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« Face aux modes de travail qui évoluent, il faut s’attendre à ce que la ville se transforme »

«« Face aux modes de travail qui évoluent, il faut s’attendre à ce que la ville se transforme »

Le télétravail pourrait-il modifier l’organisation des villes ? Au sein du laboratoire Environnement Ville et Société, Éléonore Gendry, doctorante, étudie de près les mutations urbaines de la Métropole de Lyon. Depuis l’invention de la machine à vapeur, les territoires semblent avoir évolué au rythme des révolutions techniques. Et si leur organisation était désormais concernée par les nouveaux modes de travail de plus en plus numérisés ?

Sous la direction de Jean-Yves Toussaint, enseignant à l’INSA Lyon et responsable scientifique et technique du Labex Intelligences des Mondes Urbains, dont est labellisé son sujet de thèse, Éléonore construit des ponts entre la ville et les habitudes de travail. Elle explique.

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Télétravail, 5G, Netflix … Notre empreinte numérique est-elle soutenable ?

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Exercer son activité en télétravail : une délicate mission d’équilibriste

EExercer son activité en télétravail : une délicate mission d’équilibriste

Alors que la deuxième vague de l’épidémie s’étend sur l’ensemble de l’Europe, le télétravail est à nouveau vivement recommandé par le conseil scientifique (organe consulté par le gouvernement français pour orienter sa politique sanitaire). Comme beaucoup l’ont déjà expérimenté pendant le confinement, exercer son activité à distance bouleverse de façon implicite, mais néanmoins palpable, notre relation au travail : reconfiguration des rapports hiérarchiques, débordement du temps de travail sur nos vies personnelles, nouvelle gestion de notre espace domestique au profit de notre vie professionnelle… Cette situation inédite pose très concrètement la question de la réorganisation du travail et interroge le contenu de nos activités.

A travers cette interview, Emilie Vayre, professeure de psychologie sociale à l’Université Lumière Lyon 2, analyse les difficultés engendrées par le télétravail, mettant au jour l’impérieuse nécessité de créer collectivement et individuellement de nouveaux équilibres entre vie professionnelle et personnelle.

Comment se reconfigurent les relations à l’activité professionnelle en situation de télétravail ?

C’est compliqué. Le télétravail, en tant que modalité de travail, ne modifie pas à lui seul le travail : dans certaines structures, rien n’a été changé quant à la culture organisationnelle, aux politiques ou modalités de management, aux habitudes… dans ce cas, le déploiement du télétravail est susceptible de poser problème. En France, dans le secteur public comme dans le secteur privé, on constate une culture du contrôle et du présentéisme. Or, si le télétravail n’est pas associé à de nouvelles pratiques managériales, à de nouvelles manières d’organiser le travail, cela peut conduire à une détérioration des relations entre le supérieur et ses collaborateurs, le premier pouvant être tenté d’exercer des formes de contrôle plus fortes sur le travail des seconds. Avec ce type de management, mais aussi du fait des stéréotypes et préjugés relatifs au télétravail, il existe un risque sur la santé : les collaborateurs vont avoir tendance à travailler plus car ils auront le sentiment de devoir constamment faire leurs preuves.

Ce qui est également compliqué quand on est à distance, c’est que tout ce qui relève de l’informel à tendance à disparaitre : les discussions autour de la machine à café, les échanges entre deux portes ou lors du déjeuner du midi… En psychologie du travail, on sait très bien que ces relations sont très importantes pour obtenir de l’information, pour renforcer le lien social, pour créer une identité professionnelle et pour être bien intégré dans son organisation de travail.

Vous avez évoqué les risques pour la santé des agents ou des salariés en situation de télétravail. Quelle définition pouvez-vous donner des risques psycho-sociaux ?

La littérature qui porte sur les risques psycho-sociaux n’est pas nécessairement homogène. Il n’y a pas une définition sur laquelle tout le monde s’accorde. Certains vont insister sur les facteurs de souffrance ou de mal-être, d’autres vont mettre en avant les conséquences liés à ces risques, comme le stress ou l’épuisement professionnel…

En situation de télétravail, des risques psychosociaux et professionnels ont d’ores et déjà été identifiés.

Il existe en premier lieu un risque de surtravail, de surengagement dans le travail. On constate que certains télétravailleurs travaillent plus : ils ont tendance à avoir des journées beaucoup plus longues et à travailler d’une façon plus intense en raison de l’usage des technologies. Dans ce cas le travail est plus coûteux au niveau cognitif. Entre l’augmentation de la charge mentale de travail et l’augmentation de la charge temporelle de travail, le télétravail peut conduire à des arrêts de travail pour cause d’épuisement professionnel.

On constate également des risques physiques liés au télétravail. Si l’espace de travail n’est pas adapté, les individus peuvent adopter des postures délétères. Beaucoup de télétravailleurs disent travailler depuis leur canapé, depuis leur lit, ou encore par terre : cela peut générer des douleurs et des troubles musculo-squelettiques, d’autant plus fréquents que les télétravailleurs font en général moins de pause. Il y a enfin la question de la sédentarité : en travaillant chez soi, il y a moins d’opportunité de sortir et de bouger ce qui, à long terme, engendre des risques pour la santé.

Quelles conséquences le télétravail prolongé peut avoir sur la vie personnelle ? Comment cohabitent ces deux sphères, professionnelles et privées, en un même espace ?

Parmi les études réalisées dans ce domaine, il y a deux types de résultats qui peuvent paraître contradictoires, mais qui en réalité ne le sont pas nécessairement.

Des résultats d’études montrent que le télétravail va favoriser la conciliation entre la vie professionnelle et la vie personnelle, va permettre plus de flexibilité, de mieux s’organiser, de mieux hiérarchiser ce que l’on doit faire, si on dispose d’un minimum d’autonomie. Pour exemple, les hommes comme les femmes disent avoir plus de temps pour s’occuper de leurs enfants.

En revanche, d’autres travaux démontrent que le télétravail rend plus compliqué les relations familiales et qu’il peut être une source de conflit avec le partenaire. C’est souvent lié au surtravail, à une activité professionnelle prolongée, au fait d’être plus présent et pourtant moins disponible.

Pour les enfants, surtout en bas-âge, il est difficile de comprendre que le parent est à domicile mais doit se consacrer au travail. Il est parfois compliqué de comprendre qu’il ne doit pas déranger son père ou sa mère qui est en télétravail, alors qu’il ou elle se trouve juste derrière une porte – si pièce isolée il y a.

Ce qui est aussi compliqué, c’est d’établir une coupure entre ce qui relève du professionnel et du personnel : beaucoup de travailleurs soulignent le rôle du trajet entre le lieu de travail et le domicile pour établir cette coupure. Et dans le cas du télétravail, ce « sas » n’existe plus. Il y a donc des télétravailleurs qui mettent en place des rituels pour essayer de recréer cette frontière entre vie privée et vie professionnelle.

Pendant le confinement, on a beaucoup parlé d’une expérience différenciée du télétravail entre hommes et femmes, en raison d’une prise en charge majeure par les femmes des travaux domestiques et des soins accordés aux enfants. Est-ce que c’est quelque chose que vous avez également observé sur vos terrains de recherche ?

Oui, complètement. Finalement, le confinement a rendu plus saillantes des choses qui étaient déjà présentes avant. Mais sur la question du télétravail il y a très peu d’études sur les différences entre hommes et femmes dans la manière de s’approprier cette organisation professionnelle. Au travers des études que j’ai menées, j’en ai observé certaines : avant le confinement, en contexte de télétravail, les femmes avaient tendance à prendre davantage en charge les tâches domestiques. Quand on leur demandait comment se déroulait leur journée de télétravail, à chaque fois qu’elles prenaient des pauses, elles déclaraient consacrer ces moments de relâche aux activités domestiques (préparer le repas, faire la vaisselle, la poussière, mettre une machine en route, étendre le linge…). Elles restaient donc majoritairement au sein du domicile.

Du côté des hommes, nous avons pu constater qu’ils sortaient davantage du domicile (pour faire du sport notamment) et prenaient en charge des tâches plus gratifiantes (faire les courses ou aller chercher les enfants à l’école). Si certains pouvaient aussi réaliser des tâches domestiques, c’était souvent parce que leurs compagnes leur avaient donné une liste de choses à faire. Ils assumaient donc la charge temporelle liée à la réalisation de ces tâches, mais pas nécessairement la charge mentale de leur organisation.

La crise sanitaire, le confinement et l’expérience prolongée du télétravail ont-ils ouvert de nouvelles perspectives d’organisation du travail ?

Aujourd’hui on s’interroge notamment sur la question des espaces de travail tels qu’ils se développaient avant la pandémie et qui ne sont plus appropriés en situation de crise sanitaire : je pense notamment aux flex-office (espaces ouverts, dans lequel des lieux de réunions plus ou moins fermés sont accessibles, et au sein duquel il n’y a pas de bureaux attitrés par salarié).

On réfléchit également aux fonctions des espaces de travail : le site de l’entreprise deviendra-t-il principalement un lieu d’échange avec ses collaborateur.trice.s et ses collègues ?  L’activité professionnelle individuelle pourra-t-elle se faire principalement ailleurs et pourquoi pas au domicile ?

La question des transports se pose également et est fortement liée à la pandémie : dans ce cas, ne vaut-il pas mieux privilégier des lieux de travail plus proches de son domicile comme les espaces de coworking ou les tiers lieux ?

Lorsqu’on pense le travail à long terme, il est enfin nécessaire de réfléchir aussi à l’activité en tant que telle : on sait que toutes les activités professionnelles ne sont pas adaptées au télétravail, ce qui crée des inégalités et des discriminations au sein des entreprises ou des administrations. Pourquoi ne pas repenser l’activité, la répartir différemment afin que chacun puisse avoir accès, même à petite dose, au télétravail ? On confierait à ceux qui à l’heure actuelle ne peuvent accéder au télétravail des taches réalisables à distance. Il est alors nécessaire de cesser de penser en terme de métier, mais plutôt de se concentrer sur les activités pour plus d’adaptabilité.

Interview menée par Marie Lauricella (chargée des projets de médiation scientifique à l’Université Lumière Lyon 2) et illustrée par Lou Herrmann.

Notre relation aux écrans, angle mort du télétravail | Un article Pop’Sciences

NNotre relation aux écrans, angle mort du télétravail | Un article Pop’Sciences

Notre rapport aux écrans est le grand oublié des discussions sur le travail à distance. Pourtant, travailler et collaborer par écran interposé change (presque) tout… Le point avec trois spécialistes de la relation aux écrans.

Un article rédigé par Cléo Schweyer, journaliste scientifique, Lyon, pour Pop’Sciences – 4-09-2020

Les écrans ont gagné. Avec ce titre du 31 mars 2020, le quotidien américain New York Times mettait des mots sur une impression partagée par beaucoup d’entre nous : celle d’avoir passé plus de temps devant un ou des écrans pendant le confinement (du 17 mars au 11 mai 2020 en France) qu’à toute autre période de notre vie.

Et pour beaucoup, cette explosion du temps d’écran quotidien a été liée à une nouveauté : celle de travailler depuis chez soi. Environ un quart des salariés français a été en télétravail à 100% pendant la durée du confinement, un chiffre tombé à 15% en septembre 2020. Une expérience mitigée pour certains, mais que d’autres aimeraient renouveler au moins une partie de la semaine.

Désirable, mais pas toujours agréable, à quoi tient le double visage du télétravail ? Réfléchir à notre rapport aux écrans peut apporter des éléments de réponse.

©gettyimages

L’écran est une interface qui modifie l’expérience

Aussi étrange que cela paraisse, ce rapport aux écrans semble ne jamais être évoqué dans les négociations sur le télétravail, comme celles qui se tiennent en cette rentrée 2020 entre les représentants des syndicats et du patronat. Certes, le travail à distance ne passe pas que par l’écran. Mais fixe ou mobile, ce dernier est omniprésent dans nos vies professionnelles. On évoque certes le travail sur écran pour évoquer la fatigue visuelle, les troubles musculo-squelettiques et le « droit à la déconnexion », en vertu duquel on n’est pas tenu de répondre à un message électronique en-dehors de ses horaires de travail.

Mais il serait plus juste de parler de travail avec écran, ou par écran interposé. Les chercheurs parlent d’activité médiée par l’écran, où l’écran joue le rôle de médiateur entre nous et les personnes avec lesquelles nous sommes amenées à interagir, entre nous et les tâches à accomplir. Une façon de dire que l’écran n’est pas « transparent » : en établissant une relation entre des personnes ou en installant une manière spécifique de réaliser une tâche, il crée un contexte dans lequel l’interaction ou l’exécution de la tâche sont très différentes de ce qu’elles sont autrement.

« C’est une erreur de voir l’écran numérique comme une surface sur laquelle sont projetées des images, comme dans la caverne de Platon »,

rappelle Mauro Carbone, chercheur-enseignant en philosophie à l’Université Jean Moulin Lyon 3 et responsable du groupe de recherche Vivre par(mi) les écrans.

« C’est une interface par laquelle on vit des expériences, qui ne sont pas que visuelles, pas de plus en plus multi-sensorielles ».

Si les écrans ont gagné, comme le dit le New York Times, c’est donc que nous étions en conflit avec eux ? « C’est sûr ! » répond le chercheur sans hésiter. « Notre imaginaire des écrans est celui de l’illusion et de la privation de liberté. Pensez encore une fois à la caverne de Platon, avec ces humains tenus en esclavage… » Un point de vue qu’il ne partage pas :

« L’écran n’est pas une prison. En tant qu’interface, il permet des expériences riches et d’autres plus appauvrissantes, qu’il faut éviter. Mais il est impossible de généraliser, comme le font certains, en disant que “les écrans, c’est mal”. Qu’on le veuille ou non, une grande partie de notre expérience du monde passe de toute façon par eux aujourd’hui. »

Le télétravail, héritier du travail ouvrier à domicile

Les préoccupations liées au télétravail sont actuellement plutôt du côté des relations hiérarchiques et des risques psycho-sociaux : surmenage, isolement… C’est peut-être parce que le télétravail porte l’héritage du travail à domicile, dont l’histoire est faite de luttes ouvrières : pensons aux canuts qui tissent la soie à Lyon, aux ouvriers passementiers qui fabriquent rubans et lacets à Saint-Étienne. Le travail concerne alors souvent toute la maisonnée, le chef de famille jouant le rôle de chef d’atelier dans une cellule familiale où la répartition des tâches est fortement genrée.

Reconstitution d’un atelier de tissage / ©Musée Miniature & Cinéma – Lyon

Une des questions posée au XVIIIe siècle à ces travailleurs à domicile est la régularité de leur travail et de leur rémunération, ainsi que la réduction de leur temps de travail. A Lyon, les canuts revendiquent le principe d’un tarif assurant une garantie de ressources, espérant atténuer la soumission dans laquelle ils se trouvent vis-à-vis des marchands de soie. Ces derniers veulent au contraire continuer à discuter les prix de gré à gré avec chaque artisan. Ces oppositions suscitent de grandes grèves lourdement réprimées. Les premières innovations sociales ne sont obtenues qu’au siècle suivant, avec le premier accord tarifaire en 1869. Elles sont à l’origine des conventions collectives.

Au cours de la première moitié du XXe siècle, le travail à domicile ne disparaît pas avec l’industrialisation et l’émergence du capitalisme. Il continue à être utilisé comme une source de travail flexible, essentiellement féminin : le recensement de 1906 comptabilise 850 000 femmes ou filles sur les 1 230 000 travailleurs à domicile recensés. Il faut attendre la loi du 26 juillet 1957 pour que le travail à domicile soit considéré comme du salariat. Mais dans les faits, la situation des salariés à domicile, en majorité des femmes, est dévalorisée.

Avec l’arrivée du numérique dans les années 1980, le travail à domicile devient le télétravail. La sociologue Frédérique Letourneux relève que si l’État a toujours fait la promotion du télétravail, il s’agissait au début de permettre le développement du territoire en évitant de concentrer tous les travailleurs dans les seules métropoles.

À partir des années 2000, le discours évolue : c’est la manière de travailler qui est alors appelée à changer. Une évolution annoncée plus que réalisée, qui amplifie les questions posées notamment par le travail payé à la tâche (moins intéressant en termes de revenus que le travail payé à l’heure), l’irrégularité de l’activité, l’absence de liens sociaux.

L’écran modifie en profondeur notre communication

Qu’est-ce que le travail médié par écran apporte de nouveau à ces questions inscrites dans l’histoire du capitalisme ?

« Le télétravail nourrit à la fois l’illusion d’une disponibilité permanente et d’une solitude coupable », analyse Serge Tisseron.

Ce psychiatre, qui a fait sa médecine à l’Université Claude Bernard Lyon 1, est un des grands spécialistes français de la relation aux écrans. « Outre la difficulté à concilier à vie professionnelle et vie familiale, avec la culpabilité qui peut en résulter, le télétravail  alimente celle de ne jamais remplir les objectifs fixés », alerte-t-il.

Un autre phénomène est à l’œuvre, dont il est peut-être plus difficile de prendre conscience, mais dont les effets sont très importants en contexte professionnel : notre communication est modifiée en profondeur par la médiation de l’écran. Isabel Colón de Carvajal, directrice adjointe du Laboratoire ICAR, est chercheure-enseignante à l’ESN de Lyon et spécialiste des interactions par le biais de dispositifs numériques, le souligne :

« Une conversation par écran interposé, ce n’est pas la même conversation que lorsque nous sommes en présence. On s’exprime autrement, que ce soit par le langage parlé ou le langage non-verbal. Cela demande un apprentissage pour éviter une fatigue excessive ou des malentendus. »

Quand nous sommes en co-présence, notre compréhension de la conversation passe par notre corps : attitudes, ton de voix, expressions… « Entre les mots, dans les silences, il se passe plein de choses » , résume joliment Isabel Colón de Carvajal. Nous décodons en permanence les signes adressés par les autres pour comprendre quand nous pouvons prendre la parole et quand il est nécessaire d’attendre notre tour, par exemple, ou pour distinguer le premier degré de l’ironie.

De nouveaux codes à reconnaître

« Il s’établit entre des corps en présence des coordinations motrices inconscientes qui se traduisent psychiquement par un plus grand sentiment de co-présence et de confiance »,

décrypte Serge Tisseron, relevant que deux personnes qui discutent vont spontanément coordonner leurs gestes et leurs attitudes : « La perte de ces résonances motrices inconscientes entre deux interlocuteurs a pour conséquence qu’ils sont moins assurés, dans la conversation à l’écran, d’être dans un lien de confiance partagée ». Face à l’écran, nous sommes privés d’une partie de ces informations pourtant indispensables : les « ressources multimodales » (langage, gestes, etc.) sur lesquelles nous nous appuyons se réduisent. D’autres stratégies doivent prendre le relais.

Pour Isabel Colón de Carvajal, qui analyse depuis plusieurs années les conversations de joueurs de jeux vidéos, nous compensons cette situation en mettant en place d’autres codes de communication. Nous avons tendance à “forcer” nos expressions ou notre langage non-verbal, par exemple, ainsi qu’à faire des phrases plus courtes. Avec le risque de s’auto-carricaturer et de moins écouter l’autre :

« Les mécanismes de coopération en distanciel sont souvent altérés et les particularités individuelles exacerbées » en contexte de télétravail, relève Serge Tisseron.

Notre rapport au silence aussi est modifié, souligne Isabel Colón de Carvajal : si nous faisons en général tout pour éviter les “blancs” dans la conversation courante, laisser le silence s’installer dans une télé-réunion est souvent un moyen d’éviter de se couper la parole ou de marquer la fin des échanges. Il est également à noter qu’en télétravail, les échanges informels (petites conversations de bureau, échanges à voix basse en marge d’une réunion) disparaissent. Les personnes les moins à l’aise dans le groupe, qui trouvent habituellement de la ressource dans ces à-côtés communicationnels, peuvent se retrouver démunies en télétravail.

Cela souligne, relèvent les deux spécialistes, à quel point il est important de considérer le télétravail comme une forme de travail à part entière. Non seulement dans l’organisation de conditions concrètes soutenables par tous, mais bien dans la prise de conscience que le rapport au travail lui-même est affecté par la médiation de l’écran. « Il faut bien comprendre que la communication sans médiation n’existe pas », souligne Mauro Carbone. Or, l’écran a tendance à se faire oublier :

« Moins on a l’habitude des écrans, plus on a tendance à minimiser son impact », remarque-t-il.

Si le télétravail finit par entrer dans notre quotidien, la place de l’écran dans nos relations de travail devra être discutée collectivement,  pour élaborer et reconnaître de nouveaux savoir-être.

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Télétravail et enseignement à distance : test grandeur nature

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Enseigner à distance ? Pour une partie non négligeable du corps enseignant, l’usage massif des cours en ligne est contraire à leur éthique professionnelle, ou simplement impossible. Cette situation favorise la fracture numérique des apprenants et des enseignants, et précarise davantage les vacataires et les doctorants. Pour les enseignants-chercheurs, cette situation exceptionnelle nécessite de tirer le meilleur des outils existants, et de repenser les modes d’interaction avec leurs étudiants. Nous avons demandé à une experte des interactions par écran, Christine Develotte, Professeure émérite au laboratoire ICAR, à l’ENS de Lyon, de s’exprimer sur le sujet.

 

Entretien accessible sur le site du LabEx ASLAN