Eliot est un jeune cachalot dont le comportement a bouleversé François Sarano, océanographe et fondateur de l’association Longitude 181, au large de l’Île Maurice en 2013. À la fois formidablement puissant et délicat, le carnassier s’avère être un fin explorateur qui fait preuve d’une curiosité inattendue face aux plongeurs qu’il croise. Par son comportement, Eliot nous amène à revisiter l’idée selon laquelle les humains seraient libérés de la nature et les seuls animaux politiques à habiter la Terre.
Par Samuel Belaud
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Inélégant et extraordinaire, Eliot est pour François Sarano* « une bête à la fois démesurée et unique. À elle seule, sa tête occupe un tiers de son corps!« . Mais le colosse n’en dégage pas moins de quiétude et de délicatesse. Le récit que l’océanographe valentinois fait de ses rencontres avec lui est d’ailleurs ponctué de nombreuses expressions afférentes à l’élégance et la sensibilité. Il compare ainsi les mouvements d’Eliot à des « caresses » et décrit l’organisation sociale des cachalots comme « une solitude impossible« . La solidarité et la délicatesse semblent être les maîtres mots de la société des cachalots. « Au sein de leur clan, précise le passionné, ils font preuve de beaucoup de tendresse et d’attention envers leurs congénères. » Peut-être cette structuration sociétale basée sur l’affection résulte-t-elle de son caractère matriarcal et matrilinéaire.
Quoi qu’il en soit François Sarano est persuadé qu’entrer en relation avec eux implique – pour les humains – de devoir se resituer écologiquement, en adoptant une posture attentive et bienveillante pour les observer.
Changer de regard
Rien ne semblait pourtant moins évident que de réussir à faire monde commun avec eux. Avant le moratoire sur leur chasse (1980), les relations humains-cachalots ont été pour le moins tumultueuses. « Terrifiantes ! », insiste François Sarano, pour qui « nous avons fait aux cachalots ce que nous avons malheureusement fait avec bon nombre de nos colocataires, humains ou non, en les capturant et les massacrant dans un objectif de ‘’conquête’’ et de domination de nos milieux environnants. »
Il ne faut remonter que soixante années en arrière pour retrouver l’époque où nous exterminions ces cétacés à tour de bras. Toutefois – et bien heureusement – la rancune ne semble pas être un sentiment qui se transmet entre les générations de cachalots. Ils n’expriment aujourd’hui pas de peur à notre égard et sont capables de venir au-devant des humains à partir du moment où nous leur rendons l’attention, le respect et la passivité dont eux-mêmes font naturellement preuve.
Laisser le sauvage nous apprivoiser
Depuis sa première rencontre avec François Sarano, Eliot entretient une véritable relation qui pourrait s’apparenter à de l’apprivoisement. Car, si le scientifique tire beaucoup d’enseignements de ses rencontres avec l’animal, qui revient régulièrement à son contact, il est plus difficile de répondre au questionnement inverse : qu’ont les cachalots à apprendre des humains ?
« Je n’ai aucune idée de ce qu’Eliot tire de nos rencontres. En revanche, je peux affirmer qu’il les apprécie. Un animal sauvage qui reste pendant de longues minutes en notre présence et qui revient à notre contact, ne peut que trouver dans cette relation de l’apaisement et quelque chose qui satisfasse sa curiosité« . L’intimité et la familiarité de ces rencontres sont d’ailleurs tout à fait perceptibles pour le plongeur : « Les sons (clics) qu’il utilise avec nous, sont parfois les mêmes qu’il utilise avec ses congénères pour demander des caresses et du contact physique« . Bien que fondamentalement différent, Eliot s’intéresse donc à l’altérité au point sembler vouloir apprivoiser François Sarano « comme le renard apprivoise le Petit Prince« .
L’océanographe plaide pour réconcilier les humains avec le reste du monde vivant, en se resituant à leur niveau et non plus au centre. « Nous n’avons pas le monopole de la curiosité, insiste-t-il, je considère que chaque colocataire de notre Globe se situe au sommet de l’évolution. »
D’ailleurs, la tranquillité anthropique liée au confinement généralisé provoqué par la crise du Covid-19 a-t-elle été l’occasion pour le monde sauvage de démontrer la place qu’il est censé avoir. Avec la réappropriation des ports par toutes sortes de poissons, des lisières de nos villes par les cervidés et autres renards, des lacs et des aires naturelles par une quantité rarement observée d’oiseaux migrateurs. Ce sont “notre hégémonie et notre arrogance qui en prennent un coup” conclut François Sarano.
La tendresse en image
Hugues Vitry est un plongeur de notoriété mondiale qui perce, aux côtés de François Sarano les secrets du langage des cachalots de l’île Maurice. Il relate un moment de pure délicatesse entre lui et un de ces grands cétacés.
* François Sarano est docteur en océanographie, plongeur professionnel, fondateur de l’association Longitude 181, ancien directeur de recherche du programme Deep Ocean Odyssey, chef d’expédition et ancien conseiller scientifique du Commandant Cousteau.
Ou ce que les cachalots nous enseignent sur les océans et les Hommes
(François Sarano, Ed. Actes Sud)
Eliot.
Le tendre colosse est doté d’un formidable système sensitif, mais n’imaginons pas qu’il soit en mesure de percevoir le monde qui l’entoure à la manière des humains. Il capte en effet le milieu dans lequel il évolue par écholocalisation : pour communiquer, ressentir, et percevoir son environnement, le cachalot joue d’une gamme complexe d’émissions de sons : les clics, dont les séquences forment des codas. “Les clics qu’il émet, lui permettent de communiquer et de se repérer dans les environnements froids, noirs et troubles des profondeurs maritimes”, précise François Sarano.