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DDéchets sauvages : la persistante stigmatisation des plus pauvres | Pop’Sciences Mag #11

En matière de déchets et particulièrement dans le cas du plastique, la responsabilité de la pollution incombe encore largement aux consommateurs, notamment à travers l’injonction au tri sélectif. Mais cette culpabilisation est telle que ces derniers développent ensuite une attitude sociale ambiguë, qui consiste à rejeter à nouveau la faute sur d’autres citoyens plutôt que de regarder à la source du problème. Et comme bien souvent, ce sont ceux qui génèrent le moins de déchets, c’est-à-dire les populations défavorisées, qui souffrent le plus de cette stigmatisation.

Par Samuel Belaud,

Pop’Sciences Mag #11 | Déplastifier le monde ? | Novembre 2022

Le sociologue Denis Blot (Université de Picardie – Jules Verne) explique qu’on ne sait finalement pas vraiment comment les déchets se retrouvent dans la nature et que face à cette méconnaissance, nous avons tendance à convoquer des stéréotypes sociaux plutôt que de nous tourner vers les raisons profondes de la contamination. Pour le chercheur, « à de très rares exceptions, dans mes études de terrain, ce sont toujours les populations reléguées qui sont désignées comme responsables des pollutions : les roms, les sdf, les ‘’cassos’’… ». Il s’agit d’un préjugé social prégnant, « qui date de l’hygiénisme de la fin du 19e siècle », précise-t-il, qui veut que les plus pauvres négligent plus que les autres la salubrité de leur environnement. Cette « frontière morale »[1] comme définie par Pierre Paugam, confine les débats autour de la responsabilité environnementale à l’échelle des consommateurs ; et occulte le rôle joué par l’industrie dans la dissémination des plastiques.

Du chiffonnier (à gauche) aux enfants ramasseurs d’ordures (à droite), la figure du collecteur de déchets n’a pas réellement évolué depuis deux siècles. Le bas de l’échelle sociale tient toujours le rôle et la corporation souffre des mêmes attributs discriminants : insalubre et indésirable. © Eugène Atget (1899) © Jonathan McIntosh (2004)

Cette distinction prégnante entre la négligence des pauvres et la propreté des autres, montrerait donc que les discours dominants de l’écologie sont encore construits autour d’une morale qui appartient essentiellement aux classes aisées. Dans un article paru en 2015[2], Jean-Baptiste Comby précisait que ces discours et cette morale contribuent « à un mépris de classe qui, en matière d’écologie, se manifeste toutes les fois où l’on s’étonne du fait que, malgré leurs « vieilles » voitures ou leurs logements « mal » isolés, les modes de vie des moins privilégiés présentent tendanciellement une empreinte écologique plus faible que ceux des autres milieux sociaux ».

Ce sont pourtant bien les 10 % des personnes les plus riches qui génèrent près de la moitié des gaz à effets de serre sur Terre[3]. Ce déni « de la distribution sociale des pollutions » telle que le chercheur le décrit, occulte la véritable responsabilité des industriels dans la crise écologique, il écarte les populations les plus pauvres de la construction d’une morale environnementale et, in fine, entretient le statu quo du tout plastique.

  • [1] Paugam, S. et al. Ce que les riches pensent des pauvres, Le Seuil, Paris, 352 p. (2017).
  • [2] Comby, J. À propos de la dépossession écologique des classes populaires. Savoir/Agir, 33 : 23-30, (2015).
  • [3] Chancel, L., Piketty, T., Saez, E., Zucman, G. et al. World Inequality Report 2022, World Inequality Lab, p.122 (2022).

PPOUR ALLER PLUS LOIN :

Le paradoxe de la civilisation plastique