Alors que les performances physiques des athlètes plafonnent, sur quels facteurs agir pour remporter la victoire ? La réponse vient de la science. Deux axes se dessinent pour parvenir à « l’athlète parfait » : la préparation mentale et l’innovation technologique. Illustration de cette évolution à travers des recherches et des expérimentations menées à Lyon et Saint-Étienne.
Par Benoit de la Fonchais
Images : © Visée.A (sauf mention contraire)
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Un seul record du monde a été amélioré aux championnats du monde d’athlétisme qui se sont déroulés fin septembre à Doha, au Qatar. Celui de l’américaine Dalilah Muhammad, qui a couru le 400 m haies en 52’16, améliorant de 4 centièmes de seconde son propre record, établi trois mois plus tôt lors des sélections américaines. Elle avait alors effacé le temps de la russe Yuliya Pechonkina (52’34) datant de… 2003. En athlétisme comme dans de nombreux autres sports, les records du monde ont désormais du mal à tomber. Après avoir connu une progression continue au XXe siècle, les performances sportives stagnent depuis une trentaine d’années. Dans ces conditions, il devient de plus en plus difficile de départager les athlètes de haut niveau. Les écarts entre les meilleurs sont de plus enplus ténus. Serions-nous en train de vivre la fin de la recherche de la performance ultime ?
Il y a quelques années, Amandine Aftalion, directrice de recherche en mathématiques au CNRS, pointait les faiblesses de la candidature française aux JO de 2024 du point de vue scientifique. « En France, le monde des sciences dures et celui du sport vivent très séparés« , écrivait-elle dans une tribune1, citant a contrario les États-Unis ou l’Allemagne, où il est possible d’allier études scientifiques et sport de haut niveau. Ou encore la Grande-Bretagne, qui a créé une agence dédiée à l’étude de la performance sportive et lancé une ambitieuse politique de dépistage des talents en vue des JO de 2012. « Si nous voulons les Jeux, poursuivait-elle, encourageons les scientifiques compétents à mettre utilement leur savoir au service du sport. »
Il semble que son appel ait été entendu. Peu après l’attribution de l’organisation des JO de 2024 à la ville de Paris, des chercheurs, emmenés par Christophe Clanet, physicien au CNRS et Franck Pacard, directeur de l’enseignement et de la recherche de l’École polytechnique, ont lancé un programme intitulé Sciences 2024. Rassemblant une cinquantaine de chercheurs et une centaine d’étudiants en sciences dures (physique, mécanique, mathématique) issus de onze grandes écoles et universités, ce projet de recherche vise à aider les athlètes à améliorer leurs performances dans les 40 disciplines olympiques et les 20 disciplines paralympiques. L’objectif d’ici à 2024 est de traiter 500 problématiques au travers de 100 projets de recherche et de 400 projets étudiants. Et de contribuer à l’objectif défini par Laura Fessel, lorsqu’elle était ministre des Sports : obtenir 15 médailles aux Jeux paralympiques et doubler le nombre de médailles olympiques (passer de 40 à 80 médailles).
Repousser les limites des athlètes passe désormais aussi par l’entraînement cérébral
En quoi les mathématiques et la physique peuvent-elles aider les sportifs ? Pour répondre à cette question, Christophe Clanet souligne, dans un article de CNRS le Journal, le faible écart qui sépare désormais le vainqueur de son poursuivant : « Il est de l’ordre d’une main en natation (soit 20 centimètres sur 100 mètres), de l’ordre d’un bateau en aviron (20 mètres sur 2 kilomètres) ou d’un pied… au biathlon, comme lors de la course remportée par Martin Fourcade aux Jeux de Corée, en 2018. Cela signifie que si vous gagnez ne serait-ce qu’un pourcent, en réduisant par exemple la friction des skis sur la neige, vous pouvez passer de deuxième à premier. » C’est sur ce type d’enjeux que travaillent les scientifiques engagés dans l’aventure.
À Lyon, trois établissements d’enseignement supérieur ont rejoint le programme Sciences 2024 : l’École centrale de Lyon, l’Insa et l’ENS de Lyon. Les étudiants travaillent sur des projets très variés : adhérence des pneus de fauteuil roulant (tennis de table), réduction de la trainée de la coque (aviron) ou dans le peloton (cyclisme), prothèse de jambe (saut en longueur)… Le 12 septembre dernier, à l’École des Ponts ParisTech, deux étudiantes du master Sciences de la matière (ENS de Lyon) ont été distinguées lors du premier challenge qui a récompensé quelques-uns des projets présentés par les étudiants des écoles : Gabrielle Laloy-Borgna, qui s’est penchée sur l’effet de mirage dans le tir sportif (lire l’encadré),et Alice Briole, qui a travaillé sur l’effet de la coulée en natation.
Une salle de biomécanique bourrée de capteurs
Si la contribution des sciences dites dures aux performances sportives est relativement récente, celle de la médecine, de la physiologie et de la biomécanique existe depuis de nombreuses années. Dans notre région, elle s’illustre particulièrement à l’Irmis (institut régional de médecine et d’ingénierie du sport), situé sur le campus Santé Innovations de l’Université Jean Monnet Saint-Étienne. Ce centre unique en France réunit en un même lieu des compétences scientifiques, techniques et médicales de pointe dans le domaine du sport. Ici, on cherche à augmenter les performances des sportifs de haut niveau, à développer de nouveaux produits pour les athlètes, mais aussi à faire avancer la recherche médicale et à améliorer la condition physique de tous ceux qui font du sport. « Notre approche est à la fois industrielle, scientifique et technique« , résume Alain Belli, son ancien directeur dans une interview accordée en 20172. Au cœur du bâtiment, la salle dédiée à la bio-mécanique impressionne le visiteur par ses dimensions : 8 mètres de hauteur sous plafond ! Dans cet espace, il est possible de tester des athlètes de toute discipline, perchistes compris. Capteurs de mouvement, capteurs de force, caméras rapides pouvant enregistrer jusqu’à 1 000 images par seconde : tous ces équipements permettent d’analyser et de modéliser avec une grande précision le mouvement des sportifs. L’objectif : optimiser la performance de l’athlète tout en minimisant le risque de blessure.
Plus que jamais, la technologie est sollicitée pour gratter ces centièmes de seconde qui feront la différence. On a pu le constater en septembre 2019 à Lyon, où s’est tenu le premier salon Sport Unlimitech, consacré à l’innovation au service du sport, qu’il soit de haut niveau ou amateur. Pendant trois jours, chercheurs, industriels et sportifs ont pu échanger sur les enjeux du sport et découvrir toutes sortes d’innovations destinées à augmenter la performance, améliorer la rééducation ou remédier au handicap. Plusieurs instituts de recherche étaient présents : CNRS, CEA, Inria… Sur le stand du CNRS, un prototype de vélo a particulièrement retenu l’attention des visiteurs : il s’agit d’un vélo couché destiné aux tétraplégiques, mis au point par Vance Bergeron, directeur de recherche au laboratoire de physique de l’ENS de Lyon, lui-même partiellement paralysé à la suite d’un accident. Avec son équipe, il a développé un système d’électrostimulation qui permet à un tétraplégique de pédaler et de retrouver une activité sportive.
Repousser les limites des athlètes passe désormais aussi par l’entraînement cérébral. On le sait depuis longtemps, le « mental » est souvent ce qui permet de faire la différence au plus haut niveau. Depuis quelques années, des chercheurs ont essayé de savoir ce qui se passait dans le cerveau des sportifs et comment celui-ci était façonné par l’entraînement mental. C’est le cas d’Aymeric Guillot, enseignant chercheur à l’Université Claude Bernard Lyon 1. Membre du LIBM (laboratoire interuniversitaire de biologie de la motricité3), il effectue des recherches sur l’effet de l’imagerie motrice sur la performance et la réhabilitation. Avant de s’élancer, tout athlète, on le sait, visualise chaque étape de son mouvement comme s’il le réalisait.
Quel est l’effet de cette visualisation, s’est demandé le chercheur et comment en augmenter les bénéfices ? Pour le savoir, il a notamment réalisé une série d’expériences dédiées à la caractérisations de conditions optimales de pratique, dont l’une avec Vencelas Dabaya, vice-champion du monde d’haltérophilie. Il lui a demandé d’effectuer ce travail de visualisation dans un appareil d’imagerie appelé magnétoencéphalographe (MEG), qui permet de détecter ce qui se passe dans le cerveau avec une précision de l’ordre de la milliseconde. Qu’a-t-il observé ? D’abord, une activité comparable à ce qui se passe quand une personne médite ou se relaxe profondément. Puis il a constaté une activation des mêmes aires cérébrales que celles sollicitées lorsque l’athlète réalise son geste. « C’est ce qu’on appelle “l’équivalence neurofonctionnelle”, précise Aymeric Guillot : des activations cérébrales comparables lorsqu’on imagine et exécute un mouvement.” Aymeric Guillot a ensuite renouvelé le test avec un haltérophile amateur. Les images fonctionnelles obtenues furent très différentes : l’activité était moins différenciée, les zones activées plus nombreuses. « À travers cette expérience, nous avons montré que le cerveau des champions travaillait moins, mais mieux« , résume le chercheur. Autrement dit, l’entraînement intensif des sportifs de haut niveau ne muscle pas seulement leur corps, mais aussi leur cerveau !
En quoi l’imagerie mentale peut-elle aider les athlètes à améliorer leurs performances ? Comment l’intégrer dans leur entraînement ? C’est l’autre volet des travaux d’Aymeric Guillot. Avec le recul, le chercheur a défini quatre axes d’application : le perfectionnement du geste sportif, la mise en condition (travail sur la confiance, la motivation, l’anxiété…), l’amélioration stratégique et la récupération fonctionnelle en cas de blessure. Ce dernier axe est particulièrement intéressant, car il permet à un athlète de revenir à la compétition en limitant la perte de fonctions motrices et donc de performance. Il pourrait aussi s’appliquer à des athlètes au bord du burn-out ou souffrant d’un syndrome de surentraînement : l’imagerie mentale pourrait contribuer à réduire la charge d’entraînement sans perte significative de performance. Dans le domaine de l’amélioration stratégique, là aussi, l’entraînement cérébral ou cognitif a de beaux jours devant lui. L’objectif ? Un décryptage plus rapide des intentions de l’adversaire et des partenaires, une anticipation de son action, une meilleure vision du jeu : autant de facultés qui donnent un avantage compétitif au sportif. Ce type d’entraînement fait partie depuis plusieurs années de la panoplie utilisée par l’OL Academy, le centre de formation du club de football lyonnais (lire l’encadré).
Verrons nous bientôt s’affronter des athlètes « augmentés » ?
« Plus vite, plus haut, plus fort » : à ce stade de notre évolution, la devise olympique reste-t-elle pertinente ? Le récent exploit du Kenyan Eliud Kipchoge, premier marathonien à descendre sous la barre mythique des 2 heures, questionne le monde sportif et au-delà. Les moyens mis à sa disposition, les conditions de courses et les soupçons de dopage qui planent sur l’exploit, ont suscité un vrai malaise. Si nos limites physiologiques sont atteintes, accepterons-nous de les transgresser et jusqu’où ? Verrons-nous bientôt s’affronter des athlètes « augmentés » via les biotechnologies (dopage contrôlé, prothèses, modifications génétiques) ? C’est le scénario imaginé par le philosophe belge Jean-Noël Missa qui, dans un article saisissant (2011), décrit les Jeux olympiques de Bruxelles de 2144, au cours desquels des athlètes génétiquement modifiés s’affrontent non pour leur pays mais pour huit grandes firmes biotechnologiques. Vertigineux…
Permettre aux personnes paralysées de reprendre une activité sportive
Devenu tétraplégique à la suite d’un accident de la route, Vance Bergeron, physicien au laboratoire de physique de l’ENS de Lyon, développe des solutions pour améliorer la qualité de vie des personnes en situation de handicap moteur grâce à une activité physique régulière.
C’est l’histoire d’une formidable reconversion. Titulaire d’une thèse en chimie de l’université californienne de Berkeley, Vance Bergeron s’installe en France à l’issue de son post-doctorat. Après quelques années chez Rhône-Poulenc, il intègre le CNRS en 2000. Il se lance alors dans les systèmes de décontamination biologique de l’air par plasmas froids. Chercheur prolixe et entreprenant, il est l’auteur de plus d’une centaine de publications scientifiques et d’une quarantaine de brevets. Il participe aussi à la création d’une société qui exploite ses brevets. Mais, en 2013, une voiture le percute alors qu’il se rend à son laboratoire à vélo. Devenu tétraplégique et privé de l’usage de ses mains, Vance Bergeron réoriente complètement ses recherches. Son objectif : améliorer le quotidien des personnes qui, comme lui ont perdu l’usage de leurs membres. Et cela sans attendre que des solutions utilisant des prothèses neurologiques ou des exosquelettes soient au point : trop loin, trop cher. Sa solution à lui, c’est la stimulation électrique fonctionnelle, technique qui permet de remobiliser les membres paralysés grâce à de faibles impulsions électriques. Vance Bergeron est soutenu notamment par le CNRS (il vient de recevoir la médaille de l’innovation), l’ENS de Lyon, les Hospices civils de Lyon et l’association ANTS (Advanced Neurorehabilitation Therapies and Sport) qu’il a cofondée. Soucieux que ses travaux profitent au plus grand nombre, il a créé la start-up Circles avec son ancien doctorant Amine Metani. Ensemble, ils développent des vélos et des rameurs à électrostimulation destinés à des centres de réadaptation fonctionnelle et à des salles de sport dédiées aux personnes en situation de handicap moteur. En 2018, ANTS a inauguré à Lyon la première salle de ce type en France (au sein de l’ENS-Monod), où ils testent leurs prototypes.
Bibliographie
- Missa J. (2011). Dopage, médecine d’amélioration et avenir du sport. Les Cahiers du Centre Georges Canguilhem, p. 35-83.
- Toussaint J. (interview) « Les records sportifs stagnent dans de nombreuses disciplines« . Le Monde, 2 janvier 2017.
- Kayser B. « Les limites de l’amélioration de la performance sportive« . Le Temps, 20 septembre 2017
- Clanet C. « Pour les JO de 2024, sportifs et scientifiques font équipe« . CNRS le Journal, 3 septembre 2018
- Laborde B. réal. « À la recherche du sportif parfait« . ARTE France – Documentaire (2016)
- Communiqué – Salle de Presse Inserm Le sport a ses bienfaits mais attention aux excès.
- 1 > Le Figaro du 16 février 2015
- 2 > Voir le webzine de la Loire sept/oct 2017. L’actuel directeur de l’IRMIS est Jérémy Rossi, Maître de conférences à l’Université Jean-Monnet Saint-Étienne
- 3 > Université Jean Monnet Saint-Étienne, Université Claude Bernard Lyon 1, Université Savoie Mont-Blanc.