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L’eau minérale naturelle en bouteille : traitements, filtration… ce que dit la réglementation | The Conversation

LL’eau minérale naturelle en bouteille : traitements, filtration… ce que dit la réglementation | The Conversation

Fin janvier éclatait l’affaire des eaux minérales naturelles non conformes à la suite d’une enquête menée par Le Monde et Radio France. Celle-ci épinglait plusieurs grandes marques d’eau minérale naturelle en bouteille (dont Vittel, Contrex) et d’eau de source (dont Cristalline). Elles auraient eu recours à des traitements physiques non autorisés (comme une microfiltration inférieure aux seuils autorisés) afin de masquer une pollution anthropique (c’est-à-dire, imputable aux activités humaines). L’occasion de faire le point sur ce que permet ou non la réglementation à la matière.

Eau minérale naturelle, de quoi parle-t-on ?

L’Eau minérale naturelle (EMN) est une appellation juridique spécifique. Elle se définit comme une eau d’origine souterraine, dont les composants physicochimiques (la teneur en minéraux) à l’émergence restent stables dans le temps, avec moins de 10 % de variation.

Les usages économiques liés à l’EMN (usine d’embouteillage, établissement thermal) sont étroitement dépendant du maintien de cette appellation octroyée par le ministère de la Santé sur avis de l’Académie de Médecine).

Contrairement à l’eau du robinet, les traitements chimiques de désinfections sont interdits au regard des exigences réglementaires liées à aux appellations juridiques « Eau minérale naturelle » et « Eau de Source ».

Des traitements qui ne doivent pas modifier la composition de l’eau

Les seuls traitements aujourd’hui autorisés par la réglementation portent sur la séparation d’éléments instables ou indésirables, naturellement présents dans l’eau (fer, soufre, manganèse, arsenic, etc.). Ces traitements physiques (filtration, décantation, oxygénation, utilisation d’air enrichi en ozone) ne doivent pas modifier la composition de l’eau quant aux constituants essentiels qui lui confèrent ses propriétés.

Les traitements de désinfection par ultraviolets ou par filtres au charbon actif d’éléments indésirables liés à une pollution anthropique d’origine agricole, industrielle ou accidentelle ne sont pas autorisés.

Or, ce que l’actualité récente nous montre, c’est que l’enjeu sur le recours à ces traitements, pourtant sans risques pour la consommation humaine, est avant tout un enjeu juridique liée à l’appellation d’eau minérale naturelle.

L’intervention du service de répression des fraudes dans le cadre de l’enquête menée par la Direction générale de la concurrence, de la consommation et de la répression des fraudes est donc au cœur de l’actualité. La perte de l’appellation EMN entraînerait de lourdes conséquences économiques pour les exploitants.

Cet évènement récent rappelle celui sur l’eau de source Capes Dolé en Guadeloupe. Afin d’éliminer les éléments indésirables de pollution anthropique d’origine agricole, identifiés en 1999, l’exploitant avait installé sur les lignes d’embouteillage un filtre à charbon et des membranes de filtration, sous le contrôle de l’ARS.

Le coupable ? Le chlordécone, pesticide utilisé contre le charançon du bananier dans toutes les Antilles françaises de 1972 à 1993.

Ce traitement physique ne modifiait pas les caractéristiques microbiologiques de l’eau. Cependant, après plusieurs attaques en justice d’embouteilleurs concurrents (Fontaine Didier et West Indies Pack), la société a été condamnée en 2013 à supprimer l’appellation « eau de source » sur ses étiquettes pour la remplacer par « eau rendue potable par traitement ».

La réglementation sur la protection des gisements d’eau minérale naturelle s’inscrit donc dans un héritage historique ancien. Et peut-être, déjà obsolète ?

Un héritage réglementaire de la « guerre des sources » à Vichy pour gérer le risque quantitatif

L’appareil réglementaire actuel, de protection des gisements, a été construit de façon empirique et repose notamment sur la perception des risques au XIXe siècle.

À cette période, l’État avait légiféré pour protéger les gisements sur l’aspect quantitatif, à la suite de la « guerre des sources » à Vichy-Saint-Yorre de 1844 à 1930. Devant le succès commercial de l’eau embouteillée sur le bassin de Vichy-Saint-Yorre, les entrepreneurs privés multipliaient les forages. En tant que propriétaire d’un vaste patrimoine thermal, l’État, ainsi que son fermier (la Compagnie de Vichy), avaient alors découvert que l’usage thermal principal était impacté par une baisse de débit des forages.

L’une des sources exploitées à Saint-Yorre, image d’époque.

En 1939, la multiplication anarchique des forages se matérialisait par 230 sources sur le bassin de Vichy-Saint Yorre, 200 sources à Vals et 40 sources à Vittel-Contrex. L’État a donc agi pour sauvegarder les intérêts du secteur thermal, avec une première réglementation en 1848, afin d’imposer un périmètre de protection fixe de 1000 mètres autour de chaque source.

Les obligations actuelles sur les captages

Cet héritage réglementaire comporte aujourd’hui deux outils spécifiques, le premier obligatoire, et le second, facultatif.

De manière obligatoire, chaque émergence doit disposer d’un périmètre sanitaire d’émergence (PSE), et cela depuis 1937. Il est déterminé durant la demande d’autorisation d’exploitation d’un nouveau captage par arrêté ministériel.

La tête de forage doit être protégée par un abri fermé mis sous surveillance, et placé dans un périmètre grillagé d’une centaine de mètres carrés, en fonction du type de captage, sa profondeur, et l’environnement du site.

Ce foncier doit être détenu par le propriétaire du captage ou avoir une servitude d’accès. Au sein de ce PSE, la réglementation interdit toute activité, travaux, dépôt de déchets, épandage d’eaux usées, de produits phytosanitaires ou d’engrais organique.

L’application du PSE peut toutefois être difficile si le captage est localisé en milieu urbain. Certains captages peuvent être situés dans le sous-sol de bâtiments, ou sous la voirie du centre-ville. Le PSE peut donc parfois se limiter à la chambre de captage, ou à un local de tête de captage.

En fonction des sites, les objectifs d’un PSE peuvent donc être différents.

  • Si la ressource en eau est naturellement à l’abri des pollutions de surface, le PSE aura pour vocation d’assurer la sécurité physique du captage seulement.
  • En revanche, si la vulnérabilité sanitaire des abords immédiats de la ressource est plus grande, des compensations réglementaires devront être trouvées.

Dans ce cas de figure, la réglementation peut par exemple, en milieu urbain, interdire le stationnement de véhicules sur la voirie à proximité du captage, de manipuler des substances polluantes ou encore prévoir une surveillance en cas de travaux de voirie.

Lorsque la ressource en eau est naturellement peu protégée, la réglementation peut interdire le stationnement de véhicules sur la voirie à proximité du captage. ©Frédéric Bisson/Flickr

Des aménagements spécifiques peuvent aussi être prévus, comme l’installation d’un système étanche de récupération des eaux pluviales sur la voirie pour se prémunir du risque de pollution aux hydrocarbures, avec un système d’alerte d’étanchéité sur le captage.

La délimitation du PSE est donc toujours un compromis entre ce qui est techniquement souhaitable et ce qui est en réalité possible.

Une déclaration d’intérêt public et un périmètre de protection facultatifs

Le second outil de protection est facultatif. Dès 1861, la réglementation donne la possibilité au propriétaire ou à l’exploitant de la ressource en eau minérale naturelle (EMN) de demander une déclaration d’intérêt public et la création d’un périmètre de protection (PP). Cette démarche est soumise à la validation du Conseil d’État après une enquête publique.

L’intérêt public est prononcé en fonction de la valeur intrinsèque de la ressource : qualité, débit, propriétés favorables à la santé, enjeux d’emploi… Il faut que le niveau de vulnérabilité de l’émergence justifie les contraintes à imposer aux tiers. En fonction des caractéristiques du site (contexte hydrogéologique, vulnérabilité, risques…), un périmètre de protection est défini.

Ce dernier peut varier de un à 15 600 hectares. Il s’agit d’un outil contraignant au plan réglementaire. Les tiers (habitants, entreprises…) sont soumis à une obligation de déclaration pour tous travaux de terrassement de deux à quatre mètres de profondeur, et doivent demander une autorisation préfectorale au-delà de quatre mètres.

Ils sont également soumis à des interdictions d’installation d’activités classées ICPE, de stockage de déchets, et d’épandage de boue de station d’épuration. L’État exige toutefois, en contrepartie, que l’exploitant prenne en charge et indemnise certaines mesures imposées aux tiers.

Un cadre réglementaire vieillissant… et obsolète ?

Ces deux outils réglementaires vieillissants sont cependant peu respectés et mobilisés. L’état des lieux des PSE obligatoires montre que les exploitants et propriétaires de la ressource s’écartent de la réglementation.

La cour des comptes a ainsi relevé, dès 1995, qu’une partie des sources étaient en exploitation sans autorisation ou reposant sur des autorisations fondées sur des paramètres obsolètes. En effet, la grande majorité des autorisations d’exploitation ont été délivrées au XIXe siècle ou au début du XXe siècle.

Des visiteurs à Vichy-Célestins. ©Yusaini Usulludin/Flickr

Or, les captages autorisés mais non renouvelés depuis 1937 n’ont pas de PSE, ce qui signifie que le risque sanitaire immédiat n’est pas pris en compte. En 2016, entre 17 % et 29 % seulement des captages alimentant un établissement thermal ont fait l’objet d’une autorisation conforme.

Pourtant, le fait d’exploiter une eau minérale naturelle sans autorisation est passible de sanctions administratives (fermeture partielle ou complète de l’établissement) ainsi que de sanctions pénales à hauteur d’un an d’emprisonnement et de 15 000 euros d’amende, selon l’article L.1324-3 du code de la santé publique.

La problématique de contrôle réglementaire des PSE se heurte donc à une absence de vision sur l’état actuel consolidé des émergences exploitées à l’échelle nationale.

Comment en est-on arrivé là ?

Cette situation résulte de la décentralisation par l’État des missions du BRGM vers les 18 Agences Régionale de Santé. Ces dernières ne disposant pas d’hydrogéologues, l’inventaire des captages de la banque du sous-sol est donc largement lacunaire. L’Assemblée nationale soulignait encore en 2016 le manquement à cette mission des ARS.

D’autre part, l’état des lieux des périmètres de protection (PP) montre que cet outil est très peu mobilisé. Seulement 99 émergences bénéficient d’un PP, dont 56 sont exploitées par un usage.

La plupart d’entre eux sont de surcroît anciens. Sur tous les PP, 96 % datent du XIXe siècle ou du début du XXe siècle. La mobilisation contemporaine du PP reste très limitée, et surtout autour des sites à fort enjeu économique (Vittel en 1971, Avène en 1992, Évian en 2006, Vals en 2012).

Des risques qualitatifs identifiés en 1971, sans modification réglementaire

Le risque de polluants anthropiques d’origine agricole a été identifié dès 1971 par les minéraliers sur le terrain, et confirmé par le rapport ministériel Hénin de 1979, mais n’a pas été suivi d’évolution réglementaire pour la protection des gisements d’eau minérale naturelle.

On peut s’interroger sur la capacité d’un dispositif réglementaire vieillissant et peu mobilisé à protéger la ressource des risques qualitatifs anthropiques liés à notre société.

C’est en raison de cette carence réglementaire française que des politiques de protection partenariales de l’impluvium ont été créées par les minéraliers sur les sites de Vittel et d’Évian dès la fin dès 1989, afin de faire baisser les taux de nitrate de ces aquifères. D’autres initiatives isolées et limitées émergent également à Saint Yorre, Aix-les-Bains ou Thonon.

À titre de comparaison, le cadre réglementaire historique de la Région wallonne a évolué en 1991 afin d’actualiser le niveau de protection face aux risques qualitatifs, avec quatre zones (prise d’eau, zone de prévention rapprochée/éloignée et zone de surveillance de l’impluvium) et des limitations plus strictes et plus précises notamment sur la limitation des produits phytosanitaires agricoles dans l’impluvium des gisements.

Qu’ils soient chroniques ou accidentels, les risques liés à l’agriculture intensive (épandage de produits phytosanitaires et engrais organique surdosé), l’industrie ou à l’urbanisation (ruissellement d’hydrocarbure sur les voiries, fuite des citernes à fioul et du réseau d’assainissement…) sont un enjeu pour la pérennité des agréments eau minérale naturelle et de leurs usages.The Conversation

Auteur : Guillaume Pfund, Docteur en géographie économique associé au laboratoire de recherche EVS, Université Lumière Lyon 2

Cet article est republié sous licence Creative Commons.

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Transition Alimentaire | Cycle de conférences

TTransition Alimentaire | Cycle de conférences

Ce cycle de conférences au programme de l’Université Tous Ages (UTA) est proposé par la Chaire partenariale Transitions alimentaires (TrAlim). Cette Chaire est portée par l’Université Lumière Lyon 2 et le centre de recherche de Lyon For Excellence (Lyfe) (anciennement Institut Paul Bocuse).

Elle est dédiée à la compréhension des dynamiques à l’œuvre dans l’alimentation et leur traduction en termes de pratiques de production, de transformation, de consommation et de gouvernance alimentaires.

Le Cycle offre un regard pluridisciplinaire (sociologie, anthropologie, psychologie sociale, archéozoologie, géographie) sur les transitions alimentaires et plus généralement sur le phénomène de l’alimentation comme fait social total.

>> Au programme :

  • Qu’entend-on par transitions alimentaires ?13 mars 2024 – Claire Delfosse, professeure de géographie, UFR Temps et territoires (TT), directrice laboratoire d’études rurales, co-responsable de la Chaire TrALIM
  •  Manger et cuisiner ensemble pour mieux manger : quelle influence de l’alimentation et des repas sur les relations sociales ? | 20 mars 2024  – Maxime Michaud, docteur en anthropologie et sociologie, Université Lumière Lyon 2, chercheur à l’Institut LYFE, co-responsable de la Chaire TrALIM
  • Transitions et processus de démocratisation alimentaire | 10 avril 2024 – Béatrice Maurines, maîtresse de conférences en socio-anthropologie, UFR Anthropologie, sociologie et science politique (ASSP), Centre Max Weber
  • Manger, se représenter | 17 avril 2024 – Nikos Kalampalikis, professeur de psychologie sociale, chercheur au Groupe de Recherche en Psychologie Sociétale (GRePS), coordinateur de l’axe Pratiques alimentaires et représentations associées à l’alimentation de la Chaire TrALIM
  • L’alimentation d’origine animale à Lugdunum à la période antique : entre tradition gauloise et goûts nouveaux |22 mai 2024 – Thierry Argant, chercheur au laboratoire Archéologie et Archéométrie (ArAr)
  • Alimentations et mobilités : approches historiques et enjeux contemporains | 5 juin 2024 – Étienne Faugier, maître de conférences en histoire, l’UFR Temps et territoires (TT), chercheur au laboratoire d’Études rurales (LER)

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Université Lumière Lyon 2

« Les filles c’est fait pour faire l’amour »

«« Les filles c’est fait pour faire l’amour »

Dans le bureau d’une sociologue, trois femmes évoquent tour à tour leur vie sexuelle. Leurs récits se mêlent et nous portent vers des chemins d’émancipation parfois cocasses, parfois difficiles. Se trace ainsi un parcours sensible, de femme désirée à femme désirante.

La projection du court-métrage « Les filles c’est fait pour faire l’amour » de Jeanne Drouet, Jeanne Paturle, Cécile Rousset et Emmanuelle Santelli, est programmée à l’Université Lyon 2  vendredi 29 mars à 17h30 dans le Grand Amphi (Campus Berges du Rhône), en présence de la Présidente de Lyon 2, Nathalie Dompnier et de la sociologue Emmanuelle Santelli, Centre Max Weber.

Court métrage d’animation / Durée : 15 minutes 49 / 2D / Couleurs

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Université lumière Lyon 2

Magali Bastide – Université Lyon 2
CMW

« Penser à tout » : pourquoi la charge mentale des femmes n’est pas près de s’alléger | The Conversation

«« Penser à tout » : pourquoi la charge mentale des femmes n’est pas près de s’alléger | The Conversation

©Yakobchuk Viacheslav | Selon l’Insee, en 2010, en France, les femmes prennent en charge 64 % des tâches domestiques et 71 % des tâches parentales au sein des foyers.

Mères, travailleuses, attentives à la dimension du soin dans la relation aux autres, beaucoup de femmes ploient sous le poids de la charge mentale. En plus d’exécuter la grande majorité des tâches domestiques au sein de la famille, elles sont souvent celles qui les organisent, les planifient, y « pensent », tout simplement. Et ce d’autant plus que l’éducation des enfants est devenue un enjeu central de notre époque. Cette charge qui leur incombe au quotidien peut être alourdie par les nouveaux outils numériques. Ce vécu intime, cette addition des tâches et leur répercussion, impossibles à quantifier, doivent être appréhendés collectivement.

Comment être une « bonne mère », tout en étant une « professionnelle impliquée », une « amie dévouée » mais aussi une « représentante associative engagée » et une partenaire attentive… en même temps, tout le temps ?

Les rôles sociaux que les personnes investissent tendent à se multiplier ; nos identités se conjuguent dans une dialectique entre notre identité propre et celle tournée vers autrui. En résulte une « charge mentale » démultipliée et parfois incommensurable.

Cette charge mentale, comme un très grand nombre de femmes, il m’arrive moi-même de l’expérimenter dans mon quotidien, en tant que mère de quatre enfants avec une vie professionnelle dense. Sociologue de la famille et de l’éducation, je me suis donc intéressée de près à cette question.

Mais de quoi parle-t-on exactement ? Apparue dans les années 80, la « charge mentale » peut être définie selon Nicole Brais, chercheuse en philosophie à l’Université de Laval qui a théorisé cette notion, comme un « travail de gestion, d’organisation et de planification qui est à la fois intangible, incontournable et constant, et qui a pour objectif la satisfaction des besoins de chacun et la bonne marche de la résidence ».

Mais c’est la sociologue Monique Haicault qui, la première, décrit dans son ouvrage La gestion ordinaire de la vie en deux, la « double journée » des femmes, prises en étau entre le travail domestique et familial et la montée en puissance des exigences professionnelles.

71 % des charges parentales assurées par les femmes

Première caractéristique : la charge mentale affecte le vécu et l’expérience des femmes. Certes, la généralisation du travail féminin, intervenue au XXe siècle, participe d’un mouvement d’émancipation de ces dernières. Mais il ne s’est pas accompagné d’un partage équitable des tâches domestiques et familiales. En effet, selon l’Insee, en 2010, en France, les femmes prennent en charge 64 % des tâches domestiques et 71 % des tâches parentales au sein des foyers.

Il ne s’agit pas seulement du temps passé avec l’enfant, mais du temps à penser à tout ce qui le concerne : tri des vêtements au fil des saisons, gestion du calendrier vaccinal, organisation des vacances à venir, cadeaux à offrir aux goûters d’anniversaire, dates à retenir pour Parcoursup

Cette charge ne permet pas de concilier équitablement vie professionnelle et familiale et nuit au bien-être des femmes, tant elle les oblige à être constamment en alerte.

Il ne s’agit pas seulement de partager équitablement la réalisation des tâches au sein du couple pour partager la charge mentale. Plus diffuse, cette charge est aussi cognitive, car elle résulte davantage d’une réflexion visant la gestion et la planification des tâches domestiques, éducatives et de soin.

On touche ainsi à une seconde caractéristique : cette charge mentale est invisible et a ceci de particulier qu’elle ne se quantifie pas.

La dessinatrice Emma, 2019.

Pour rendre compte de son intensité, souvent invisible, paraît en 2016 Fallait demander, une bande dessinée par l’autrice-illustratrice Emma. La BD, d’abord publiée sur Internet, fait œuvre pédagogique et provoque le débat dans les sphères médiatiques mais également intimes.

L’autrice s’emploie à décrire les soubassements d’une injustice de genre dans un contexte de supposée égalité entre les sexes. L’engouement suscité est aussi lié à une intensification générale de cette charge mentale.

En effet, si cette notion est autant discutée aujourd’hui, c’est aussi parce qu’elle englobe de nouveaux registres, à l’instar du care tel que défini par Monique Haicault :

« Le soin, le bien-être, le souci de l’autre et de la relation à autrui composent la part émotionnelle et altruiste de la dimension affective de la vie, plus présente aujourd’hui qu’hier. »

Saturation du travail parental

Enseignante-chercheuse, je mène des entretiens sociologiques auprès de nombreuses femmes. Elles décrivent souvent longuement ce qui s’apparente à une saturation de leur travail parental. Je partage à certains égards leur expérience, tant je sais ce qu’il en coûte d’avoir à penser à tout, pour soi-même mais également pour l’ensemble de sa famille, concernant tous les aspects de la vie intime, scolaire, médicale, sociale.

Beaucoup d’enquêtées évoquent une élévation du référentiel associé au registre éducatif : on a plus d’exigence et on s’investit plus que par le passé dans l’éducation de notre progéniture.

En effet, nos sociétés contemporaines accordent une attention croissante et inédite à l’enfant et c’est sans surprise sur les mères que repose principalement l’application de ces nouvelles normes.

En ce sens, une caractéristique contemporaine de cette « charge mentale » semble d’ailleurs tenir dans l’évolution de la considération des besoins de l’enfant et de sa norme attenante de « bien-être ».

Le tournant pédocentrique, amorcé au début des années 1990, s’est diffusé jusque dans nos psychés et nos affects les plus intimes.

Comme le souligne le sociologue Gérard Neyrand :

« Si aujourd’hui ce n’est plus le mariage mais la venue de l’enfant qui fait famille, cela confère à l’enfant une centralité d’autant plus grande qu’il se fait plus rare qu’autrefois, qu’il demeure plus longtemps chez ses parents, et que l’attachement affectif qu’il engendre n’a jamais été aussi élevé »

D’ailleurs, dans certains cas, la parentalité peut pour ces raisons être vécue comme une expérience de solitude, qui génère un fort sentiment d’incomplétude et d’épuisement. Le fait d’avoir des enfants peut même finir par être appréhendé comme un assujettissement.

Si l’épuisement est d’abord personnel, il met par ailleurs à l’épreuve la conjugalité contemporaine et ses normes de partage et d’équité. Cette charge occupe la discussion de bien des couples, et apparaît nettement comme un des facteurs de délitement de la conjugalité dans les entretiens sociologiques que j’ai pu produire. Ainsi, cette jeune femme raconte :

« On est un jeune couple, tout va bien c’est super c’est merveilleux, l’enfant arrive et là, très rapidement le vent tourne, et là Hermione on va dire qu’elle a six mois et moi je me dis que ça va pas le faire, l’histoire dure encore un an supplémentaire mais ça ne le fait pas, clairement il sert à rien, il me convient plus, il m’aide pas, je me sens seule et je me dis quitte à me sentir seule, autant l’être pour de vrai ! » (Clémence, une enfant de 14 ans, séparée).

Si les couples les mieux positionnés sur l’échiquier social peuvent avoir recours à des services leur permettant d’externaliser un certain nombre de tâches ménagères, domestiques, éducatives, cela ne va pas de pair avec une diminution de cette charge cognitive. Parfois, l’effet peut même être inversé, car il s’agit de penser les conditions (qui, comment, où…) de cette prétendue externalisation de la gestion du quotidien ! Externalisation qui incombe bien souvent à d’autres femmes.

Numéro d’équilibriste

Autre effet paradoxal : celui d’endosser socialement le rôle de gestionnaire, voire de cheffe autoritaire du foyer.

Combien de femmes racontent les reproches qu’elles reçoivent, parfois même accusées de distribuer les rôles et d’occuper une position hégémonique au sein leur famille !

« À force de penser à tout : choix de l’école, choix de la nounou, départ des filles dans ma famille lors des vacances scolaires, organisation des anniversaires des filles, mais aussi des week-ends entre copains, je suis devenue en plus celle qui décide, et qui s’accapare la prise de décision » _(Amélie, deux filles de 7 et 4 ans, en couple).

Et puis, à un autre niveau, l’externalisation ne vient que reproduire des inégalités dans la mesure où ces tâches sont toujours déléguées à d’autres femmes, souvent issues des classes populaires, de l’immigration et qui acceptent des bas salaires.

L’intensification de cette charge mentale et le morcellement de nos rôles sociaux qui en résulte est également à concevoir dans un mouvement d’accélération et de compression des vies privées et professionnelles. Un mouvement notamment rendu possible par les outils numériques et la gestion à distance des tâches, voire des rôles qu’ils permettent.

Je fais par exemple partie de celles qui peuvent à l’occasion télétravailler. Cela me permet de « gagner du temps », d’éviter certains déplacements, parfois de concilier certains impératifs professionnels avec mon travail parental, notamment lorsque mes enfants sont malades.

En résulte cependant un numéro d’équilibriste. Chaque journée peut alors devenir un temps et un espace de négociation avec moi-même, une quête visant à définir la meilleure stratégie possible pour « avancer », limitant autant que possible les sources de perturbations qui me feraient perdre l’équilibre. Par exemple, un déjeuner avec une amie en semaine, un rendez-vous avec une enseignante, une manifestation sportive pour l’un de mes enfants… sont autant d’évènements à même de « gripper » mon organisation, pourtant bien établie.

Reste néanmoins que la conciliation entre tous les espaces-temps constitue le creuset de difficultés quasi universelles de la condition parentale des mères.

Un récent rapport du Haut conseil à l’égalité entre les hommes et les femmes décrit ce phénomène et pointe l’un des risques du télétravail pour les femmes : la réduction des opportunités de carrière.

Face à cette mise en concurrence de nos identités et au sentiment de morcellement pouvant en résulter, il nous revient certes de penser à des modes d’organisation équitables dans nos relations avec nos partenaires. Toutefois, circonscrire cette problématique au seul volet intime participe d’un effacement de sa dimension politique et laisse à penser qu’il suffirait d’une bonne organisation au sein du couple pour diminuer cette « charge mentale ».

La dimension collective de la charge mentale

On touche là à une idéologie bien installée dans notre société : les raisons de ce qui nous pose problème sont à chercher dans notre psyché défaillante, comme le décrivent très bien Eva Illlouz et Edgar Cabanas dans Happycratie, comment l’industrie du bonheur a pris le contrôle de nos vies.

Dans les discours de la psychologie positive et du développement personnel, la « charge mentale » devient le lieu d’une introspection qui sous-entend uniquement un enjeu individuel. Pareille conception fait cependant l’impasse sur sa dimension collective et sociale : représentations et organisation de la famille, division genrée du travail éducatif, place du travail et de sa valeur dans nos trajectoires de vie…

Si des solutions existent dans des dispositifs de prévention et d’éducation des garçons et des filles afin de les sensibiliser aux stéréotypes et normes de genre, on ne peut cependant pas faire l’économie de penser en termes d’organisation sociale collective.

À ce titre, on peut imaginer l’élaboration de politiques publiques soutenant le travail éducatif et de care, des politiques d’emploi permettant de mieux concilier vie personnelle et professionnelle, notamment à travers la prise en compte des temporalités qu’engage la vie de famille.

Et parce que l’on sait que les femmes sont plus concernées par le travail à temps partiel, on peut envisager des mesures qui favoriseraient des journées de travail moins longues pour les hommes comme pour les femmes, des mesures qui prévoient des congés parentaux à se répartir entre parents, à commencer par un congé paternité révisé, au-delà des 28 jours prévus depuis sa réforme au mois de juillet 2021.

À ce jour, des dispositifs d’entreprise visent à allonger le congé pour le deuxième parent, à l’instar du #Parentalact qui a fait son apparition en 2020.

Réviser le congé paternité à la faveur d’une division équitable du travail éducatif et de care dès l’arrivée de l’enfant permettrait de rompre avec notre organisation familiale adossée à la mère comme parent principal. À un autre niveau, ce type d’incitation résonnerait comme une révolution culturelle pour notre société tant le travail est encouragé et valorisé, bien au-delà de la considération que suscite l’énergie déployée pour élever des enfants.The Conversation

 Autrice : Jessica Pothet, Maîtresse de conférences en sociologie – Université Claude Bernard Lyon 1, chercheuse au laboratoire Max Weber, Université Lumière Lyon 2

Cet article est republié à partir de The Conversation sous licence Creative Commons.

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Nocturnes de l’Histoire : Lyon et ses faubourgs

NNocturnes de l’Histoire : Lyon et ses faubourgs

Représentation théâtrale et débat

Dans le cadre des Nocturnes de l’histoire et à l’initiative de la Direction Sciences et Société l’Université Lumière Lyon 2, les Archives municipales de Lyon – AML accueillent une représentation théâtrale et un débat inspirés par les travaux de l’historienne Justine Tentoni. Deux ouvrages issus de sa thèse ont été publiés début 2023 aux Presses universitaires de Lyon : Gouverner Lyon et ses faubourgs : l’organisation des élites municipales et Incarner Lyon et ses faubourgs : le parcours des élites municipales lyonnaises 1830 à 1870.

Ils présentent les résultats d’une recherche historique effectuée à partir du dépouillement des archives des conseils municipaux de Lyon au XIXe conservées aux AML. L’étude porte sur l’analyse de la composition et de l’organisation de ces conseils, tout en mettant en évidence le long processus de démocratisation de l’espace urbain lyonnais.

Après avoir assisté, aux journées de l’Histoire à Blois, à une pièce de théâtre (documenté et documentaire) de l’historien Patrick Boucheron, Justine Tentoni a décidé de reprendre des parties de sa thèse et de les mettre en voix et en scène avec une professeur de théâtre de l’Université Lumière Lyon 2 et des étudiants. La pièce a pour objectif, par la vulgarisation, de rendre compte du travail de recherche en histoire, de la méthode historique et du rapport de l’historien à ses sources de manière vivante et engageante. Une première représentation a eu lieu à l’Université le 6 décembre 2023.

Pour en savoir plus :

Archives municipales de Lyon

Regards croisés sur l’antisémitisme ordinaire en France | The Conversation

RRegards croisés sur l’antisémitisme ordinaire en France | The Conversation

Depuis les attaques du Hamas sur des civils israéliens le 7 octobre et les représailles massives d’Israël à Gaza, des événements graves et une hausse de l’antisémitisme en France ont conduit à des prises de position politique ou médiatique, tandis que de nombreux débats émaillent les discussions pour savoir ce qui est antisémite ou non. Parmi les artistes engagés sur ce sujet, l’illustrateur Joann Sfar a publié une série de posts Instagram afin d’exprimer son ressenti. La chercheuse Solveig Hennebert s’est appuyée sur certains de ses dessins afin d’expliciter un certain nombre d’éléments constitutifs de l’antisémitisme. Si certains faits ont surgi en lien avec le contexte, ils doivent aussi être analysés dans l’histoire longue de l’antisémitisme, sans prétention à l’exhaustivité. Illustrations publiées avec l’aimable autorisation de Joann Sfar.

Les dernières semaines ont vu une hausse des actes antisémites en France : 1 518 ont été recensés entre le 7 octobre et le 15 novembre. Depuis le début des années 2000, les chiffres oscillent entre 400 et 1 000 par an habituellement, mais il est courant d’observer des pics de propos ou violence antisémites selon les actualités nationales ou internationales. Face à ces actes antisémites, les personnes juives ou – assimilées – ont souvent exprimé un sentiment d’abandon lors de cérémonies commémoratives ou encore dans les entretiens que j’ai réalisés au cours de mon enquête de terrain de thèse.

J’utilise à dessein la formulation « personnes juives ou assimilées » que j’ai forgée dans le cadre de mes recherches. Cela permet d’inclure les personnes qui se définissent comme juives par religion, par culture, par rapport à leur histoire familiale ; tout autant que celles qui ne se considèrent pas comme juives, mais subissent l’antisémitisme malgré tout, du fait de représentations discriminantes liées au nom de famille, à l’apparence physique, etc.

L’antisémitisme renvoie à la haine contre les personnes juives envisagées comme appartenant à une « race ». Cette conceptualisation remonte entre autres au XVe siècle avec les premiers statuts de pureté de sang dans la péninsule ibérique. Avant (sans que cela ait totalement disparu), les persécutions étaient plutôt liées à de la l’antijudaïsme, c’est-à-dire que les personnes étaient visées en tant que membres d’une religion et non d’une supposée race.

Les chiffres de l’antisémitisme

Le recensement des crimes et délits est source de nombreuses interrogations méthodologiques, mais les chiffres restent malgré tout des indicateurs à prendre en compte. Les données sont collectées de la même manière à toutes les périodes, et indiquent donc quoi qu’il en soit une hausse drastique.

Des événements nationaux ou internationaux sont parfois identifiés comme le déclencheur d’une « nouvelle » vague d’attaques antisémites, et souvent associés au conflit israélo-palestinien. Cependant, des recherches scientifiques ont montré que les perceptions antisémites sont également en hausse lors d’événements centrés sur la France, comme ce fut le cas en 1999, au moment des débats sur l’indemnisation des spoliations subies par les Juifs pendant la Seconde Guerre mondiale.

Il convient de garder en tête que si analytiquement le contexte peut avoir du sens, il faut prendre en compte ce qu’il y a de structurel dans l’antisémitisme tel qu’il s’exprime en France.

L’héritage de l’extrême droite

La présence du Rassemblement national et plus largement de l’extrême droite au rassemblement contre l’antisémitisme du 12 novembre a causé de nombreux débats, certains allant même jusqu’à parler de « recomposition du champ politique ». À l’inverse, des organisations se sont mobilisées pour rappeler les liens du RN avec les idéologies antisémites.

L’antisémitisme tel qu’il s’est exprimé ces dernières semaines s’inscrit dans une histoire longue avec des références au nazisme, un ancrage à l’extrême droite, et repose sur des mythes et des préjugés séculaires. En effet, de nombreux préjugés antisémites sont hérités de la l’antijudaïsme chrétien :

  • « les Juifs ont de l’argent »
  • « les Juifs contrôlent le monde »
  • « les Juifs contrôlent les médias »
  • « les Juifs sont des tueurs d’enfants »…

L’ensemble de ces mythes qui sont formulés ainsi ou réappropriés selon des tournures différentes sont à comprendre dans une généalogie historique.

Un nouvel antisémitisme ?

Ces dernières années nous assistons à des discours sur ce qui est présenté comme « un nouvel antisémitisme ». Celui-ci serait le fait des populations musulmanes – ou assimilées – et aurait des spécificités liées à l’islam.

Cependant, des enquêtes scientifiques montrent que ce sont toujours en partie les mêmes mythes issus de l’Europe chrétienne qui sont mobilisés dans les discours antisémites.

Les stéréotypes principaux sont ceux qui renvoient à l’argent et au pouvoir notamment. Par ailleurs, le rejet des Juifs va souvent de pair avec des visions négatives d’autres minorités.

Ainsi l’expression « nouvel antisémitisme », ne semble pas appropriée puisque ce sont les mêmes préjugés qui reviennent. Même si des évolutions sont perceptibles, il est nécessaire encore une fois de penser les préjugés dans une histoire longue.

« Laissez-moi hors de propos »

La question du silence de certains vis-à-vis des événements n’a pas manqué de soulever aussi celle de l’antisémitisme à gauche. Le sujet ne cesse d’être discuté depuis le 7 octobre, même si ce débat est présent depuis de nombreuses années. Les différentes personnalités politiques de gauche accusées se défendent de tous préjugés à l’encontre des Juifs. Un argument souvent mobilisé est de renvoyer à la tradition antisémite de l’extrême droite. S’il est vrai que les électeurs du Rassemblement national ont des préjugés antisémites particulièrement élévés, ceux des électeurs de La France Insoumise sont également supérieurs à la moyenne, rapporte Nonna Mayer dans Le Monde. Ce sont par ailleurs notamment les mythes séculaires du rapport des Juifs à l’argent et au pouvoir qui persistent, y compris à l’extrême gauche.

L’antisémitisme de personnes à gauche du spectre politique n’est cependant pas récent, et des travaux universitaires montrent même que certains préjugés étaient présents au sein des mouvements de résistance de gauche (et de droite) pendant la Seconde Guerre mondiale.

Des manifestations directes de la violence

Au niveau international, de nombreux actes de violences physiques ont été perpétrés, des menaces de mort proférées. En France comme ailleurs, on a recensé des cris de « mort aux Juifs », des incitations à « gazer les Juifs », des tags « interdit aux Juifs » notamment devant des boutiques parisiennes. Les agressions physiques, qu’elles soient mortelles ou non, sont également multiples, et la qualification antisémite n’est pas évidente.

Les discussions politico-médiatiques qui interrogent la réalité de la motivation antisémite des auteurs de certains faits contribuent à un sentiment d’abandon chez certaines personnes juives – ou assimilées, ressenti déjà présent lors d’actes antérieurs aux événements du 7 octobre.

Les crimes sont souvent d’autant plus traumatiques quand les personnes sont attaquées à leur domicile comme ce fut le cas de Mireille Knoll et Sarah Halimi.

Le propos n’est pas de dire que toute personne juive agressée l’est à ce titre là, cependant les propos tenus par les agresseurs, les tags laissés sur les lieux, les revendications… sont des éléments qui doivent contribuer à interroger le motif. Par ailleurs, je ne remets pas en cause la non-poursuite des personnes qui ne sont pas responsables pénalement ; cependant le fait que leur violence se soit tournée contre des personnes juives – ou assimilées – doit être interrogé socialement. Si les troubles psychiatriques peuvent expliquer le passage à l’acte, les préjugés antisémites s’inscrivent dans un contexte social.

Banaliser

Depuis le 7 octobre, des discours relativisent l’existence de l’antisémitisme, soit à travers une minimisation : des chiffres, des formes de la violence, de l’existence des victimes, ou encore du caractère antisémite de certains actes. S’il est vrai que c’est à la justice de statuer sur le caractère aggravant « antisémite », cela n’empêche pas que le motif soit envisagé en amont.

Le traitement médiatique des actes antisémites est complexe, et y compris après la Seconde Guerre mondiale, la spécificité des discriminations raciales n’était pas nécessairement dite ouvertement. Parfois sous couvert d’humour, la judaïcité des personnes est moquée ou tournée en dérision.

Les manifestations directes et paroxystiques de la violence, tels que les meurtres, les coups et blessures… ne doivent pas conduire à minimiser ce qu’il est commun d’appeler des « micro-agressions ».

Nous pouvons poser l’hypothèse que l’une des conséquences des violences extrêmes (qu’elles soient racistes, sexistes, homophobes…) est de contribuer à banaliser les autres formes d’agressions. Ainsi, par rapport au génocide, ou aux meurtres, d’autres actes peuvent paraître anodins, ils sont pourtant constitutifs de l’expérience de l’antisémitisme et témoignent de la permanence des préjugés et discriminations.

« Leur peur, ma rage »

De nombreuses personnes font le récit de micro-agressions qu’elles subissent dans leur quotidien. Par exemple, le fait d’associer automatiquement les personnes juives – ou assimilées – à Israël et plus spécifiquement au gouvernement en place, ou les personnes musulmanes – ou assimilées – au Hamas et au terrorisme.

L’usage même du terme « antisémitisme » est parfois remis en question sur la base de l’argument selon lequel « les Arabes/les Palestiniens/les Musulmans » seraient également des Sémites.

Utiliser ce terme pour parler uniquement des discriminations envers les personnes juives – ou assimilées – serait alors selon eux excluant. Pourtant l’expression « peuples sémites » n’est pas une réalité sociale, mais le fruit d’une conceptualisation raciste en Europe au XIXe siècle.

Il s’agissait à l’époque de soutenir les idéologies stigmatisant les personnes juives – ou assimilées – en présentant une théorie pseudo-biologique sur les « sémites ». Cela a permis d’enraciner le discours racialiste envers les individus qui ne peuvent plus sortir du groupe par la conversion (bien que celle-ci ne protégeait pas toujours). Par ailleurs, à cette époque, les discours étaient centrés sur l’Europe et les Juifs, et l’antisémitisme dans ce contexte a véhiculé le sens qu’on lui connaît aujourd’hui.

« Dieu et moi ne sommes pas en bons termes »

Depuis le 7 octobre, et face à la multiplication des actes antisémites, de nombreuses personnes juives – ou assimilées – ont pris la parole dans les médias, sur les réseaux sociaux, auprès de leurs proches… pour parler de leur vécu de l’antisémitisme. Certains à l’inverse ne prennent pas la parole, d’autres prient… ces réactions sont variées, à l’image de la diversité de la population juive.

Certains ont exprimé leurs critiques face à l’absence de la gauche dans la lutte contre l’antisémitisme, et à la présence de l’extrême droite.

Le collectif « Golem » a même été créé dans ce prolongement, à l’image d’une autre organisation, les « guerrières de la paix » créée en 2022, qui se mobilise aux côtés de personnes musulmanes – ou assimilées, contre « les racismes » et pour la paix en Israël-Palestine.

L’humour peut aussi être un moyen de surmonter les violences vécues au quotidien. Joann Sfar propose par exemple « la nouvelle blague juive », présentée en ouverture de cet article, pour dire que « ça ne va pas ». Cependant, l’humour ne doit pas faire oublier que certains propos peuvent être antisémites s’ils stigmatisent une population (à travers une tradition, des traits physiques, etc.), même s’ils sont pensés pour faire rire.The Conversation

Auteure : Solveig Hennebert, Doctorante, Université Lumière Lyon 2 – 30 novembre 2023

Cet article est republié à partir de The Conversation sous licence Creative Commons.

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Théâtre de femmes du XVIe au XVIIIe siècle : archive, édition, dramaturgie

TThéâtre de femmes du XVIe au XVIIIe siècle : archive, édition, dramaturgie

Il y a trente ans paraissait la première anthologie du théâtre de femmes à l’initiative de Perry Gethner : Femmes dramaturges en France (1650-1750), 1993. Depuis, l’entreprise éditoriale n’a cessé de s’étendre autour de cette anthologie fondatrice et la recherche sur la littérature française d’Ancien Régime s’est orientée, dans une proportion significative, vers la découverte ou la relecture d’œuvres dramatiques écrites et publiées par des femmes.

Celles-ci sont également remises à l’honneur sur la scène théâtrale depuis le début des années 2000 avec plusieurs types de performances : lectures, mises en scène, scènes filmées, etc.

Le festival international Théâtre de femmes du du XVIe au XVIIIe siècle : archive, édition, dramaturgie s’inscrit dans cette dynamique, et entend mettre en lumière des aspects de ce théâtre qui excèdent, tout en le fondant, son contenu textuel.

En cohérence avec cette attention portée aux conditions de vie et de survie des œuvres dramatiques écrites par des femmes du XVIe au XVIIIe siècle, le colloque accueille trois représentations théâtrales > sur inscription :

  • Le Mallade (v. 1535) de Marguerite de Navarre
    Par la compagnie Oghma sous la direction de Charles di Meglio
    Mercredi 15 novembre 2023 à 19h
    Université Jean Moulin Lyon 3, Amphithéâtre de l’IUT
  • La Folle Enchère (1691) de Madame Ulrich
    Dans la mise en scène d’Aurore Evain avec la compagnie « La Subversive »
    Jeudi 16 novembre 2023 à 20h
    ENS de Lyon, Théâtre Kantor
  • L’Amoureux extravagant (1657) de Françoise Pascal
    Mise en scène par le collectif Les Herbes Folles
    Vendredi 17 novembre 2023 à 12h
    Université Lumière Lyon 2, Grand amphithéâtre.

Pour en savoir plus et consulter le rogramme :

Théâtre de femmes

Comment aider les élèves à régler leurs conflits

CComment aider les élèves à régler leurs conflits

Avec son bruit et son agitation, la cour de récréation peut ressembler au premier abord à un espace désorganisé. Il n’en est rien. L’émergence des childhood studies à la fin des années 1980 a mis en avant que, loin d’être un chaos, le monde enfantin dispose de ses propres modes de régulation, comparables à ceux d’une microsociété, et qu’il s’agit de les prendre au sérieux.

Dès lors, conflits et disputes entre enfants sont analysés comme un mécanisme puissant de socialisation langagière et politique. Un élément fondamental dans cette approche est alors la mise en avant d’une agency enfantine, au sens où les enfants sont conçus comme un groupe social certes minorisé, mais doté d’une capacité d’action. En est tirée la conséquence normative qu’il faudrait reconnaître des droits à ce groupe plutôt que de le surveiller d’aussi près que possible ; il n’est alors pas surprenant que les références à la Convention internationale des droits de l’enfant, hui %20ratifi %C3 %A9e %20par %20196 %20 %C3 %89tats.), adoptée en 1989 par les Nations unies, soient aussi fréquentes dans cette littérature.

Toutefois, reconnaître que les enfants disposent de leurs propres modes de régulations ne règle pas la question des conflits enfantins. De nombreux chercheurs et chercheuses ont en effet montré que la cour de récréation est également un espace de violence et de domination : des grands sur les petits, des garçons sur les filles

Si répondre aux enjeux de violence par la répression et la surveillance témoigne d’un mépris du groupe enfantin, il ne s’agit donc pas de tomber dans une vision angélique d’enfants capables de s’autoréguler en toute égalité sans intervention des adultes. C’est autour de cette position que j’essaie de fonder empiriquement ma thèse consacrée aux conseils d’élèves.

Le dispositif des conseils d’élèves

Le monde éducatif a, de longue date, mis en place des dispositifs visant une gestion par les enfants de leurs propres conflits, mais avec l’encadrement des adultes. Dès le début du XIXe siècle, les écoles mutuelles mettent en place des tribunaux d’enfants. Mais c’est surtout, au XXe siècle, la pédagogie de Célestin et Élise Freinet qui développe cette idée par l’implémentation de conseils de coopérative.

Retour sur la pédagogie de Célestin Freinet (France Culture, 2020).

Durant ces conseils, les élèves et leurs enseignants réunis en assemblée ont l’occasion de débattre de propositions pour la classe, mais aussi (et surtout) de porter des critiques à leurs camarades et de traiter collectivement des conflits. L’objectif pour Freinet n’est pas répressif, mais plutôt moral :

« À l’issue de notre séance coopérative, nous n’avons jamais, comme on pourrait le croire, une liste de punis mais seulement des enfants heureux d’avoir discuté de ce qui leur tenait à cœur, de s’être déchargés parfois de leurs péchés, d’avoir éclairci et libéré leur conscience ».

À la suite de Freinet, la pédagogie institutionnelle développe cette idée du conseil comme « rein » du groupe, ayant une fonction d’épuration des conflits. Inspiré de psychanalyse, ce courant pédagogique voit dans ce dispositif (parmi d’autres « institutions ») des fonctions de thérapie collective. Il s’agit d’abord, en retirant l’enseignante ou l’enseignant comme instance personnalisée d’autorité, de limiter les phénomènes de transfert avec l’adulte.

Mais le conseil permet aussi, à travers l’usage du langage dans un dispositif institutionnalisé, la confrontation à l’autre et la sortie de l’égocentrisme : ce n’est pas en tant qu’individu singulier, mais en tant que membre du groupe que les enfants sont invités à intervenir. Là encore, « le conseil n’est pas nécessairement un tribunal, et la recherche de la vérité importe moins que l’élimination des conflits perturbateurs. […] L’essentiel est peut-être moins ce qui est dit, que le fait que ce soit dit et entendu ».

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D’autres dispositifs de gestion des conflits ont vu le jour, comme la technique des « messages clairs », inspirée de la communication non violente. Lors de celui-ci, les élèves « agresseurs et agresseuses » et « agressés » sont invités à verbaliser leur description des faits, leurs émotions et leurs besoins. Cet échange est supervisé par un médiateur ou une médiatrice, qui peut être un adulte ou un enfant dûment formé. Quoiqu’il en soit, tout ceci implique que l’enseignant renonce à arbitrer directement les conflits, tout en garantissant le cadre pour que les enfants le fassent eux-mêmes. Cette posture est assurément complexe à trouver.

Réfléchir aux limites de l’autorégulation

Il ne faut néanmoins pas croire que ces dispositifs abolissent complètement la violence des relations entre enfants. En effet, ils ne sont pas exempts de phénomènes de détournement et de manipulation. On peut assister à des accusations à répétition contre des élèves, à une volonté de vengeance ou de punition plutôt que d’intercompréhension.

Si ces dispositifs sont théoriquement fondés sur l’empathie et la communication non violente, ils peuvent donc aussi représenter une humiliation publique aux yeux de certaines et certains. Ce phénomène est renforcé par le fait que tous les enfants ne sont pas à égalité face à ces outils. En effet, ils impliquent une conception du langage et de l’autorité tendanciellement plus fréquente dans les classes moyennes et supérieures, face à laquelle les enfants de classe populaire peuvent se retrouver en difficulté.

Face à ces limites, la figure enseignante garde donc un rôle central. Un élément important est celui de la dépersonnalisation. En effet, on retrouve souvent dans le discours des enseignantes et enseignants l’idée de ne pas risquer de faire du conseil un tribunal. Cela implique qu’à partir d’une accusation d’un élève envers un autre, l’enseignant incite les enfants à monter en généralité. Il s’agit souvent de déporter l’attention de l’auteur ou l’autrice de l’acte répréhensible pour la diriger vers l’acte lui-même, afin d’éviter d’étiqueter l’accusé comme « déviante » ou « déviant ».

Le sujet central devient alors les modifications à apporter à la classe pour que le problème ne se reproduise pas. Si Maiwenn est excédée par Hamza qui pose toujours son classeur sur son bureau, n’est-ce pas qu’il y a un problème avec l’agencement des tables ? On rejoint ici un principe fondamental dans ces pédagogies, à savoir que les conflits entre élèves sont le signe d’un dysfonctionnement de l’organisation de la classe.

Ce genre de dispositif prend habituellement en charge de « petits » conflits du quotidien, et n’est peut-être pas à même de traiter des cas de violences plus graves tels que le harcèlement scolaire. Néanmoins, on sait que la dynamique de celui-ci repose en grande partie sur la passivité des spectateurs et spectatrices et la loi du silence. Dès lors, en habituant les enfants dès le plus jeune âge à traiter publiquement leurs problèmes de façon coopérative, et en contribuant à constituer une communauté d’enfants et d’adultes dans un meilleur climat scolaire, on peut espérer des effets positifs de ces outils y compris sur des enjeux plus graves.The Conversation

Auteur :

Nicolas Duval-Valachs, Doctorant en sociologie (EHESS/Lyon-2), Université Lumière Lyon 2

Cet article est republié à partir de The Conversation sous licence Creative Commons. Lire l’article original.

Laïcité, discriminations, racisme – Les professionnels de l’éducation à l’épreuve

LLaïcité, discriminations, racisme – Les professionnels de l’éducation à l’épreuve

Couverture de l'ouvrageFruit d’une vaste étude menée durant près de cinq ans dans plus d’une centaine d’établissements scolaires, cet ouvrage constitue une analyse des réactions des professionnels de l’éducation aux événements du quotidien où s’expriment les tensions liées à la laïcité, aux discriminations ou au racisme.
Par la diversité tant des situations que des institutions étudiées, cette observation des logiques d’action collectives et personnelles des professionnels présente un panorama inédit des attitudes face aux embuches relevant de questions socialement vives. Elle apporte également une réponse documentée à des a priori trop souvent instrumentalisés par des discours médiatiques ou partisans.

Auteurs :

  • Françoise Lantheaume est professeure des universités émérite en sciences de l’éducation et de la formation à l’Université Lumière Lyon 2. Elle étudie l’enseignement de questions vives en histoire (religions, laïcité, fait colonial) et le travail des enseignants, en lien avec les politiques publiques.
  • Sébastien Urbanski est maître de conférences en sciences de l’éducation et de la formation à Nantes Université. Ses recherches portent sur les valeurs communes dans l’enseignement (laïcité, citoyenneté, nation) dans une approche interdisciplinaire entre sociologie et philosophie politique.

>> Pour plus d’informations, rendez-vous sur le site  :

Presses universitaires de Lyon

Rencontre autour du livre Laïcité, discriminations, racisme paru au Presse universitaire de Lyon

RRencontre autour du livre Laïcité, discriminations, racisme paru au Presse universitaire de Lyon

À l’occasion de la parution de Laïcité, discriminations, racisme : les professionnels de l’éducation à l’épreuve, qui inaugure la nouvelle collection « Éducation et formation en débat » des PUL, Françoise Lantheaume et Sébastien Urbanski, directeurs de l’ouvrage, dialogueront avec Samia Langar, docteure en sciences de l’éducation et référente laïcité de l’Université Lumière Lyon 2.

Introduction par :  Christine Morin-Messabel, vice-présidente en charge de l’égalité femmes/hommes et de la lutte contre les discriminations, Université Lumière Lyon 2.

PLUS D’INFORMATIONS

Couverture de l'ouvrage