’Sciences rédigé par Nathalie Mermet – Mars 2021