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Réparer les plastiques avec des champs magnétiques pour augmenter leur durée de vie ? | The Conversation

RRéparer les plastiques avec des champs magnétiques pour augmenter leur durée de vie ? | The Conversation

En chargeant certains plastiques de particules magnétiques, il est possible de les chauffer à distance afin de les remodeler. Mathieu Salse/INSA Lyon, Fourni par l’auteur | ©Mathieu Salse/INSA Lyon

L’utilisation excessive des plastiques constitue un exemple frappant de la manière dont les matériaux peuvent devenir une source majeure de pollution. La sobriété matérielle, qui consiste à limiter la consommation de matériaux, constitue donc un levier majeur pour diminuer l’impact de nos sociétés sur l’environnement. Bien qu’il semble désormais utopique de se passer des plastiques, l’espoir réside néanmoins dans le fait qu’une grande partie d’entre eux, dits thermoplastiques, ont la faculté de se déformer ou de s’écouler lorsqu’ils sont chauffés.

Cette propriété permet de les remodeler, offrant ainsi la possibilité de les réparer et de les réutiliser directement, ce qui présente une alternative moins coûteuse qu’un recyclage chimique. Parmi les diverses méthodes qui existent pour chauffer et réparer les plastiques, le chauffage par induction magnétique constitue un moyen rapide et efficace d’échauffer localement la matière. Cette technique, notamment utilisée comme traitement contre certains cancers, peut être également employée pour réparer les plastiques permettant ainsi d’accroître leur temps de vie.

Les matériaux autocicatrisants

Une rapide rétrospective montre que la réparation des matériaux plastiques est un sujet qui passionne la communauté scientifique depuis quelques décennies. Ce sujet a connu un véritable « boom » en 2008 avec la découverte d’un nouveau type de matériau capable de s’autoréparer à température ambiante : les vitrimères. On parle alors d’autoréparation, d’autocicatrisation ou de self-healing en anglais. Bien que de nombreux progrès en chimie ont depuis lors permis de diversifier les solutions, les matériaux autoréparables ne sont pour autant pas véritablement sortis des laboratoires de recherche et peinent toujours, plus de 15 ans après, à trouver leur place dans l’industrie.

Si la raison principale de leur manque d’applicabilité est parfois à chercher au niveau de leur prix et de leur complexité chimique, une autre raison plus fondamentale réside dans l’incompatibilité entre capacité à s’autoréparer et rigidité élevée – la première nécessitant une grande mobilité moléculaire et la seconde de fortes liaisons entre les constituants de la matière. En outre, l’industrie du plastique et ses procédés de fabrication étant arrivés à maturation, c’est tout un écosystème qu’il faut repenser pour inclure la production d’une part significative de matériaux innovants.

Les matériaux guérissables sous champ magnétique

Contrairement au cas des matériaux autocicatrisants qui ne nécessitent aucune intervention extérieure, une stratégie alternative, appelée le stimulus-healing, consiste à apporter de l’énergie pour chauffer et réparer les matériaux thermoplastiques. En fonction du matériau et de l’application visée, le mode de chauffage peut prendre plusieurs formes telles qu’un transfert thermique (par contact direct ou via l’air environnant), une onde acoustique, une micro-onde, un laser ou un champ magnétique oscillant appliqué grâce à une bobine (électro-aimant).

Dans le dernier cas, l’opération consiste à intégrer dans le matériau plastique une faible quantité de particules magnétiques (1 à 5 % de son volume). Ces particules sont en effet capables de transformer le stimulus magnétique oscillant en chaleur au sein même de la matière, grâce à un phénomène appelé hyperthermie magnétique. Pour atteindre des températures de l’ordre de 150-200 °C, il est commun d’utiliser des champs magnétiques ayant une intensité de quelques milliteslas (l’équivalent d’un aimant de réfrigérateur) et une fréquence d’environ 500 kHz (contre 20 à 100 kHz pour une plaque induction standard).

Cette technologie a l’avantage de pouvoir être utilisée sur des matériaux dotés de propriétés mécaniques très différentes, ce qui permet de l’appliquer sur une large gamme de plastiques. En effet, elle a récemment été employée pour traiter des matériaux de grande consommation tels que le polypropylène (utilisé pour faire des pare-chocs de voiture) ou certains polyuréthanes souples (employés comme gaine d’isolation électrique).

Un autre avantage que présente cette technique est de pouvoir lisser une pièce rugueuse pour effacer ses défauts en surface. Cela est particulièrement utile pour des pièces imprimées en 3D dont la rugosité diminue sensiblement les performances mécaniques et rend l’aspect peu attractif.

Inducteur haute fréquence utilisé pour activer l’hyperthermie magnétique permettant le lissage et le renforcement d’une plaque de polypropylène imprimée en 3D. Le bras de l’inducteur est placé au dessus de la plaque de plastique, qui devient lisse et brillant, là où il est encore rainuré autour. | ©Guilhem Baeza/INSA Lyon

Vers le développement à grande échelle

Historiquement, les recherches menées sur l’hyperthermie magnétique ont une visée biomédicale. Cette technique, généralement combinée à la chimiothérapie ou la radiothérapie, est utilisée pour traiter certains types de cancer. Dans ce cas, des nanoparticules magnétiques biocompatibles sont injectées au patient, et la chaleur générée sous irradiation magnétique (+ 6 à 7 °C) tue sélectivement les cellules tumorales.

Cette technique offre la possibilité de chauffer sans contact ni besoin de faire parvenir la lumière, et fonctionne donc dans des matériaux opaques. Elle offre un grand contrôle, étant donné que la quantité de chaleur dégagée peut être contrôlée par les caractéristiques du champ magnétique, mais aussi par la quantité et la nature des particules stimulables. La localisation des particules permet également de chauffer sélectivement une zone désirée.

Dans le cas de matériaux composites basés sur des plastiques, ces avantages sont tout aussi utiles et posent de nouvelles questions scientifiques à résoudre afin d’améliorer le procédé de réparation.

Des limites qu’il reste à dépasser

Un exemple concerne quelles particules choisir parmi toute la variété de celles qui peuvent être utilisées pour convertir le champ magnétique en chaleur. Les chimistes peuvent jouer sur la composition (fer, cobalt, nickel…), la forme (sphère, cube, bâtonnet…) et la taille des particules magnétiques qui sont autant d’éléments impactant la capacité de chauffe des particules. Par ailleurs, la possibilité de fabriquer ces objets à grande échelle et de manière raisonnée est également un enjeu majeur : la société grenobloise Hymag’in, avec qui nous collaborons, développe par exemple des particules de magnétite issues de déchets de la sidérurgie.

D’autres aspects concernent davantage les physiciens, par exemple les questions liées aux mouvements des particules soumises au champ magnétique. D’une part, les particules ont tendance à se regrouper et à s’organiser en formant des chaînes, ce qui soulève des interrogations sur la réversibilité et l’utilisation répétée de cette technique. Sous l’effet du champ magnétique, les particules se mettent aussi à tourner sur elle-même, ce qui engendre un dégagement de chaleur supplémentaire par friction, dépendant du milieu environnant. Il est nécessaire de quantifier cet effet pour ne pas surchauffer les pièces, ce qui entraînerait leur dégradation.

L’aspect noir des matériaux (lié aux particules magnétiques) rend aussi plus difficile leur utilisation comme pièces visibles, notamment dans l’industrie automobile où la cicatrisation de rayures superficielles sur des pièces colorées représente un réel intérêt commercial. Mais il est aussi possible de réparer en moins d’une minute des caoutchoucs, typiquement des semelles de chaussures ou des joints d’étanchéité, ou même des plastiques durs présents dans des articles de voyage, de sport, ou dans des packagings rigides en tout genre. Finalement, la diffusion des technologies liées à l’hyperthermie magnétique nécessitera l’appui d’industries innovantes, capables d’identifier des applications de niche pour passer de concepts généraux à des produits de haute valeur ajoutée.

Le projet MANIOC est soutenu par l’Agence nationale de la recherche (ANR), qui finance en France la recherche sur projets. Elle a pour mission de soutenir et de promouvoir le développement de recherches fondamentales et finalisées dans toutes les disciplines, et de renforcer le dialogue entre science et société. Pour en savoir plus, consultez le site de l’ANR.The Conversation

Auteurs :

Guilhem P Baeza, Maître de conférences habilité à diriger les recherches en physique des polymères, INSA Lyon – Université de Lyon ;

Laura Ea, Doctorante en Physique des polymères, INSA Lyon – Université de Lyon ;

Mathieu Salse, Doctorant en sciences des matériaux polymères et composites, INSA Lyon – Université de Lyon ;

Simon Fritz, Doctorant en Physique des Polymères, INSA Lyon – Université de Lyon

Cet article est republié sous licence Creative Commons.

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L’eau minérale naturelle en bouteille : traitements, filtration… ce que dit la réglementation | The Conversation

LL’eau minérale naturelle en bouteille : traitements, filtration… ce que dit la réglementation | The Conversation

Fin janvier éclatait l’affaire des eaux minérales naturelles non conformes à la suite d’une enquête menée par Le Monde et Radio France. Celle-ci épinglait plusieurs grandes marques d’eau minérale naturelle en bouteille (dont Vittel, Contrex) et d’eau de source (dont Cristalline). Elles auraient eu recours à des traitements physiques non autorisés (comme une microfiltration inférieure aux seuils autorisés) afin de masquer une pollution anthropique (c’est-à-dire, imputable aux activités humaines). L’occasion de faire le point sur ce que permet ou non la réglementation à la matière.

Eau minérale naturelle, de quoi parle-t-on ?

L’Eau minérale naturelle (EMN) est une appellation juridique spécifique. Elle se définit comme une eau d’origine souterraine, dont les composants physicochimiques (la teneur en minéraux) à l’émergence restent stables dans le temps, avec moins de 10 % de variation.

Les usages économiques liés à l’EMN (usine d’embouteillage, établissement thermal) sont étroitement dépendant du maintien de cette appellation octroyée par le ministère de la Santé sur avis de l’Académie de Médecine).

Contrairement à l’eau du robinet, les traitements chimiques de désinfections sont interdits au regard des exigences réglementaires liées à aux appellations juridiques « Eau minérale naturelle » et « Eau de Source ».

Des traitements qui ne doivent pas modifier la composition de l’eau

Les seuls traitements aujourd’hui autorisés par la réglementation portent sur la séparation d’éléments instables ou indésirables, naturellement présents dans l’eau (fer, soufre, manganèse, arsenic, etc.). Ces traitements physiques (filtration, décantation, oxygénation, utilisation d’air enrichi en ozone) ne doivent pas modifier la composition de l’eau quant aux constituants essentiels qui lui confèrent ses propriétés.

Les traitements de désinfection par ultraviolets ou par filtres au charbon actif d’éléments indésirables liés à une pollution anthropique d’origine agricole, industrielle ou accidentelle ne sont pas autorisés.

Or, ce que l’actualité récente nous montre, c’est que l’enjeu sur le recours à ces traitements, pourtant sans risques pour la consommation humaine, est avant tout un enjeu juridique liée à l’appellation d’eau minérale naturelle.

L’intervention du service de répression des fraudes dans le cadre de l’enquête menée par la Direction générale de la concurrence, de la consommation et de la répression des fraudes est donc au cœur de l’actualité. La perte de l’appellation EMN entraînerait de lourdes conséquences économiques pour les exploitants.

Cet évènement récent rappelle celui sur l’eau de source Capes Dolé en Guadeloupe. Afin d’éliminer les éléments indésirables de pollution anthropique d’origine agricole, identifiés en 1999, l’exploitant avait installé sur les lignes d’embouteillage un filtre à charbon et des membranes de filtration, sous le contrôle de l’ARS.

Le coupable ? Le chlordécone, pesticide utilisé contre le charançon du bananier dans toutes les Antilles françaises de 1972 à 1993.

Ce traitement physique ne modifiait pas les caractéristiques microbiologiques de l’eau. Cependant, après plusieurs attaques en justice d’embouteilleurs concurrents (Fontaine Didier et West Indies Pack), la société a été condamnée en 2013 à supprimer l’appellation « eau de source » sur ses étiquettes pour la remplacer par « eau rendue potable par traitement ».

La réglementation sur la protection des gisements d’eau minérale naturelle s’inscrit donc dans un héritage historique ancien. Et peut-être, déjà obsolète ?

Un héritage réglementaire de la « guerre des sources » à Vichy pour gérer le risque quantitatif

L’appareil réglementaire actuel, de protection des gisements, a été construit de façon empirique et repose notamment sur la perception des risques au XIXe siècle.

À cette période, l’État avait légiféré pour protéger les gisements sur l’aspect quantitatif, à la suite de la « guerre des sources » à Vichy-Saint-Yorre de 1844 à 1930. Devant le succès commercial de l’eau embouteillée sur le bassin de Vichy-Saint-Yorre, les entrepreneurs privés multipliaient les forages. En tant que propriétaire d’un vaste patrimoine thermal, l’État, ainsi que son fermier (la Compagnie de Vichy), avaient alors découvert que l’usage thermal principal était impacté par une baisse de débit des forages.

L’une des sources exploitées à Saint-Yorre, image d’époque.

En 1939, la multiplication anarchique des forages se matérialisait par 230 sources sur le bassin de Vichy-Saint Yorre, 200 sources à Vals et 40 sources à Vittel-Contrex. L’État a donc agi pour sauvegarder les intérêts du secteur thermal, avec une première réglementation en 1848, afin d’imposer un périmètre de protection fixe de 1000 mètres autour de chaque source.

Les obligations actuelles sur les captages

Cet héritage réglementaire comporte aujourd’hui deux outils spécifiques, le premier obligatoire, et le second, facultatif.

De manière obligatoire, chaque émergence doit disposer d’un périmètre sanitaire d’émergence (PSE), et cela depuis 1937. Il est déterminé durant la demande d’autorisation d’exploitation d’un nouveau captage par arrêté ministériel.

La tête de forage doit être protégée par un abri fermé mis sous surveillance, et placé dans un périmètre grillagé d’une centaine de mètres carrés, en fonction du type de captage, sa profondeur, et l’environnement du site.

Ce foncier doit être détenu par le propriétaire du captage ou avoir une servitude d’accès. Au sein de ce PSE, la réglementation interdit toute activité, travaux, dépôt de déchets, épandage d’eaux usées, de produits phytosanitaires ou d’engrais organique.

L’application du PSE peut toutefois être difficile si le captage est localisé en milieu urbain. Certains captages peuvent être situés dans le sous-sol de bâtiments, ou sous la voirie du centre-ville. Le PSE peut donc parfois se limiter à la chambre de captage, ou à un local de tête de captage.

En fonction des sites, les objectifs d’un PSE peuvent donc être différents.

  • Si la ressource en eau est naturellement à l’abri des pollutions de surface, le PSE aura pour vocation d’assurer la sécurité physique du captage seulement.
  • En revanche, si la vulnérabilité sanitaire des abords immédiats de la ressource est plus grande, des compensations réglementaires devront être trouvées.

Dans ce cas de figure, la réglementation peut par exemple, en milieu urbain, interdire le stationnement de véhicules sur la voirie à proximité du captage, de manipuler des substances polluantes ou encore prévoir une surveillance en cas de travaux de voirie.

Lorsque la ressource en eau est naturellement peu protégée, la réglementation peut interdire le stationnement de véhicules sur la voirie à proximité du captage. ©Frédéric Bisson/Flickr

Des aménagements spécifiques peuvent aussi être prévus, comme l’installation d’un système étanche de récupération des eaux pluviales sur la voirie pour se prémunir du risque de pollution aux hydrocarbures, avec un système d’alerte d’étanchéité sur le captage.

La délimitation du PSE est donc toujours un compromis entre ce qui est techniquement souhaitable et ce qui est en réalité possible.

Une déclaration d’intérêt public et un périmètre de protection facultatifs

Le second outil de protection est facultatif. Dès 1861, la réglementation donne la possibilité au propriétaire ou à l’exploitant de la ressource en eau minérale naturelle (EMN) de demander une déclaration d’intérêt public et la création d’un périmètre de protection (PP). Cette démarche est soumise à la validation du Conseil d’État après une enquête publique.

L’intérêt public est prononcé en fonction de la valeur intrinsèque de la ressource : qualité, débit, propriétés favorables à la santé, enjeux d’emploi… Il faut que le niveau de vulnérabilité de l’émergence justifie les contraintes à imposer aux tiers. En fonction des caractéristiques du site (contexte hydrogéologique, vulnérabilité, risques…), un périmètre de protection est défini.

Ce dernier peut varier de un à 15 600 hectares. Il s’agit d’un outil contraignant au plan réglementaire. Les tiers (habitants, entreprises…) sont soumis à une obligation de déclaration pour tous travaux de terrassement de deux à quatre mètres de profondeur, et doivent demander une autorisation préfectorale au-delà de quatre mètres.

Ils sont également soumis à des interdictions d’installation d’activités classées ICPE, de stockage de déchets, et d’épandage de boue de station d’épuration. L’État exige toutefois, en contrepartie, que l’exploitant prenne en charge et indemnise certaines mesures imposées aux tiers.

Un cadre réglementaire vieillissant… et obsolète ?

Ces deux outils réglementaires vieillissants sont cependant peu respectés et mobilisés. L’état des lieux des PSE obligatoires montre que les exploitants et propriétaires de la ressource s’écartent de la réglementation.

La cour des comptes a ainsi relevé, dès 1995, qu’une partie des sources étaient en exploitation sans autorisation ou reposant sur des autorisations fondées sur des paramètres obsolètes. En effet, la grande majorité des autorisations d’exploitation ont été délivrées au XIXe siècle ou au début du XXe siècle.

Des visiteurs à Vichy-Célestins. ©Yusaini Usulludin/Flickr

Or, les captages autorisés mais non renouvelés depuis 1937 n’ont pas de PSE, ce qui signifie que le risque sanitaire immédiat n’est pas pris en compte. En 2016, entre 17 % et 29 % seulement des captages alimentant un établissement thermal ont fait l’objet d’une autorisation conforme.

Pourtant, le fait d’exploiter une eau minérale naturelle sans autorisation est passible de sanctions administratives (fermeture partielle ou complète de l’établissement) ainsi que de sanctions pénales à hauteur d’un an d’emprisonnement et de 15 000 euros d’amende, selon l’article L.1324-3 du code de la santé publique.

La problématique de contrôle réglementaire des PSE se heurte donc à une absence de vision sur l’état actuel consolidé des émergences exploitées à l’échelle nationale.

Comment en est-on arrivé là ?

Cette situation résulte de la décentralisation par l’État des missions du BRGM vers les 18 Agences Régionale de Santé. Ces dernières ne disposant pas d’hydrogéologues, l’inventaire des captages de la banque du sous-sol est donc largement lacunaire. L’Assemblée nationale soulignait encore en 2016 le manquement à cette mission des ARS.

D’autre part, l’état des lieux des périmètres de protection (PP) montre que cet outil est très peu mobilisé. Seulement 99 émergences bénéficient d’un PP, dont 56 sont exploitées par un usage.

La plupart d’entre eux sont de surcroît anciens. Sur tous les PP, 96 % datent du XIXe siècle ou du début du XXe siècle. La mobilisation contemporaine du PP reste très limitée, et surtout autour des sites à fort enjeu économique (Vittel en 1971, Avène en 1992, Évian en 2006, Vals en 2012).

Des risques qualitatifs identifiés en 1971, sans modification réglementaire

Le risque de polluants anthropiques d’origine agricole a été identifié dès 1971 par les minéraliers sur le terrain, et confirmé par le rapport ministériel Hénin de 1979, mais n’a pas été suivi d’évolution réglementaire pour la protection des gisements d’eau minérale naturelle.

On peut s’interroger sur la capacité d’un dispositif réglementaire vieillissant et peu mobilisé à protéger la ressource des risques qualitatifs anthropiques liés à notre société.

C’est en raison de cette carence réglementaire française que des politiques de protection partenariales de l’impluvium ont été créées par les minéraliers sur les sites de Vittel et d’Évian dès la fin dès 1989, afin de faire baisser les taux de nitrate de ces aquifères. D’autres initiatives isolées et limitées émergent également à Saint Yorre, Aix-les-Bains ou Thonon.

À titre de comparaison, le cadre réglementaire historique de la Région wallonne a évolué en 1991 afin d’actualiser le niveau de protection face aux risques qualitatifs, avec quatre zones (prise d’eau, zone de prévention rapprochée/éloignée et zone de surveillance de l’impluvium) et des limitations plus strictes et plus précises notamment sur la limitation des produits phytosanitaires agricoles dans l’impluvium des gisements.

Qu’ils soient chroniques ou accidentels, les risques liés à l’agriculture intensive (épandage de produits phytosanitaires et engrais organique surdosé), l’industrie ou à l’urbanisation (ruissellement d’hydrocarbure sur les voiries, fuite des citernes à fioul et du réseau d’assainissement…) sont un enjeu pour la pérennité des agréments eau minérale naturelle et de leurs usages.The Conversation

Auteur : Guillaume Pfund, Docteur en géographie économique associé au laboratoire de recherche EVS, Université Lumière Lyon 2

Cet article est republié sous licence Creative Commons.

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Les « mines urbaines », ou les ressources minières insoupçonnées de nos déchets électroniques | The Conversation

LLes « mines urbaines », ou les ressources minières insoupçonnées de nos déchets électroniques | The Conversation

Et si, plutôt que de développer de nouvelles infrastructures minières, on valorisait les gisements de métaux contenus dans les objets électroniques que nous n’utilisons plus (ordinateurs, smartphones, etc.) ? Il existe de très bonnes raisons de s’intéresser au potentiel de ces « mines urbaines », ou mines secondaires, par opposition aux mines « primaires » où l’on exploite directement les ressources du sol.

Celles-ci permettraient même de faire d’une pierre trois coups, en réduisant la quantité de déchets électroniques, en réduisant l’empreinte énergétique et les dégradations environnementales causées par l’industrie minière, et en préservant des ressources critiques stratégiques pour le continent européen. Mais aujourd’hui, ce potentiel reste encore largement sous-exploité.

Un enjeu stratégique pour l’Union européenne

Valoriser les déchets électroniques est intéressant, car cela permet de réduire, mécaniquement, leur quantité. Ils constituent aujourd’hui l’un des flux de déchets à la croissance la plus rapide, dégradent les écosystèmes et représentent un enjeu majeur de santé publique.

L’exploitation de ces ressources secondaires permet aussi de diminuer la pression sur les ressources primaires du fait de l’exploitation minière – et donc de réduire son impact environnemental élevé. En effet, le recyclage de certains métaux est moins énergivore que leur extraction minière. C’est le cas de l’aluminium : sa production par recyclage nécessite dix à quinze fois moins d’énergie que sa production primaire.

D’autant plus que plusieurs des métaux valorisés font partie de ressources critiques au niveau de l’Union européenne. Elles sont essentielles à l’industrie, en particulier dans un contexte de transition énergétique, et présentent un fort risque de tensions d’approvisionnement. À ce titre, l’Union européenne publie et met à jour régulièrement depuis 2011 la liste des métaux critiques qui devraient constituer des priorités de valorisation pour les mines urbaines.

La cinquième liste, publiée en 2023, identifiait 34 métaux critiques, dont les terres rares, le lithium, le cuivre ou le nickel. Malheureusement, on ne peut que constater le fossé entre les recommandations de l’Union européenne et les pratiques de valorisation des mines urbaines.

Un cycle de vie truffé d’obstacles au recyclage

En cause, des obstacles techniques, organisationnels, réglementaires et économiques à chaque étape du cycle de vie d’un objet, qui limitent son potentiel de valorisation. Dès la conception des objets, on peut identifier certaines pratiques qui limitent la recyclabilité des métaux, comme le recours aux alliages, ou encore l’hybridation des matières, notamment utilisée pour l’emballage de liquides alimentaires. La plupart des briques de ce type sont ainsi constituées de carton et de PolyAl, un mélange de polyéthylène (un type de plastique) et d’aluminium.

Or, pendant longtemps, on a récupéré et recyclé le carton des briques alimentaires, mais pas le PolyAl, produisant ainsi une situation de recyclage incomplet. Dans ce cas précis, les entreprises Tetra Pak et Recon Polymers ont fini par mettre au point un procédé de séparation, et ouvrir une usine de recyclage spécifique pour le PolyAl en 2021. Mais un grand nombre d’autres produits continuent à être difficiles à recycler, précisément parce que cet aspect n’a pas été pris en compte au moment de leur conception.

Les usages dispersifs, qui consistent à utiliser de petites quantités de métaux dans des produits pour en modifier les propriétés, sont une autre pratique qui pose problème pour le recyclage : des nanoparticules d’argent sont par exemple intégrées dans les chaussettes pour empêcher les mauvaises odeurs. Ou encore, quelques grammes de dysprosium, une terre rare, sont parfois utilisés pour booster les capacités magnétiques des aimants. Autant d’usages des métaux qui confisquent à jamais leur circularité.

Hibernation électronique dans les greniers

Une fois l’objet conçu et utilisé, le deuxième frein vient du consommateur, qui a tendance à stocker ses objets électroniques, qu’ils fonctionnent ou non, plutôt qu’à les déposer dans une filière spécifique pour qu’ils soient recyclés. Le phénomène est tel qu’on parle d’hibernation électronique. En 2009 déjà, une étude pionnière estimait qu’en moyenne, les foyers américains abritaient 6,5 objets électroniques en hibernation dans leur grenier, et ce chiffre n’a fait qu’augmenter de façon exponentielle au fil des années.

En 2021, une étude menée par Google identifiait sept obstacles principaux au recyclage des appareils électroniques par les consommateurs : le manque de sensibilisation aux options de recyclage existantes, les attentes d’une compensation financière ou sociale, la nostalgie, la volonté d’avoir un terminal de rechange en réserve, la volonté de récupérer des données sur le terminal, ou encore de supprimer des données, et enfin le manque de praticité des filières de réemploi ou de recyclage.

Principaux obstacles au recyclage des déchets électroniques pour les consommateurs

Principaux obstacles au recyclage des déchets électroniques pour les consommateurs. Google, Fourni par l’auteur

Une étude plus récente menée en Suisse nuance cependant ces résultats : 40 % des répondants affirmaient être prêts à se séparer de leur vieux téléphone portable pour une compensation inférieure à cinq dollars. Il serait toutefois intéressant de mener la même enquête dans des pays moins riches que la Suisse…

Le troisième point de blocage, enfin, concerne les systèmes de collecte et les infrastructures de recyclage. En France, pour la plupart des filières de déchets spécifiques (déchets électroniques, emballages, pneus, etc.), tout est centralisé par des éco-organismes, des organismes privés qui peuvent avoir une responsabilité organisationnelle – ils organisent concrètement les opérations de recyclage – ou financière, auquel cas ils s’occupent uniquement de la gestion financière de la filière. Ces éco-organismes sont régulièrement au cœur de controverses : des analyses indiquent que la valorisation matière des flux de déchets gérés par les éco-organismes est souvent sous-optimale, notamment à cause de leurs objectifs de rentabilité.

Les principaux freins à l’exploitation des mines urbaines

Les principaux freins à l’exploitation des mines urbaines. Fourni par l’auteur

Impliquer ingénieurs, designers, politiques et consommateurs

Pour accompagner les entreprises dans une démarche d’écoconception, il existe pourtant plusieurs initiatives, dont la démarche Cradle to Cradle, « du berceau au berceau », qui invite à considérer l’ensemble du cycle de vie des objets conçus, afin notamment de permettre leur recyclabilité.

Cependant, si on adopte une focale plus large, on ne peut ramener l’engagement des industriels en faveur du recyclage à une rationalité économique étroitement conçue. Cet engagement dépend de facteurs organisationnels, sociaux, voire anthropologiques qui, s’ils ne sont pas antinomiques avec la rationalité économique, appellent à penser le problème du non-recyclage de façon plus large.

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Il existe des leviers pour développer l’exploitation des mines urbaines avec, à la clé, des avantages économiques, environnementaux et géopolitiques.

  • Du côté des ingénieurs et des concepteurs de produits, cela passe par un design plus responsable, en prenant en compte l’entièreté du cycle de vie des produits au moment même de leur conception.
  • Du côté des consommateurs, cela implique une plus grande sensibilisation à la pratique du tri des flux de déchets spécifiques, notamment électroniques.
  • Les entreprises, pour leur part, doivent raisonner sur un temps plus long et pas seulement en fonction de la rentabilité à court terme, dans un contexte de volatilité du cours des métaux.
  • Les États, enfin, gagneraient à mettre en place des réglementations adaptées à la complexité du secteur, n’excluant pas des objectifs ambitieux de taux de recyclage spécifiques par type de métal, ainsi qu’une forme de planification territoriale pour mieux coordonner les flux.

La difficulté à tendre vers l’économie circulaire

Rappelons enfin que même dans le cas idéal d’une exploitation optimale du gisement que constituent les mines urbaines, avec des taux de recyclage élevés pour tous les métaux, nous serions toujours loin d’une situation d’économie circulaire. En effet, chaque année, la demande en métaux continue d’augmenter de manière très significative.

La recyclabilité et le recyclage effectif des métaux sont donc des conditions nécessaires, mais non suffisantes à la mise en place d’une économie véritablement circulaire. En effet, seule une décroissance des flux de matière et d’énergie dans l’industrie permettrait aux mines urbaines de se substituer en partie, et non de s’ajouter, à l’exploitation des gisements primaires.The Conversation

Autrice : Fanny Verrax, professeure associée en transition écologique et entreprenariat social,

EM Lyon Business School

Cet article est republié sous licence Creative Commons.

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Les scientifiques héroïnes de fiction influencent-elles les choix d’orientation des adolescentes ? | The Conversation

LLes scientifiques héroïnes de fiction influencent-elles les choix d’orientation des adolescentes ? | The Conversation

Les filles n’auraient-elles que peu d’intérêt pour les sciences ? C’est ce que pourrait laisser penser leur sous-représentation persistante dans les filières et professions dédiées à ces disciplines. Pourtant, les recherches en sociologie montrent que ce n’est pas faute de goût ou d’aptitudes qu’elles sont relativement absentes de ces domaines.

Une explication se situerait plutôt du côté des normes sociales qui influencent les filles dans leurs choix. Si la famille et l’école jouent un rôle important dans l’incorporation de ces normes, la culture, par les représentations et les modèles qu’elle véhicule, contribue à structurer le rapport que les adolescentes ont aux sciences et à influencer leurs choix d’orientation. C’est ce que montrent les résultats de l’enquête initiée et encadrée par l’association Lecture Jeunesse, soutenue par le ministère de la Culture.

En enquêtant auprès de 45 lycéennes amatrices de mathématiques, nous avons cherché à répondre aux questions suivantes : quels contenus culturels les filles qui aiment les sciences consomment-elles ? Quel rapport ont-elles à ces contenus et comment ceux-ci façonnent leurs représentations des sciences ? Existe-t-il des role models féminins, réels ou fictifs, qui inspirent et encouragent ces filles à s’engager dans des voies scientifiques ?

Dans le cadre de cette recherche, le terme « science » désigne l’ensemble des disciplines relevant des sciences formelles, de la matière et de la vie, par opposition aux sciences humaines et sociales. L’enquête examine l’ensemble des supports culturels (contenus écrits et audiovisuels, musées, jeux, pratiques amateurs, etc.) qui diffusent les sciences, ensemble désigné sous le terme de culture scientifique.

Les loisirs scientifiques, une pratique minoritaire chez les adolescentes

La culture scientifique des lycéennes est peu développée : sur les 45 filles interrogées, seules neuf déclarent avoir des loisirs scientifiques réguliers. L’influence de l’origine sociale sur ces activités est notable : les filles issues des milieux favorisés les plus dotées en capital économique et culturel sont plus susceptibles d’avoir des loisirs scientifiques.

L’étude révèle en outre que, si goût des lettres et goût des sciences ne sont pas incompatibles, les lectures d’ouvrages scientifiques demeurent rares. En effet, alors que les trois-quarts des filles disent aimer lire et y consacrer du temps, seulement cinq d’entre elles lisent des ouvrages de sciences. Les lectures scientifiques sont donc minoritaires, même chez les grandes lectrices.

Invitées à chercher les sciences dans tous les livres, films ou séries qu’elles connaissent, les filles identifient quelques titres (films de science-fiction, biopics de scientifique, séries, animes, etc.) qu’elles associent à la thématique.

Quelques exemples de titres que les filles associent aux sciences.

Les adolescentes sont néanmoins peu attachées à ces contenus qu’elles ne regardent qu’occasionnellement. Elles ne les envisagent pas comme des supports d’apprentissage des sciences, ce qui contraste avec l’usage didactique qu’en font les garçons qui, comme l’a montré le chercheur David Peyron, perçoivent « le monde imaginaire comme lieu d’expérimentation des savoirs ».

Enfin, lorsque les adolescentes apprécient ces contenus, c’est rarement en raison de leur dimension scientifique. Les figures de l’ombre, qui relate l’histoire de trois femmes ingénieures afro-américaines travaillant pour la NASA, est par exemple le « film préféré » de l’une des adolescentes interrogées. Or, cette dernière précise bien que son intérêt pour le film n’est pas dû à sa dimension scientifique :

« Je pense que ça me plait aussi beaucoup parce qu’il y a un rapport avec la société : c’est des femmes noires, c’est un combat… c’est pas juste des sciences. J’pense qu’un film ou un livre juste sur les sciences… je ne sais pas si ça me suffirait. »

La mise à distance des loisirs scientifiques alimente un sentiment d’incompétence en sciences

Pour la plupart des adolescentes, tout ce qui touche aux sciences relève du travail scolaire et n’est pas perçu comme une source possible de divertissement. Certaines filles rejettent même avec véhémence l’idée d’avoir une passion extrascolaire pour les sciences.

À travers ce rejet se joue une mise à distance de la figure repoussoir du geek « qui aime les maths, les mangas et les jeux vidéo » et qui consacre son temps libre aux sciences. Pour les filles, situer les sciences hors du champ des loisirs revient ainsi à rejeter l’assignation au masculin qui accompagne l’investissement des sciences.

Échange issu des entretiens qualitatifs menés dans le cadre de l’enquête de Lecture Jeunesse. / Fourni par l’auteur.

Cette mise à distance empêche la naissance d’un sentiment de familiarité avec les sciences qui nourrit la confiance en soi dans ces disciplines. Par ailleurs, la culture scientifique est un attendu implicite des filières académiques puis des milieux professionnels scientifiques. La méconnaissance de certaines références culturelles scientifiques est perçue comme un manquement et exclut les filles des dynamiques de groupe dans ces environnements.

Au bout de compte, cela alimente chez les filles le sentiment que leur travail ne fera jamais le poids contre la culture accumulée des garçons, et conduit en parallèle leurs camarades et collègues masculins à les juger incompétentes.

Investir le pouvoir incluant de la culture à travers les « role models » féminins

À travers les mécanismes d’identification qu’ils permettent, les objets culturels ont le pouvoir d’inspirer les jeunes filles en leur proposant des modèles féminins. Or, dans son état actuel, la culture scientifique est excluante : les femmes y sont invisibilisées ou représentées de façon stéréotypée.

Les rares représentations de femmes scientifiques sont en outre souvent contreproductives. Figures trop impressionnantes pour susciter l’identification, femmes dotées d’un don inné pour les sciences ou ayant dû faire face à l’adversité pour suivre leur vocation : les représentations féminines dans l’offre culturelle contemporaine véhiculent l’idée que les femmes scientifiques ne peuvent pas être des femmes ordinaires et heureuses.

Exemples de figures féminines contreproductives. / Fourni par l’auteur.

La création de modèles de proximité est donc fondamentale : les adolescentes ont besoin de rencontrer des femmes scientifiques ordinaires et accessibles. Le rôle majeur que peut jouer la fiction est encore insuffisamment investi : les modèles féminins efficaces pour donner aux filles l’envie de s’engager vers les sciences sont encore à inventer.

Cet article a été co-écrit par Clémence Perronnet, chercheuse en sociologie à l’Agence Phare rattachée au Centre Max Weber (UMR 5283), ENS de Lyon, Lydie Laroque et Aurore Mantel (de l’association Lecture Jeunesse).The Conversation

 

Cet article est republié sous licence Creative Commons.

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« Penser à tout » : pourquoi la charge mentale des femmes n’est pas près de s’alléger | The Conversation

«« Penser à tout » : pourquoi la charge mentale des femmes n’est pas près de s’alléger | The Conversation

©Yakobchuk Viacheslav | Selon l’Insee, en 2010, en France, les femmes prennent en charge 64 % des tâches domestiques et 71 % des tâches parentales au sein des foyers.

Mères, travailleuses, attentives à la dimension du soin dans la relation aux autres, beaucoup de femmes ploient sous le poids de la charge mentale. En plus d’exécuter la grande majorité des tâches domestiques au sein de la famille, elles sont souvent celles qui les organisent, les planifient, y « pensent », tout simplement. Et ce d’autant plus que l’éducation des enfants est devenue un enjeu central de notre époque. Cette charge qui leur incombe au quotidien peut être alourdie par les nouveaux outils numériques. Ce vécu intime, cette addition des tâches et leur répercussion, impossibles à quantifier, doivent être appréhendés collectivement.

Comment être une « bonne mère », tout en étant une « professionnelle impliquée », une « amie dévouée » mais aussi une « représentante associative engagée » et une partenaire attentive… en même temps, tout le temps ?

Les rôles sociaux que les personnes investissent tendent à se multiplier ; nos identités se conjuguent dans une dialectique entre notre identité propre et celle tournée vers autrui. En résulte une « charge mentale » démultipliée et parfois incommensurable.

Cette charge mentale, comme un très grand nombre de femmes, il m’arrive moi-même de l’expérimenter dans mon quotidien, en tant que mère de quatre enfants avec une vie professionnelle dense. Sociologue de la famille et de l’éducation, je me suis donc intéressée de près à cette question.

Mais de quoi parle-t-on exactement ? Apparue dans les années 80, la « charge mentale » peut être définie selon Nicole Brais, chercheuse en philosophie à l’Université de Laval qui a théorisé cette notion, comme un « travail de gestion, d’organisation et de planification qui est à la fois intangible, incontournable et constant, et qui a pour objectif la satisfaction des besoins de chacun et la bonne marche de la résidence ».

Mais c’est la sociologue Monique Haicault qui, la première, décrit dans son ouvrage La gestion ordinaire de la vie en deux, la « double journée » des femmes, prises en étau entre le travail domestique et familial et la montée en puissance des exigences professionnelles.

71 % des charges parentales assurées par les femmes

Première caractéristique : la charge mentale affecte le vécu et l’expérience des femmes. Certes, la généralisation du travail féminin, intervenue au XXe siècle, participe d’un mouvement d’émancipation de ces dernières. Mais il ne s’est pas accompagné d’un partage équitable des tâches domestiques et familiales. En effet, selon l’Insee, en 2010, en France, les femmes prennent en charge 64 % des tâches domestiques et 71 % des tâches parentales au sein des foyers.

Il ne s’agit pas seulement du temps passé avec l’enfant, mais du temps à penser à tout ce qui le concerne : tri des vêtements au fil des saisons, gestion du calendrier vaccinal, organisation des vacances à venir, cadeaux à offrir aux goûters d’anniversaire, dates à retenir pour Parcoursup

Cette charge ne permet pas de concilier équitablement vie professionnelle et familiale et nuit au bien-être des femmes, tant elle les oblige à être constamment en alerte.

Il ne s’agit pas seulement de partager équitablement la réalisation des tâches au sein du couple pour partager la charge mentale. Plus diffuse, cette charge est aussi cognitive, car elle résulte davantage d’une réflexion visant la gestion et la planification des tâches domestiques, éducatives et de soin.

On touche ainsi à une seconde caractéristique : cette charge mentale est invisible et a ceci de particulier qu’elle ne se quantifie pas.

La dessinatrice Emma, 2019.

Pour rendre compte de son intensité, souvent invisible, paraît en 2016 Fallait demander, une bande dessinée par l’autrice-illustratrice Emma. La BD, d’abord publiée sur Internet, fait œuvre pédagogique et provoque le débat dans les sphères médiatiques mais également intimes.

L’autrice s’emploie à décrire les soubassements d’une injustice de genre dans un contexte de supposée égalité entre les sexes. L’engouement suscité est aussi lié à une intensification générale de cette charge mentale.

En effet, si cette notion est autant discutée aujourd’hui, c’est aussi parce qu’elle englobe de nouveaux registres, à l’instar du care tel que défini par Monique Haicault :

« Le soin, le bien-être, le souci de l’autre et de la relation à autrui composent la part émotionnelle et altruiste de la dimension affective de la vie, plus présente aujourd’hui qu’hier. »

Saturation du travail parental

Enseignante-chercheuse, je mène des entretiens sociologiques auprès de nombreuses femmes. Elles décrivent souvent longuement ce qui s’apparente à une saturation de leur travail parental. Je partage à certains égards leur expérience, tant je sais ce qu’il en coûte d’avoir à penser à tout, pour soi-même mais également pour l’ensemble de sa famille, concernant tous les aspects de la vie intime, scolaire, médicale, sociale.

Beaucoup d’enquêtées évoquent une élévation du référentiel associé au registre éducatif : on a plus d’exigence et on s’investit plus que par le passé dans l’éducation de notre progéniture.

En effet, nos sociétés contemporaines accordent une attention croissante et inédite à l’enfant et c’est sans surprise sur les mères que repose principalement l’application de ces nouvelles normes.

En ce sens, une caractéristique contemporaine de cette « charge mentale » semble d’ailleurs tenir dans l’évolution de la considération des besoins de l’enfant et de sa norme attenante de « bien-être ».

Le tournant pédocentrique, amorcé au début des années 1990, s’est diffusé jusque dans nos psychés et nos affects les plus intimes.

Comme le souligne le sociologue Gérard Neyrand :

« Si aujourd’hui ce n’est plus le mariage mais la venue de l’enfant qui fait famille, cela confère à l’enfant une centralité d’autant plus grande qu’il se fait plus rare qu’autrefois, qu’il demeure plus longtemps chez ses parents, et que l’attachement affectif qu’il engendre n’a jamais été aussi élevé »

D’ailleurs, dans certains cas, la parentalité peut pour ces raisons être vécue comme une expérience de solitude, qui génère un fort sentiment d’incomplétude et d’épuisement. Le fait d’avoir des enfants peut même finir par être appréhendé comme un assujettissement.

Si l’épuisement est d’abord personnel, il met par ailleurs à l’épreuve la conjugalité contemporaine et ses normes de partage et d’équité. Cette charge occupe la discussion de bien des couples, et apparaît nettement comme un des facteurs de délitement de la conjugalité dans les entretiens sociologiques que j’ai pu produire. Ainsi, cette jeune femme raconte :

« On est un jeune couple, tout va bien c’est super c’est merveilleux, l’enfant arrive et là, très rapidement le vent tourne, et là Hermione on va dire qu’elle a six mois et moi je me dis que ça va pas le faire, l’histoire dure encore un an supplémentaire mais ça ne le fait pas, clairement il sert à rien, il me convient plus, il m’aide pas, je me sens seule et je me dis quitte à me sentir seule, autant l’être pour de vrai ! » (Clémence, une enfant de 14 ans, séparée).

Si les couples les mieux positionnés sur l’échiquier social peuvent avoir recours à des services leur permettant d’externaliser un certain nombre de tâches ménagères, domestiques, éducatives, cela ne va pas de pair avec une diminution de cette charge cognitive. Parfois, l’effet peut même être inversé, car il s’agit de penser les conditions (qui, comment, où…) de cette prétendue externalisation de la gestion du quotidien ! Externalisation qui incombe bien souvent à d’autres femmes.

Numéro d’équilibriste

Autre effet paradoxal : celui d’endosser socialement le rôle de gestionnaire, voire de cheffe autoritaire du foyer.

Combien de femmes racontent les reproches qu’elles reçoivent, parfois même accusées de distribuer les rôles et d’occuper une position hégémonique au sein leur famille !

« À force de penser à tout : choix de l’école, choix de la nounou, départ des filles dans ma famille lors des vacances scolaires, organisation des anniversaires des filles, mais aussi des week-ends entre copains, je suis devenue en plus celle qui décide, et qui s’accapare la prise de décision » _(Amélie, deux filles de 7 et 4 ans, en couple).

Et puis, à un autre niveau, l’externalisation ne vient que reproduire des inégalités dans la mesure où ces tâches sont toujours déléguées à d’autres femmes, souvent issues des classes populaires, de l’immigration et qui acceptent des bas salaires.

L’intensification de cette charge mentale et le morcellement de nos rôles sociaux qui en résulte est également à concevoir dans un mouvement d’accélération et de compression des vies privées et professionnelles. Un mouvement notamment rendu possible par les outils numériques et la gestion à distance des tâches, voire des rôles qu’ils permettent.

Je fais par exemple partie de celles qui peuvent à l’occasion télétravailler. Cela me permet de « gagner du temps », d’éviter certains déplacements, parfois de concilier certains impératifs professionnels avec mon travail parental, notamment lorsque mes enfants sont malades.

En résulte cependant un numéro d’équilibriste. Chaque journée peut alors devenir un temps et un espace de négociation avec moi-même, une quête visant à définir la meilleure stratégie possible pour « avancer », limitant autant que possible les sources de perturbations qui me feraient perdre l’équilibre. Par exemple, un déjeuner avec une amie en semaine, un rendez-vous avec une enseignante, une manifestation sportive pour l’un de mes enfants… sont autant d’évènements à même de « gripper » mon organisation, pourtant bien établie.

Reste néanmoins que la conciliation entre tous les espaces-temps constitue le creuset de difficultés quasi universelles de la condition parentale des mères.

Un récent rapport du Haut conseil à l’égalité entre les hommes et les femmes décrit ce phénomène et pointe l’un des risques du télétravail pour les femmes : la réduction des opportunités de carrière.

Face à cette mise en concurrence de nos identités et au sentiment de morcellement pouvant en résulter, il nous revient certes de penser à des modes d’organisation équitables dans nos relations avec nos partenaires. Toutefois, circonscrire cette problématique au seul volet intime participe d’un effacement de sa dimension politique et laisse à penser qu’il suffirait d’une bonne organisation au sein du couple pour diminuer cette « charge mentale ».

La dimension collective de la charge mentale

On touche là à une idéologie bien installée dans notre société : les raisons de ce qui nous pose problème sont à chercher dans notre psyché défaillante, comme le décrivent très bien Eva Illlouz et Edgar Cabanas dans Happycratie, comment l’industrie du bonheur a pris le contrôle de nos vies.

Dans les discours de la psychologie positive et du développement personnel, la « charge mentale » devient le lieu d’une introspection qui sous-entend uniquement un enjeu individuel. Pareille conception fait cependant l’impasse sur sa dimension collective et sociale : représentations et organisation de la famille, division genrée du travail éducatif, place du travail et de sa valeur dans nos trajectoires de vie…

Si des solutions existent dans des dispositifs de prévention et d’éducation des garçons et des filles afin de les sensibiliser aux stéréotypes et normes de genre, on ne peut cependant pas faire l’économie de penser en termes d’organisation sociale collective.

À ce titre, on peut imaginer l’élaboration de politiques publiques soutenant le travail éducatif et de care, des politiques d’emploi permettant de mieux concilier vie personnelle et professionnelle, notamment à travers la prise en compte des temporalités qu’engage la vie de famille.

Et parce que l’on sait que les femmes sont plus concernées par le travail à temps partiel, on peut envisager des mesures qui favoriseraient des journées de travail moins longues pour les hommes comme pour les femmes, des mesures qui prévoient des congés parentaux à se répartir entre parents, à commencer par un congé paternité révisé, au-delà des 28 jours prévus depuis sa réforme au mois de juillet 2021.

À ce jour, des dispositifs d’entreprise visent à allonger le congé pour le deuxième parent, à l’instar du #Parentalact qui a fait son apparition en 2020.

Réviser le congé paternité à la faveur d’une division équitable du travail éducatif et de care dès l’arrivée de l’enfant permettrait de rompre avec notre organisation familiale adossée à la mère comme parent principal. À un autre niveau, ce type d’incitation résonnerait comme une révolution culturelle pour notre société tant le travail est encouragé et valorisé, bien au-delà de la considération que suscite l’énergie déployée pour élever des enfants.The Conversation

 Autrice : Jessica Pothet, Maîtresse de conférences en sociologie – Université Claude Bernard Lyon 1, chercheuse au laboratoire Max Weber, Université Lumière Lyon 2

Cet article est republié à partir de The Conversation sous licence Creative Commons.

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Pourquoi si peu de filles en mathématiques ? | The Conversation

PPourquoi si peu de filles en mathématiques ? | The Conversation

À 17 ans, une fille française sur deux n’étudie plus les mathématiques, contre seulement un garçon sur quatre. Publié en janvier 2024 chez CNRS Editions, « Matheuses – Les filles, avenir des mathématiques » se penche sur ces inégalités pour mieux les combattre.

À travers 10 chapitres, la chercheuse Clémence Perronnet, la médiatrice scientifique Claire Marc et la mathématicienne Olga Paris-Romaskevitch apportent des réponses scientifiques à des questions comme « Faut-il avoir des parents scientifiques pour réussir en maths ? », « Les maths sont-elles réservées aux élites ? » ou encore « Les modèles féminins créent-ils des vocations chez les filles ? »

Ci-dessous, nous vous proposons de lire la conclusion de cet ouvrage conçu aussi bien comme une enquête sociologique qu’un cahier de maths.

Les parcours en mathématiques commencent dès la petite enfance, avec l’influence forte de la socialisation familiale. On a beaucoup plus de chances de s’intéresser aux maths et d’être encouragée dans cette voie lorsqu’on a des parents scientifiques – et surtout, pour les filles, une mère scientifique. Ces héritages familiaux sont purement sociaux et ne reposent pas sur la transmission d’un goût ou d’un talent génétique. Contrairement aux idées reçues, notre intérêt, notre curiosité et nos compétences en mathématiques ne sont jamais déterminés à l’avance par des caractéristiques biologiques. L’intelligence n’est pas innée, et ce n’est pas elle qui fait la compétence en mathématiques : celle-ci ne s’acquiert que par l’entraînement. Ce n’est donc pas parce qu’on est brillant, génial ou naturellement talentueux qu’on devient bon en maths. À l’inverse, c’est au fur et à mesure qu’on les pratique et qu’on s’y investit que l’on nous reconnaît talent et intelligence, parce qu’on investit cette discipline qui détient un important pouvoir symbolique et social.

Il y a néanmoins une très grande inégalité de traitement dans cette reconnaissance, puisque l’intelligence est beaucoup moins facilement accordée aux femmes qu’aux hommes. Les discours pseudoscientifiques qui prétendent prouver l’origine biologique de l’intelligence et les processus d’évaluation à l’œuvre dans le système scolaire desservent systématiquement les femmes. Celles-ci sont toujours considérées comme naturellement moins douées – alors même que des décennies de recherche scientifique établissent que le sexe biologique ne détermine aucunement les capacités cognitives.

Ces inégalités de traitement expliquent la sous-représentation des femmes dans certaines sciences (mathématiques, informatique, ingénierie…) mais aussi leur surreprésentation dans d’autres (biologie, chimie, médecine…). En effet, les disciplines scientifiques ne sont pas investies de la même façon selon la valeur qu’on leur prête dans le monde social. Les hiérarchies disciplinaires, de genre et sociales se croisent pour construire un espace social et sexué des sciences. Au sommet, les mathématiques et la physique sont considérées comme les plus fondamentales et théoriques ; ce sont elles qui recrutent le plus d’hommes et de personnes des classes favorisées. Les champs de l’ingénierie, de la technologie et de l’industrie, associés à l’application et à la technique, ont un recrutement tout aussi masculin mais davantage populaire. Enfin, les sciences du vivant comme la médecine et la biologie, focalisées sur l’activité de soin et de sollicitude, sont les plus féminisées. Cela n’en fait pas des sciences plus égalitaires, puisque la présence des femmes s’y explique toujours par la croyance en des différences de nature entre les sexes (ici, l’existence de qualités féminines liées au care).

Le cas particulier de l’informatique montre bien la façon dont les liens entre genre, savoir et pouvoir produisent des orientations inégalitaires. Loin d’être le résultat de préférences ou de compétences « naturelles », l’absence des filles en informatique est le résultat d’une éviction. Alors qu’elles étaient majoritaires dans cette discipline à ses débuts, les femmes en ont été exclues lorsqu’elle a pris de l’importance et est devenue le lieu d’enjeux de pouvoir économiques et politiques. Aujourd’hui, en milieu scolaire comme en milieu professionnel, les femmes sont confrontées à des comportements sexistes constants de la part de leurs professeurs, camarades et collègues, et leur prétendue incompétence et incompatibilité avec l’informatique servent à justifier leur évincement.

L’absence d’intérêt ou de confiance en soi n’est jamais le point de départ de la situation des femmes en mathématiques : elle est le résultat de leur expérience. Les filles perdent confiance en constatant les efforts infructueux de leurs mères, en rencontrant page après page des personnages qui leur enseignent la résignation face à la domination et en étant la cible quotidienne de violences sexistes et sexuelles dans une société qui leur vante pourtant ses mérites égalitaires. Dans leur vie quotidienne comme dans la fiction, tout indique et rappelle aux filles leur incompétence « naturelle » en mathématiques et les sanctions qui les attendent si elles essayent malgré tout d’investir ce champ du savoir.

Why science is for me (The Royal Society, 2020).

Ces sanctions sont les plus fortes pour les adolescentes noires, arabes ou asiatiques et issues des milieux populaires, qui expérimentent une triple discrimination sexiste, raciste et classiste. Les mathématiques sont les plus élitistes des sciences, mais leur aspiration universaliste produit une illusion de neutralité qui minimise le poids de la classe et de la race dans les parcours. La norme du désintéressement dissimule ainsi les conditions matérielles privilégiées qui sont nécessaires à la pratique des mathématiques pures, les plus valorisées.

Faire le choix des mathématiques quand on est une fille impose une transgression des normes de genre et un inconfort que seules les adolescentes les plus favorisées peuvent tolérer – non sans sacrifices. L’absence des groupes dominés en sciences est produite structurellement. Elle n’est ni une affaire de parcours individuels ni un phénomène purement psychologique. Les femmes, les personnes des classes populaires et les personnes non blanches ne s’autocensurent pas en sciences : elles sont censurées socialement par le poids des rapports de domination.

Dans ce contexte, des actions en non-mixité comme les stages des Cigales peuvent jouer un rôle important. En protégeant pour un temps les filles des violences sexistes, elles leur permettent de se consacrer pleinement à la pratique des mathématiques. Elles favorisent également une prise de conscience des inégalités et mettent en avant des modèles de femmes scientifiques encore trop rarement accessibles pour les adolescentes.

Néanmoins, ces actions ne feront progresser l’égalité qu’à condition de renoncer aux croyances en la différence « naturelle » entre les sexes, et de reconnaître les autres rapports de domination structurant le champ scientifique. Si elles peuvent suspendre temporairement les rapports sexistes, les actions en non-mixité de genre n’échappent ni à l’élitisme ni au racisme. Faute de prendre en compte l’ensemble de ces rapports sociaux, elles bénéficient davantage aux filles des classes les plus favorisées.

©CNRS éditions

Pour avancer vers l’égalité et réaliser véritablement leur ambition universelle, les mathématiques doivent repenser complètement leur histoire, leur fonctionnement et leur sens. Pour servir l’intérêt général, elles doivent refuser d’élever une minorité au détriment de la majorité. Cela impose de prendre conscience de la façon dont la pratique actuelle des maths rend impossible l’accès de tous et toutes aux savoirs et aux carrières.

Parce que les inégalités sont sociales et structurelles, les outils pour les résorber doivent l’être également. Les actions ponctuelles et périphériques à destination des groupes sociaux exclus sont nécessairement insuffisantes. Les mathématiques ont besoin d’une transformation interne et collective des pratiques, fondée sur le refus de construire la discipline sur la réussite personnelle de quelques individus jugés exceptionnels, et sur le rejet systématique de toutes les approches naturalisantes des femmes et des hommes, mais aussi des questions de goût, de talent et de mérite.The Conversation

 

Auteure :

Clémence Perronnet, chercheuse en sociologie rattachée au Centre Max Weber (UMR 5283), ENS de Lyon

Cet article est republié à partir de The Conversation sous licence Creative Commons.

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Loin du mythe de l’écologie punitive, la faiblesse des polices de l’environnement | The Conversation

LLoin du mythe de l’écologie punitive, la faiblesse des polices de l’environnement | The Conversation

Les polices de l’environnement sont la cible de critiques et d’attaques de plus en plus médiatisées. Pourtant, leurs missions, leurs prérogatives et leurs activités restent très peu connues. Les agents de l’Office français de la biodiversité (OFB) n’avaient d’ailleurs fait l’objet d’aucun ouvrage universitaire jusqu’à celui-ci. Les sociologues Léo Magnin, Rémi Rouméas et l’agrégé de philosophie Robin Basier nous y font découvrir les moyens plus que modestes de ses fonctionnaires censés réaliser une tâche colossale : l’OFB dispose seulement de 1700 inspecteurs pour constater et rechercher les infractions environnementales commises sur les 641 000 kilomètres carrés du territoire français.

Ajoutez à cela un manque de temps et de formation du côté de la magistrature, des syndicats agricoles qui ont trouvé en la police de l’environnement un adversaire institutionnel de prédilection, et l’idée même d’une écologie punitive devient soudainement très peu en phase avec la réalité du terrain. Extraits choisis de Polices environnementales sous contraintes paru le 2 février 2024 dans la collection « Sciences durables » des éditions Rue d’Ulm


À en croire une formule répandue, « l’écologie a gagné la bataille des idées ». La métaphore militaire et militante ne nous dit cependant pas grand-chose. D’abord, elle fait l’impasse sur la diversité idéologique des positions sur la question environnementale. Ensuite, elle suppose de manière trompeuse que la politique n’est qu’un bras de fer argumentatif : une fois le combat gagné, la mise en œuvre des idées ne serait plus de la politique mais de l’intendance.

Ce présupposé intellectualiste, qui affirme le primat des idées sur les pratiques, est renforcé par la mise à l’agenda de questions de recherche perçues comme essentiellement spéculatives. Ainsi, des juristes et des philosophes se demandent s’il faut accorder des droits à la nature, ou comment nous devons transformer nos sensibilités. Nous pensons que ces interrogations devraient être renforcées par des investigations empiriques sur l’état actuel de l’application du droit.

Le droit de l’environnement ne doit pas être envisagé uniquement comme un ensemble de textes de lois, mais également comme une activité sociale, notamment une activité de contrôle qui veille à son application. Par conséquent, le fait que l’écologie soit mieux prise en compte dans la doctrine juridique n’est pas nécessairement un gage de sa force. Et ce qui est vrai de la qualité du droit l’est aussi de sa quantité : la multiplication des textes n’est pas une garantie d’une meilleure protection de l’environnement. Ce constat est consolidé par les travaux de science politique qui font état d’un écart considérable entre les objectifs environnementaux fixés par le droit et les résultats atteints dans les faits.

Alors que les rapports successifs du GIEC et de l’IPBES soulignent l’impérieuse nécessité d’agir, il importe de décrire l’action publique environnementale pour identifier ce qui pourrait enrichir et accélérer sa mise en œuvre. C’est à cet effet que nous avons porté nos regards sur un opérateur décisif et paradoxalement ignoré : la police de l’environnement.

Suivre cette police méconnue nous conduit à une lecture originale des rapports entre politique et environnement. Un grand nombre de débats contemporains tournent en effet autour de la question de la contrainte dans l’application du droit : parce qu’il est avéré que les initiatives individuelles sont insuffisantes, dans quelle mesure l’État peut-il légitimement contraindre les entreprises et les citoyens ? C’est dans ce cadre que les secteurs productifs concernés par les réglementations environnementales développent un discours critique qui fustige l’avènement d’une « écologie punitive ». Ils reprochent ainsi à la puissance publique d’abuser des outils de coercition à sa disposition.

À rebours d’un tel récit, nous développons la thèse suivante : les polices de l’environnement sont plus caractérisées par les contraintes qui les empêchent d’agir que par la force contraignante qu’elles peuvent réellement déployer. Autrement dit, la force de l’action coercitive de l’État en matière environnementale semble largement surévaluée par ses détracteurs, qui passent sous silence les multiples obstacles que les policiers de l’environnement rencontrent dans leur pratique.

[…]

Des polices de l’environnement aux effectifs modestes et aux missions diverses

La multiplicité des services de police de l’environnement a pour effet de masquer la modestie de leurs effectifs. Celle-ci apparaît clairement quand le nombre d’agents est rapporté aux éléments naturels qu’ils inspectent. Entre 2007 et 2017, les agents spécialisés dans les milieux aquatiques représentaient 2,5 équivalents temps plein par département, soit un équivalent temps plein pour 1 000 kilomètres de rivière. Aujourd’hui, environ 1 500 inspecteurs sont chargés du contrôle de 500 000 installations classées pour l’environnement (ICPE) et 3 100 inspecteurs « eau et nature » doivent constater les infractions environnementales commises sur les 641 000 kilomètres carrés du territoire français.

Parmi ces 4 600 inspecteurs de l’environnement, plus de la moitié appartiennent aux services déconcentrés de l’État (2 650). Les agents restants font partie des établissements publics, principalement de l’OFB (1 700) et, dans une moindre mesure, des parcs nationaux (250). Les effectifs globaux ont peu évolué depuis le milieu du XXe siècle alors que les missions de la police se sont diversifiées : le contrôle sur place n’est qu’une activité parmi d’autres et le temps que les agents lui consacrent est limité ; a fortiori dans le cas des contrôles inopinés qui sont parfois restreints par des plans de contrôle interservices établis en amont par les services déconcentrés de l’État.

En pratique, la polyvalence de ces « petites » polices se traduit par le décalage entre le temps passé sur le terrain et celui dévolu aux tâches administratives, à savoir la rédaction de procès-verbaux, d’avis techniques, le transfert des données sur les logiciels dédiés ou encore la réalisation d’auditions. Ce temps mobilisé constitue souvent pour les inspecteurs une contrainte qui les empêche de remplir leurs objectifs de contrôle. Ces tâches de rédaction produisent une surcharge de travail qui peut les inciter à considérer l’engagement d’une procédure comme un dernier recours, une fois que toutes les autres voies moins formalisées (conseils, avertissements informels, avertissements judiciaires, etc.) ont été tentées. Cet état de fait permet de comprendre pourquoi le nombre de procédures environnementales annuelles ne dépasse pas la trentaine dans certains départements.

[…]

La pauvreté du contentieux environnemental dans les tribunaux

Détruire des colonies d’abeilles par étouffage (R215-3 du code rural), poursuivre le défrichement illicite de bois (L362-2 du code forestier), rejeter des substances en mer (L218-11 du code de l’environnement) exposent les personnes à des amendes de plusieurs milliers d’euros voire à des mois d’emprisonnement. Arguant que les sanctions administratives et la réparation civile ne suffisent pas à discipliner les activités préjudiciables à l’air, au sol, à l’eau et à la faune et la flore, les instances européennes nourrissent beaucoup d’espoir à l’égard de la pénalisation du droit de l’environnement, et ont obligé les États membres à renforcer leur appareil judiciaire. Le droit de l’environnement accumule des textes punitifs, mais le travail des polices de l’environnement mène-t-il à des sanctions ?

Le constat est unanime et ancien quant à la pauvreté du contentieux environnemental dans les tribunaux. Au début des années 1990, la protection de l’environnement ne représentait que 2 % de l’activité des tribunaux correctionnels. Les derniers rapports sur la réponse pénale (2015-2019) ne signalent pas d’inversion de tendance : l’environnement représente désormais moins de 1 % des affaires pénales traitées et moins d’un délinquant environnemental sur dix est jugé en audience classique au tribunal correctionnel. Dans la pratique, les parquets des tribunaux ne se rendent pas toujours compte qu’ils sont concernés par un dossier environnemental parce que les procès-verbaux ne sont pas systématiquement signalés. La voie judiciaire suppose une coopération subtile et rare entre police, parquet et associations constituées parties civiles.

L’environnement se trouve de fait absorbé dans les modes de gestion de masse des tribunaux, traitement caractéristique des politiques de « déstockage » et d’accélération de la réponse pénale

[…]

La difficile reconnaissance de l’insécurité environnementale

La singularité des polices environnementales est qu’elles ne défendent pas un ordre public préexistant, mais qu’elles participent à la construction d’une société durable qui n’existe pas aujourd’hui. Par conséquent, la force de l’ordre établi s’impose aux forces de l’ordre environnemental comme un obstacle à surmonter. Parce qu’elles s’inscrivent dans la thématique « environnement », condamnée à n’avoir qu’un effet résiduel à moins d’une profonde transformation politique, ces polices souffrent d’un empêchement chronique. Nous voyons en elles des polices d’avant-garde, à la fois minoritaires et réformatrices, qui ne peuvent compter sur aucun sens écologique de l’histoire qui jouerait en leur faveur. L’écologisation de nos sociétés n’a rien d’automatique et demeure un processus hautement contingent, sinon un objectif essentiellement discursif.

La faiblesse des polices spéciales de l’environnement s’explique en définitive par le manque de cohérence et de moyens des objectifs politiques que nous nous donnons collectivement. Le pouvoir répressif n’a en réalité pas d’effets notoires s’il n’est pas soutenu par une démarche d’explicitation de l’intérêt général qu’il préserve. La sécurité environnementale n’est aujourd’hui soutenue par aucune campagne massive de sensibilisation, à la différence de la lutte contre le tabagisme ou les accidents de la route, alors même qu’elle repose sur des connaissances rigoureuses. L’interdiction de fumer dans les lieux publics et l’obligation de porter une ceinture de sécurité sont des précédents potentiellement inspirants : dans ces cas, le couple obligation-répression, accompagné d’une communication intensive, a permis une transformation des pratiques à grande échelle. Sommes-nous condamnés à ne prendre en compte l’environnement qu’une fois que la santé humaine est directement attaquée ? En miroir, ce que nous pourrions nommer « l’insécurité environnementale » est pour l’instant une expression tout à fait marginale, au contraire de la notion d’insécurité civile qui légitime l’action des polices généralistes et des risques sociaux auxquels répond la Sécurité sociale. Cette indifférence interroge d’autant plus qu’il est vraisemblable que la généralisation de l’insécurité environnementale, par exemple l’aggravation des sécheresses, entraîne déjà et continuera d’entraîner un accroissement de l’insécurité civile et de l’insécurité sociale.


Ce livre a été écrit avec Robin Basier, ancien élève de l’ENS de Lyon et agrégé de philosophie.The Conversation

>> Les auteurs :

Léo Magnin, Research fellow, Centre national de la recherche scientifique (CNRS) et Rémi Rouméas, Docteur en Sociologie , ENS de Lyon

Cet article est republié à partir de The Conversation sous licence Creative Commons.

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L’inhumation, la crémation… et bientôt l’humusation ? Que nous dit le droit ? |The Conversation

LL’inhumation, la crémation… et bientôt l’humusation ? Que nous dit le droit ? |The Conversation

L’inhumation et la crémation sont, pour l’heure, les deux seuls modes de funérailles légaux en France : pas d’alternative possible sur le territoire. Cette règle provient de la loi du 15 novembre 1887 sur la liberté des funérailles et d’une suite de décrets à commencer par celui du 27 avril 1889 relatif à l’incinération, textes toujours en vigueur aujourd’hui. Pourtant, des modes alternatifs de sépulture se développent actuellement dans le monde et se font même une place dans la loi de certains États. C’est notamment le cas de l’humusation.

L’humusation est un processus destiné à permettre un retour du corps à la terre par des micro-organismes présents dans un sol préparé à cet effet. Autrement dit, il s’agit d’une technique permettant d’enterrer le corps à même le sol afin qu’il puisse se transformer en humus sain et fertile.

Pas de reconnaissance encore

Une proposition de loi d’expérimentation a été déposée début 2023 sur ce sujet à l’initiative d’Elodie Jacquier-Laforge, députée de l’Isère (MoDem). Est envisagé de procéder à une expérimentation sur le territoire français, dans les communes volontaires, afin de voir si l’humusation est un processus pouvant se concrétiser ou pas en France. Ce projet a su trouver de nombreuses personnes pour le porter, dès la même année, en témoigne cette pétition de l’association Humusation France qui a obtenu plus de 20 000 signatures.

Ce processus d’origine franco-belge n’a pour l’heure pas eu davantage de reconnaissance légale en Belgique qu’en France, malgré là aussi de nombreux efforts de la part de ses défenseurs. C’est aux États-Unis qu’un processus similaire a été légalisé pour la première fois. L’État de Washington a autorisé la méthode « recompose » en 2019, un dérivé de l’humusation. Cette évolution finira d’ailleurs par atteindre d’autres États fédérés, comme la Californie et New-York.

L’argument principal donné à cet élan de légalisation est environnemental. Il a en effet été démontré que l’humusation est un processus plus respectueux de l’environnement que l’inhumation ou la crémation. Cet argument ne manque pas d’intérêt à une époque de prise de conscience écologique. Pourrait-on techniquement imaginer cela rapidement en droit français ?

Obstacles idéologiques et juridiques

Pour répondre simplement à cette question, il faut garder en tête que le droit français accorde une place importante au corps humain privé de vie en le protégeant par le prisme de la dignité humaine, cette protection étant également étendue aux cendres humaines. Ce principe est inscrit à l’article 16-1-1 du code civil. On peut y lire :

« Les restes des personnes décédées […] doivent être traités avec respect, dignité et décence. »

Deux obstacles donc à surmonter afin de permettre l’introduction de l’humusation en droit français. Le premier obstacle est idéologique, le second est juridique.

Sur le plan idéologique, tout dépend de la position adoptée par rapport à la notion de dignité humaine. Permettre à un corps humain sans vie de retourner à la terre sans cercueil, ni autres atours, est-il compatible avec l’idée que l’opinion publique peut se faire de la dignité humaine ? C’est bien sûr une question de point de vue et les mœurs actuelles ne semblent pas incompatibles avec un tel processus.

On ne retrouve d’ailleurs pas de définition juridique précise et gravée dans le marbre de la dignité humaine en France. Cela offre une liberté d’interprétation aux acteurs du droit et aux justiciables.

Sur le plan juridique, il faut de plus se demander si l’introduction d’un tel processus aux côtés de l’inhumation et de la crémation entraînerait oui ou non un grand bouleversement législatif : faudrait-il revoir et réformer beaucoup de textes ou cela peut-il se faire plus simplement ?

Il semble qu’une telle introduction n’entraînerait pas un grand bouleversement législatif. Elle nécessiterait, a minima, l’introduction du nouveau processus dans le Code général des collectivités territoriale et l’insertion du nouveau vocable dans le code pénal (au niveau des autorisations à obtenir auprès des officiers publics). Une modification du code civil en la matière ne semble en revanche pas nécessaire puisque, comme cela a déjà été évoqué, ce n’est qu’une question de point de vue que de savoir si l’humusation est compatible, ou non, avec l’idée que dresse ce dernier de la dignité humaine après la mort. Une modification de ce texte ne serait que purement sémantique à des fins de cohérence du droit.The Conversation

>> Auteur :

Jordy Bony, Docteur et Instructeur en droit à l’EM Lyon, EM Lyon Business School

Cet article est republié à partir de The Conversation sous licence Creative Commons.

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Pourquoi il est grand temps de changer nos représentations des femmes scientifiques | The Conversation

PPourquoi il est grand temps de changer nos représentations des femmes scientifiques | The Conversation

Le 11 février marque la Journée internationale des femmes et des filles de sciences organisée par l’Unesco. Elle a pour but de favoriser et accroître la participation des femmes et des filles dans les domaines scientifiques.

En France, alors que la parité était presque atteinte dans les séries S, la réforme des programmes de lycée en 2020, en supprimant les mathématiques dans le tronc commun, a annihilé des années d’efforts vers l’égalité. Le nombre de filles dans les sections de maths au lycée a chuté : 40 % seulement en spécialité mathématiques, 30 % en maths expert. Soit une baisse de 28 % des effectifs féminins dans les sciences en terminale entre 2019 et 2021, et la spécialité « Numérique et sciences de l’informatique » est particulièrement abandonnée par les filles. Ces générations ne vont donc pas modifier les profils des filières à l’université.

Les mathématiciennes, par exemple, stagnent à 20 % depuis longtemps. Les maths sont indispensables pour accéder aux professions scientifiques, techniques, économiques et devenir ingénieure ou programmeuse. Une heure et demie de maths ont certes été réintroduites en 2023 dans les programmes pour consolider la culture de ceux et celles qui ne prennent pas la spécialité maths. Toutefois cela n’est pas suffisant pour intégrer des filières scientifiques dans le supérieur. Quelles actions envisager pour inverser cette courbe décroissante ?

La moitié des talents

En décembre 2023, France a obtenu de mauvais résultats à l’étude PISA de l’OCDE évaluant les acquis des élèves (elle se classe à la 23ᵉ place en maths). Par manque d’ingénieures et d’ingénieurs, la France risque de se laisser distancer dans des domaines cruciaux liés à l’intelligence, artificielle, la robotique, la modélisation et elle ne peut se priver de la moitié de ses talents.

Les équipes mixtes ont démontré être plus innovantes et productives que les équipes monogenrées.

De plus, écarter les filles des domaines scientifiques revient souvent à maintenir des inégalités de salaires, un plafond de verre vers les postes à responsabilité et les domaines à plus forte rémunération], ce qui maintient par conséquent des inégalités sociales qui se répercutent dans les couples hétérosexuels. Les femmes comme les hommes doivent être présentes dans tous les domaines pour une société vraiment égalitaire.

Renouer avec l’histoire des femmes scientifiques

Pour inverser cette tendance, il serait utile que les filles puissent s’identifier à des modèles féminins, en mettant en lumière les modèles historiques illustres sur les réseaux sociaux comme dans les livres de sciences et d’histoire. D’Hypatie, mathématicienne et astronome de l’antiquité au IVe siècle apr. J.-C., aux médailles Fields actuelles : l’Ukrainienne Maryna Viazovska, après l’Iranienne Maryam Mirzakhani, en passant par Sophie Germain, mathématicienne de génie, première femme à intégrer l’Académie des Sciences au siècle des Lumières, toutes ces figures scientifiques devraient être mieux connues.

L’importance de beaucoup de femmes de sciences a été sous-estimée, telles les génies de l’informatique de la NASA qui ont inspiré le film Les figures de l’ombre, les calculatrices afro-américaines Katherine Johnson, Dorothy Vaughan et Mary Jackson. Leurs résultats ont souvent été gommés par ce que Margaret W. Rossiter a appelé « l’effet Matilda » qui décrit la non-reconnaissance de la maternité des découvertes scientifiques. Nous sommes rares à avoir entendu parler de Trotula de Salerne, gynécologue italienne, comme de Jeanne Barret, botaniste française ou encore Emmy Noether, mathématicienne allemande.

Parmi les initiatives qui vont dans ce sens, citons le défi des 40 sœurs d’Hypatie qui propose d’inscrire le nom de 40 femmes de sciences au second étage de la tour Eiffel en lettres de métal, comme sont inscrits 72 noms d’hommes de sciences au premier étage. Il est soutenu par de nombreuses universités et organismes.

Le premier musée des mathématiques, l’Institut Poincaré, îlot Pierre et Marie Curie à Paris, s’est ouvert en septembre 2023 avec une exposition sur la mathématicienne allemande d’exception Emmy Noether et il a été conçu avec une volonté paritaire.

Il importe également de donner une plus grande visibilité aux femmes de sciences dans les villes : seulement 6 % des dénominations des rues en France étaient féminines en 2021 malgré les efforts de certaines villes, telle Paris pour atteindre environ 12 %, notamment avec plus de femmes de sciences, comme Edmée Chandon, astronome du XIXe siècle, ou Caroline Herschel, astronome du 18e, en 2021.

Ces expositions, comme les spectacles de la Comédie des ondes qui intervient dans les lycées avec du théâtre débat autour de femmes de sciences illustres, présentent des modèles inspirants.

Mettre en valeur les scientifiques d’aujourd’hui

De nombreuses femmes se mobilisent également pour expliquer leurs métiers et inciter les nouvelles générations à prendre le relais. Les associations telles que Femmes et Sciences, Femmes et mathématiques, Femmes @numérique œuvrent pour faire connaître ces filières d’études.

En véritable « role models », elles montrent le champ des possibles dans les métiers scientifiques. Les associations Femmes et mathématiques et Animath organisent sur toute la France depuis 2009 la journée « Filles, maths et informatique : une équation lumineuse » ainsi que les « Rendez-vous des jeunes mathématiciennes et informaticiennes » spécifiquement destinés aux lycéennes de 1ère et Terminales. Des speed meetings sont proposés aux lycéennes pour découvrir les métiers qui s’offrent à elles après des études de maths et pour leur faire rencontrer des professionnelles. Depuis 2016, les « Rendez-vous des Jeunes Mathématiciennes et Informaticiennes » proposent aux filles la possibilité de se rassembler pendant trois jours pour découvrir ce domaine.

Enfin, pour que les filles puissent s’imaginer exerçant ces métiers, il faut qu’elles les entendent nommer au féminin. Si la boulangère et l’infirmière font partie du langage courant, on doit aussi entendre plus régulièrement parler des ingénieures, chirurgiennes, chercheuses ou codeuses. Sans quoi, l’Académie française elle-même l’a reconnu, il est difficile de faire évoluer les mentalités.

Lutter contre les stéréotypes de genre dans l’éducation

Les parents comme les enseignants ont aussi un rôle à jouer : la bosse des maths n’existe pas, mais l’éducation et les préjugés, si. Selon le dernier rapport de l’inspection sur les maths à l’école, les garçons sont souvent incités à la compétition et valorisés comme forts en maths, les filles moins, et elles ont tendance à se sous-estimer. Les filles et les garçons seraient au même niveau en maths à l’entrée en CP et la bascule s’opèrerait au début du primaire.

Certains biais des enseignants, souvent inconscients, jouent un rôle important : des maîtresses plus stressées par les maths, puisqu’elles-mêmes n’ont pas été encouragées dans ce domaine, plus d’attention portée aux garçons, des types d’évaluation portant plus sur la compétition que la progression. Ainsi, le même exercice présenté comme du dessin est mieux réussi par les petites filles que s’il est présenté comme de la géométrie. Le ministère de l’Éducation nationale invite les enseignants à le prendre en compte lors de leurs cours et leurs évaluations.

Dans les universités, les filières de maths appliquées attirent plus que les maths fondamentales, les filles sont plus nombreuses lorsqu’il est question de visées concrètes (maths appliquées à l’écologie ou la médecine).

Les biais liés au genre dans les recrutements sont aussi à surveiller attentivement. Dans les recrutements universitaires, des observateurs de l’égalité tentent de limiter ces biais, des chercheurs hommes s’engagent pour que les sciences s’ouvrent aux femmes, il faut un engagement de tous car la progression reste lente.

On estime que 70 % des emplois d’avenir nécessiteront une formation en maths et en sciences du numérique et informatique. Il est essentiel que filles et garçons soient à égalité dans ces métiers d’avenir pour une société plus paritaire.The Conversation

>> Les auteurs :

Sandrine Aragon, Chercheuse en littérature française (Le genre, la lecture, les femmes et la culture), Sorbonne Université et Isabelle Vauglin, Astrophysicienne et présidente de l’association Femmes & Sciences, Université Claude Bernard Lyon 1

 

Cet article est sous licence Creative Commons.

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L’IA générative pourrait aussi servir à exploiter des données personnelles en tout sécurité : la piste des données synthétiques | The Conversation

LL’IA générative pourrait aussi servir à exploiter des données personnelles en tout sécurité : la piste des données synthétiques | The Conversation

Comment réagiriez-vous si ChatGPT dévoilait votre numéro de téléphone et votre adresse privée ?

Parmi les données présentes sur le Web sur lesquelles le modèle de langage derrière ChatGPT s’entraîne, certaines informations sont personnelles et ne sont pas censées être révélées. Pourtant, ce risque est bien réel, comme l’a démontré une équipe de chercheurs, en poussant ChatGPT à révéler une grande quantité de données personnelles à partir d’une simple requête.

Pour garantir la confidentialité des données qui servent à entraîner les systèmes d’intelligence artificielle, une piste est d’utiliser des « données synthétiques » : des données fictives générées artificiellement qui conservent des propriétés statistiques du jeu de données réelles qu’elles cherchent à imiter et remplacer.

Avec des données synthétiques, on peut entraîner un système de classification ou un agent conversationnel comme ChatGPT, tester des logiciels, ou partager les données sans souci de confidentialité : des données synthétiques reproduisent par exemple les données du système national de données de santé.

Certaines des entreprises présentes sur le marché de la génération de données synthétiques, ainsi qu’une partie de la littérature académique, avancent même qu’il s’agit de données réellement anonymes. Ce terme est fort, car il sous-entend qu’on ne peut pas remonter aux données réelles – et donc, à votre numéro de sécurité sociale ou de téléphone.

En réalité, la synthèse de données possède des faiblesses et les garanties mises en avant font encore l’objet d’études.

Pourquoi tant d’engouement pour les données synthétiques ?

La synthèse de données permettrait de publier des données représentatives des données réelles d’origine mais non identifiables.

Par exemple, des données de recensement de la population peuvent être extrêmement utiles à des fins de statistiques… mais elles rassemblent des informations sur les individus qui permettent leur réidentification : leur publication en l’état n’est donc pas permise par le RGPD (Règlement général sur la protection des données).

Dans le cas de données personnelles ou de données soumises à propriété intellectuelle, ce procédé permettrait aussi de s’affranchir du cadre réglementaire qui limite souvent leur publication ou leur utilisation.

Il permettrait également de réaliser des expérimentations qui auraient demandé de coûteuses collectes de données, par exemple pour entraîner des voitures autonomes à éviter les collisions.

Enfin, les données synthétiques ne nécessitent pas de nettoyage des données. Cet atout est particulièrement important pour l’entraînement de modèles d’IA, où la qualité de l’annotation des données a un impact sur les performances du modèle.

Pour ces raisons, fin 2022, le marché mondial de la génération de données synthétiques avait déjà généré 163,8 millions de dollars et devrait connaître une croissance de 35 % de 2023 à 2030. L’adoption pourrait être rapide et massive, et représenter selon certaines études jusqu’à 60 % des données utilisées pour l’entraînement des systèmes d’IA en 2024.

La confidentialité est l’un des objectifs de la génération de données synthétiques, mais ce n’est pas le seul. Les acteurs du domaine entendent également profiter de l’exhaustivité des données synthétiques – qui peuvent être générées en quantité quasi illimitée et reproduire toutes les simulations envisagées, mais aussi permettre d’avoir des données sur des cas particulièrement difficiles avec des données réelles (comme la détection d’armes sur une image, ou une simulation de trafic routier avec des conditions bien particulières).

Comment génère-t-on des données synthétiques ?

Imaginons que nous voulons générer des données synthétiques comme l’âge et le salaire d’une population. On modélise d’abord la relation entre ces deux variables, puis on exploite cette relation pour créer artificiellement des données satisfaisant les propriétés statistiques des données d’origine.

Si la synthèse de données était initialement basée sur des méthodes statistiques, les techniques sont aujourd’hui plus élaborées, afin de synthétiser des données tabulaires ou temporelles – voire, grâce à des IA génératives, des données de type texte, images, voix et vidéos.

De fait, les techniques utilisées pour synthétiser des données à des buts de confidentialité sont très similaires à celles utilisées par les IA génératives comme ChatGPT pour le texte, ou StableDiffusion pour les images. En revanche, une contrainte supplémentaire liée à la reproduction de la distribution statistique des données source est imposée aux outils afin d’assurer la confidentialité.

Par exemple, les réseaux antagonistes génératifs (ou GANs pour generative adversarial networks) peuvent être utilisés pour créer des deepfakes.

schéma d’un réseau GAN

©Vincent Barra, The Conversation Fonctionnement schématique d’un réseau antagoniste génératif, ou GAN : l’idée de base des GANs est d’opposer deux réseaux de neurones distincts, le générateur et le discriminateur. Tandis que le générateur crée de nouvelles données, le discriminateur évalue la qualité de ces données. Les deux réseaux s’entraînent en boucle, améliorant ainsi leurs performances respectives. Le processus se termine lorsque le discriminateur ne parvient plus à discerner des données réelles de celles issues du générateur.

De leur côté, les auto-encoders variationnels (ou VAEs), compressent les données d’origine dans un espace de dimension inférieure et tentent de modéliser la distribution de ces données dans cet espace. Des points aléatoires sont ensuite tirés dans cette distribution et décompressés afin de créer de nouvelles données fidèles aux données d’origine.

 

Il existe d’autres méthodes de génération. Le choix de la méthode dépend des données sources à imiter et de leur complexité.

Données réelles vs données synthétiques : trouver les différences

La modélisation des données d’origine, sur laquelle repose le procédé de synthèse, peut être imparfaite, erronée ou incomplète. Dans ce cas, les données de synthèse ne reproduiront que partiellement les informations d’origine : on parle d’une « perte d’utilité ».

Au-delà d’une perte en performance, un générateur de données mal entraîné ou biaisé peut aussi avoir un impact sur des groupes minoritaires, sous représentés dans l’ensemble de données d’entraînement, et par conséquent moins bien assimilés par le modèle.

©Jill-Jênn Vie et Antoine Boutet, traduite par les auteurs, Fourni par l’auteur Exemple de génération de données synthétiques fidèles aux données d’entraînement à gauche, et qui ne reproduisent pas fidèlement les données d’entraînement à droite. Les données sont représentées ici par une analyse en « composantes principales », un type d’analyse statistique matricielle très répandu dans le monde des données.

La perte en utilité est un risque d’autant plus inquiétant que seul l’organisme à la source de la synthèse est en mesure de l’estimer, laissant les utilisateurs des données dans l’illusion que les données correspondent à leurs attentes.

Données synthétiques vs données anonymes : quelle garantie en termes de confidentialité ?

Lorsque le partage de données personnelles n’est pas permis, des données personnelles doivent être anonymisées avant d’être partagées. Toutefois l’anonymisation est souvent difficile techniquement, voire même impossible pour certains jeux de données.

Les données synthétiques se placent alors en remplacement des données anonymisées. Cependant, comme pour les données anonymisées, le risque zéro n’existe pas.

 

Bien que l’ensemble des données sources ne soit jamais révélé, les données de synthèse, et parfois le modèle de génération utilisé, peuvent être rendus accessibles et ainsi constituer de nouvelles possibilités d’attaques.

Pour quantifier les risques liés à l’utilisation des données synthétiques, les propriétés de confidentialité sont évaluées de différentes façons :

schéma expliquant le principe d’une attaque par appartenance

©Image de E. De Cristofaro, traduite par les auteurs, Fourni par l’auteur Principe d’une attaque par appartenance.

Des risques non nuls

Il est important de comprendre que dans la plupart des cas, le risque de fuite d’information n’est pas binaire : la confidentialité n’est ni totale ni nulle.

Le risque est évalué au travers des distributions de probabilité en fonction des hypothèses, des données et des menaces considérées. Certaines études ont montré que les données synthétiques offrent peu de protection supplémentaire par rapport aux techniques d’anonymisation. De plus, le compromis entre confidentialité des données d’origine et utilité des données synthétiques est difficile à prévoir.

Certaines mesures techniques permettent de renforcer la confidentialité et de réduire les risques de réidentification. La confidentialité différentielle notamment est une solution prometteuse, encore à l’étude afin de fournir des garanties suffisantes en termes d’utilité des données, de coût computationnel et d’absence de biais.

Il faut tout de même noter que si les risques liés à l’utilisation de données de synthèse ne sont pas nuls, leur utilisation peut s’avérer avantageuse pour certains scénarios d’utilisation. Par exemple, on peut calibrer la génération pour qu’elle conserve uniquement certaines propriétés des données sources pour limiter les risques.

Comme pour n’importe quelle solution de protection à mettre en place, il est toujours nécessaire de faire une analyse de risques pour objectiver ses choix. Et bien sûr, la génération de données synthétiques soulève aussi des enjeux éthiques lorsque la génération des données a comme finalité de construire de fausses informations.

Les auteurs :

Antoine Boutet, Maitre de conférence, Privacy, IA, au laboratoire CITI, Inria, INSA Lyon – Université de Lyon,

Alexis Leautier, Ingénieur Expert au Laboratoire d’innovation numérique, CNIL

Le PEPR Cybersécurité et son projet IPoP (ANR-22-PECY-0002) sont soutenus par l’Agence nationale de la recherche (ANR), qui finance en France la recherche sur projets. Elle a pour mission de soutenir et de promouvoir le développement de recherches fondamentales et finalisées dans toutes les disciplines, et de renforcer le dialogue entre science et société. Pour en savoir plus, consultez le site de l’ANR.The Conversation

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