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Comment donner plus de légitimité à l’élection présidentielle ? D’autres modes de scrutin sont possibles | The Conversation

CComment donner plus de légitimité à l’élection présidentielle ? D’autres modes de scrutin sont possibles | The Conversation

C’est un sujet qui revient avec chaque élection nationale en France, qu’il s’agisse de la présidentielle ou des législatives. Le mode de scrutin actuel, appelé « scrutin majoritaire uninominal à deux tours », est-il juste ? Des deux côtés de l’échiquier, Marine Le Pen (RN) et Jean-Luc Mélenchon (LFI) estiment que ce mode de scrutin n’est plus compatible avec le « pluralisme de notre vie politique ».

En 1947 déjà, Michel Debré déclarait dans son ouvrage La mort de l’état républicain :

« Nous considérons volontiers, en France, le mode de scrutin comme un mécanisme secondaire. C’est une erreur, une erreur grave[…]. Le mode de scrutin fait le pouvoir, c’est-à-dire qu’il fait la démocratie ou la tue. »

Nous ne pouvons qu’être d’accord avec M. Debré, l’un des rédacteurs de notre constitution et chacun pressent qu’effectivement le mode du scrutin est tout sauf neutre dans la détermination de qui est élu.

En tant que chercheurs, nous nous efforçons de comprendre les propriétés, au sens mathématique, des différents modes de scrutins. En tant que citoyens, nous sommes persuadés d’un réel débat autour de cette question pourrait permettre de remobiliser nos concitoyennes et concitoyens autour de la question électorale, fondamentale à notre démocratie.

LLe scrutin majoritaire à deux tours : cet outil archaïque

S’il permet de dégager un ou une gagnante à chaque fois, le « scrutin majoritaire uninominal à deux tours », ne présente pas que des propriétés positives.

La grande qualité de ce scrutin est, comme son nom l’indique, de dégager une majorité de votants en faveur du vainqueur. Majorité absolue dans le cas de l’élection présidentielle, éventuellement majorité relative dans le cadre de triangulaire lors des législatives, mais à chaque fois majorité tout de même.

Mais cette majorité ne tient pas compte de la minorité : avec ce système un candidat peut être élu à la majorité absolue même si son programme est jugé très négativement par 49,9 % des électeurs. En ce sens, cette « tyrannie de la majorité », comme le dit Alexis de Tocqueville, peut mener à l’élection de candidats très clivants : convaincre une moitié des électeurs (plus un) suffit, quitte à se faire détester par l’autre moitié.

Cette caractéristique forte se double de plusieurs défauts : le premier d’entre eux est qu’il peut nous pousser à « voter utile » plutôt que de voter pour notre candidat favori : à quoi sert de voter pour un candidat qui ne sera pas au deuxième tour ? A rien ! Donc autant voter dès le premier tour pour son meilleur choix parmi les candidats qui ont des chances de se qualifier.

Souhaite-t-on vraiment un moyen d’expression démocratique qui incite fortement les votants à ne pas être sincères ? Un autre défaut bien connu est que le résultat du scrutin majoritaire à deux tours peut dépendre de la présence ou non de « petits » candidats. Par exemple, lors de l’élection présidentielle de 2002, la présence de plusieurs autres candidats de gauche au premier tour a vraisemblablement fait qu’il a manqué à Lionel Jospin les quelques centaines de milliers de voix qui lui auraient permis d’être qualifié au deuxième tour et, peut-être, de gagner l’élection. Souhaite-t-on vraiment un mode de scrutin qui soit si sensible aux manœuvres politiques ?

Et ce ne sont pas les seuls défauts du scrutin majoritaire à deux tours. D’autres peuvent être trouvés dans notre ouvrage « Comment être élu à tous les coups ? » publié chez EDP Sciences.

Mais c’est une chose de dire que le scrutin majoritaire à deux tours n’est pas un bon mode de scrutin, c’est autre chose de trouver le « meilleur » mode de scrutin. Depuis les travaux de Borda et Condorcet au XVIIIe, de nombreux chercheurs se sont penchés sur ce problème en proposant de non moins nombreux modes de scrutin, tous imparfaits. En 1951, l’économiste américain Kenneth Arrow semble mettre un terme à tout espoir en démontrant un théorème (dit d’impossibilité) indiquant que tout mode de scrutin ne pourra jamais vérifier de manière simultanée un petit ensemble de propriétés pourtant souhaitables. En ce milieu de XXe siècle, il semble que le mode de scrutin parfait n’existe pas et que les mathématiques ont tué la démocratie.

LLes modes de scrutin basés sur des évaluations : nouvel eldorado ?

Cependant, Arrow ne parlait que des modes de scrutins utilisant des ordres de préférence, c’est-à-dire les modes de scrutin basés sur les classements des candidats (du plus apprécié au moins apprécié) par chaque électeur. Mais il existe une autre catégorie de modes de scrutin, qui utilise des évaluations : chaque votant peut donner une « note » ou une appréciation à chacun des candidats. L’avantage de ce mode de scrutin ? Disposer d’une information plus complète et souvent plus nuancée des votants sur les candidats.

Deux familles de modes de scrutin basés sur les évaluations se distinguaient jusqu’à présent :

  • les modes de scrutin « à la moyenne » (le « range voting », le vote par approbation) : le candidat élu est celui dont la moyenne des évaluations est la plus élevée.
  • Les modes de scrutin « à la médiane » (le « jugement majoritaire » et autres variantes) : le candidat élu est celui dont la médiane des évaluations est la plus élevée.

Le plus simple d’entre eux est le vote par approbation, chaque votant donne une voix à tous les candidats qu’il juge acceptables (l’échelle des évaluations est alors réduite au minimum : 0 : inacceptable, 1 : acceptable). Le candidat élu est celui qui reçoit au total le plus de voix. C’est exactement ce qui se passe lorsque l’on participe à un « doodle » : parmi des dates proposées, les votants choisissent celles leur convenant et la date la plus choisie l’emporte ! Ça serait très simple à mettre en pratique dans notre vie politique : il suffirait de permettre aux votants de glisser autant de bulletins différents qu’ils le désirent dans leur enveloppe (ou en d’autres termes de prévoir un « doodle » à 40 millions de lignes…).

Notons que ces modes de scrutin utilisant des évaluations ne sont plus sensibles au vote utile et que le vainqueur ne dépend plus de la présence ou de l’absence d’un autre candidat proche de lui dans l’élection. Ils vérifient en outre l’ensemble des propriétés souhaitables défini par Arrow !

Nous avons récemment proposé, avec Irène Gannaz et Samuela Leoni, un formalisme unificateur pour ces modes de scrutin, soit une manière de voir chacune de ces méthodes comme une variante particulière d’une unique méthode de vote.

Dans une configuration où chaque votant donne une note à chaque candidat, chaque votant peut être représenté dans l’espace par un point dont les coordonnées sont ses évaluations données aux candidats. Un exemple pour une élection avec trois candidats est illustré dans la figure suivante : chaque axe représentant un candidat et chaque point un votant, les évaluations entre -2 et 2 ont été générées au hasard pour cette figure :

Représentation graphique d’un système de vote par note pour 3 candidats.
Antoine Rolland, Fourni par l’auteur

L’idée sous-jacente commune à tous ces derniers modes de scrutin est de repérer le point le plus « au centre » du nuage de points des évaluations (en rouge sur la figure), de le considérer comme le votant « type », et de déclarer élu son candidat préféré.

Ce formalisme permet de proposer un modèle général pour les modes de scrutin utilisant les évaluations (range voting, vote par approbation, jugement majoritaire, etc.), mais aussi d’ouvrir la voie à de nombreux autres modes de scrutin, inconnus jusqu’alors. À chaque définition de point le plus « au centre » du nuage (et il y en a beaucoup !) est alors associé un mode de scrutin différent.

Les modes de scrutin par évaluations sont bien meilleurs d’un point de vue logico-mathématique. Sociétalement parlant, ils permettraient de privilégier les candidats plus consensuels.

À nous, société civile et citoyenne, de nous saisir de cette question pour redevenir acteur/actrice de notre destinée démocratique commune. Comme disait G. Bernanos : « On n’attend pas l’avenir comme on attend un train, l’avenir, on le fait. »The Conversation

Auteur : Antoine Rolland, Maitre de conférence en statistique, Université Lumière Lyon 2 et Jean-Baptiste Aubin, Maître de conférence en statistique, INSA Lyon – Université de Lyon16 février 2023

Cet article est republié à partir de The Conversation sous licence Creative Commons. Lire l’article original :

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