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Cantines scolaires : sociologie de l’alimentation. Qui mange quoi ? | Triptyque

CCantines scolaires : sociologie de l’alimentation. Qui mange quoi ? | Triptyque

Une invitation… à table !  Ce triptyque, composé de 3 podcasts, nous ouvre les portes des cantines scolaires. Qui mange quoi ? Qui sont les personnes qui y travaillent ? Comment les goûts se manifestent dès l’enfance, comment à la cantine, les relations sociales s’organisent….

Cette première interview de ce triptyque s’orchestre autour de la sociologie de l’alimentation, et c’est Élodie Leszczak, doctorante en 2e année au laboratoire Triangle qui nous éclaire, puisque son travail de recherche porte sur « Des normes dans l’assiette : la cantine scolaire, entre production et réception du « bien manger »« .

Venez découvrir qui mange quoi avec les podcasts de Triangle !

>> Écoutez le podcast :

 

>> Lire la retranscription des propos de l’interview :

Tout d’abord, est-ce que les cantines sont obligatoires dans les établissements ? Depuis quand existent-elles et qui les gèrent ?

Élodie Leszczak – Elles sont apparues en France au milieu du XIXe siècle, sous l’impulsion d’initiatives locales de maires, d’instituteurs et de mouvements philanthropiques. Aujourd’hui, les cantines sont gérées par les collectivités territoriales, c’est-à-dire les communes pour l’école primaire, les départements pour le collège, et les régions pour le lycée. Et elles ne sont pas obligatoires : chaque collectivité peut décider d’en proposer une ou pas dans un établissement. Elle peut alors soit l’assurer elle-même en régie directe, soit faire appel à une entreprise privée, ce qu’on appelle une délégation de service public.

Comment étaient organisées les cantines que vous avez étudiées ? Quels étaient leurs publics ?

E.L. – Je réalise des observations directes principalement à l’école élémentaire, mais aussi au collège et en maternelle. J’ai essayé de faire varier les caractéristiques des cantines que j’étudie : une est rurale et l’autre urbaine, une est indépendante et l’autre rattachée à une Caisse des écoles, une se situe en réseau d’éducation prioritaire et l’autre non. Dans les deux cantines où j’ai enquêté jusqu’ici, la cuisine est faite sur place par du personnel communal, c’est pourquoi j’aimerais maintenant trouver un troisième terrain où la cantine est assurée par une entreprise privée et les plats préparés en cuisine centrale.

© Pixabay

De ce fait, avez-vous constaté que selon le genre de l’enfant (fille ou garçon) les choix des aliments étaient différents ?

E.L. – Oui ! Je fais partie de l’équipe de recherche CORALIM, qui est pilotée par Christine Tichit (sociologue et démographe) au sein de l’INRAE (l’Institut national de recherche pour l’agriculture, l’alimentation et l’environnement). On a fait passer pendant plus d’une semaine des questionnaires à une centaine d’élèves, pour qu’ils puissent donner leur avis sur les plats chaque jour. Et on a constaté que les garçons appréciaient en moyenne davantage les repas que les filles, et qu’ils mangeaient de plus grandes quantités qu’elles. Les filles appréciaient en revanche davantage les repas végétariens, alors que les garçons étaient attachés à la présence de viande au menu. Les garçons essayaient davantage de se procurer plus de nourriture que leur portion individuelle, en prenant du rab ou en demandant aux autres élèves s’ils ne voulaient pas leur donner une partie de leur repas – en insistant, parfois !

Est-ce parce que les aliments sont genrés ? Est-ce que c’est le poids de la société ou… bref comment l’expliquez-vous ?

E.L. – Une de nos hypothèses est en effet que la cantine est un des lieux où les enfants intériorisent des rapports genrés à l’alimentation. Des enquêtes sociologiques auprès d’adultes ont montré que les femmes mangent plus de fruits, de légumes et de poisson que les hommes, mais moins de féculents, de fast-food et de viande. Les femmes sont plus nombreuses à faire des régimes hypocaloriques. Et à force de voir que les hommes de leur entourage ont tendance à plus manger que les femmes, et que certains garçons mangent énormément à la cantine et que ça amuse leurs camarades, les enfants sont socialisés à cette différence de comportement alimentaire. Les garçons apprennent qu’il est normal et même valorisé d’avoir bon appétit, alors que ce n’est pas forcément le cas pour les filles. Chez les jeunes, il semblerait que l’idéal des filles reste plutôt la minceur, alors que chez les garçons, c’est le fait d’être musclé plutôt que mince.

Avez-vous également remarqué une différence d’orientation dans l’alimentation selon les classes sociales auxquelles appartiennent les enfants ? Et si oui, quels sont les différents facteurs qui pourraient y contribuer ?

E.L. – Oui, tout à fait ! Les enfants issus de milieux sociaux favorisés connaissent davantage les plats qui sont servis à la cantine, en particulier les fruits et les légumes et les plats typiquement français comme les tomates farcies, tout simplement car ils y sont déjà habitués à la maison. En sociologie de l’alimentation, on constate que les familles de milieu populaire vont privilégier le fait de faire plaisir aux enfants avec des aliments qu’ils aiment, alors que celles de milieu favorisé vont très tôt inciter leurs enfants à goûter de tout, en particulier des aliments considérés comme bons pour la santé comme les légumes. En particulier, les enfants de classe populaire d’origine étrangère regrettent souvent que les plats proposés à la cantine soient très différents de leur propre culture alimentaire, et certains aimeraient pouvoir y manger des aliments plus à leur goût.

 

>> À suivre…

Le prochain podcast du triptyque cantine « parlera » des agents dans les cantines : qui sont-ils, pourquoi ils ont choisi ce métier, ses contraintes, joies…

 

Pour en savoir plus :

Triptyque – Laboratoire Triangle

 

 

Carnaval de Rio : dans les écoles de samba, les revendications politiques mènent la danse | The Conversation

CCarnaval de Rio : dans les écoles de samba, les revendications politiques mènent la danse | The Conversation

À Rio, après des mois de préparation, le carnaval bat actuellement son plein. Derrière l’exubérance et les paillettes, les défilés des écoles de samba portent des messages très politiques.

Depuis la fin des années 1920, les écoles de samba se sont imposées comme une vitrine culturelle du Brésil. Issues des quartiers périphériques et associées aux « favelas », elles engagent des disciplines variées (chant, danse, arts plastiques, musique, littérature, histoire, etc.) et symbolisent le brassage des peuples propre au Brésil.

À Rio, environ quatre-vingts écoles de samba s’affrontent au carnaval du sambodrome – divisé en cinq groupes de niveau. Une quarantaine de jurés les évalue en fonction de dix critères techniques et esthétiques. Un « bon » défilé est une narration structurée comme les chapitres d’un livre : au son de la chanson, l’histoire est matérialisée par des artefacts visuels (chars allégoriques, costumes), sonores (musique, choix des rythmes, paroles) et chorégraphiques. En 2024, Unidos do Viradouro a remporté le championnat, confirmant la tendance de défilés contestataires identifiée depuis 2016, malgré une ré-émergence de défilés se voulant légers et apolitiques. Quels processus influent sur la tendance des thématiques des défilés ?

Jusqu’en 1990 : déférence politique et irrévérence

Depuis leur apparition dans les années 1920, les écoles de samba traitent de thématiques politiques lors du carnaval. Mettre en défilé un épisode de l’histoire nationale devient obligatoire en 1947. Les écoles de samba s’y plient avec conviction pour tenter de faire leur place dans la communauté nationale. En 1949, Império Serrano réalise par exemple une « Exaltation à Tiradentes », héros républicain de l’indépendance. En 1956, Estação Primeira de Mangueira fait l’éloge de l’homme d’État et dictateur Getulio Vargas.

Historiquement, les écoles de samba ont développé des rapports de déférence vis-à-vis du pouvoir politique, afin de survivre aux répressions et d’obtenir une reconnaissance symbolique et financière. Néanmoins, la contestation politique a toujours été présente dans les défilés. Subtile ou frontale, elle remet en cause du mythe national de « démocratie raciale », selon lequel il n’existerait pas d’inégalités en raison des rapports sociaux de race.

1990-2015 : l’ère des défilés sponsorisés

Dans les années 1990, l’obligation de thématique nationale prend fin, tandis que les sponsors sont autorisés.

S’ouvre alors une époque de défilés dits « commerciaux ». Marques de préservatifs, shampooings, yaourts, machines-outils agricoles, multinationales agro-alimentaires, compagnies aériennes : les défilés sponsorisés se multiplient et les messages transmis perdent en « profondeur ». En contre-partie, l’aisance financière permet aux écoles de donner davantage de costumes à leurs membres, souvent issus des classes populaires et paupérisées. Mais un lien trop flagrant avec un produit commercial réduit à néant les chances de gagner la compétition du carnaval. La réussite des défilés « commerciaux » dépend de l’ajustement avec une thématique pertinente aux yeux du jury – qui valorise les thématiques dites « culturelles ».

Dans les années 2000 et 2010, il est possible de gagner le carnaval avec des sponsors commerciaux. En 2013, la quasi-totalité des écoles est sponsorisée. Cette année-là, un défilé portant sur le monde rural financé par une multinationale de pesticides et semences transgéniques l’emporte. En 2014, c’est un défilé sur Ayrton Senna réalisé grâce à des financements de constructeurs automobiles qui gagne la compétition.

Le tournant militant de 2016

En 2016, le maire évangéliste de Rio supprime les subventions aux écoles de samba. En parallèle, la crise économique fait s’évaporer les sponsors privés. La déférence aux élites politiques et économiques disparaît.

De jeunes conceptrices et concepteurs de défilé (au cachet moins élevé) sont embauchés, produisant une nouvelle dynamique dans la définition des thèmes. Les victoires sont conquises en abordant l’esclavage, l’intolérance religieuse, la torture pendant la dictature, dans un contexte de montée de l’extrême droite au Brésil.

Carnaval de Rio 2025

À Rio, le carnaval est loin de se limiter à la compétition entre écoles de samba. En 2025, comme chaque année, une folie carnavalesque s’empare de chaque recoin de la ville. | ©Sophie Janinet, CC BY-ND

2020-2023 : vers un essoufflement des revendications politiques ?

À partir de 2020, le contexte politique se fait moins menaçant pour les écoles de samba, notamment avec l’élection à Rio, puis la réélection au premier tour en 2024, d’un maire qui se revendique « procarnaval ». La tendance se confirme avec le retour de Lula à la présidence de la République en 2023 (son marketing politique est basé sur la défense des populations minorisées).

En parallèle, la crise sanitaire, particulièrement mortifère au Brésil, a conduit à l’annulation du carnaval en 2021 et à son report en 2022 : un besoin de « légèreté » et d’insouciance se traduit dans certains défilés.

De surcroît, les dynamiques propres au carnaval ont pour effet de toujours faire évoluer la narrativité des défilés. L’injonction d’innovation est si importante que de grands succès seraient perçus comme dépassés s’ils étaient reproduits quelques années plus tard. L’articulation de ces facteurs craquelle le caractère incontournable des thématiques politisées pour le carnaval 2024.

2024 : l’affrontement de deux tendances

Certes, la majorité des écoles présentent des défilés contestataires en 2024, mais parmi celles qui se disputent la première place, plusieurs concurrentes sérieuses investissent des thématiques culturelles légères ou politiquement neutres : la sensualité du peuple brésilien, la culture tzigane au Brésil, la mythologie fondatrice de la nation portugaise et son héritage.

C’est finalement Unidos do Viradouro qui l’emporte haut la main, avec un défilé dont la « mission » revendiquée est de « dédiaboliser le culte vodum » (dans un contexte d’augmentation des actes de violence fondés sur l’intolérance religieuse).

Les vainqueurs du Carnaval de Rio 2024 : Unidos do Viradouro.

Elle devance largement l’école en seconde place. Le jury fait acte de sa préférence pour des défilés clairement engagés dans une perspective antiraciste, féministe et décoloniale (si la technique et l’esthétique suivent).

L’école de samba arrivée seconde au Carnaval de Rio 2024 : Imperatriz Leopoldinense.

2025 : l’impact du championnat sur les nouvelles tendances

Quelques semaines plus tard, les premiers effets des résultats se concrétisent. Ils sont surtout flagrants pour Imperatriz Leopoldinense (seconde position en 2024 avec le défilé sur la culture tzigane). Jusqu’alors, la direction de l’école ne souhaitait pas s’engager dans les thématiques dites « afro », valorisant les héritages africains de la culture brésilienne. Les résultats du carnaval 2024 l’amènent à opérer un changement radical. Dès le 8 avril, l’école annonce sa nouvelle thématique : la cosmologie yoruba.

L’une après l’autre, les autres écoles de samba annoncent leurs thèmes. Pas moins de 10 écoles – sur 12 du Groupe Spécial – embrassent ce mouvement. En 2025, c’est la valorisation des brassages culturels et religieux d’origine africaine et autochtone qui est à l’honneur, ainsi que la cosmologie de matrice africaine.

Rappelant qu’elles sont essentiellement composées par des populations minorisées en résistance contre l’héritage esclavagiste du pays, les écoles de samba persistent et signent en affrontant le racisme religieux – actes de violence majoritairement commis contre les religions de matrice africaine – et ses dérivés comme la LGBTphobie – quant à elle décuplée à l’encontre des afrodescendants pratiquant une religion non monothéiste.

Au vu de la qualité narrative des thématiques contestataires proposées, de l’engouement des membres autour de ces dernières, et de l’ingéniosité des concepteurs et conceptrices de défilé engagés depuis la crise de 2016, il y a fort à parier que la tendance soit consolidée pour 2026. Néanmoins, un problème technique ou climatique peut bouleverser tout pronostic. Les aficionados le savent : à carnaval, tout est possible.The Conversation

Autrice :

Antoinette Kuijlaars, chercheuse postdoctorale, Université Lumière Lyon 2

Cet article est republié sous licence Creative Commons.

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The Conversation

La dissuasion nucléaire française est-elle crédible face à la Russie ? | The Conversation

LLa dissuasion nucléaire française est-elle crédible face à la Russie ? | The Conversation

L’arsenal nucléaire français (290 têtes déployées) est sous-dimensionné pour répondre à la menace russe (1 600 têtes déployées). À quelles conditions la France pourrait-elle assurer une dissuasion à l’échelle européenne, alors que la protection des États-Unis ne semble plus garantie ?

Dès 2020, Emmanuel Macron a proposé une réflexion sur la dimension européenne de la dissuasion nucléaire française. En ce sens, il a proposé un dialogue stratégique ainsi que des exercices nucléaires conjoints entre les partenaires européens. Cinq ans plus tard, en février 2025, Friedrich Merz, futur chancelier fédéral, a répondu à cet appel, préconisant une extension du parapluie nucléaire français à l’Allemagne alors que les États-Unis de Donald Trump n’apparaissent plus comme un partenaire fiable pour protéger l’Europe.

Mais la France a-t-elle les capacités de défendre l’Europe ? L’hypothétique déploiement du parapluie nucléaire français en Europe de l’Est permettrait-il de concrétiser l’autonomie stratégique de l’Europe, lui donnant les moyens de se défendre en toute indépendance ?

La dissuasion nucléaire française face à la menace russe

À l’origine, la France a développé son armement atomique pour répondre à la menace de l’invasion soviétique et pour éviter toute dépendance vis-à-vis des États-Unis. Selon une doctrine stable et régulièrement réaffirmée par le pouvoir politique, Paris utiliserait son arsenal stratégique par voie aérienne et sous-marine en cas d’attaque contre ses intérêts vitaux

Reste que, sans le soutien états-unien, le rapport de force apparaît largement défavorable à la France, laquelle dispose de 290 têtes nucléaires contre 1 600 têtes déployées (4 380 têtes avec les stocks) côté russe.

Certes, la puissance explosive des ogives thermonucléaires, alliée à la portée balistique du missile mer-sol balistique stratégique français M51, permettrait de vitrifier les principales villes russes, dont Moscou.

Mais à l’inverse, il suffirait aux Russes de « 200 secondes pour atomiser Paris », selon une estimation donnée à la télévision russe au sujet des missiles thermonucléaires Satan.

Cette opération classique de communication renvoie à la perspective dite du « goutte à goutte » consistant à détruire les villes ennemies dans un échange atomique au coup par coup, dans lequel la Russie peut compter sur son immensité pour gagner à l’usure. C’est cette potentielle vitrification réciproque qu’il faut garder à l’esprit dans le pari mutuel de la dissuasion nucléaire.

Afin de doper l’impact de la dissuasion nucléaire français, un partenariat pourrait être envisagé avec le Royaume-Uni. Puissance nucléaire depuis 1952, Londres ne possède plus que des missiles balistiques lancés par sous-marin et a décidé, depuis le Brexit, de renforcer son arsenal à 260 têtes nucléaires. Mais, bien que partageant des intérêts communs, ces deux puissances nucléaires européennes ne sont pas équivalentes.

Contrairement au Royaume-Uni, qui est membre du groupe des plans nucléaires de l’Otan et dont les ogives sont conçues aux États-Unis, la France produit ses armes sur son propre territoire et n’est soumise à aucune obligation de l’Otan, ce qui donne à Paris une grande marge de manœuvre pour définir sa doctrine. Enfin, la France reste légitime pour parler au nom de l’Union européenne, dont elle fait politiquement partie depuis sa création.

La force nucléaire française : une alternative à la dissuasion élargie des États-Unis

La France est devenue officiellement une puissance atomique dès 1960 en s’appuyant sur ses propres ressources, le soutien extérieur des États-Unis oscillant au gré des événements. Car l’apparition d’une force stratégique française indépendante a longuement contrarié Washington qui a cherché à la restreindre par des traités internationaux – comme le traité de 1963 limitant les essais nucléaires atmosphériques ou encore le Traité de non-prolifération (TNP) en 1968. Depuis 1974, officiellement, la force nucléaire française a un rôle dissuasif propre au sein de l’Otan, contribuant à la sécurité globale de l’Alliance en compliquant les calculs des adversaires potentiels.

Il y a près de soixante ans, la mise en place de la riposte graduée par le président Lyndon Johnson avait renforcé les doutes sur la détermination de la Maison Blanche à s’engager pleinement dans la défense de l’Europe. Aujourd’hui, la volonté du président Trump de mettre fin au soutien de son pays à l’Ukraine confirme ces soupçons. Dès lors, des voix de plus en plus manifestes et insistantes plaident pour l’acceptation d’une force nucléaire française qui ne serait plus chimiquement pure, mais qui s’étendrait à l’échelle européenne.

Le pré-positionnement du parapluie nucléaire français en Europe de l’Est

La demande du futur chancelier allemand Friedrich Merz rejoint la proposition française d’établir un dialogue engageant les Européens dans une démarche commune. Comme l’a rappelé le ministre des armées, la définition précise de l’intérêt vital relève de la seule responsabilité du président de la République française en fonction des circonstances. Pour autant, l’emploi de l’arme nucléaire pour protéger l’Europe implique une discussion stratégique pour définir la puissance à acquérir, les intérêts à défendre et le mode de commandement du feu nucléaire.

Avancer vers le cadre d’une européanisation de la force nucléaire signifie augmenter les capacités de dissuasion et, donc, accroître l’arsenal français pour lui permettre de répondre aux menaces qui concernent l’ensemble des 27 États membres de l’Union européenne. Cela nécessite de constituer des stocks supplémentaires de matières fissiles et donc de réactiver les usines de production de Pierrelatte (Drôme) et Marcoule (Gard) démantelées en 1998, sacrifiées sur l’autel du désarmement unilatéral.

Le dogme de la stricte suffisance doit également être questionné. Si aujourd’hui, 290 têtes nucléaires représentent la valeur que la France accorde à la défendre de son existence, ce prix paraît négliger l’échelle du continent européen, et la logique le confirme : les puissances nucléaires de taille continentale telles que les États-Unis, la Russie et bientôt la Chine déploient un arsenal à hauteur d’un millier de têtes thermonucléaires.

La remontée en puissance prendra du temps et nécessitera un effort budgétaire pour son extension européenne au travers de l’augmentation du nombre de missiles et d’avions porteurs. Outre la construction de nouvelles infrastructures dans les pays européens partenaires, le coût pourrait dépasser 10 milliards d’euros annuels, sans compter les coûts indirects liés à la maintenance et à la logistique. Un temps long à prendre en compte d’autant que l’offre politique et stratégique d’une protection nucléaire élargie évolue au gré des circonstances.

Alors que Berlin préférait jusqu’à présent que la France assume un rôle simplement complémentaire à la dissuasion élargie des États-Unis, l’abandon de l’Ukraine par ces derniers donne une prime à l’agresseur russe. Comme l’indique Emmanuel Macron, la France pourrait en réaction proposer un prépositionnement de ses forces nucléaires dans les pays d’Europe de l’Est avec l’idée de se substituer à terme aux États-Unis.

Ce parapluie nucléaire français concrétiserait l’autonomie stratégique européenne à travers le déploiement d’avions de combat à capacité nucléaire, signe de la solidarité politique européenne et rendant plus difficiles les calculs de Moscou.

La présence visible de ces avions en Europe de l’Est pourrait empêcher la Russie d’attaquer les pays en question avec des moyens conventionnels, une telle attaque risquant de provoquer une riposte nucléaire française au nom de l’Europe.The Conversation

Auteur :

Benoît Grémare, chercheur associé à l’Institut d’Études de Stratégie et de Défense, Université Jean Moulin Lyon 3

Cet article est republié sous licence Creative Commons.

>> Lire l’article original :

The Conversation

 

Quand nos grand-mères donnaient la vie. La maternité en France dans l’entre-deux-guerres

QQuand nos grand-mères donnaient la vie. La maternité en France dans l’entre-deux-guerres

Les Presses universitaires de Lyon – PUL –  vous proposent une rencontre dessinée autour de l’ouvrage Quand nos grand-mères donnaient la vie. La maternité en France dans l’entre-deux-guerres en présence de son autrice, Françoise Thébaud.

Françoise Thébaud, historienne, professeure émérite d’histoire et spécialiste de l’histoire des femmes, dialoguera avec la dessinatrice Lou Herrmann, qui réalisera en direct des illustrations inspirées par l’ouvrage présenté, lors d’une rencontre modérée par Guillaume Gourgues, maître de conférences en science politique à l’Université Lyon 2 et chercheur au laboratoire Triangle.
Une occasion de se pencher sur l’histoire de la maternité en France, qui retrouve une actualité dans les recherches en sciences humaines et sociales.

Intervenants :

  • Françoise Thébaud, professeure émérite en histoire contemporaine, spécialiste des femmes et du genre. Elle est cofondatrice de la revue Clio. Femmes, genre, histoire. Elle est une des pionnières de la recherche sur la maternité. Ses travaux portent également sur la place des femmes en temps de guerre et ses effets de genre, les féminismes, l’historiographie de l’histoire des femmes et du genre.
  • Lou Herrmann, docteure en urbanisme et dessinatrice. Au sein de l’École urbaine de Lyon, elle pilotait en particulier le studio Sciences dessinées. Elle est cofondatrice de la Cité anthropocène.
  • Guillaume Gourgues, maître de conférences en science politique à l’UFR d’Anthropologie, sociologie et science politique (ASSP) au sein de l’Université Lumière Lyon 2,chercheur au laboratoire Triangle et responsable scientifique des Presses universitaires de Lyon – PUL.

Pour en savoir plus :

Rencontre dessinée

 

Rivalité des grandes puissances : vers une multiplication des domaines de confrontation

RRivalité des grandes puissances : vers une multiplication des domaines de confrontation

Les États voient se développer des manifestations d’hostilité sur des terrains que la modernité rend précisément toujours plus critiques. L’École Normale Supérieure de Lyon – ENS de Lyon, vous invite à assister à une conférence traitant du sujet.

La mondialisation du commerce, les innovations digitales ou numériques, sur les plans sociaux ou industriels, ont construit un monde de liaisons innombrables, aux nombreuses chambres d’écho, dans lesquelles la guerre se manifeste sous des formes larvées, du « soutien » distant de l’allié aux « rivalités » euphémisées.
Ainsi dans ce contexte vague mais interdépendant, où guerre et paix se nuancent en un spectre nouveau, les opérations qui manifestent l’hostilité d’un État envers un autre se diffractent de même, se décomposent dans un ensemble de domaines. L’addition difficile des focales (technologiques, économiques, sociales…) dessine pourtant le « conflit complet », le profil hétéroclite de l’ennemi.

Intervenant.e.s :

  • Mme Muriel Domench, ex ambassadrice à l’OTAN,
  • Le général Autellet, ex Major Général des Armées,
  • M. Olivier Zajec, maître de conférences en sciences politiques.

 >> Pour plus d’informations, rendez-vous sur le site : 

Santé[s], une vision globale | Pop’Sciences Mag#14

SSanté[s], une vision globale | Pop’Sciences Mag#14

©Visée.A

Le Pop’Sciences Mag#14  « Santé[s], une vision globale  » bientôt disponible !

Dans ce 14e numéro, Pop’Sciences Mag a décidé d’interroger la démarche One Health, Une seule santé, un concept qui reconnaît que les santés des humains, des animaux, des plantes et de l’environnement en général sont étroitement liées et interdépendantes.  De son principe à sa mise en pratique, comment ce concept peut-il dessiner la santé du futur ?

Avec les regards croisés d’historiens, épidémiologistes, politistes, cancérologues, sociologues… interrogeons-nous sur cette nouvelle manière de concevoir la santé.

 

Retrouvez des enquêtes, interviews et reportages-photos qui éclaireront cette problématique.

Au sommaire de ce numéro :

  • La santé : un concept pluriel ?
  • HISTOIRE : D’Hippocrate à One Health : quand la médecine intègre l’environnement
  • ENVIRONNEMENT : Une exposition permanente à des éléments toxiques
  • ÉPIDÉMIOLOGIE : Surveiller les santés humaine et animale interdépendantes
  • PRATIQUES : One Health et politiques publiques : comment concrétiser cet enjeu de santé mondiale ?
  • ALIMENTATION : Repenser notre système agroalimentaire de la fourche à la fourchette
  • La parole aux chercheurs : Faire « One Health » : créer les conditions de l’émergence !
  • La parole aux chercheurs : One Health sur le terrain anthropologique

 

>> Pour découvrir les articles du magazine (à partir du 4 décembre) :

POP’SCIENCES MAG#14

>> Pour télécharger la version en pdf (à partir du 4 décembre) :

©Visée.A

Le Pop’Sciences Mag #14 « Santé[s], une vision globale » a été :

  • Réalisé grâce à la contribution de chercheurs issus des établissements et instituts suivants : Université Claude Bernard Lyon 1, Université Lumière Lyon 2, Université Jean Moulin Lyon 3, Université Jean Monnet Saint-Étienne, Université Grenoble-Alpes, École normale supérieure de Lyon (ENS de Lyon), Institut national des sciences appliquées Lyon (INSA Lyon), VetAgro Sup, École nationale des travaux publics de l’État (ENTPE), École nationale supérieure d’architecture de Lyon (ENSAL), Mines Saint-Étienne, Centre national de la recherche scientifique (CNRS), Institut national de la santé et de la recherche médicale (Inserm), Institut national de recherche pour l’agriculture, l’alimentation et l’environnement (INRAE), Hospices civils de Lyon, Centre hospitalier universitaire de Saint-Étienne, Centre Léon Bérard.
  • Développé avec le soutien de la Métropole de Lyon, de la Région AURA, du projet LYSiERES²– Sciences avec et pour la société, du projet SHAPE-Med@Lyon et de la CASDEN.

>> Soirée de lancement le 4 décembre :

Santé : mieux comprendre les expositions environnementales

Les intermittents du spectacle, 35 ans de lutte – Une étude sociologique

LLes intermittents du spectacle, 35 ans de lutte – Une étude sociologique

Longtemps en gestation, l’intermittence du spectacle est mise en place en France durant les années 1960. C’est néanmoins à partir de la décennie 1980 que ce statut voit naître une suite régulière de conflits ponctuée de temps forts, que l’annulation de grands festivals pendant l’été 2003, en premier lieu celui d’Avignon, illustre de façon remarquable.

Régime particulier du système d’assurance chômage, à l’origine fermement soutenu par un État-providence culturel alors en plein développement, il n’en est pas moins décrié par certains groupes politiques ou syndicaux, provoquant des antagonismes fondamentaux (entre le MEDEF et les intermittents), des coopérations concurrentielles (entre la CGT et les coordinations), des incertitudes sociales (sur le statut de salarié ou de précaire des professionnels du spectacle).

Serge Proust viendra à la Bibliothèque Universitaire Chevreul de l’Université Lumière Lyon 2 pour nous présenter son ouvrage Les Intermittents du spectacle, 35 ans de lutte, paru aux Presses Universitaires de Lyon en juin. Cet ouvrage, inédit par son ampleur, s’appuie sur un vaste travail documentaire, remontant aux années 1970, ainsi que sur des entretiens et des observations de terrain lancés dès les années 1990. Il constitue ainsi une somme de référence sur un régime aujourd’hui encore en lutte pour sa singularité. L’ouvrage s’intéresse à ce statut particulier des professionnels du spectacle et à l’histoire de leurs luttes.

En partenariat avec les Presses universitaires de Lyon – PUL , nous vous proposons une rencontre avec un chercheur en sociologie sur le temps du midi.

Intervenant : Serge Proust, maître de conférences en sociologie à l’Université Jean-Monnet Saint-Étienne et chercheur associé au Centre Max-Weber.

Rencontre animée par : Sophie Béroud, co-directrice de la collection Actions collectives.

>> Pour plus d’information, rendez-vous sur le site : 

PUL

Franz Kafka, un écrivain allemand entre tradition juive et modernité pragoise

FFranz Kafka, un écrivain allemand entre tradition juive et modernité pragoise

La Bibliothèque Diderot de Lyon et l’Université Grenoble Alpes ouvre le bal de leur séminaire inter-laboratoires 2024-2025 L’espace littéraire de Berlin à Vladivostok avec la première séance du programme!;

Pour avoir toute  la programmation 2024-2025 du séminaire : ici

> Le Programme de la journée : 

  • « Was habe ich mit Juden gemeinsam ? » Franz Kafka, écrivain de la tradition juive interrompue. Marie-Odile Thirouin.

L’essai de Philippe Zard sur les judaïsmes apocryphes (De Shylock à Cinoc, Classiques Garnier, 2017) éclaire d’un jour nouveau la vocation de Kafka à la grande littérature, dans la situation historique qui était la sienne – celle d’un écrivain juif issu de la bourgeoisie germanophone pragoise, dans un contexte bilingue et binational largement sécularisé. Ce contexte a disparu au fil des catastrophes du XXe siècle, vite remplacé par divers contextes imaginaires plaqués sur l’œuvre de Kafka par une critique parfois peu scrupuleuse. Outre le vide laissé par la disparition violente du monde juif des pays tchèques, le caractère fragmentaire de l’œuvre de Kafka a favorisé ce type d’interprétations hasardeuses. Or depuis les années 1990, l’accès aux archives tchèques et la refonte éditoriale complète de l’œuvre de Kafka en ont profondément renouvelé l’approche critique, comme en témoigne l’ouvrage de Philippe Zard. Ce renouvellement ne consiste pas à expliquer l’œuvre par la biographie de l’auteur, ni à la réduire à sa dimension juive. Il permet, d’une part, de se débarrasser des contextes inventés et, d’autre part, de remettre à leur juste place les interrogations de Kafka quant à son identité juive brouillée, interrogations qui ont pris de l’ampleur avec le temps. Des exemples concrets, tirés des romans et nouvelles comme du Journal de Kafka, donneront une idée de la manière dont cet héritage juif morcelé informe discrètement l’œuvre de l’écrivain.

  • « Der Klang meines Deutsch » : l’écriture post-monolingue chez Franz Kafka. Myriam Geiser.

Franz Kafka grandit à Prague, ville appartenant jusqu’en 1918 à la Monarchie autrichienne des Habsbourg. En tant que juif germanophone, il parle le « Prager-Deutsch », l’allemand de Prague, c’est-à-dire un allemand aux contours perméables, sujet à des influences linguistiques diverses. Comme l’a montré Marek Nekula dans une étude minutieuse des « langues de Kafka » (Franz Kafkas Sprachen – « in einem Stockwerk des innern babylonischen Turms », 2003), les interférences perceptibles dans ses écrits relèvent autant du contexte plurilingue immédiat dans lequel l’auteur évolue que de ses propres stratégies poétiques et stylistiques (« Selbststilisierung »). Son rapport à la langue allemande (qu’il qualifie de ‘langue maternelle’) est complexe et doit être interrogée en lien avec son ethos d’écrivain juif. En atteste une réflexion sur « l’impossibilité d’écrire en allemand, l’impossibilité d’écrire autrement, l’impossibilité d’écrire, l’impossibilité de ne pas écrire », formulée dans une lettre à son ami Max Brod datant de 1921. Pour Yasemin Yildiz (Beyond The Mother Tongue, 2012), ce dilemme est relié à une crise moderne plus généralisée du « paradigme du monolinguisme » (postulant l’idée d’une corrélation étroite entre origine, langue et identité). Selon elle, l’écriture littéraire de Franz Kafka – d’expression exclusivement germanophone – relève d’une « condition post-monolingue » basée sur la coexistence de plusieurs langues et l’abandon du concept de l’identité monolingue. Face aux multiples interrogations quant à son appartenance aux univers juif, tchèque, allemand, Kafka définit sa « germanité » propre (Maïa Hruska), et revendique par là sa place légitime dans le monde littéraire allemand. Ma contribution souhaite mettre en lumière la façon dont cette conscience post-monolingue introduit une prise de distance et une réflexivité permanente dans le processus même d’écriture. La position décentrée de son œuvre fait de Kafka l’un des parrains d’une littérature germanophone transculturelle, comme l’affirme par exemple Narvid Kermani, né en 1967 en Allemagne de parents iraniens : « il n’y a pas de plus grande responsabilité pour moi que d’appartenir à la même littérature que le juif pragois Franz Kafka » (Zwischen Koran und Kafka : West-östliche Erkundungen, 2014).

>> Les intervenantes : 

  • Myriam Geiser, maîtresse de conférences en études germaniques à l’université Grenoble Alpes (ILCEA4)
  • Marie-Odile Thirouin, maître de conférences honoraire en littérature comparée à l’université Lumière Lyon 2

 

>> Pour en savoir plus, rendez-vous sur le site : 

Bibliothèque Diderot

La prolifération du nucléaire militaire : un risque inévitable ? | The Conversation

LLa prolifération du nucléaire militaire : un risque inévitable ? | The Conversation

L’arme nucléaire reste plus que jamais perçue comme l’élément de dissuasion le plus convaincant. Plusieurs États pourraient s’en doter, ou chercher à le faire, tandis que la menace de son utilisation est souvent évoquée par les leaders de certains pays qui la possèdent.

Les menaces d’utilisation de l’arme nucléaire régulièrement brandies par le Kremlin à l’encontre de l’Ukraine et de ses alliés, mais aussi le programme nord-coréen, les avancées iraniennes en la matière ou encore la montée en puissance nucléaire de la Chine inquiètent profondément les gouvernements et les populations du monde entier. Le terrifiant spectre d’une déflagration nucléaire mondiale n’est d’ailleurs sans doute pas pour rien dans l’attribution du prix Nobel de la paix 2024 au groupe japonais Nihon Hidankyo, qui lutte pour l’abolition de l’arme atomique.

Il est donc opportun, en ces temps particulièrement troublés, de faire un point sur la prolifération nucléaire militaire – qui doit être distinguée de la construction des centrales nucléaires destinées à produire de l’électricité – et d’en jauger le degré de dangerosité.

La prolifération nucléaire : un phénomène qui n’est pas nouveau

L’arme nucléaire a, dès sa première utilisation par les États-Unis en 1945, démontré au monde son extraordinaire pouvoir destructeur et l’avantage en termes de puissance et d’influence qu’elle confère à celui qui la possède. Dès lors, la période de la guerre froide a initié une course à l’armement nucléaire pour installer la dissuasion entre puissances.

Ainsi, l’Union soviétique a acquis l’arme en 1949, suivie du Royaume-Uni (1952), de la France (1960), d’Israël (années 1960), de la Chine (1964), de l’Inde (1974), du Pakistan (en 1998) et de la Corée du Nord (premier essai réussi en 2006).

L’entrée en vigueur en 1970 du Traité de Non-Prolifération (TNP) n’a pas réussi à enrayer cette dynamique prolifératrice. Toutefois, les superpuissances américaine et soviétique ont voulu, notamment au travers du Traité sur la limitation des missiles antibalistiques de 1972 ou des différents accords dits Strategic Arms Limitations Talks (SALT), limiter l’expansion de leurs arsenaux nucléaires.

L’après-guerre froide : une dynamique paradoxale de réduction des arsenaux et de nouvelles proliférations

Avec la fin de la guerre froide (1991), la menace d’un affrontement nucléaire entre superpuissances a diminué. Les immenses arsenaux de ces deux pays ont considérablement diminué grâce à l’application du traité dit Strategic Arms Reduction Treaty (START).

Toutefois, des dynamiques négatives se sont installées (ainsi, le Pakistan a acquis l’arme nucléaire pour dissuader l’Inde). De nouvelles menaces ont émergé de la part d’États parias et d’acteurs non étatiques. La Corée du Nord, pays agressif et imprévisible, n’a eu de cesse de développer sa capacité nucléaire pour sanctuariser son régime. L’Iran, s’il ne possède pas encore l’arme nucléaire, met en œuvre d’importants efforts pour l’obtenir – des efforts qu’a encouragés la dénonciation en 2018 par Donald Trump de « l’accord sur le nucléaire iranien » de 2015, le Joint Comprehensive Plan of Action (JCPOA).

En outre, la perspective du terrorisme nucléaire – à savoir la menace que des groupes terroristes acquièrent des matériaux nucléaires afin de créer des « bombes sales », c’est-à-dire des bombes capables de disperser des éléments radioactifs – suscite la plus grande préoccupation. Les réseaux de contrebande internationale, soutenus par des États parias, corrompus ou ayant intérêt à la déstabilisation, peuvent faciliter la diffusion des briques technologiques nécessaires à la fabrication de telles armes ou à l’obtention de matière fissile.

Les années 2010 sont marquées par un regain de tension internationale en de nombreux points du globe, ce qui entraîne une augmentation des arsenaux de plusieurs pays nucléaires (en particulier de la Chine et de la Russie) et une modernisation de ceux-ci, notamment au travers du développement de c’est bizarre (vecteurs dépassant Mach 5, recherches visant à accéder à des vitesses dépassant Mach 10…), des portées ou des mesures de protection des vecteurs durant la phase de vol.

De plus, les mécanismes de contrôle des armements peinent de plus en plus à remplir leur rôle. Le Traité sur les forces nucléaires de portée intermédiaire (INF) n’a plus cours depuis 2019, le traité de limitation du nombre d’ogives et de bombes nucléaires stratégiques New Start est à l’arrêt, laissant craindre une nouvelle période d’instabilité stratégique où le nucléaire prendra une place de plus en plus importante dans les doctrines militaires des pays qui en sont dotés et parfois dans le discours des dirigeants concernés.

Les technologies modernes comme facteur facilitateur de la prolifération

Autre ombre au tableau : les technologies modernes ont tendance à faciliter la prolifération. Internet et les technologies de l’information ont rendu plus accessible l’accès aux connaissances et données techniques, par exemple en physique des matériaux, en physique nucléaire ou bien encore en technologie balistique.

Cela inclut les bases de données numériques et les publications scientifiques en accès libre. De plus, le cyberespionnage, utilisé par les États ou des groupes non étatiques, permet de s’approprier des informations sensibles.

La technologie 3D peut également faciliter la fabrication des composants avec précision comme l’utilisation de l’intelligence artificielle permet d’optimiser la gestion des programmes d’armement.

Les instabilités régionales ravivent la prolifération et les risques d’escalade

Dans les régions sous tension, les armes nucléaires sont perçues par les États comme une forme d’« assurance-vie », a fortiori lorsqu’il existe une asymétrie conventionnelle entre deux États rivaux. C’est le cas par exemple de l’Inde et du Pakistan, ou de la Corée du Nord face à son voisin du sud, soutenu par les États-Unis. Ce schéma peut se reproduire dans des régions où l’arme nucléaire n’existe pas ou n’est pas évoquée.

À titre d’exemple, les tensions entre Israël et plusieurs États arabo-musulmans mais également la rivalité entre l’Arabie saoudite et l’Iran peuvent pousser certains pays, notamment l’Arabie saoudite, l’Égypte et la Turquie, à chercher à se doter de l’arme nucléaire.

En Asie, l’accession de la Corée du Nord à l’arme atomique provoque des débats au Japon et en Corée du Sud, pouvant les mener à terme à vouloir à leur tour devenir des États dotés.

L’impuissance des organisations et des sanctions internationales

L’Agence Internationale de l’énergie atomique (AIEA) joue un rôle majeur en s’assurant que la technologie nucléaire n’ait que des fins pacifiques, en dehors des pays dotés légalement, en menant des inspections de toutes les installations nucléaires du monde en application du TNP. Malheureusement, l’efficacité de cette organisation dépend de la volonté des États quant à l’accès aux installations. Par exemple, l’Iran et la Corée du Nord n’ont pas hésité à interdire aux membres de l’AIEA l’accès à leurs infrastructures nucléaires.

Le Conseil de sécurité des Nations unies peut également jouer un grand rôle dans la limitation de la prolifération nucléaire. Il a par exemple été impliqué dans l’élaboration du JCPOA. Mais là encore, son efficacité souffre de la divergence politique de ses membres, à commencer par celle qui caractérise les États-Unis d’une part, la Chine et la Russie de l’autre.

Les sanctions internationales (le plus souvent américaines et/ou européennes) peinent également à restreindre la prolifération. Si elles cherchent à affaiblir les capacités économiques et technologiques des États proliférants (interdiction du commerce de certains biens, gels des avoirs financiers à l’étranger, restrictions sur l’approvisionnement énergétique et ont un impact significatif sur les économies des pays concernés, elles n’en demeurent pas moins d’une efficacité limitée. En effet, les sanctions peuvent accentuer le caractère paranoïaque de certains régimes et, par conséquent, les inciter à multiplier les efforts afin de se doter au plus vite de la bombe.

Sans oublier que les sanctions sont souvent détournées par l’organisation de réseaux de contrebande ou de sociétés écran, et que certains pays désireux d’acquérir l’arme nucléaire peuvent bénéficier de l’aide d’acteurs extérieurs comme la Chine, la Russie ou le Pakistan, pour n’évoquer que la période récente. Ainsi, la Corée du Nord a bénéficié de l’aide de la Russie et de la Chine, le Pakistan a profité d’un large transfert de connaissances de la Chine, et l’Iran de la Russie.

Comment sortir de cette impasse ?

Si la conjoncture géopolitique s’y prêtait, il serait extrêmement utile de tenter de raviver le TNP, et de renforcer les mesures techniques (par l’utilisation de l’IA et du big data ainsi que des drones et robots) afin de permettre à l’AIEA de mieux vérifier que les États respectent leurs engagements internationaux de ne pas détourner leur production nucléaire civile à des fins militaires. Il serait également utile de promouvoir des accords multilatéraux élargis.

Malheureusement, la situation actuelle n’est guère favorable à un tel scénario. La Chine et la Russie se sont lancées dans une politique impériale, les États-Unis veulent maintenir leur imperium et peuvent réélire un président aussi brutal qu’imprévisible en la personne de Donald Trump.

La déstabilisation du Moyen-Orient menace de précipiter la région entière dans la guerre.

Qu’en est-il du droit international ? Jugé par beaucoup de nations comme étant d’extraction occidentale, il ne peut être à l’origine d’un consensus général. La seule orientation imaginable, une fois que les guerres d’Ukraine et de Gaza auront pris fin, serait la réactivation de dialogues stratégiques entre grandes puissances qui pèseront sur les orientations de leurs alliés ou partenaires, et qui, en réaffirmant leurs assurances de sécurité, pourront persuader ceux-ci de ne pas poursuivre dans la voie du nucléaire militaire. Enfin, la diplomatie coercitive, mélange de sanctions et d’offres de coopération, doit être explorée de manière encore plus approfondie.

La prolifération nucléaire, un risque inévitable ? L’avenir pousse au pessimisme. Il apparaît en dernier ressort que seul un apaisement des différentes zones de tension pourrait faire s’estomper le spectre de la prolifération. Sacré défi !The Conversation

>> L’auteur :

Laurent Vilaine, Docteur en sciences de gestion, ancien officier, enseignant en géopolitique à ESDES Business School, Institut catholique de Lyon (UCLy)

Cet article est republié sous licence Creative Commons.

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Skammata/Tranchées

SSkammata/Tranchées

En collaboration avec l’association Defkalion, le laboratoire HiSoMA et la Maison de l’Orient et de la Méditerranée Jean Pouilloux vous invitent à la projection du documentaire Skammata/Tranchées,

Réalisé par Danae Stylianou à l’occasion du cinquantenaire de l’invasion de Chypre par l’armée turque, ce documentaire s’intéresse à l’archéologie chypriote, avant et après 1974.

La projection sera suivie d’une discussion, en présence de Alain Le Brun et de Odile Daune-Le Brun (Cristal CNRS 2007), qui a notamment travaillé sur le site du cap Saint-André et qui a été directrice adjointe de la Mission archéologique de Khirokitia.
Marguerite Yon, ancienne directrice des fouilles de Salamine, a le regret de ne pouvoir être présente.

>> Voir la bande annonce sur Youtube :

>> Pour plus d’information rendez-vous sur le site :

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