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Héritages culturels et outils numériques

HHéritages culturels et outils numériques

La Faculté des Sciences Humaines et Sociales de l’Université Jean Monnet – Saint-Étienne – UJM – et le laboratoire Environnement Ville Société – EVS – organisent la seconde édition du séminaire international « Héritages culturels et outils numériques ».

Les sujets et thématiques abordés seront variés : la cartographie de la « Terre Sainte » sur les mosaïques de Madaba (Jordanie), l’application « Walk to Plato’s Academy », l’archéologie du paysage sonore, la modélisation 3D des projets non réalisés de l’architecte Jože Plečnik à Lubljana, les SIG 3D, la réalité virtuelle immersive.

Pour en savoir plus :

Héritages culturels et outils numériques

Programme de la journée

Françaises, Français : le langage inclusif n’est pas une nouveauté !

FFrançaises, Français : le langage inclusif n’est pas une nouveauté !

Les protestations hautes en couleur entendues ou lues à propos de l’écriture inclusive pendant l’automne 2017 et le débat actuel après les déclarations d’Emmanuel Macron et la proposition de loi ont une nouvelle fois confirmé qu’il existe dans notre pays une hypersensibilité aux questions de langue.

Et qu’elle jette régulièrement sur le champ de bataille des troupes aussi persuadées de l’urgence de leur engagement que peu armées pour mener le combat.

Histoire de la langue

Le contexte national explique ces protestations intempestives. Le français est enseigné à l’école comme un ensemble de difficultés orthographiques et grammaticales à mémoriser plutôt qu’à comprendre – d’autant que, bien souvent, elles n’ont pas de sens. Mais un bagage capable, à terme, de faire le tri entre celles et ceux « qui savent » et les autres. Entre celles et ceux qui sauront écrire une lettre de motivation, une note de synthèse, un discours, un livre… et les autres. Or, « celles et ceux qui savent » ne savent rien, le plus souvent, de l’histoire de leur langue, ni même de ce qu’était réellement cette « langue de Molière » qu’on voit régulièrement alléguée dans les controverses et qu’on croit sauvegarder en s’opposant à tout changement. D’où les cris poussés à l’idée d’écrire nénufar (que Molière a connu tel quel) et les évanouissements provoqués par ognon (dont le i aurait dû être supprimé en même temps que celui de montaigne, campaigne, et autre besoigne).

Concernant la « féminisation », bien peu de gens savent que les terribles nouveautés qu’on impute aux féministes n’en sont pas, et que s’il y a idéologie quelque part, elle n’est pas là où l’on croit. Car la langue française a bel et bien été l’objet d’infléchissements contraires à son fonctionnement (qui va plutôt vers l’équilibre du féminin et du masculin), par un groupe de pression particulier (l’Académie et consorts), pour des raisons strictement politiques (la mettre au service de l’ordre masculin). Le tout avec la complaisance des gouvernants, qui financent l’Académie et son dictionnaire avec les deniers publics, sans lui donner la moindre feuille de route et pouvoir y caser de temps en temps quelques serviteurs.

Des innovations limitées et encore en cours d’ajustement

L’écriture inclusive n’a pourtant rien de bien nouveau, à part son nom, qui a une vingtaine d’années mais qui n’a que récemment devancé ses concurrents (écriture égalitaire, épicène, non sexiste, non discriminante…). Les abréviations qui ont tant soulevé d’émotions (par exemple « artisan·e ») sont pour leur part en expérimentation depuis un peu plus longtemps ; sous leur forme la plus archaïque, les parenthèses, elles ont d’ailleurs reçu l’aval d’institutions aussi peu soupçonnables de féminisme que le Ministère de l’Intérieur, à qui l’on doit le « né(e) » qui figure sur nos cartes d’identité. L’emploi des termes féminins désignant des fonctions prestigieuses, qui relève aussi de l’écriture inclusive, est plus ancien encore : il a fait l’objet de plusieurs circulaires de premiers ministres, dont la première date de 1986. Quant à l’expression successive des termes féminins et masculins (« les candidats et les candidates », « celles et ceux »…), elle remonte au moins aux discours du Général de Gaulle, qui commençaient par « Françaises, Français ». Le père de l’écriture inclusive, c’est lui !

Comme on le comprend avec les deux derniers exemples, ce n’est pas d’écriture que nous devrions parler, mais de langage inclusif : celui qui inclut. D’abord les femmes, massivement exclues du langage ordinaire, mais aussi les minorités, généralement malmenées linguistiquement.

Ses adeptes se sont échiné·es à le répéter depuis un an, et il faut le redire : le langage inclusif n’est nullement réductible à une typographie spécifique, comme celle des points médians, et il peut même s’en passer tout à fait. Rien ne m’oblige à écrire « les Français·es » : je peux écrire les deux mots en toutes lettres, en reproduisant ce que je fais à l’oral. Simplement, c’est plus rapide à écrire, et ça prend moins de place. Les abréviations sont faites pour cela, depuis que l’écriture existe. Jusqu’à présent, elles servaient à raccourcir des mots (Dr, M., Mme…). Là, il s’agit d’écrire deux mots en un seul. À besoin neuf, réponse neuve – même si cela fait une vingtaine d’années qu’on bricole pour savoir comment faire au mieux, et quel signe est le plus adapté pour noter cette abréviation-là.

Le point milieu, ou médian, n’est que le meilleur des candidats expérimentés, après les parenthèses, les traits d’union, les E majuscules et les points bas, en raison de sa discrétion, de son insécabilité, de son emploi nouveau et spécifique à cet usage (et donc dénué de connotations positives ou négatives). Quant à son utilisation, elle laisse encore à désirer. Les années qui viennent verront certainement sa simplification (le second point dans les mots au pluriel est à oublier, c’est un simple héritage des parenthèses). Et aussi sa restriction aux termes très proches morphologiquement (« artisan·es » et « ouvrier·es », mais pas « acteur·rice »). C’est le seul débat qui, dans un contexte apaisé, c’est-à-dire informé, aurait dû avoir lieu l’automne dernier. Les responsables de l’Agence Mots-clés, à l’origine du premier Manuel d’écriture inclusive (2016) et moi-même faisons la promotion d’un système plus simple que celui qui a généralement cours dans Le Langage inclusif : pourquoi, comment.

Des ressources séculaires, qu’il suffit de réactiver

Loin de se réduire, donc, à cette question qui ne concerne que l’écrit, le langage inclusif repose sur différentes ressources du français, qui ont toutes plusieurs siècles d’existence.

Celle qui consiste à nommer les femmes avec des noms féminins, de même qu’on nomme les hommes avec des noms masculins, est de rigueur dans toutes les langues romanes. La bagarre menée depuis les années 1970 pour bannir les appellations masculines (l’auteur, le juge, le professeur, le ministre, le maire…) ne consiste qu’à refermer une parenthèse de quelques siècles, voire de quelques décennies pour les fonctions politiques et la haute fonction publique. Parenthèse durant laquelle des grammairiens masculinistes ont explicitement condamné des mots féminins d’usage courant, afin que certaines activités, fonctions, métiers et dignités qu’ils estimaient propres à leur sexe aient l’air d’être impropres aux femmes.

Des centaines de textes témoignent du fonctionnement normal de la langue avant leur action, puis encore longtemps après (c’est ce que j’ai appelé les « résistances de la langue française »). Ainsi, mairesse figure parmi les métiers soumis à l’impôt au XIIIe siècle, au même titre que féronne, maréchale et heaumière. Écrivaine est attesté dès le XIVe siècle, autrice depuis le XVe, les premiers académiciens utilisaient d’ailleurs ces mots normalement. Procureuse figure dans le Dictionnaire françois de Richelet, ambassadrice dans le premier qu’ait fait l’Académie ; les immortel·les devraient décidément lire leurs prédécesseurs ! On a appelé médecines les femmes soignantes jusqu’à la fin du XVIIe siècle. Il y a eu des proviseuses dans les couvents de femmes durant des siècles. Professeuse est répertorié en 1845 dans le Dictionnaire des mots nouveaux de Radonvilliers, qui donne du reste comme exemple « professeuse de langue » ! Mais on le trouvait déjà dans les Lettres écrites de Lauzanne d’Isabelle de Charrière (1785), et il est toujours employé dans certains pays francophones. Voltaire utilisait les mots inventrice et huissière. La presse parisienne a fêté les premières chevalières et officières de la Légion d’honneur – et même le mot commandeuse a existé, à côté de commandeur (c’est les noms qu’on donnait aux dirigeant·es des plantations en Afrique coloniale).

Ce que nous appelons aujourd’hui des « doublets », ou des « doubles flexions » (Françaises, Français), est également une pratique très ancienne – bien plus que les discours du général de Gaulle ! La coutume de Vitry (le-François), mise par écrit en 1481, stipule à propos des serfs que « tous hommes ou femmes de corps sont audit baillage [susceptibles] de poursuite, en quelque lieu qu’ils aillent demeurer […]. Car tels hommes et femmes de corps sont censés et réputés du pied et partie de la terre » (art. 145). Les Reglemens des maîtres passementiers, tissutiers et rubaniers de la ville et faubourgs de Lyon (1763) précisent que « nul maître ne pourra tenir plus d’un apprentis ou d’une apprentisse à la fois », qu’il « paiera l’apprentis ou l’apprentisse pour son année en apprentissage », que « ne pourra aussi aucun maître avoir un apprentis ou apprentisse s’il n’est marié » (art. 8)… La double flexion figure six fois dans ce seul article, elle est systématique. Ce qui n’est nullement préconisé aujourd’hui, mais qui montre que personne ne trouvait « lourd » ou « ridicule » ce qui est décrété tel avec tant d’assurance par les esprits chagrins du XXIe siècle.

L’ordre alphabétique ne paraît pas non plus pouvoir être mis au compte des innovations, même si son recours ici est nouveau. Se pose en effet la question de savoir dans quel ordre disposer les doublets : « Françaises, Français ! », « Travailleuses, travailleurs ! » ou le contraire ? Les politiques qui ont mis ces formules au point avaient choisi la « galanterie », là où l’ordinaire déférence au sexe masculin nous a fait dire jusqu’il y a peu de temps « l’égalité hommes-femmes ». L’une n’étant que l’envers de l’autre, l’ordre alphabétique – totalement arbitraire – apparaît comme la solution idéale : « les candidates et les candidats », mais « les auteurs et les autrices ». En faisant démarrer ce mécanisme avec l’article, pour ne pas voir revenir par la fenêtre ce qu’on a mis à la porte : « la directrice et le directeur ».

Un autre pilier du langage inclusif est l’accord de proximité, qui, à côté de l’accord selon le sens, a été d’usage pendant des siècles en français, avant et encore bien après l’invention de l’accord selon le genre « le plus noble » (Vaugelas, Remarques sur la langue françoise, 1647 ; Bouhours, Doutes sur la langue françoise, 1674), ou « le plus fort » (Dictionnaire de Furetière, 1690, entrée « Masculin »), ou « le premier des genres, parce que ce genre est attribué particulièrement à l’homme » (Dictionnaire de l’Académie, 1762, entrée « Masculin »).

L’accord de proximité évitait de se casser la tête : lorsque plusieurs substantifs doivent être qualifiés par un adjectif ou un participe, c’est le plus proche qui donne ses marques. Ainsi le théologien janséniste Pierre Nicole parle-t-il, dans son traité De l’éducation d’un prince (1670), de « ces pères et ces mères qui font profession d’être chrétiennes » (et non chrétiens). Renouer avec ce mécanisme permet d’éviter les répétitions (et les recours aux abréviations, si l’on y est allergique) : « Les acteurs et les actrices qui ont pris position ont été entendues et seront reçues bientôt par la ministre » (plutôt que entendu·es et reçu·es).

L’accord selon le sens permettait quant à lui de ne pas mettre tous les substantifs à accorder sur le même plan, si pour une raison où une autre on donnait plus d’importance à l’un d’eux, comme dans le titre de ce livre publié en 1571 : Le Parnasse des poètes francois modernes contenant leurs plus riches et graves sentences, discours, descriptions et doctes enseignements, recueillies par feu Gilles Corrozet, Parisien (et non recueillis). Renouer avec cette logique nous autoriserait enfin à écrire : « Cinq fillettes et deux chiens ont été retrouvées mortes dans les décombres » (et non morts) ; et surtout à nous adresser au féminin à toute assemblée majoritairement féminine. Le retour à ces systèmes simples aurait surtout l’avantage de ranger au magasin des antiquités la ritournelle qui dit que « le masculin l’emporte sur le féminin » (version IIIe République du genre le plus noble), ou sa variante euphémisée « le masculin l’emporte » (où donc ?), qui font des ravages dans les têtes des filles comme dans celle des garçons.

Des exigences nouvelles

Enfin, le langage inclusif consiste à mettre aux oubliettes aussi le terme homme dans tous les cas où l’on veut parler de l’espèce humaine, que ce soit au café du commerce, dans les amphis de paléontologie, dans les copies de philosophie ou dans les lieux dédiés à la parole publique, notamment à propos des « droits de l’homme ». Avec ou sans majuscule. D’une part, celle-ci est inaudible, et à l’écrit bien souvent oubliée ; elle est d’ailleurs d’usage récent (le Dictionnaire de l’Académie ne la préconise que dans son édition en cours – démarrée en 1936, la lettre H ayant dû être traitée dans les années 1960). D’autre part, les droits de l’homme ont exclu les femmes jusqu’à ce que des textes législatifs viennent explicitement les leur ouvrir : d’abord l’Ordonnance du 21 avril 1944, qui précisa que « Les femmes sont électrices et éligibles dans les mêmes conditions que les hommes », puis la Constitution de 1946, qui stipula que « La loi garantit à la femme, dans tous les domaines, des droits égaux à ceux de l’homme ».

Une fois de plus, la confusion revient à l’Académie. Avant elle, personne n’avait eu l’idée de soutenir que le mot homme désigne « toute l’espèce humaine, et se dit de tous les deux sexes » (Dictionnaire de 1694). Que la Constitution française persiste à proclamer « solennellement son attachement l’[attachement du peuple français] aux Droits de l’homme et aux principes de la souveraineté nationale tels qu’ils ont été définis par la Déclaration de 1789 », n’est plus tolérable.

Autrement dit, à part les abréviations, rien de nouveau sous le soleil. Le langage inclusif ne consiste qu’à recourir à des usages validés par le temps, parce que fondés sur le système de la langue, la politesse, l’exactitude, la raison. Ce n’est pas par hasard que ces usages s’étaient imposés, qu’ils ont survécu aux tentatives d’éradication, et qu’on les a retrouvés dès lors qu’on en a ressenti le besoin – c’est-à-dire dans un pays qui prétend désormais promouvoir l’égalité, et où des gens, des groupes, des forces poussent à la réalisation de cet objectif. Il s’agit de généraliser ces usages. Ce qui implique une action concertée, à la fois dans l’ensemble de la société pour parvenir à l’homogénéisation des (meilleures) nouvelles pratiques, et dans l’éducation nationale pour qu’elles soient enseignées à l’âge où l’on apprend à maîtriser sa langue.

Dans son ensemble, cependant, le langage inclusif dessine bel et bien un programme politique ambitieux – pour ne pas dire révolutionnaire. Il ne s’agit rien moins que de démanteler les stratégies élaborées pour installer en douce dans les cerveaux l’évidence absolue, incontestable, légitime de la supériorité masculine. Ce n’est pas non plus un hasard si des grammairiens et intellectuels masculinistes y ont travaillé avec application, s’ils ont intrigué inlassablement pour que l’État les suive, ni si ceux d’aujourd’hui montent au créneau pour défendre cet édifice. Ni si leur bras armé n’a pas hésité, l’année dernière, à crier à ce « péril mortel » où serait la langue française, à partir du moment où la puissance du masculin y serait amoindrie.

La langue n’est pas un « donné » qui serait tombé du ciel avec toutes ses bizarreries. Il faut réaliser que des gens l’ont complexifiée à plaisir pour pouvoir « se distinguer des ignorants et des simples femmes », comme le disait crûment dans les années 1660 l’homme qui était alors chargé de la confection du Dictionnaire de l’Académie, Eudes de Mézeray. Que ce qui a été fait dans un sens peut être fait dans l’autre. Que l’école, chargée malgré elle d’enseigner que « le masculin l’emporte sur le féminin », pourrait enseigner qu’il l’a emporté longtemps parce que des misogynes le voulaient ainsi, mais qu’il ne l’emporte plus, parce des féministes et des hommes progressistes se sont battus contre eux pendant des siècles, et qu’elles et ils ont finalement gagné la partie

Auteure : Éliane Viennot, Professeuse émérite de littérature française de la Renaissance, Université Jean Monnet, Saint-Étienne

 

Cet article a été co-publié avec le blog de la revue Terrain.The Conversation

Cet article est republié à partir de The Conversation sous licence Creative Commons.

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Nuit européenne des chercheur.e.s 2023

NNuit européenne des chercheur.e.s 2023

NOS FUTURS

Que ce soit par la production d’idées, de nouvelles techniques ou d’analyses, chaque chercheuse et chercheur construit le futur. Des notions et des savoirs font consensus mais la recherche et ses dizaines de disciplines offrent un formidable panel de voies et d’expérimentations pour bâtir le monde de demain. Venir à la Nuit Européenne des Chercheur·es ce n’est pas pour repartir avec une vision prophétique de l’avenir, mais c’est réfléchir ensemble à nos futurs. 

Quels nouveaux défis la recherche aura-t-elle à relever ? Quels sont les nouveaux champs à explorer ? Quelle place pour la participation citoyenne ?

Enjeux scientifiques, mais aussi sociaux, économiques, artistiques, politiques, sanitaires, technologiques… Bien loin des trajectoires toutes tracées, venez découvrir les grandes questions qui se posent quotidiennement dans les laboratoires de Saint-Etienne, Lyon et Clermont-Ferrand.

>> Retrouvez tout le programme et les rendez-vous de la soirée à Saint-Étienne sur :

Nuit européenne des chercheur.e.s

La Nuit européenne des chercheur·es est un évènement proposé par La Rotonde, Saint-Étienne Métropole, l’Université Jean Monnet ainsi que l’ensemble des établissements d’enseignement supérieur de Saint-Étienne et soutenu par la Commission Européenne dans le cadre du programme HORIZON 2020. Action Marie Curie Sklodowska n°817536.

PPour aller plus loin

La grande expérience participative est de retour. Et nous avons besoin de vous !

Cette expérience s’appuiera sur la participation simultanée de milliers de citoyen·ne·s dans 16 villes françaises le soir de l’événement. Coordonnée par les chercheur·es du Toulouse Biotechnology Institute, l’opération permettra de collecter des données sur la qualité de l’eau et de réfléchir aux problématiques de la qualité environnementale de nos eaux douces.

Pour cette occasion, un espace entièrement dédié à l’eau s’installe à la Nuit Européenne des Chercheur·es : venez nous rencontrer !

 

Le débat sur la valeur travail est une nécessité | The Conversation

LLe débat sur la valeur travail est une nécessité | The Conversation

Débattre de la notion de travail devrait questionner la centralité même de ce dernier dans nos vies par rapport à d’autres enjeux, comme la famille, l’intime, la place du politique.
Sarah CHai/Pexels, CC BY-NC-ND

La question du travail est au cœur de questions brûlantes d’actualité telles que la réforme des retraites, l’utilisation industrielle de l’intelligence artificielle ou bien encore la remise en cause du modèle productiviste.

Paradoxalement ces multiples interrogations sur les évolutions concrètes du travail ont lieu au moment même où le travail continue à être présenté comme une valeur morale indiscutable et cela de la gauche à la droite de l’échiquier politique.

Tout se passe comme si les débats nécessaires sur les transformations de la place du travail dans notre quotidien étaient limités voire empêchés par un consensus non interrogé, une doxa, sur la centralité indépassable du travail pour avoir un revenu, pour s’émanciper, pour créer de la solidarité, etc.

Et pourtant accepter de débattre sur la place du travail dans la société de demain est sans doute un préalable à toute bifurcation nous permettant de remédier à la triple crise économique, démocratique et écologique que nous vivons.

DDéfinir l’espèce humaine

Le travail, activité visant à transformer son environnement, peut être perçu comme l’élément qui définit la spécificité humaine. L’homme en créant par le travail les conditions de son existence se différencie ainsi de l’animal soumis aux aléas de la nature. Simultanément le travail comme effort pour aller au-delà de soi-même est perçu comme un moyen d’émancipation. Dans ces conditions, le travail comme valeur morale reste central alors même que le travail comme activité économique n’obéit plus à la même nécessité qu’autrefois du fait de l’évolution technologique.

Déjà l’ouvrier spécialisé a été remplacé par la machine dans de nombreuses entreprises et nous sommes aujourd’hui avec l’intelligence artificielle au début de questionnements quant à l’avenir des activités intellectuelles. Cette tension entre la raréfaction du besoin de travailler pour produire de la richesse économique et le consensus autour de la nécessité de travailler et l’une des sources, dans nos sociétés, de dégradation de l’emploi (défini comme du travail rémunéré).

Faute d’envisager une diminution drastique du temps de travail et de décorréler obtention d’un revenu et emploi, nous assistons à une lente dégradation de la qualité et de l’intérêt du travail : précarisation, parcellisation des tâches, etc.

Cela se traduit par des phénomènes comme «les bull shit jobs» mis en évidence par l’anthropologue David Graeber, le «quiet quitting» (faire le minimum dans l’emploi qu’on occupe), la souffrance au travail, ou la grande démission. Cela participe aussi à l’opposition des Français au report de l’âge de la retraite et à la montée d’un ressentiment vis-à-vis des élites économiques mais aussi politiques ce qui alimente la crise démocratique.

LLe travail contre la démocratie ?

Certains, qui ont la chance d’exercer des métiers intéressants et rémunérateurs semblent défendre la dimension émancipatrice du travail alors que, dans les faits, ce qu’ils défendent réellement c’est l’obligation faite à des personnes peu qualifiées d’accomplir des tâches pénibles et non porteuses de sens qu’ils ne veulent pas accomplir.

Homme triste avec cravate
Aujourd’hui, on assiste à une colonisation du temps consacré à l’activité économique sur les autres temps sociaux.
Andrea Picquadio/Pexels, CC BY-NC-ND

Ce phénomène, que le philosophe André Gorz nomme «dualisation salariale» est dangereux pour la démocratie car il éloigne l’horizon d’égalité. Cette dualisation salariale se couple avec l’idée de subordination propre à tout contrat salarial. Pour le dire autrement, on défend l’idée morale d’un travail émancipateur qui se traduit par un contrat salarial producteur d’inégalités et réducteur d’autonomie.

Or la démocratie est auto nomos (autonomie) la capacité à faire et défaire collectivement les normes qui nous gouvernent comme le rappelait Cornélius Castoriadis.

ÊÊtre libéré du travail pour participer à l’activité essentielle : la politique

En effet, la valorisation morale du travail semble une donnée intemporelle, naturelle, alors que dans la Grèce antique, quand on parlait de valeur on discutait du beau, du bien ou du vrai mais pas du travail. D’ailleurs, ainsi que le soulignait la philosophe Hannah Arendt, il fallait même être libéré du travail pour participer à l’activité essentielle : la politique

Aujourd’hui, au contraire, à travers le télétravail on assiste à une colonisation du temps consacré à l’activité économique sur les autres temps sociaux.

Ce temps consacré à l’économique est d’autant plus important que nous sommes rentrés dans une économie de l’attention qui occupe une large part de nos loisirs. Cette temporalité hégémonique du travail et de la consommation correspond à ce que Karl Polanyi (1983) nomme une société de marché, c’est-à-dire une société qui n’est plus régulée par des lois délibérées mais par les règles de l’échange marchand. De ce fait, nous avons de moins en moins de temps pour vérifier les informations, pour remettre en cause des évidences, pour construire sereinement dans la délibération des désaccords féconds. Cela dans une période où il nous faut pourtant prendre le temps d’inventer des solutions collectives pour aller vers une société plus résiliente et écologique.

VValeur travail ou soutenabilité écologique, il faut choisir

L’impératif moral d’avoir une activité productive rémunérée fait passer au second plan l’utilité sociale et écologique de la production. Autrement dit, nous sommes dans une société où on ne travaille plus pour produire plus mais où on produit plus pour pouvoir être en mesure de travailler plus.

Ainsi, produire plus d’automobiles ne permet pas d’aller plus vite et d’être plus libre, cela crée des embouteillages et de la pollution ce qui créera de nouveaux marchés nécessitant plus de travail dans l’invention et la production de véhicules plus rapides ou plus écologiques. Nous pouvons faire référence à Ivan Illich qui montrait dans La convivialité et cela dés 1973, que l’automobile ne permettait pas de se déplacer plus vite qu’en vélo mais qu’elle créait, au nom du progrès et la croissance, de la dépendance.

Mini-bus, van, bicyclette
Peut-on imaginer une société plus conviviale sur le modèle proposé par le penseur Ivan Illich?
Pexels/Elviss Railijs Bitāns, CC BY-NC-ND

Or ce paradoxe est catastrophique pour l’écologie. Il n’est pas possible d’avoir une croissance infinie sur une planète finie. Pour préserver les conditions d’habitabilité de la planète, il semble nécessaire de produire moins et donc accepter de travailler moins. Comment ? Dans quel secteur ?

RRemettre en question la place centrale du travail

Pour que ce débat ait lieu, il faudrait débattre de la valeur travail et remettre en cause sa centralité. Or ce débat n’est pas simple car il renvoie, tout d’abord, à des questions débattues mais qui n’ont pas, pour l’instant, trouvé de réponses consensuelles.

La première, mise en évidence à l’occasion de l’épisode de Covid-19, est celle de la juste rémunération des tâches. Les tâches socialement les plus utiles – celle du care notamment – sont pourtant parmi les moins rémunératrices.

La seconde, ouverte par les débats autour du RSA en France et plus généralement du revenu d’existence en Europe, est celle du découplage du lien entre emploi et revenu.

Cette seconde question entraîne une troisième, celle de la répartition des tâches collectives ingrates si elles ne sont plus assurées par des personnes soumises à des conditions de travail dégradées. Mais ce débat est complexe aussi parce qu’il renvoie à des thèmes non débattus dans l’espace public.

Le premier est celui de la justice distributive (à chacun selon ses mérites). Le droit de vivre doit-il découler de l’effort productif ou du respect de la dignité humaine ? Dans le premier cas, chacun doit apporter une contribution au collectif, dans le second chacun est libre de sa (non) participation. Le deuxième est celui de la valeur économique. Aujourd’hui, l’économie se fonde sur l’idée que la création de richesses repose sur la création de valeur qui elle-même repose sur l’utilité. C’est-à-dire en définitive sur les désirs des individus. Tant que quelque chose répond à un désir humain quelconque il doit être produit. Conception qui engendre de la croissance mais pas nécessairement de l’utilité sociale et de la soutenabilité écologique.

En réalité, le débat sur la valeur travail est à la fois nécessaire et difficile à mettre en place car il vise à remettre en cause la primauté de l’économique sur le politique, le social et l’écologique. Débattre de la valeur travail c’est, au fond, débattre de «ce à quoi nous tenons».

 

Article publié sur The Conversation le 13 juin 2023

Éric Dacheux, Professeur en information et communication, Université Clermont Auvergne (UCA) et Daniel Goujon, Maître de conférences en sciences économiques, Université Jean Monnet, Saint-Étienne

Cet article est republié à partir de The Conversation sous licence Creative Commons. Lire l’article original.

Les juridiques et éthiques de l’intelligence artificielle dans le domaine de la santé

LLes juridiques et éthiques de l’intelligence artificielle dans le domaine de la santé

La conférence « Les enjeux juridiques et éthiques de l’intelligence artificielle dans le domaine de la santé » est organisée conjointement par le CERCRID (UMR 5137), la Faculté de Droit et la Faculté de Médecine de Saint-Etienne, en collaboration avec l’Université d’Ottawa et le Centre de recherche Droit Technologie et Société.

Cette conférence portera sur les défis juridiques et éthiques liés à l’utilisation de l’intelligence artificielle dans le domaine de la santé. L’événement est soutenu par l’IEA CNRS – France/Canada et le FFCR. Rejoignez-nous pour cette occasion unique d’approfondir vos connaissances sur un sujet d’actualité important.

Intervenants :

  • Stefania ATTOLINI, Professeure contractuelle de droit du numérique et chargée de recherche postdoctorale, Università del Salento (Italie)
  • Béatrice ESPESSON-VERGEAT, Professeure de droit privé, Université Jean Monnet Saint-Etienne
  • Claire LE HELLO, PU-PH en  médecine vasculaire au CHU de Saint-Etienne, Université Jean Monnet Saint-Etienne
  • Florian MARTIN-BARITEAU, Professseur agrégé et Chaire de recherche de l’Université en technologie et société, Université d’Ottawa (Canada)
  • Mouna MOUNCIF-MOUNGACHE, Maître de conférences en droit public, Université Jean Monnet Saint-Etienne, coordinatrice du chantier transversal « Droit, critique et numérique » du CERCRID (UMR 5137)
  • Catherine RÉGIS, Professeure titulaire et Chaire de recherche du Canada sur la culture collaborative en droit et politiques de la santé, Université de Montréal (Canada)
  • Teresa SCASSA, Professeure titulaire et Chaire de recherche du Canada en droit et politiques de l’information, Université d’Ottawa (Canada)

 

>> Pour plus d’informations :

CERCRID

La Nuit Européenne des Chercheur·es revient à Saint-Étienne !

LLa Nuit Européenne des Chercheur·es revient à Saint-Étienne !

Des coulisses de laboratoires aux projets inédits, de l’astronomie à la littérature en passant par la santé et le sport, venez célébrer le temps d’une soirée la recherche dans sa plus grande diversité avec une soixantaine de chercheur·es du territoire.

Au programme : discussions en petit groupe, balades dans la ville, théâtre, jeux et ateliers… Il y en aura pour tous les goûts ! La thématique cette année : l’imprévu…

Le programme finalisé sera édité durant l’été.

>> A venir…

Comment améliorer l’efficacité des vaccins ?

CComment améliorer l’efficacité des vaccins ?

L’arrivée des vaccins à ARN messager et leur utilisation massive face au SARS-CoV-2 ont apporté de nouvelles données sur la qualité de la réponse immunitaire. Selon l’immunologue Stéphane Paul, il pourrait être plus efficace de combiner différents types de vaccins, mais aussi de les administrer autrement…

Explications dans ce podcast issu de la série La parole à la science du CNRS.

Intervenant : Stéphane Paul, professeur d’immunologie à l’Université Jean Monnet, praticien hospitalier au CHU de Saint-Étienne, responsable d’équipe au Centre international de recherche en infectiologie à Lyon, et membre du comité scientifique Vaccins Covid-19.

Les animaux parlent. Sachons les écouter

LLes animaux parlent. Sachons les écouter

©PxHere

Que se cache-t-il derrière ces bruits animaux ? Que signifient-ils ? Forment-ils des langages ? Et peut-on percer leurs mystères ?

C’est en spécialiste de la Bioacoustique que Nicolas Mathevon répond à ces questions au cours de ce voyage sonore. De la moiteur de la jungle amazonienne aux étendues glacées de l’arctique, de la paruline brésilienne à l’éléphant de mer du Nord, du crocodile du Nil au fou à pieds bleu du Pacifique, il nous emmène explorer la diversité des vocalisations animales. Avec lui nous décryptons comment les animaux produisent et entendent des sons, quelles informations sont codées dans ces signaux, à quoi leur servent-elles dans la vie de tous les jours, et comment ces langages se sont mis en place au cours de l’histoire du vivant.

 

Les animaux parlent

PPour aller plus loin

Avec la Covid-19, on met enfin le nez sur la perte de l’odorat

AAvec la Covid-19, on met enfin le nez sur la perte de l’odorat

Le déficit olfactif, l’un des effets de la Covid-19, génère de réelles difficultés dans la vie sociale, pouvant se traduire par une tendance à l’isolement ou des symptômes dépressifs.

Dans ce billet publié dans CNRS le Journal avec Libération, Moustafa Bensafi, Catherine Rouby et Camille Ferdenzi-Lemaître, chercheurs en neurosciences et psychologie de l’olfaction au Centre de recherche en neurosciences de Lyon, livrent leur analyse et appellent à une meilleure prise en charge médicale.

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Diversité d’acteurs pour préserver la biodiversité des pollinisateurs | Un article Pop’Sciences

DDiversité d’acteurs pour préserver la biodiversité des pollinisateurs | Un article Pop’Sciences

Le constat est sans appel : les insectes pollinisateurs(1) tendent à disparaître, or ce déclin a des conséquences importantes sur nos vies : à l’échelle mondiale, près de 90 % des plantes sauvages à fleurs dépendent du transfert de pollen par les insectes. A l’échelle de l’Europe, ce sont 84% des cultures qui dépendent de la pollinisation. Les pollinisateurs jouent un rôle indispensable dans la production alimentaire et donc la subsistance des populations humaines. Préserver les insectes c’est avant tout prendre soin de leur habitat. CQFD : sauver les pollinisateurs, c’est œuvrer pour préserver la biodiversité du vivant et le bien-être de tous…

Un article rédigé par Nathaly Mermet, Docteur en Neurosciences,

journaliste scientifique & médicale, Lyon, pour Pop’Sciences – 30-11-2020

Tout un chacun a pu le constater en roulant en rase campagne au crépuscule : alors qu’il y a encore 10 ans en arrière le pare-brise ou la visière du casque était crépi d’insectes … cette « nuisance » n’est plus d’actualité ! Une observation assez basique, mais témoin de la diminution importante des insectes dans notre environnement.

Un modèle scientifique et poétique : le champ de lavande

©Pixabay

Ah … les champs de lavandes, teintés des couleurs de la Provence, aux parfums enivrants et égayés par le chant de ses habitants.

« Mon terrain d’expérimentation, ce sont les champs de lavandes. Été après été, j’ai été littéralement subjuguée par l’environnement sonore qui règne au milieu d’un champ quand je prélève les odeurs de fleurs » se rappelle le Dr Florence Nicolè, enseignante-chercheure au sein du Laboratoire de Biotechnologies Végétales appliquées aux Plantes Aromatiques et Médicinales – LBVpam à l’Université Jean Monnet de Saint-Étienne (UJM).

« Mes recherches portent sur l’étude des Composés Organiques Volatils (COVs) des lavandes, qui deviennent, après distillation, ce que l’on nomme huile essentielle de lavande. Ces composés émis par les plantes constituent une sorte de langage que nous cherchons à comprendre.»

Terrain expérimental à Chenereilles (Loire) en juillet 2020. Au premier plan, ce que l’on nomme la « pieuvre » (du fait de ces nombreuses « tentacules ») est un dispositif expérimental qui permet de capturer les odeurs émises par les inflorescences de 6 plantes différentes en même temps. Au deuxième plan, le laboratoire mobile que l’on protège du soleil et qui permet de stocker les échantillons de nectar à -78°C. / ©Florence Nicolè

« Plus de 200 molécules ont été identifiées chez la lavande. Certaines de ces molécules sont destinées à attirer les pollinisateurs. Récemment, nous avons lancé un projet de recherche multidisciplinaire et collaboratif pour faire le lien entre cette diversité de la chimie des lavandes et la diversité des insectes que l’on entend. » révèle-t-elle, soulignant que jamais personne n’a évalué le potentiel d’hébergement de la biodiversité des insectes et des araignées au sein d’un champ de lavandes, alors que ce dernier présente une réelle valeur écologique en tant qu’hébergeur d’une communauté d’arthropodes très diversifiée !

Les recherches du LBVpam visent globalement à mieux comprendre les mécanismes de production, de sécrétion et le rôle des composés organiques volatils chez les plantes à parfum, aromatiques et médicinales (PPAM), et une attention toute particulière est portée parmi ces COVs aux composés terpéniques. Ainsi les trois groupes « fétiches » de PPAM des chercheurs sont-ils les roses (dont le parfum subtil est émis par les cellules épidermiques des pétales), les pelargoniums ou géraniums dont l’huile essentielle est utilisée en parfumerie et la grande famille odorante des lamiacées, parmi lesquelles les lavandes et la sauge (qui émettent des COVs grâce à des trichomes glandulaires).

Prélèvement d'insectes

Pour recenser les insectes dans les champs de lavandes, on effectue 15 minutes de prélèvements avec deux filets fauchoir. Les bourdons, certaines abeilles et les papillons sont directement comptés et relâchés. Les filets sont ensuite vidés dans une cage adaptée qui permet d’observer, de trier et de recenser les différentes espèces. La majorité des insectes sont relâchés dès qu’ils sont comptabilisés. / ©Hugues Mouret

« Notre projet de recherche actuel a deux finalités : trouver des méthodes et indicateurs plus simples pour évaluer la biodiversité des insectes et relier cette biodiversité avec celle des molécules émises par les plantes » déclare-t-elle, évoquant les fastidieux recensements de biodiversité qui impliquent chaque année beaucoup de temps, d’énergie et mobilisent de nombreuses personnes (dont des étudiants du master Éthologie de l’UJM dans le cadre de projets pédagogiques), et sont jusqu’à présent l’unique recours. L’idée développée en ce moment par les chercheurs vise à définir un indice de biodiversité acoustique des insectes, mis au point sur le modèle expérimental de la lavande. Auparavant emblématiques de la Drôme et des Alpes de Haute-Provence, les cultures de lavande « remontent vers le nord » et sont désormais de plus en plus étendues en Rhône-Alpes-Auvergne et jusque dans la Beauce. La Provence aux portes de Paris en lien avec le changement climatique ? Une « opportunité » pour les chercheurs stéphanois, à l’instar de Florence Nicolè, chercheure de terrain avec un goût prononcé pour la recherche appliquée qui affirme « on ne peut comprendre son modèle biologique sans sortir du laboratoire ; un travail d’écologue de terrain et un bon sens de l’observation sont nécessaires ».

Paysage sonore

Sandrine Moja, enseignante-chercheure au LBVpam impliquée dans ce projet, effectue des prélèvements de nectar sur les fleurs de lavande avec des microcapillaires en verre d’une contenance de 1 à 20 uL. C’est un travail de précision qui nécessite de la concentration. Certaines plantes ont été ensachées alors que les fleurs étaient encore en bouton pour éviter tout contact avec des pollinisateurs. Cela permet d’étudier l’influence de l’absence de pollinisateurs sur la composition du nectar. / ©Florence Nicolè

La recherche d’un « indice de biodiversité acoustique » implique de facto une certaine multidisciplinarité, pour ne pas parler de « biodiversité de chercheurs » ! A la poésie du paysage visuel se mêle ainsi celle du paysage sonore. Aussi, la complémentarité des compétences des laboratoires de biologie animale – Equipe de Neuro-Ethologie Sensorielle, ENES – et végétale – LBVpam –  de l’UJM s’impose-t-elle afin de créer des outils innovants utilisables par les industriels et les collectivités. Centrée sur la bioacoustique, à savoir la science des signaux sonores (animaux et humains), l’activité de l’ENES s’ancre dans l’éthologie (soit l’étude des comportements) à travers une longue tradition à la fois en neurosciences, focalisée sur les mécanismes des communications acoustiques, et en écologie. Le développement d’outils bioacoustiques pour évaluer la biodiversité s’inscrit donc naturellement au cœur de ses compétences, lesquels permettent également les mesures d’impact des environnements abiotiques et biotiques sur l’évolution des communications. « L’analyse de la complexité des profils sonores enregistrés permet de calculer des indices de diversité du signal sonore. Cette diversité sonore constitue un indicateur de la diversité des organismes qui génèrent le son » explique Florence, indiquant qu’il sera possible de comparer ses indices de diversité sonores entre des milieux ou avant/après l’application de mesures de gestion. A plus long terme, une perspective serait de réussir à identifier certaines espèces à partir d’un paysage sonore complexe. Un catalogue de sons reliant une espèce à un profil sonore sera créé et grâce au machine learning les chercheurs espèrent qu’il sera possible d’isoler un signal sonore spécifique à partir d’un profil complexe où se mêlent des dizaines d’espèces, comme un instrument de musique est repéré dans un orchestre.

Des collaborations multiples pour créer de nouveaux indices de mesure de la biodiversité

« La collaboration étroite avec des spécialistes de la reconnaissance des insectes, en l’occurrence à travers l’association Arthropologia qui réunit des entomologistes professionnels et passionnés, nous est par ailleurs indispensable » indique F. Nicolè. Agissant au quotidien pour le changement des pratiques et des comportements en menant des actions pédagogiques en faveur des insectes (auxiliaires, pollinisateurs, décomposeurs), Arthropologia est une association naturaliste qui œuvre pour la connaissance et la protection des insectes et de la biodiversité.

Scaeva pyrastri / © Hugues Mouret – Arthropologia

Issoria lathonia / © Hugues Mouret – Arthropologia

« Depuis plusieurs années nous collaborons avec Veolia sur un ancien site de stockage de déchets pour la réalisation d’inventaires de biodiversité effectués par les étudiants du master Éthologie de l’UJM. Ce projet de recherche innovant est le prolongement de cette collaboration pédagogique » déclare Florence. Ce projet vise à permettre à l’industriel de valoriser des sites de gestion des déchets et de disposer d’un indicateur simple et innovant de biodiversité des insectes pour évaluer l’effet de différentes mesures de gestion [encart 1].

Au-delà de l’expérimentation avec le partenaire industriel, « les indices de biodiversité sonores que nous allons définir dans ce projet pourront trouver des applications au sein de tous les sites industriels et auprès des communes qui souhaitent mettre en place des actions en faveur des pollinisateurs » appelle de ses vœux Florence Nicolè.

Comprendre les interactions chimiques pour développer des moyens de lutte biologiques

Cicadelles, Hyalesthes obsoletus, sur une tige de sauge sclarée (le plus etit est le mâle) / ©Florence Nicolè

Outre le phénomène de réchauffement climatique qui impacte sa physiologie et sa distribution géographique, est apparue chez la lavande une maladie qui dessèche la plante : des bactéries se développent dans le phloème, le tissu conducteur de la sève élaborée qui transporte l’eau et les nutriments. Les bactéries se multiplient et créent des bouchons, provoquant un stress hydrique à l’origine du dépérissement de la plante. La bactérie responsable, le phytoplasme du Stolbur, a pour principal vecteur un insecte piqueur suceur de la famille des hémiptères et qui ressemble à une petite cigale : la cicadelle (Hyalesthes obsoletus). Ce dépérissement à phytoplasme touche massivement les cultures de lavande et de lavandin, aussi bien en plaine qu’en montagne et tant en agriculture conventionnelle que biologique.

Florence, en collaboration avec l’Institut de chimie de Nice, le CRIEPPAM et le Centre d’Écologie Fonctionnelle et Évolutive de Montpellier (CEFE), a montré que les plantes infectées par les bactéries ont une odeur différente et qu’une molécule caractéristique des plantes infectées attirent préférentiellement l’insecte vecteur.

« Nous pensons que les bactéries modifient la chimie de la plante et lui font produire des composés qui vont attirer l’insecte vecteur, favorisant ainsi la dispersion de la bactérie. On parle de théorie de manipulation de l’hôte et c’est un phénomène qui a déjà été démontré dans d’autres cas de maladie à phytoplasme transmis par des insectes vecteurs. Dans notre cas, la démonstration expérimentale reste à mener mais nous faisons face à des verrous méthologiques (la difficulté à contrôler l’infection des plantes). »

Alors qu’il n’existe à ce jour pas de moyens de lutte biologique efficace contre cette maladie, l’idée est née de détourner la communication chimique des plantes pour contrôler les populations d’insectes vecteurs. Par exemple, utiliser des composés chimiques de plantes infectées pour créer un piège olfactif (à l’image de nos plaquettes collantes pour piéger les mites alimentaires !) qui déroutent les cicadelles des champs de lavandes. Autre possibilité : planter en bordure de champs des plantes “sacrifice” qui produisent des composés très attractifs pour les cicadelles et jouent le rôle de « paratonnerre » pour les lavandes. Tout un pan de recherche consiste à comprendre les voies de biosynthèse de ses composés chez les lavandes, ainsi que les régulations qui se mettent en place en cas de stress hydrique ou d’infection bactérienne.

« D’autres COVs fortement émis par la plante malade sont le lavandulyl acétate et le linalol, de la famille des terpènes, qui participent à l’attraction des pollinisateurs » indique Florence, précisant qu’il est donc nécessaire d’étudier l’effet des conséquences du dépérissement et de la mise en place de pièges olfactifs sur la biodiversité des communautés d’arthropodes présents dans les champs de lavandes.  Ce qui est déjà clairement établi c’est que les pesticides de synthèse décriés depuis près de 40 ans ne peuvent être utilisés pour lutter contre la maladie du dépérissement de la lavande. En effet, le pic de vol des cicadelles correspond à la pleine floraison des lavandes et donc à une abondance maximale de pollinisateurs. C’est aussi la période de transhumance des abeilles domestiques dans les champs de lavande pour la production du miel de lavandes. Il est donc inenvisageable de tuer toute la biodiversité des insectes présents sur la lavande alors qu’on ne cible que les cicadelles.  De plus, plus globalement, les pesticides de synthèse ont un impact néfaste sur la biodiversité, la qualité de l’eau, des sols et la santé, et que les actions politiques internationales[encart 2] et locales[encart 3] doivent défendre la biodiversité.

Prairie fleurie

©Piqsels

« Nous avons choisi le champ de lavandes comme terrain expérimental, car c’est un terrain que nous connaissons très bien. Cependant, nous savons qu’une communauté de plantes diversifiées permet une plus grande diversité de pollinisateurs » insiste Florence, fascinée par le langage des plantes et qui avoue rêver de trouver la pierre de rosette de la communication des plantes et de disposer d’un traducteur ! Elle souligne que les abeilles domestiques sont la partie émergée de l’iceberg, mais qu’il reste à comprendre et évaluer la valeur écologique d’un champ. Ce qui nous amène à la conclusion « évidente » : la biodiversité doit appeler la biodiversité dans une spirale vertueuse qui est une transposition de l’Évolution.

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Note :

(1) Pollinisateurs… les acteurs de la pollinisation ! Rappelons que la pollinisation consiste au transport d’un grain de pollen d’une étamine (soit l’organe reproducteur mâle de la plante) vers un pistil (soit l’organe femelle) d’une autre fleur de la même espèce, assuré par le vent ou les animaux, dont essentiellement les insectes.

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          Encart 1

         Cas d’école : comment Veolia bénéficie de recherches menées à l’UJM

Plantations par les employés de Veolia, volontaires, des plants de lavandes et de lavandins. Ces plants serviront en 2021 à mesurer l’indice de biodiversité sonore des insectes qui pourra être comparer aux autres sites étudiés (Chenereilles, CRIEPPAM, Site Explora au cœur de la ville de Saint-Etienne). / ©Veolia

« Un projet innovant, en collaboration avec l’Université Jean Monnet (Saint Étienne) est actuellement mené sur notre site de Montbrison, qui est un centre de tri et déconditionnement de biodéchets industriels principalement alimentaires, où 170  plants de lavandes et de lavandins ont été plantés par les salariés en mai 2020, sous la direction attentive de Florence Nicolè » déclare Camille Ginestet, Chef de projets / Coordinateur biodiversité à la Direction Technique Rhin Rhône de Veolia Recyclage & valorisation des déchets. Veolia accompagne financièrement le projet de recherche mené par l’Université, en fournissant un terrain expérimental, des plantes et de la main d’œuvre. Dans ce mutualisme à bénéfices réciproques, les chercheurs vont essayer par le biais d’enregistrements sonores, de créer un indicateur simple et innovant de mesure de la biodiversité des insectes. En parallèle des recherches qui seront menées sur la communication chimique des lavandes et l’analyse de la qualité du nectar, les communautés d’arthropodes seront recensées et les signaux acoustiques émis par ces communautés seront inventoriés. « Chez les insectes, il est possible de détecter différents types de sons : stridulation pour les grillons, sauterelles, criquets ou coléoptères, percussion chez les termites, bourdonnement des ailes chez les moustiques, bourdons et abeilles… » rappelle Camille. Le projet, qui implique de façon volontariste les salariés de Veolia dans un “Team building vert” sur leur lieu de travail,   permettra à Veolia, s’il aboutit à une application développable, de valoriser des sites de gestion des déchets et de disposer d’un indicateur simple et innovant pour évaluer l’effet dans le temps des différentes mesures de gestion des espaces non imperméabilisés sur les sites.

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Encart 2

         Une prise de conscience internationale portée par l’UICN

Généraliser les pratiques et techniques alternatives à l’utilisation des pesticides de synthèse

Une recommandation pour généraliser les alternatives aux pesticides

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          Encart 3

        Action politique locale

Outre la végétalisation des espaces publics et privés, la politique de la Métropole de Lyon affiche la mise en place d’un plan pollinisateurs. En faisant l’acquisition de foncier, elle souhaite multiplier les sentiers-nature accessibles au public tout en protégeant les espaces naturels de son territoire. A l’instar du nouveau sentier nature « Retour aux sources » qui relie Cailloux-sur-Fontaine à Fontaines-Saint-Martin le long du ruisseau des Vosges et s’inscrit dans la stratégie à long terme de la métropole en matière de lutte contre le réchauffement climatique, de végétalisation et de protection et préservation des espaces naturels du territoire.

PPour aller plus loin