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Université de Lyon

LLe pionnier de la radiothérapie anticancéreuse était lyonnais

La première radiothérapie anticancéreuse «validée par des publications et des faits pratiques incontestables » a été réalisée en juillet 1896 par le Lyonnais Victor Despeignes. Une révolution au regard de ce qu’on considérait jusque là être une invention américaine.

Nicolas Foray, radiobiologiste et responsable du groupe de radiobiologie du Centre de Recherche en Cancérologie de Lyon (Centre Léon Bérard / Inserm/CNRS/Université Claude Bernard Lyon 1), a reconstruit une biographie de ce « premier radiothérapeute de l’Histoire » qui devrait selon lui être « une de nos gloires nationales ». Plusieurs faits méconnus amenèrent ce médecin hygiéniste à créer ce traitement unique, né de la conjonction des idées pasteuriennes, de la découverte des rayons X et de l’aide technique probable des frères Lumière.

©Graeme Bartlett

François-Victor Despeignes est né à Lyon le 14 février 1866, au 14 de la rue de Bourbon, actuelle rue Victor-Hugo. Suite à ses études en médecine, il intègre un laboratoire de recherche et est accueilli dans différentes sociétés savantes de Lyon dès les années 1890. Au sein du laboratoire de parasitologie du Professeur Louis Lortet, il travail de 1890 à 1893 sur deux sujets majeurs de l’époque : la salubrité des eaux de ville et la tuberculose.

Plusieurs séries d’expérimentations le conduisent en 1896 à analyser le potentiel des rayons X pour détruire les bacilles tuberculeux. Nommé chef des travaux dès 1892, Victor Despeignes pouvait prétendre à l’agrégation et à la direction du laboratoire. Pourtant, en dépit du soutien de Louis Lortet, c’est René Koehler, docteur en médecine de Nancy, et surtout gendre de Louis Lumière, qui est désigné directeur. D’un caractère impétueux, Victor Despeignes renonce alors sur un coup de tête à son avenir lyonnais, et quitte la recherche universitaire pour un poste de médecin praticien.

Médecin de canton à Buis-les-Baronnies (Drôme) puis peu après aux Échelles (Savoie), entre 1894 et 1907, c’est dans le cadre de cette fonction qu’il réalise la première radiothérapie anticancéreuse.

Alors que le Professeur Lortet vient de faire connaître ses premiers résultats obtenus en soumettant à l’action des rayons Roentgen des cobayes auxquels avaient été inoculés des substances tuberculeuses, Victor Despeignes est convaincu du potentiel des rayons X pour traiter le cancer qu’il imagine être «une maladie parasitaire sinon microbienne». Pour soulager un de ses patients souffrant de ce qu’il nomme cancer de l’estomac, Victor Despeignes décide de mettre en œuvre un traitement aux rayons X à l’aide d’une instrumentation spécifique. Il combine alors savamment une source d’électricité (pile ou machine électrostatique), avec une bobine d’induction permettant l’augmentation du voltage et un tube à rayons X. Il ajoute au traitement radiothérapique, un traitement dit «accessoire» : «J’ordonnai le régime lacté, le vin de condurango et je continuai les injections de sérum artificiel» écrira-t-il.

Entre le 4 et le 12 juillet 1896, huit jours de ce traitement conduisent à une diminution considérable de la douleur du patient. A tel point qu’il pouvait se passer de l’emploi de narcotiques et que le volume de la tumeur avait sensiblement réduit.

Victor Despeignes écrit « constater une amélioration sensible permettant quelque espoir là où il n’y en avait plus » . Il ajoute qu’« en présence de ces résultats, et quoique la terminaison ait été funeste, nous nous demandons si ayant affaire à une affection cancéreuse moins avancée et à marche moins rapide, on ne pourrait pas espérer, sinon une guérison, du moins une survie considérable en employant le traitement que nous avons inauguré ».

À la suite des deux articles du Lyon Médical des 26 juillet et 2 août 1896, les faits furent mentionnés dans l’Indépendance Médicale du 5 août 1896, dans la Médecine Internationale d’octobre 1896 et dans l’Officiel Médical du 15 octobre 1896.

Victor Despeignes est nommé en, 1907, directeur du bureau d’Hygiène de Chambéry.

S’occupant seul du fonctionnement du laboratoire de bactériologie, de l’analyse bactériologique des eaux comme des examens et analyses dans le diagnostic des maladies, il est aussi à l’origine d’un système éducatif pour promouvoir les idées pasteuriennes sur l’asepsie. Combattant « les négligences », il est de nombreux combats parfois incongrus, à la frontière entre l’hygiénisme et de la morale. Il veut par exemple dissuader du port des jupes longues qui « soulèvent et ramènent à la maison des poussières pas toujours inoffensives », ou mettre en place la désinfection de tous les manuels scolaires durant les vacances. Il milite également pour la gratuité ou le remboursement des billets de train pour l’accès à une auscultation dans le service de vénérologie qu’il a créé à Chambéry. Aussi, envisage-t-il le « cinématographe au moyen duquel pourraient se faire des séances récréatives auxquelles on mêlerait des numéros instructifs ». En septembre 1907, Victor Despeignes est le président-fondateur de « La Savoisienne », « coopérative d’habitations hygiéniques à bon marché », ancêtres de nos HLM, et s‘engage dans la construction de 24 premières maisons individuelle.

En dépit du fait qu’entre le 4 et le 23 juillet 1896, Victor Despeignes ait effectué la première radiothérapie anticancéreuse validée par des publications et des faits pratiques incontestables, il ne participa à aucune discussion sur les essais cliniques de radiothérapie qui se sont déroulées dans les années 1930. Fait Chevalier de la Légion d’Honneur en 1935, Victor Despeignes décède le 30 juillet 1937 à son domicile de Chambéry.

Bien que le supposé cancer de l’estomac fut, de l’avis des experts, plutôt un lymphome gastrique, un évidence surgit : à l’heure du 120ème anniversaire de ce qui marqua la naissance de la radiothérapie, l’œuvre de Victor Despeignes semble ne pas être citée à sa juste valeur, que ce soit pour la prescience de sa tentative de juillet 1896 ou pour son action en faveur de l’hygiène publique.


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