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Epidémies : peut-on s’y préparer ? Triptyque

EEpidémies : peut-on s’y préparer ? Triptyque

Connaissez-vous les épidémies zoonotiques ?

Avec ce nouveau triptyque, nous allons essayer de comprendre les épidémies zoonotiques…sous le regard d’un anthropologue. Les épidémies zoonotiques sont des épidémies dont l’origine est le passage d’un virus de l’animal à l’homme et vice versa. C’est le cas par exemple de la COVID, de la grippe, des maladies à orthoebolavirus comme Ebola ou encore de la fièvre hémorragique Crimée-Congo dont le réservoir est la tique hyalomma marginatum qui d’ailleurs s’est répandue rapidement dernièrement dans le sud de l’Europe.

Dans ce premier podcast, nous allons aborder la préparation à ces épidémies, comment aujourd’hui nous les traitons à la différence d’hier. Pour cela, nous partons en Afrique et Roumanie avec Frédéric le Marcis, professeur d’anthropologie à Triangle et à Trans VIHMI (à l’ Institut de recherches pour le développement)

…Et vous allez découvrir pourquoi.

> Écoutez le podcast :

> Lire la retranscription des propos de l’interview :

Vous avez mené des recherches de longue date en Guinée. Vous venez aussi d’entamer de nouvelles enquêtes dans le delta du Danube, en Roumanie. Pourquoi ? Qu’est-ce qui relie ces deux terrains et oriente vos recherches ?

Fréderic le Marcis – Depuis la pandémie de Covid, nous avons pris conscience, à l’échelle planétaire, de la menace que représente pour nous, humains, le passage de virus depuis des réservoirs animaux vers l’homme. Cette réalité pourtant n’est pas nouvelle : nous vivons depuis toujours avec des maladies qui traversent les frontières entre espèces. Pensez, par exemple, au VIH, dont l’origine est un virus présent chez les primates, ou à la grippe, dont le réservoir animal sont les oiseaux et les cochons.

Ce qui est nouveau, ce sont les dispositifs mis en place pour répondre à ces risques. Ils relèvent de ce qu’on appelle la « preparedness », ou préparation. Elle est fondée sur la certitude que de nouvelles zoonoses surviendront, et confiante dans les capacités technologiques pour y faire face.

Pourquoi tant de confiance est accordée aux capacités technologiques pour y faire face ?

F.L.M. – La science est appelée par le politique à l’éclairer, à lui permette de comprendre et de répondre aux problèmes posés par les épidémies. On parle de médecine et de politique fondés sur les preuves. Face aux incertitudes que sont les épidémies, les progrès technologiques sont rassurants et entretiennent l’espoir que les Humains peuvent maîtriser le vivant (et ce malgré les mises en causes de l’expertise scientifique associées à la circulation massive d’information sur les réseaux sociaux). On peut citer les avancées des technologies de diagnostique comme le test virologique RT-PCR (nous en avons tous fait lors de la Covid, l’analyse passait par un prélèvement nasopharyngé. Le test RT-PCR est un test sensible et spécifique qui permet d’exprimer le gêne ciblé même s’il est présent en petite quantité). Les progrès de la modélisation permettent d’anticiper le développement d’une épidémie et d’en comprendre la dynamique (et donc de légitimer l’action). Un autre aspect est le développement de réponses thérapeutiques et préventives comme les vaccins, extrêmement rapide pour la covid.

En conséquence, la « preparedness » englobe des dispositifs de surveillance, de diagnostic et de réponse aux épisodes épidémiques. Cette notion remonte à la guerre froide aux États-Unis (cf. Andrew Lakoff). Elle inclut aussi des scénarios construits à partir d’épidémies passées, sur lesquels les États et les acteurs sanitaires basent leur préparation. C’est le cas, par exemple, de l’académie de l’OMS qui vient d’ouvrir ses portes à Lyon.

Ce qui m’intéresse, en tant qu’anthropologue, c’est de comprendre ces dispositifs : qu’est-ce qu’ils disent de notre manière de comprendre le risque ? Comment y faisons-nous face ? En analysant ces dispositifs, j’examine leurs implications sociales et politiques, leurs implicites et leurs limites.

© Pixabay

D’accord. Aussi, pourquoi avoir choisi d’étudier la Guinée et la Roumanie ?

F.L.M. – Ces deux pays offrent des perspectives différentes mais complémentaires sur la « preparedness ». En Guinée, l’épidémie d’Ebola de 2014-2016 a été un moment charnière. Cette épidémie, la plus importante jamais enregistrée en Afrique de l’Ouest, a fait plus de 11 000 morts officiels dans la région (Guinée, Liberia, Sierra Leone). Elle a révélé aux pays du Nord qu’ils n’étaient pas à l’abri de ces maladies, et elle a profondément transformé la manière dont la Guinée gère les risques épidémiques.

Quant à la Roumanie, elle constitue un cas différent. Ce pays est situé aux confins de l’Europe, une sorte de « buffer zone » ou zone tampon entre une Europe du Nord supposée à l’abri et un Sud où des maladies comme la fièvre hémorragique de Crimée-Congo (CCHF) sont actives. La tique « Hyalomma marginatum », réservoir de ce virus, est présente en Roumanie, et des traces d’anticorps ont été détectées chez les ovins. Pourtant, aucun cas humain n’y a encore été signalé.

Cela permet d’observer des frictions entre les politiques de « preparedness » de l’Union européenne et les réalités locales.

Lesquelles ?

F.L.M.- Par exemple, en Guinée les programmes internationaux soutiennent le développement de réseaux de laboratoire de diagnostic et forment aux nouvelles technologies (ce qui dans l’absolu est très bien), mais le focus sur ces domaines de pointe se fait alors que le système de santé ordinaire (je pense par exemple à la qualité de la prise en charge des accouchements, à celle du diabète ou en général aux maladies non transmissibles) est défaillant. Cela crée de grandes inégalités. On peut également mentionner la pression exercée en Guinée pendant la pandémie de Covid à vacciner contre la maladie quand localement la population souffrait en premier lieu de la rougeole en raison de campagnes de vaccination insuffisantes. L’agenda vaccinal global vise à gérer le risque pour les pays occidentaux les plus développés plus qu’à répondre aux questions posées dans le domaine sanitaire dans les pays les moins avancés,

En Roumanie, surveiller un risque pose des questions géopolitiques et de souveraineté nationale. Ici l’UE attend de la Roumanie qu’elle joue un rôle de rempart, d’alerte face au risque d’émergence. Cependant assumer ce rôle pour la Roumanie c’est accepter de prendre le risque de mettre à mal son économie. La Roumanie possède le troisième cheptel ovin de l’Europe. Elle est le 5e exportateur européen (elle exporte principalement vers les pays du golfe, le Maghreb puis l’Italie, la Bulgarie et la Grèce). Accentuer la surveillance d’un virus qui pour l’heure n’est pas visible, représente localement un risque plus grand que le virus lui-même. Par ailleurs cette invisibilité est aussi le produit d’inégalités sociales : les personnes les plus exposées sont les populations rurales, comme les bergers. Or elles ont peu accès au dépistage ou aux soins.

Vous avez mentionné que les politiques de « preparedness » sont récentes. Pourtant, l’apparition de zoonoses n’est-elle pas un phénomène ancien ?

F.L.M. – Absolument. Les zoonoses existent depuis toujours. Mais aujourd’hui, on fait le lien entre leur augmentation et des facteurs comme le réchauffement climatique, la déforestation ou la diminution de la biodiversité. Ces phénomènes favorisent les contacts entre humains et réservoirs animaux auparavant inaccessibles. Le changement climatique permet aussi à des réservoirs, comme les tiques, de coloniser de nouvelles zones. Il ne faut pas oublier non plus que les hommes eux-mêmes sont à l’origine de zoonoses. Les humains ont transmis le Covid à leur compagnons canins, la tuberculose passe des humains à nos cousins primates…

Cependant, il ne faut pas délaisser la longue histoire des zoonoses et leur dimension politique. Par exemple, la peste Justinienne du 6e siècle, causée par « Yersinia pestis » (un virus dont le réservoir est la puce du rat), n’aurait pas touché toute l’Europe sans les routes commerciales liées à l’Empire romain. En Guinée, mes recherches montrent que les fièvres hémorragiques sont arrivées dans la région de Madina Oula il y a environ 150 ans, à la suite d’un protectorat signé entre la France et le royaume précolonial du Tamisso. Ce protectorat a facilité la circulation des caravanes et la construction d’une route, créant ainsi les conditions propices à la propagation virale. Cette longue histoire des expériences épidémiques constitue une mémoire collective à étudier.


> À suivre…

Notre prochain podcast abordera ce que l’histoire nous apprend pour ce qui concerne les épidémies…Rendez-vous donc jeudi prochain.

>> Pour en savoir plus :

Triptyque – Laboratoire Triangle

Le vélo, est-il un moyen de transport, toujours plus populaire ?

LLe vélo, est-il un moyen de transport, toujours plus populaire ?

Et nous poursuivons notre balade à vélo ….sujet de notre triptyque. Dans ce troisième et dernier podcast, nous allons découvrir s’il est toujours aussi populaire aujourd’hui.

Vous êtes prêts ? On enfourche de nouveau notre vélo et on partage cette balade  avec Clément LUY, doctorant en études italiennes à Triangle dont le travail de thèse porte sur le cyclisme à l’époque du régime fasciste italien. 

> Écoutez le podcast :

> Lire la retranscription des propos de l’interview :

Sous l’ère du fascisme il y avait donc les vélos et les voitures…il se posait à l’époque le problème du partage de la route, tout comme aujourd’hui. Car si le vélo est plutôt encouragé pour les déplacements concernant les trajets de proximité, il n’est plus le seul mode de déplacement, aujourd’hui nous avons les voitures, les trottinettes, les rollers, les skates…Comment assurer une certaine sécurité ? Quelles étaient les solutions à l’époque ?

La question ne se pose pas exactement dans les mêmes termes évidemment puisqu’aujourd’hui il y a nettement plus de voitures que dans les années 1930. Les routes sont à l’époque plus étroites, et elles sont surtout partagées avec d’autres véhicules lents, et notamment les charrettes, les carrioles tractées par des chevaux ou par des bœufs ou par des ânes. Sur ces routes, on croise aussi des vélos et de nombreux piétons tandis que les voitures restent très rares. Justement, les premières autoroutes, les autostrade italiennes datent des années 1920 et sont conçues comme un instrument de prestige par Mussolini, qui les vante bien au-delà des frontières italiennes. Ce sont en fait les premières routes intégralement réservées aux voitures et leurs spécificités ce n’est pas forcément d’avoir un péage, d’être payantes, mais c’est de sortir le trafic automobile des routes qui sont engorgées par les véhicules lents, par les charrettes, ou par les vélos. En général, à l’époque, les autostrade restent rares. Mais ce que je disais dans le podcast précédent c’est que justement au moment de la crise économique, les vélos sont autorisés à y circuler parce qu’on ne peut plus promouvoir la voiture comme avant. En ville, la question de la circulation des vélos est tranchée plus tôt, à la fin du 19ème siècle, les premières réglementations datent des années 1890 voir parfois avant et pour les automobiles c’est plutôt dans les années 1900 et 1910. Les années du fascisme ne donnent pas l’impression d’apporter des innovations majeures en la matière, même si cette question du partage de la route est une préoccupation qui reste présente, comme en témoignent les nombreux articles de faits divers sur les accidents de vélo dans les années 1920 à 1940. Par exemple, dans le journal La Stampa, qui est le journal local à Turin, on voit toutes les semaines des petits articles sur des accidents entre voiture et vélo, entre voiture et piéton, qui ont parfois des conséquences dramatiques. Une autre différence avec aujourd’hui, c’est que même s’il y a moins de voitures et donc le risque de collision est théoriquement inférieur, les équipements de sécurité sont très peu développés et par exemple mêmes les compétiteurs ne portent que très rarement le casque, et la visibilité, dans les villes comme dans les campagnes, est beaucoup moins bonne, surtout la nuit.

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Finalement, aujourd’hui, peut-on dire que la route peut être partagée actuellement en France ? Et, ce partage est-il plutôt un problème de citadin ?

Alors je pense que c’est un enjeu très important en ville, comme à l’extérieur des villes. En ville bien sûr, c’est une question très politique comme le montrent les débats à chaque fois que les municipalités, notamment dirigées par des maires de gauche et écologistes, donnent de plus en plus de place aux pistes cyclables. Les études réalisées souvent sont très intéressantes sur le partage de l’espace puisque on voit que pour un même nombre de personnes transportées, la voiture prend beaucoup plus d’espace public que tous les autres moyens de transports, que ce soit les bus ou les vélos. En dehors des villes, la question se pose aussi parce que certaines routes peuvent être très accidentogènes pour les vélos. Et à mon avis, c’est très intéressant de réfléchir à la complémentarité entre le déplacement à vélo et l’usage des transports en commun, notamment les cars ou les trains : la situation actuellement est loin d’être parfaite, il suffit d’essayer de transporter un vélo en train, alors que ces possibilités, cette complémentarité offrirait à un plus grand nombre un moyen de transport très écologique et plutôt peu cher.

Finalement, le vélo demeurera toujours populaire ne serait-ce que par l’incroyable engouement du Tour de France en France mais également à l’étranger, n’est-ce-pas ?

Je pense qu’effectivement qu’il y a deux aspects à voir. D’abord en ce qui concerne le mode de déplacement, à mon avis c’est un moyen de transport indépassable en termes de simplicité, de sobriété énergétique et d’efficacité, même s’il est évident qu’il n’est pas accessible à tout le monde, notamment aux personnes en situation de handicap, ou aux personnes âgées. Et que même pour une personne en bonne santé, les premiers efforts et le relief peuvent être des obstacles importants. C’est pour ça qu’il faut travailler la complémentarité avec les autres moyens de transport. Pour l’aspect purement sportif, disons que la médiatisation et aussi l’aspect économique du sport ont bien aidé à faire du Tour de France un des évènements majeurs et les plus sponsorisés du calendrier sportif annuel et il est bien possible que cela ne change pas tout de suite même si c’est difficile de prédire l’avenir… d’autant plus que l’histoire du vélo et l’histoire des Grands Tours et des grandes compétitions a toujours été liée à des enjeux nationaux et à des enjeux touristiques. Il fallait présenter le territoire, présenter la géographie du pays, à travers sa représentation dans le parcours de la grande compétition cycliste, et c’était le cas aussi en Italie il y a cent ans. Et tout cela, ça fait un succès qui ne se dément pas aujourd’hui avec une promotion médiatique toujours plus importante.

Et au fait, vous, Clément, faites-vous du vélo ?

Oui, surtout pour mes déplacements du quotidien je pense que c’est le moyen de déplacement idéal pour des trajets en ville ou à la campagne, de moins de 15km. Au niveau sportif, j’aime bien faire de bonnes promenades à vélo, mais je suis loin d’être un grand champion !


> À suivre…

Notre série sur le vélo se termine, cependant, d’autres sujets seront abordés dans les prochains triptyques à venir. Donc, nous vous donnons rendez-vous pour ce partage de connaissance…tout bientôt, soit jeudi prochain.

>> Pour en savoir plus :

Triptyque – Laboratoire Triangle

Le vélo serait-il le symbole d’une société en crise ?

LLe vélo serait-il le symbole d’une société en crise ?

En selle !
Car nous poursuivons notre étude sur le vélo, sujet de notre triptyque. Dans ce deuxième podcast, nous allons découvrir comment ce dernier peut illustrer les sociétés de crise, et notamment les cas de crise énergétique.

Allez vous êtes prêts ? On enfourche de nouveau notre vélo et on part  avec Clément LUY, doctorant en études italiennes à Triangle dont le travail de thèse porte sur le cyclisme à l’époque du régime fasciste italien. 

> Écoutez le podcast :

> Lire la retranscription des propos de l’interview :

Nous avons appris précédemment que le cyclisme et le vélo étaient très populaires dans l’Italie fasciste, mais que le régime a longtemps hésité à promouvoir ces activités. A partir du milieu des années 1930, il y a un revirement : que se passe-t-il concrètement ?

Clément Luy – Oui, tout à fait, on a parlé dans le podcast précédent très rapidement du contexte de crise et de sanctions économiques qui expliquait ce changement rapide. Dès que ce choix est fait un peu par obligation, la production des industries italiennes est fortement encouragée et promue par la propagande, notamment lorsqu’elle permet de mettre en place des prix accessibles aux consommateurs parce que le vélo ça coûte quand même encore un peu cher. Les associations fascistes du temps libre, donc le Dopolavoro, que j’ai déjà évoqué la dernière fois, s’organisent pour avoir de plus en plus de promotions et de tarifs de groupe en quelque sorte pour l’achat groupé des vélos et du matériel. Mais la situation empire progressivement avec le début de la seconde guerre mondiale en 1939, l’État fasciste incite de plus en plus à se déplacer à vélo en exerçant un contrôle strict des prix de vente, qui va se transformer carrément en 1942 en un contrôle des modèles vendus qui doivent tous correspondre à un même « type » pour économiser des matières premières. Enfin, la taxe sur la circulation des vélos est abolie et les cyclistes sont mêmes autorisés à emprunter l’ensemble des routes, y compris les premières autoroutes jusqu’ici réservées aux voitures. C’est vraiment un symbole de l’échec des rêves de motorisation, de l’automobile portés par le fascisme.

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L’Etat contrôlait donc le prix de vente des vélos afin que la majorité des personnes puissent en acheter. Aussi, pourrait-on dire que c’est un peu comme aujourd’hui avec les aides financières  ?

C.L. – C’est difficile de faire un tel parallèle historique mais il est certain que dans les moments de crise, les vélos apparaissent comme un moyen de transport simple, économique, sûr et assez fiable pour les trajets du quotidien. C’est quelque chose que l’on retrouve à plusieurs occasions donc actuellement, comme tu l’as dit, mais aussi il y a cinquante ans, en 1973 au moment de la crise pétrolière où en Italie l’usage privé des automobiles est interdit le dimanche et les jours fériés, ce qui entraîne un retour des vélos sur les routes italiennes pour les promenades du dimanche. Là encore, en 1973, c’est un moment de crise qui incite à promouvoir le déplacement à vélo. Malgré ces parallèles, ces similitudes, les discours sont très différents, les raisons de promouvoir le vélo ne sont pas du tout les mêmes en 1940, en 1973 et aujourd’hui parce que les sociétés ont bien changé. Mais le point commun du « vélo bon pour la santé » peut être aussi souligné. Sinon, on est dans des contextes bien différents.

Donc, finalement, à chaque crise d’énergie est corrélé l’usage du vélo ?

C.L – En effet c’est arrivé à plusieurs reprises et dans plusieurs contextes pour plusieurs raisons différentes au XXe siècle.

Pourrait-on dire que le vélo peut être une ressource en cas de crise ?

C.L – On pourrait, parce qu’il y a une facilité à utiliser le vélo qui en fait un substitut utile à d’autres moyens de transport beaucoup plus coûteux et beaucoup plus énergivores. C’est vraiment un aspect qui est mis en avant dans les manuels d’utilisation du vélo, ou dans les articles de presse publiés en Italie au début des années 40 et à la fin des années 30. Et il n’est d’ailleurs pas impossible que justement quand les privations se terminent, donc à la fin de la seconde guerre mondiale, et au début des trente glorieuses du miracle économique italien dans les années 1950, on cherche très vite à remplacer le déplacement à vélo par le déplacement en vespa ou en mobylette justement pour oublier cette situation de crise passée. Le vélo reste symbole de pauvreté et de privations, ce que l’on peut voir par exemple dans le film « le voleur de bicyclettes » qui est sorti en 1948 : c’est pour ça que les Italiens cherchent très rapidement à trouver d’autres moyens de transport, au moins pour leurs déplacements du quotidien, comme la vespa, les mobylettes. Le cyclisme, lui en tant que sport amateur ou professionnel, reste très populaire, comme en témoigne les histoires des grands champions des années 1940 et 1950.

Mais aujourd’hui, nous pouvons aussi ajouter que l’utilisation du vélo peut s’avérer être une alternative quant à l’émission de CO2, et notamment en ville ?

C.L – C’est une évidence et c’est la nouvelle urgence à laquelle on fait face, et c’est pour cela que l’État, ou la mairie ou la métropole, et puis même les administrations interviennent pour soutenir l’usage du vélo. Bien entendu, cette urgence écologique est nettement moins présente dans les années 1930, 1940, elle est carrément absente. Et on voit ainsi régulièrement, que dans un contexte de crise, l’Etat et les administrations publiques sont à l’initiative, de mesures de soutien. Ainsi, c’était aussi le cas en Italie, à la fin des années 1930, avec toutes les interventions de l’État pour soutenir la production et faire baisser les prix pour les consommateurs. C’était une intervention qui était elle aussi nécessaire en raison de l’urgence de la situation. De la même manière, l’Etat est intervenu très fortement lors du choc pétrolier de 1973, avec cette interdiction dont j’ai parlé pour les voitures de circuler le dimanche ; ou maintenant en France, avec les aides financières dont tu as parlé. Ces différentes mesures évidemment sont toutes différentes car elles prennent en compte la spécificité des contextes historiques et des urgences auxquelles il faut faire face et puis elles sont aussi limitées par les marges de manœuvre de l’État.


Précédemment : le vélo, outil de propagande, loisir ?

> À suivre…

Le prochain podcast du triptyque consacré au vélo posera la question de la popularité de ce moyen de transport.

>> Pour en savoir plus :

Triptyque – Laboratoire Triangle

Le vélo : vecteur de propagande ? Loisir ou déplacement écologique ? Triptyque

LLe vélo : vecteur de propagande ? Loisir ou déplacement écologique ? Triptyque

En selle pour ce triptyque ! Pourquoi ? Parce qu’il est consacré au vélo !

Et dans ce premier podcast, nous allons découvrir comment il est devenu le moyen de locomotion le plus répandu en Italie, sous l’ère du fascisme.

Allez vous êtes prêts ? On enfourche le vélo et on part pour une balade historique avec Clément LUY, doctorant en études italiennes à Triangle dont le travail de thèse porte sur le cyclisme à l’époque du régime fasciste italien. 

> Écoutez le podcast :

> Lire la retranscription des propos de l’interview :

Pourquoi le cyclisme a-t-il vécu des heures de gloire sous l’ère du fascisme ?

Clément Luy – Je pense en effet que l’on peut vraiment parler d’un âge d’or, dans l’Italie fasciste comme dans la France des années 1930 pour le déplacement à vélo et le sport cycliste. Dans les journaux et revues de l’époque, le cyclisme est présenté comme le sport le plus populaire en Italie, au-delà même du football et de la boxe qui ont déjà une très bonne réputation. Les courses en tous genres attirent des milliers de personnes. Il y a une grande effervescence, de très nombreux clubs et associations cyclistes, partout en Italie et en particulier dans le Nord, des dizaines de courses sont organisées tous les week-ends, pour les cyclistes de tous les niveaux.

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Et en même temps, le vélo c’est aussi un moyen de transport pas cher ….

C.L. – Oui, c’est en train de devenir un des moyens de transport du quotidien. Entre 1922 et 1945, donc les années fascistes, il y a entre trois millions au début et jusqu’à six ou sept millions de vélos en circulation en Italie, d’après les statistiques que l’on peut trouver dans les livres d’histoire, c’est un nombre très important qui reflète le niveau de développement industriel et économique des différentes régions : il y en a moins dans le sud et dans les zones les plus reculées, les plus éloignées des villes du sud. A côté de cela, les voitures sont encore très rares, même si les dirigeants fascistes les préfèrent car elles sont plus modernes, et beaucoup plus rapides. Par conséquent, tant par sa présence dans la vie quotidienne que dans l’activité sportive, soit des amateurs de bas ou de haut niveau ou des professionnels, le cyclisme est bien présenté comme le sport le plus populaire ; l’activité a vraiment plein de formes différentes : du simple moyen de déplacement, jusqu’au sport amateur ou de haut niveau, ou à mi-chemin, l’activité cyclo-touristique avec toutes les excursions dans les collines, en montagne, dans les campagnes, très présente dans les organisations du régime comme le Dopolavoro qui est une organisation de loisirs, créée pour tous les travailleurs pour occuper des heures du temps libre.

Et comment l’Etat a poussé les individus à l’époque, à faire du vélo. Et surtout à en produire ?

C.L. Alors pour répondre précisément à cette question, il faut probablement distinguer deux périodes, ce qu’a très bien fait l’historien Stefano Pivato, un des grands spécialistes italiens du sport. Dans les années 1920 et au début des années 1930, le régime fasciste est plutôt méfiant envers le vélo, pour de multiples raisons : ça ne correspond pas à l’idéal de modernité et de vitesse qu’il met en avant, qui est réservée à la voiture, c’est un sport qui est trop connoté « populaire », voire parfois « de gauche » socialiste ou communiste pour le fascisme ; et puis le problème c’est que les courses cyclistes mettent en valeur le mauvais état des routes, au contraire de l’image de modernité que le fascisme veut donner de l’Italie pour développer le tourisme. Et puis le sport pour le régime fasciste ça a l’objectif de construire un homme nouveau, viril, fort musclé, or la morphologie du cycliste ne correspond pas vraiment à cette image, et à ce concept de musculature, contrairement à celle d’autres sportifs comme les boxeurs. Malgré tout, il n’y avait pas vraiment besoin de pousser les Italiens à faire du vélo, c’est déjà une activité pour se déplacer qui est considérée comme très pratique, très efficace et un sport très populaire, bien que les chiffres dont j’ai parlé soient en dessous de la moyenne européenne et en particulier dans le sud de la péninsule. Enfin, à partir de 1935 se développe un discours sur la nécessité d’équiper les Italiens en « bicyclettes autarciques » et de les faire pratiquer cette activité cycliste le plus possible.

Et pourquoi un tel revirement quant à l’approche du vélo ?

C.L. C’est pour plusieurs raisons historiques, l’Italie subit de plein fouet les effets de la crise économique de 1929 puis l’effet des sanctions diplomatiques décrétées par la France, la Grande Bretagne et la Société des Nations puisqu’elle a envahi l’Ethiopie en 1935-1936 contre toutes les règles du droit international fixées par la Société des Nations. Donc dans ces conditions, il y a beaucoup de restrictions, le rêve automobile s’évanouit et un grand travail est mené pour présenter le vélo comme le moyen de locomotion idéal : économique, peu consommateur de matières premières dont la rareté se fait sentir, fabriqué en Italie donc vraiment « autarcique ». Le régime fasciste promeut un discours en faveur du vélo qu’on voit dans les journaux, dans des publications, dans les discours politiques, et puis même dans les actualités cinématographiques, des sortes de premiers JT qui sont présentés au début des séances de cinéma. L’enjeu est de montrer que faire du vélo, c’est bon pour la santé et c’est être un vrai « patriote », mais aussi un autre enjeu de ce discours c’est de montrer que dans d’autres pays, il y a des privations similaires et que la situation italienne ressemble à celle d’autres pays.


> À suivre…

Restez en selle car le prochain podcast du triptyque vélo expliquera comment le vélo illustre les sociétés de crise…et notamment de crise énergétique.

>> Pour en savoir plus :

Triptyque – Laboratoire Triangle

Cantines scolaires : comment se manifestent les goûts et s’organisent les relations sociales ?

CCantines scolaires : comment se manifestent les goûts et s’organisent les relations sociales ?

Nous voilà encore à table !

Dans ce troisième et dernier podcast dont le triptyque est consacré aux cantines scolaires, nous abordons l’enfance et plus particulièrement comment au sein d’une cantine, les relations sociales s’articulent, les goûts se manifestent, ou encore les enfants s’expriment…

C’est Élodie Leszczak, doctorante en 2e année au laboratoire Triangle qui nous éclaire, puisque son travail de recherche porte sur « Des normes dans l’assiette : la cantine scolaire, entre production et réception du « bien manger »« .

Alors, prêts à aller à la cantine avec les podcasts de Triangle ! ?

> Écoutez le podcast :

> Lire la retranscription des propos de l’interview :

Comment s’organisent les relations entre les enfants dans une cantine ? Constatez-vous des jeux de pouvoir ou non par exemple ?

Elodie Leszczak – Absolument ! Alors que la cantine est pensée comme un moment de pause, de détente au sein de la journée à l’école, nous sommes nombreux à en avoir des souvenirs négatifs, comme le fait de se faire voler de la nourriture, d’y être harcelé ou d’y manger seul, à l’écart. Ce sont encore des choses qu’on observe sur le terrain, comme le fait que les grands demandent de la nourriture aux plus petits en étant très insistants, de sorte qu’on ne sait pas si le don était volontaire ou pas vraiment. Les adultes font ce qu’ils peuvent pour le limiter, mais ils sont en sous-effectif dans certaines cantines.

Comment se regroupent les enfants dans une cantine ? Est-ce la disposition des tables, les préférences alimentaires, les amitiés.. qui jouent un rôle ?

E.L. – Les filles en particulier utilisent la cantine comme un espace de réaffirmation de leurs liens d’affinité : elles y mangent entre amies, y discutent, s’assurent que leurs amies ne mangent pas seules, attendent que toutes leurs amies aient fini de manger avant de se lever et de partir. Il y a des pratiques plus conflictuelles, comme le fait de s’approprier l’espace (une table proche de la queue pour le rab, par exemple). On remarque aussi que lorsque les enfants choisissent où ils s’assoient, les tables sont très majoritairement non-mixtes. Seul un petit nombre de garçons accepte régulièrement de manger avec des filles.

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Selon le genre, les interactions sociales sont-elles différentes ? Pourquoi ?

E.L. -Oui. Les filles ont tendance à être plus respectueuses et obéissantes, alors que les garçons se permettent des pratiques plus transgressives : tous les vols de nourriture que nous avons observés dans la file du self concernaient des garçons – il est même arrivé que ceux-ci s’en vantent auprès de nous. Les garçons bougent davantage : ils se bagarrent « pour rire », embêtent leurs voisins en tapant dans leur chaise, se lèvent de leur table, parlent avec des élèves assis à d’autres tables, alors que les filles communiquent davantage uniquement avec les voisines de table, et contribuent donc moins au bruit dans le réfectoire. Dans les rares cas où les filles ont des comportements plus conflictuels, elles sont « rappelées à l’ordre » : une fille bouscule un garçon dans la file d’attente, il essaie alors de l’empêcher de passer et la suit jusqu’à sa table pour exiger des excuses.

Les interactions entre les élèves et les agents sont aussi genrées : les garçons se plaignent davantage des repas, et sont plus souvent perçus comme ingrats par les agents.

Qu’est-ce-que les enfants recherchent comme nourriture ? Comment ils l’expriment ?

E.L. – Lorsque je leur demande ce qu’ils aimeraient manger à la cantine, ils réclament en majorité des plats issus de la restauration rapide, comme les burgers, les kebabs, les frites ou les churros. Comme le montrent des travaux en cours comme la thèse d’Audrey Bister, les plats préférés des enfants sont souvent ceux qu’ils consomment chez eux le weekend ou durant des fêtes, exceptionnellement, comme la paëlla. Et à l’école, ils expriment ces préférences assez éloignées du plateau moyen à la cantine de façon plutôt claire, en commentant à haute voix que le plat ne leur convient pas ou les dégoûte, parfois à proximité des agents de cantine qui les ont préparés…

Connaissent-ils bien les aliments  ?

E.L. – Au début de ma thèse, quand j’allais parler avec les enfants pendant leur repas, je leur demandais leur avis sur le menu ; maintenant, j’ai tendance à commencer en leur demandant ce qu’ils mangent. En effet, j’ai été étonnée du nombre d’enfants ne reconnaissant pas des aliments, parfois très communs, même après qu’ils aient vu le menu du jour ou qu’on le leur ait lu. Cela peut prêter à sourire quand ils confondent chou-fleur et fromage par exemple, mais cela dit quelque chose de leur faible consommation de nombreux légumes notamment. Certains agents considèrent que les enfants ont un répertoire alimentaire plus faible qu’il y a 10 ou 20 ans, car ils mangeraient souvent la même chose chez eux (des pâtes, des produits industriels comme les nuggets).

En conclusion : diriez-vous que la cantine est un lieu d’inclusion sociale ou pas ?  Un autre lieu d’apprentissage des normes sociales ?

E.L. – Pour les chercheurs, la cantine est un vrai observatoire de plusieurs phénomènes sociaux : les relations d’affinité, d’inimitié et de pouvoir entre les enfants, leurs pratiques et goûts alimentaires, ou encore la place de l’alimentation ou plus généralement du corps à l’école. Elle est un lieu de socialisation et peut transmettre des normes alimentaires et en cela contribuer à l’intégration de certains élèves, comme les enfants de migrants. Mais elle participe et révèle aussi des exclusions. On a mentionné le mépris d’une partie du personnel éducatif pour les agents de cantine. Mais un autre point qu’il faut souligner à propos de la cantine comme lieu d’exclusion, c’est qu’alors qu’elle est apparue au XIXe siècle pour nourrir les enfants des classes populaires, elle fait aujourd’hui l’objet d’une désaffection massive dans les quartiers les plus pauvres et est surtout fréquentée par les élèves de classes moyennes et supérieures.

Et vous Elodie, allez- vous parfois à la cantine en tant qu’étudiante ?

E.L. – Presque tous les jours de semaine ! J’en profite pour saluer le travail des agents du CROUS de l’ENS DE LYON, qu’on a beaucoup de chance d’avoir sur le campus.

Et cuisinez-vous ? Et quel est votre plat favori ?

E.L. – Et oui, je n’ai pas choisi ce sujet par hasard – j’aime cuisiner. Mon plat préféré est polonais : les krokiety, des crêpes farcies de chou, pliées et panées.


Précédemment : cantines scolaires : métier passion, ou métier alimentaire ?

> À suivre…

Un tout nouveau podcast et une autre thématique !

>> Pour en savoir plus :

Triptyque – Laboratoire Triangle

Cantines scolaires : qui y travaille ?

CCantines scolaires : qui y travaille ?

Cette deuxième interview du triptyque consacré aux cantines scolaires aborde l’aspect humain de la cantine.

En effet, qui sont les agents qui y travaille, comment vivent-ils ce travail, qu’implique-t-il….et bien d’autres questions encore sont soulevées.

Et pour cuisiner…. ce sujet, nous sommes toujours en compagnie d’ Elodie LESZCZAK doctorante en 2e année au laboratoire Triangle qui nous éclaire, puisque son travail de recherche porte sur « Des normes dans l’assiette : la cantine scolaire, entre production et réception du « bien manger »« .

> Écoutez le podcast :

> Lire la retranscription des propos de l’interview :

Vous avez choisi de vous intéresser aux personnes qui travaillent dans les cantines scolaires. Pourquoi ?

Elodie Leszczak  – Les politiques publiques investissent aujourd’hui la cantine de nombreuses missions : éduquer les enfants au végétarien, au bio, aux manières de table, à une alimentation saine pour limiter l’obésité infantile, à ne pas gaspiller… Mais ces effets potentiels de la cantine, ils ne peuvent pas apparaître mécaniquement : ils sont le fruit du travail quotidien des personnes qui produisent et servent les repas. Je trouvais qu’on parlait trop peu de leur rôle, ou alors seulement négativement, avec ce stéréotype de la « dame de la cantine » qui ne saurait pas suffisamment bien cuisiner ou qui serait trop sévère avec les enfants.

Comment est structuré le travail dans une cantine ?

E. L. – Les équipes sont plus ou moins grandes selon le nombre d’élèves, bien sûr. Généralement, il y a un ou une chef(fe), qui se consacre majoritairement à la cuisine, et des agents polyvalents, qui se consacrent surtout à la plonge, au nettoyage des réfectoires et au service des plats. Entre les deux, il peut y avoir des postes divers comme « aide cuisinière », « second » ou « commis » par exemple, qui sont sous l’autorité du ou de la chef(fe) et qui réalisent à la fois des tâches de cuisine et des tâches de manutention, nettoyage, service, etc. Plus la cuisine est indépendante, plus cette équipe va avoir des tâches supplémentaires comme trouver des fournisseurs, passer des commandes, prévoir les menus ; mais si la cuisine dépend d’une Caisse des écoles ou d’une collectivité territoriale qui a choisi de fortement encadrer ses cantines, il est possible que cette dernière lui impose ses menus et s’occupe de la partie commandes et choix des fournisseurs.

Quels sont les profils de population qui travaille au sein des cantines ? Dans vos enquête terrain, pour la majorité du personnel, avez-vous pu constater si c est un métier passion,  ou plutôt si c’est un travail alimentaire ?

© Pixabay

E.L. – Les profils sont très hétérogènes : certains agents n’ont aucune formation de cuisine, d’autres ont cumulé des années d’expérience dans la restauration commerciale avant de travailler en restauration collective. Comme les conditions de travail sont difficiles, les salaires bas et beaucoup de postes à temps partiel, la majorité des agents sont peu qualifiés. Il existe bien sûr des personnes passionnées par la cuisine, mais aussi beaucoup d’autres qui se sont retrouvés dans la restauration scolaire un peu par hasard, car on les a informées d’offres d’emploi ou parce que les horaires leur permettent de consacrer du temps à leur famille, de récupérer leurs enfants à la sortie de l’école après le travail. Contrairement à la plupart des postes de cuisine commerciale, où il faut travailler le soir et le week-end, les cantines scolaires  ont en effet des horaires plus facilement compatibles avec la vie de famille.

Une formation est-elle obligatoire ?

E.L. – Tout le monde doit suivre une formation concernant l’hygiène – les normes d’hygiène sont drastiques dans la restauration scolaire. Mais concernant le reste, la majorité de la formation se fait sur le tas, en poste, en apprenant auprès des agents ayant plus d’expérience.

Cela suppose aussi qu’il existe des règles, lois à respecter ?

E.L. – Oui, les agents sont en effet très contraints par la réglementation concernant la nutrition, l’hygiène, etc. Les agents doivent jongler avec des règles complexes, parfois contradictoires : par exemple, pour des raisons sanitaires, il est interdit de donner la nourriture restante après le service, qui doit donc être jetée… ce qui va contre les préoccupations de réduction du gaspillage alimentaire.

La fréquence de service de poisson, de féculents ou encore de crudités est fixée précisément au niveau national. A cela s’ajoutent des préoccupations croissantes pour l’environnement : au moins 20% de produits bio, au moins 50% de produits bénéficiant de labels officiels de qualité ou d’origine comme la pêche durable… Et tout cela, en respectant des budgets alimentaires très contraints, généralement autour de 2€ par repas, rarement plus de 3€.

Travailler dans une cantine fait appel à des compétences techniques, humaines, à des connaissances juridiques, C’est également un travail qui joue un rôle éducatif quant à l’alimentation de l’enfant d’aujourd’hui mais aussi de l’adulte de demain. Pensez-vous que ce métier ait besoin d’être plus valorisé, reconnu ?

E.L. – Absolument ! Mes enquêtés font un travail formidable, dont une grande partie est complètement invisible aux yeux de leur hiérarchie, des parents d’élèves, parfois même par du personnel de l’établissement comme les enseignants. Pour que les enfants soient plus respectueux de leur travail, une première piste pourrait être de contrôler ce que nous, les adultes, nous disons des agents de cantine en présence des enfants. Par exemple, il arrive que des animateurs critiquent la nourriture devant eux, voire avec eux : et si on dénigre les repas aussi ouvertement, les enfants sont incités à le faire eux aussi. Beaucoup de cantines font de gros efforts sur le fait maison, pour améliorer les recettes, mais comme les autres adultes des écoles s’y intéressent peu, ils ne sont pas au courant des difficultés et des initiatives qui existent dans la cantine de leur propre établissement. Un autre point important est en effet de comprendre ce qui relève de la responsabilité des agents de cantine ou pas. On a tendance à leur reprocher tout ce qui ne va pas dans les cantines, par exemple le goût des plats, le fait que le réfectoire soit bruyant ou le peu de temps disponible pour manger, alors qu’ils ont souvent de très faibles marges de manœuvre concernant ces points, qui relèvent plutôt d’emplois du temps plus adaptés, parfois de rénovations des réfectoires, et bien sûr de budget mis dans la cantine pour que les agents soient en nombre suffisant et qu’il soit possible d’acheter des denrées de qualité. C’est ce que j’essaie de faire à mon échelle : rendre visible les contraintes qui pèsent sur leur travail, et dont peu de gens se préoccupent.


Précédemment, qui mange quoi ?

> À suivre…

Le prochain et dernier podcast du triptyque cantine abordera l’enfance et plus particulièrement comment au sein d’une cantine, les relations sociales s’articulent, les goûts se manifestent, ou encore les enfants s’expriment…

>> Pour en savoir plus :

Triptyque – Laboratoire Triangle

Cantines scolaires : sociologie de l’alimentation. Qui mange quoi ? | Triptyque

CCantines scolaires : sociologie de l’alimentation. Qui mange quoi ? | Triptyque

Une invitation… à table !  Ce triptyque, composé de 3 podcasts, nous ouvre les portes des cantines scolaires. Qui mange quoi ? Qui sont les personnes qui y travaillent ? Comment les goûts se manifestent dès l’enfance, comment à la cantine, les relations sociales s’organisent….

Cette première interview de ce triptyque s’orchestre autour de la sociologie de l’alimentation, et c’est Élodie Leszczak, doctorante en 2e année au laboratoire Triangle qui nous éclaire, puisque son travail de recherche porte sur « Des normes dans l’assiette : la cantine scolaire, entre production et réception du « bien manger »« .

Venez découvrir qui mange quoi avec les podcasts de Triangle !

>> Écoutez le podcast :

 

>> Lire la retranscription des propos de l’interview :

Tout d’abord, est-ce que les cantines sont obligatoires dans les établissements ? Depuis quand existent-elles et qui les gèrent ?

Élodie Leszczak – Elles sont apparues en France au milieu du XIXe siècle, sous l’impulsion d’initiatives locales de maires, d’instituteurs et de mouvements philanthropiques. Aujourd’hui, les cantines sont gérées par les collectivités territoriales, c’est-à-dire les communes pour l’école primaire, les départements pour le collège, et les régions pour le lycée. Et elles ne sont pas obligatoires : chaque collectivité peut décider d’en proposer une ou pas dans un établissement. Elle peut alors soit l’assurer elle-même en régie directe, soit faire appel à une entreprise privée, ce qu’on appelle une délégation de service public.

Comment étaient organisées les cantines que vous avez étudiées ? Quels étaient leurs publics ?

E.L. – Je réalise des observations directes principalement à l’école élémentaire, mais aussi au collège et en maternelle. J’ai essayé de faire varier les caractéristiques des cantines que j’étudie : une est rurale et l’autre urbaine, une est indépendante et l’autre rattachée à une Caisse des écoles, une se situe en réseau d’éducation prioritaire et l’autre non. Dans les deux cantines où j’ai enquêté jusqu’ici, la cuisine est faite sur place par du personnel communal, c’est pourquoi j’aimerais maintenant trouver un troisième terrain où la cantine est assurée par une entreprise privée et les plats préparés en cuisine centrale.

© Pixabay

De ce fait, avez-vous constaté que selon le genre de l’enfant (fille ou garçon) les choix des aliments étaient différents ?

E.L. – Oui ! Je fais partie de l’équipe de recherche CORALIM, qui est pilotée par Christine Tichit (sociologue et démographe) au sein de l’INRAE (l’Institut national de recherche pour l’agriculture, l’alimentation et l’environnement). On a fait passer pendant plus d’une semaine des questionnaires à une centaine d’élèves, pour qu’ils puissent donner leur avis sur les plats chaque jour. Et on a constaté que les garçons appréciaient en moyenne davantage les repas que les filles, et qu’ils mangeaient de plus grandes quantités qu’elles. Les filles appréciaient en revanche davantage les repas végétariens, alors que les garçons étaient attachés à la présence de viande au menu. Les garçons essayaient davantage de se procurer plus de nourriture que leur portion individuelle, en prenant du rab ou en demandant aux autres élèves s’ils ne voulaient pas leur donner une partie de leur repas – en insistant, parfois !

Est-ce parce que les aliments sont genrés ? Est-ce que c’est le poids de la société ou… bref comment l’expliquez-vous ?

E.L. – Une de nos hypothèses est en effet que la cantine est un des lieux où les enfants intériorisent des rapports genrés à l’alimentation. Des enquêtes sociologiques auprès d’adultes ont montré que les femmes mangent plus de fruits, de légumes et de poisson que les hommes, mais moins de féculents, de fast-food et de viande. Les femmes sont plus nombreuses à faire des régimes hypocaloriques. Et à force de voir que les hommes de leur entourage ont tendance à plus manger que les femmes, et que certains garçons mangent énormément à la cantine et que ça amuse leurs camarades, les enfants sont socialisés à cette différence de comportement alimentaire. Les garçons apprennent qu’il est normal et même valorisé d’avoir bon appétit, alors que ce n’est pas forcément le cas pour les filles. Chez les jeunes, il semblerait que l’idéal des filles reste plutôt la minceur, alors que chez les garçons, c’est le fait d’être musclé plutôt que mince.

Avez-vous également remarqué une différence d’orientation dans l’alimentation selon les classes sociales auxquelles appartiennent les enfants ? Et si oui, quels sont les différents facteurs qui pourraient y contribuer ?

E.L. – Oui, tout à fait ! Les enfants issus de milieux sociaux favorisés connaissent davantage les plats qui sont servis à la cantine, en particulier les fruits et les légumes et les plats typiquement français comme les tomates farcies, tout simplement car ils y sont déjà habitués à la maison. En sociologie de l’alimentation, on constate que les familles de milieu populaire vont privilégier le fait de faire plaisir aux enfants avec des aliments qu’ils aiment, alors que celles de milieu favorisé vont très tôt inciter leurs enfants à goûter de tout, en particulier des aliments considérés comme bons pour la santé comme les légumes. En particulier, les enfants de classe populaire d’origine étrangère regrettent souvent que les plats proposés à la cantine soient très différents de leur propre culture alimentaire, et certains aimeraient pouvoir y manger des aliments plus à leur goût.

 

>> À suivre…

Le prochain podcast du triptyque cantine « parlera » des agents dans les cantines : qui sont-ils, pourquoi ils ont choisi ce métier, ses contraintes, joies…

 

Pour en savoir plus :

Triptyque – Laboratoire Triangle

 

 

Ces territoires sacrifiés au pétrole

CCes territoires sacrifiés au pétrole

La société du pétrole sur laquelle s’est bâtie notre prospérité ne s’est pas faite sans sacrifices. Gwenola Le Naour, chercheuse au laboratoire Triangle : Actions, discours, pensée politique et économique, et Renaud Bécot, membre du laboratoire Pacte, co-directeurs d’un ouvrage sur ce sujet, lèvent le voile sur les dégâts causés par cette « pétrolisation » du monde, en France et à l’étranger.

Si le pétrole et ses produits ont permis l’émergence de notre mode de vie actuel, l’activité des raffineries et autres usines de la pétrochimie a abîmé les écosystèmes et les paysages et a des effets de long terme sur la santé humaine. Dans le livre qu’ils ont coordonné, Vivre et lutter dans un monde toxique (Seuil, septembre 2023), Gwénola Le Naour et Renaud Bécot lèvent le voile sur les dégâts causés par cette « pétrolisation » du monde, selon leurs propres mots. Ils ont réuni plusieurs études de cas dans des territoires en France et à l’étranger pour le démontrer. Un constat d’autant plus actuel que la société des hydrocarbures est loin d’être révolue : la consommation de pétrole a atteint un record absolu en 2023, avec plus de 100 millions de barils par jour en moyenne.

>> Lire l’article complet sur le site :

CNRS LE JOURNAL

Présentation de son livre « L’accusation » par Aïcha Béchir

PPrésentation de son livre « L’accusation » par Aïcha Béchir

2015. Peu après les attentats terroristes de Charlie Hebdo, la paranoïa enflamme les esprits. Inès, une professeure de philosophie d’origine maghrébine est suspendue par sa hiérarchie à la suite d’accusations d’apologie du terrorisme. Que s’est-il passé ? Inès s’est toujours identifiée aux valeurs de la République, alors qui l’a dénoncé ? Et pourquoi ? Inès va tenter de laver son honneur. Du déracinement à l’assimilation, en passant par le racisme endémique, cette femme en quête de justice et de vérité rencontrera une palette de personnages et redécouvrira sa mémoire enfouie, renouera avec son histoire : l’arrivée de son père en France, l’usine, l’abandon des traditions, le racisme, et ce déracinement qui n’en finit plus de briser les êtres.

La rencontre sera animée par Haoues Seniguer, maître de conférences en science politique à Sciences Po Lyon, membre du laboratoire Triangle. Haoues Seniguer s’intéresse à la question de l’islamisme en contexte majoritairement musulman et aux relations entre islam et politique en France.

Sera également présent Mohamed-Chérif Férjani, professeur émérite de science politique à l’Université Lumière Lyon-2, spécialiste de la politique et du religieux dans le champ islamique.

Pour en savoir plus :

LabEx COMOD – Université de Lyon

Vivre les « fournaises urbaines »

VVivre les « fournaises urbaines »

Affiche de l'enqête Comment vivre dans les fournaises urbaines ?

©Triangle/Lyon 2

Il n’y a désormais plus de doute : 70% des enquêté.e.s expliquent observer des évolutions du climat au quotidien dans les villes concernées, 56% des personnes interrogées affirment que le changement climatique a des effets concrets sur les modes de vie quotidiens.

Autre résultat significatif : les ressentis de suffocation et d’asphyxie sont omniprésents, tout autant qu’un sentiment quasi unanime d’injustice pour 88% des enquêté.e.s, mais aussi de colère et parfois d’impuissance dans les capacités d’action habitantes. Lorsque l’on ajoute que la majorité des personnes enquêtées en appellent maintenant à une transformation radicale des sociétés par l’écologie, et que certaines sont prêtent à l’autolimitation voire la déconsommation, voilà autant de résultats qui marquent ce travail de recherche dont les principaux éléments de synthèse sont disponibles dans le document joint.

Fruit d’une coopération entre l’Université Lumière Lyon 2, l’UMR Triangle et l’association Notre affaire à tous, l’enquête Vivre les fournaises urbaines repose sur un travail qualitatif de 130 entretiens longs conduits dans 5 métropoles et villes moyennes du sud de la France (Marseille, Montpellier, Perpignan, Narbonne et Nîmes) durant l’été 2019.

Guillaume Faburel, professeur à l’Université Lyon 2, trois doctorant.e.s (Fabian Lévêque, Karl Berthelot, Loriane Ferreira), une post-doctorante (Mathilde Girault), de l’UMR Triangle, et huit étudiantes ont analysé les vécus quotidiens du changement climatique en milieu urbain, le regard que les populations portent sur l’action des collectivités et des pouvoirs publics en la matière ainsi que les nouvelles formes d’engagements écologiques dès lors mises en œuvre.

Ce travail a déjà fait l’objet de deux restitutions publiques (Marseille, Montpellier) courant février 2020, ainsi que d’une publication dans Up Le Mag. D’autres articles pour des revues scientifiques (Métropoles) et des médias grand public (Reporterre, Politis, Médiapart) sont en cours d’écriture. D’autres projets de valorisation et de médiation, comme une série de portraits filmés, seront réalisés durant l’été 2020.

AA LIRE

 

En savoir plus :

Université Lumière Lyon 2