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RRire ensemble pour être bien, la leçon des animaux | Un article Pop’Sciences

©PxHere / CCO Creative Commons

Les fêtes de fin d’année approchent. Parfois stressantes, mais aussi sources de plaisir. La joie partagée avec nos proches nous donne à sourire et à rire. Le rire !? Une vocalisation qui exprime bien des messages subtils. Et ce sont les animaux qui en parlent le mieux, d’après Katarzyna Pisanski, chercheuse au CNRS et spécialiste de la voix.

Un article de Caroline Depecker, journaliste scientifique
pour Pop’Sciences – 29 novembre 2022

Le rire est un moyen grâce auquel nous, les humains, exprimons de façon sonore une émotion en général plaisante et qui nous traverse fugacement. Les animaux non humains en sont doués tout autant. Si ce thème fait l’objet de recherches depuis seulement 30 ans, la revue Philosophical Transactions of the Royal Society B y a consacré un numéro spécial en septembre dernier, dans lequel une vingtaine d’experts en dressent le bilan des connaissances.

Katarzyna Pisanski étudie la communication acoustique au laboratoire Dynamique Du Langage – DDL (unité mixte du CNRS et de l’Université Lumière Lyon 2). La biologiste se penche sur les échanges verbaux entre les humains, mais pas seulement.  Ses travaux couvrent l’étude des vocalisations non verbales chez les mammifères, une recherche qu’elle aborde avec David Reby et Nicolas Mathevon au sein de l’Équipe de Neuro-Éthologie Sensorielle (ENES Bioacoustics Research Lab) de l’Université Jean Monnet de Saint-Étienne. Elle livre ici quelques points clés de la récente revue.

Le rire nous fait du bien. A rire ensemble, ou même seul, on se sent mieux, plus détendu. Comment explique-t-on cet aspect bénéfique du rire sur notre humeur ?

Katarzyna Pisanski – C’est un fait connu, mais peu étudié : le rire a des effets neurologiques positifs en provoquant la libération d’endorphines dans le cerveau. Comme neurotransmetteurs, ces substances sont produites lors d’activités synonyme de plaisir et d’excitation. Elles ont des vertus analgésiques et procurent un doux sentiment d’euphorie. Précisons que cette observation a été faite lors d’études portant sur le rire spontané et involontaire. Or le rire humain est complexe. Il peut être en effet malicieux lorsqu’on se moque gentiment de quelqu’un, ou sarcastique, soit teinté d’une pointe d’ironie. Émis volontairement, le rire s’avère parfois exagéré voire complétement faux.

Groupe d'enfants riant aux éclats

Rire entre amis libère des endorphines, source de bien-être. / ©PxHere / CCO Creative Commons

Un des auteurs de la revue, l’anthropologue anglais R. Dunbar a mis en évidence cette association entre les endorphines et le rire vécu comme expérience sociale en 2017. Il a proposé à des volontaires de regarder des vidéos comiques en compagnie d’amis proches pendant 30 minutes, puis a mesuré la quantité d’endorphines présentes dans leur cerveau en sortie de séance, à l’aide d’une technique d’imagerie cérébrale. Cette valeur était comparée systématiquement à une mesure faite « à blanc », c’est-à-dire avant visionnage et après avoir laissé la personne seule dans une pièce pendant le même temps. Résultat : la production naturelle d’endorphines était supérieure après la partie de rigolade. On peut donc conclure que rire ensemble génère du bien-être, ce qui nous pousse sans doute à renouveler l’expérience amicale !

Le rire aurait pu émerger chez notre espèce comme outil servant à assurer la cohésion sociale des premiers groupes humains. C’est une idée plutôt surprenante ? 

Cette hypothèse publiée par R. Dunbar est intéressante. Elle présente le rire d’un point de vue évolutif, comme à chaque fois qu’on veut en expliquer la fonction. L’idée originale ici : le rire serait né dans la lignée humaine afin de prendre le relai des gestes de toilettage ayant cours chez les autres primates. Et cet événement aurait eu lieu il y a 2 millions d’années, au moment où les groupes d’homininés atteignaient des tailles considérables et migraient depuis l’Afrique vers les autres continents. Chez les singes, le comportement de toilettage réciproque est facteur de lien social entre le donneur et le receveur, car le toucher lent qui accompagne ces gestes occasionne la sécrétion d’endorphines génératrices de bien-être. Chez nous, l’observation reste valable, mais dans un autre contexte, celui des gestes intimes.

Petit singe macaque qui rit.

Le rire comme relais des gestes de toilettage chez les singes, une hypothèse scientifique. / Macaca fascicularis – Thai National Park / Rushen / Flickr

 

Nos cousins éloignés, les primates non humains, prennent 20% de leur temps au maximum pour se toiletter. Car d’autres tâches vitales les attendent comme se nourrir ou chasser. Et puis le toilettage ne peut jouer de rôle cohésif que sur un nombre réduit d’individus, il a donc ses limites. D’où l’idée avancée : passer du toucher au rire comme nécessité pour maintenir la cohésion de populations avançant par millions tout « en riant en chœur ».

Mais je suis plus familière avec une autre approche évolutionniste du rire. Il ne serait pas apparu soudainement au cours de notre histoire évolutive, mais correspond à une vocalisation que nous avons en commun avec les animaux en tant que signal sonore accompagnant le jeu. Je parle ici du rire « primitif ». On peut citer le chiot qui gémit et pousse des grognements alors qu’on essaie de lui arracher le jouet qu’il défend vigoureusement. Ou les chatons qui jouent à se battre à grands coups de pattes tout en cherchant à se mordiller.

Les vocalisations animales signifient alors que l’action engagée n’est nullement agressive, elle est apprentissage, c’est « pour de rire ».  En 2021, une synthèse de Gregory Bryant et Sasha Winkler, des chercheurs en bioacoustique de l’université de Californie, a d’ailleurs montré que ce type de vocalisations était présent chez près de 70 espèces animales dont les vaches, les renards, les phoques, et certains oiseaux. Les rats, quant à eux, émettent des ultrasons quand on les chatouille et poursuivent même le doigt de l’expérimentateur tant ils aiment cela !

>  Quand on chatouille un rat… / National Geographic (vidéo) :

Nous aurions ce rire primitif, synonyme de jeu, en commun avec les animaux ?

Lorsqu’il est spontané, exactement. Un autre papier illustre très bien ce point. La biologiste britannique, Marina Davila-Ross, montre que les muscles engagés dans les expressions faciales de jeu chez différentes espèces animales s’activent pareillement chez l’enfant. Il s’agit de sourire en étirant la bouche, en ouvrant la mâchoire, en retroussant les lèvres de sorte à découvrir les dents. Certaines espèces étudiées nous sont plutôt proches, comme les chimpanzés et les bonobos, mais d’autres bien plus éloignées comme l’ours et le lion. Nous sourions donc de la même manière.

Le sourire précède le rire. En effet, il est difficile de rire sans sourire. Essayez, cela devient très bizarre ! Le sourire et son prolongement, le rire, auraient évolué tout en continuant de porter comme message positif chez les humains : « je m’amuse, rejoins-moi ». Ce sont des signes d’affiliation qui témoignent de notre proximité. En théorie, vous ne souriez pas à quelqu’un si vous ne l’appréciez pas. Le rire humain est toutefois bien plus subtil, car si nous l’utilisons dans notre communication verbale quotidienne, il contient de nombreuses autres intentions.

L’Homme est la seule espèce capable de rire volontairement. Pour plaisanter pour atténuer une douleur, pour séduire entre autres. Ou il rit spontanément, franchement. Comment faites-vous la différence au laboratoire ?

En étudiant les signatures acoustiques des sons et leur perception par les auditeurs. À l’ENES, nous possédons une base de données regroupant plusieurs types de vocalisations non verbales dont des pleurs, des gémissements, des grognements, des cris et des rires. Grâce à leur analyse, nous associons certains paramètres tels que la hauteur du son, la durée et la dureté acoustique, avec l’émetteur qui en est à l’origine. Qualifier son état émotionnel dans le contexte de vocalisation. Évaluer comment la résonance de la voix est déterminée par le canal vocal de l’individu, et définir alors sa taille. Le rire humain volontaire est grave et lent. Le rire spontané se rapproche de celui des grands singes, il est plus aigu et rapide. L’imagerie cérébrale montre que les zones activées sont également différentes : celles associées au langage dans le premier cas et au système limbique, soit le cerveau émotionnel, dans le deuxième cas. Durant une conversation, nous pouvons alterner entre ces deux rires inconsciemment.

Phoque couché qui rit.

Des vocalisations de rire ont été identifiées chez les phoques. / ©Donna Nook_ Flickr

En outre, leurs différences sont perceptibles à l’oreille, du moins pour les auditeurs avertis. Lorsqu’on invite des volontaires à écouter des vocalisations, la majorité d’entre eux identifie si le rire est vrai ou joué, et si les personnes qui rient sont amies ou étrangères. Les technologies actuelles nous permettent de manipuler les vocalisations de sorte à en modifier légèrement la forme. C’est intéressant ! Car cela permet de valider les hypothèses que nous faisons sur le rôle d’une vocalisation non verbale, lors d’expériences de playback.

Nous avons montré par exemple que dans un contexte social agonistique, soit lorsqu’il se sent en compétition et menacé, l’humain module sa voix de sorte à produire une sorte de grognement qui évoque celui d’un animal se préparant au combat. Le signal sonore devient plus grave et « rude », l’information transmise correspond à une agression. Si l’on reproduit artificiellement cette rudesse, un gémissement est perçu de façon plus négative qu’il ne devrait, même celui associé au plaisir sexuel ! C’est le cas aussi pour le rire.
En manipulant expérimentalement les paramètres acoustiques de vocalisations, nous testons directement nos prédictions concernant les fonctions sociales évoluées de ces sons non verbaux.

Rire ensemble signifie que nous faisons partie du même clan. Rire faussement peut-il aider à s’intégrer à un groupe social ou culturel différent ?

Clown grimé avec un masque qui représente une boucje qui rit.

Certains savent imiter le rire. / ©PxHere

Cela peut fonctionner. Et dans ce registre, il existe d’excellents faussaires. Les animaux sont encore une fois de précieux enseignants sur la question ! Ils sont capables en effet de tromper autrui avec leurs vocalisations. Chez beaucoup d’espèces, les mâles vocalisent de façon plus grave que la normale pour paraître plus imposants et duper un prédateur. Leur anatomie vocale leur permet cette plasticité. Côté reproduction, c’est la même stratégie : prendre une plus grosse voix pour séduire les femelles, car celles-ci préfèrent les dominants. D’un point de vue évolutif, rire faussement présente donc des bénéfices.

Bien sûr, l’évolution fonctionne dans l’autre sens. Pour se protéger, les animaux sont équipés afin de détecter les simulateurs et pouvoir les éviter. L’homme a suivi la même trajectoire. Lorsque quelqu’un fait une plaisanterie que l’on ne comprend pas, car on n’a pas les mêmes codes, il est toujours possible de faire semblant. De rire au moment où l’hilarité se déclenche. Rire faussement occasionnerait un bénéfice social. Mais c’est un jeu où certains se surpassent et d’autres pas. C’est selon… !

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