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VVerre ou cristal ? Quand le métal se joue du désordre | Un article Pop’Sciences

5000 ans d’histoire. On pourrait croire qu’on sait tout de lui, c’est loin d’être le cas. Le verre continue d’étonner les scientifiques par ses propriétés remarquables. À l’occasion de l’Année internationale du verre, Beatrice Ruta, chercheuse CNRS, évoque pour nous les verres faits de métal et leur capacité si singulière à s’écouler.

Un article de Caroline Depecker, journaliste scientifique
pour Pop’Sciences – 29 août 2022

La légende voudrait que les vitraux soient plus épais à la base à cause de l’écoulement du verre au fil des siècles. Ici, un vitrail représentant l’Annonciation, à la cathédrale Notre-Dame (Bourges, 1451). / © Creative Commons

Notre-Dame de Paris, mais aussi Bourges, Chartres, Reims… Pays de cathédrales, la France totalise la plus grande surface de vitraux au monde : soit 90 000 m2, selon l’Institut national des métiers d’art. Une légende voudrait que les vitraux soient plus épais à leur base à cause de l’écoulement du verre au fil des siècles. Plus prosaïquement, les vitraillistes médiévaux ne savaient pas fabriquer de vitres planes : celles-ci étaient inégalement épaisses dès leur origine. Pour autant, l’histoire s’inspire d’un phénomène physique bien réel. En effet, le verre est un matériau qui, même froid, s’écoule de façon extrêmement lente. L’étude de ce phénomène est au cœur des recherches de Beatrice Ruta, chargée de recherche CNRS, physicienne à l’Institut Lumière Matière de Lyon (ILM – CNRS, Université Claude Bernard Lyon 1).

Pour le maître-verrier, le verre est un matériau, en général transparent, renfermant plus de 60% de silice [voir encadré ci-dessous] et qui peut être façonné à souhait en le soufflant. Pour le scientifique, le terme de verre renvoie à l’état particulier d’un solide dont la structure intime ne présente pas d’arrangements réguliers comme c’est le cas dans un cristal. L’organisation des atomes ressemble à celle désordonnée d’un liquide. « Il existe des verres de toutes sortes, commente Béatrice Ruta. A base de silicates bien sûr, et de minéraux. Les verres de polymères sont très courants, ceux fabriqués à partir de métaux beaucoup moins. Ils constituent l’objet de mes recherches ».

Pareil à un cristal, un verre présente un ordre apparent à petite échelle qu’il perd à grande distance / ©Lucy Reading-Ikkanda – Quanta Magazine

La physicienne dispose sur son bureau quelques échantillons contenant des verres métalliques. Stockées pêle-mêle dans leur emballage plastique, l’apparente simplicité des paillettes argentées rend peu compte du potentiel technologique des matériaux. Découverts dans les années 1960, les verres métalliques possèdent en  effet des propriétés très avantageuses en comparaison de leurs homologues cristallins : résistance à la corrosion, ferromagnétisme exceptionnellement doux, élasticité très élevée, biocompatibilité. Encore onéreux à produire, ils trouvent des débouchés commerciaux surtout pour des applications de miniaturisation : dans le biomédical, l’horlogerie ou encore la microélectronique.

Bien que prometteuse, l’utilisation des verres métalliques est limitée par leur vieillissement, qui altère leurs qualités.

« Comme tous les verres, ces solides sont produits dans un état dit métastable, explique Beatrice Ruta. Avec le temps, et même si on ne peut pas l’observer directement, les atomes changent de position invariablement et les propriétés du matériau s’en trouvent modifiées ».

Alors que la structure du verre semble se détendre, les scientifiques évoquent le terme de « relaxation structurelle » pour décrire ce réarrangement atomique. Comprendre les mécanismes qui le gouvernent permettrait d’anticiper l’évolution naturelle des matériaux.

Pour l’analyse, chaque paillette de verre métallique mesure moins d’un millimètre d’épaisseur. / ©C. Depecker

Les verres métalliques sont obtenus classiquement par technique de trempe. Mais au lieu de silice, c’est un mélange en fusion contenant 3 à 5 métaux différents qui est refroidi brutalement de sorte à « figer » le liquide, avant qu’il ne puisse cristalliser. Pour ce faire, la vitesse de refroidissement de l’alliage métallique est de quelque 1000 degrés par milliseconde. Ce qui se passe à l’échelle atomique, lors de cet engourdissement généralisé de la matière, reste mystérieux pour les chercheurs.
À l’appui d’expériences, des simulations informatiques ont livré des informations surprenantes. Lorsqu’un verre fondu refroidit, ses atomes ralentissent, mais pas uniformément. Certaines zones se figent d’abord, tandis que dans d’autres régions, les atomes continuent à se déplacer de façon fluide. Rien ne vient distinguer les zones à mobilités différentes. Et aucune théorie sur la transition vitreuse n’existe à ce jour qui permettrait d’expliquer ce phénomène de façon satisfaisante, en l’intégrant à toutes les autres bizarreries déjà observées.

Autre exemple. À l’approche de la vitrification, la viscosité, qui traduit la résistance d’un fluide aux changements de forme, devient extrêmement grande. Elle atteint alors une valeur 10 milliards de fois supérieure à celle du métal liquide. « Comment expliquer cette augmentation soudaine ? La question est fascinante ! » s’exclame Beatrice Ruta. Et la chercheuse du CNRS, d’expliquer que la façon dont évolue la viscosité équivaut en quelque sorte à la « signature » du matériau. Elle qualifie son état final et dépend de ses conditions de formation.

Depuis qu’elle a finalisé son doctorat, il y a 12 ans, la scientifique utilise le rayonnement synchrotron de l’ESRF (European Synchrotron Radiation Facility) de Grenoble pour mener à bien ses études. L’infrastructure de recherche a été récemment modernisée et dispose, depuis 2020, du rayonnement électromagnétique le plus puissant au monde. Le faisceau de rayons X produit, mille milliards de fois plus intense que celui issu des dispositifs classiques, est projeté sur des cibles à analyser. Il est capable de sonder la matière à l’échelle de l’angström (soit 1 dixième de milliardième de mètre) et, ce en temps réel. L’utilisation de ce rayonnement est une des rares techniques qui permet aux physiciens de qualifier les mouvements des atomes au sein d’un verre lorsque son état liquide est, à l’image de l’écoulement du miel, extrêmement visqueux.

Dispositif d’analyse situé en bout d’une des lignes de lumière de l’ESRF. / ©B. Ruta

« Il y a dix ans, nos expériences ont livré un résultat inattendu, raconte Beatrice Ruta. Nous avons montré que lors de la vitrification, les atomes d’un verre métallique adoptent un mouvement de type balistique », ce que ne prévoyait aucune des lois en cours.

Normalement désordonnés, les mouvements des atomes semblent se coordonner : les billes de matière se retrouvent tout à coup projetées au sein du matériau comme les balles d’un champ de tir. L’ordre atomique se modifie à courte distance ; d’infimes changements de structure apparaissent. « Pour apporter une explication à ces observations, nous nous sommes inspirés de champs disciplinaires voisins au nôtre, se rapportant à la matière molle », complète la chercheuse. Venant valoriser l’excellence de ses premiers travaux, une médaille de bronze lui a été décernée par le CNRS en 2020. Dans la continuité, elle s’est vu attribuée un financement de recherche par le Conseil européen (bourse ERC starting Grant) pour continuer ses études sur la dynamique microscopique des verres.

En soumettant ses échantillons métalliques à diverses contraintes de température et de pression, Beatrice Ruta s’ingénie à comprendre dans quelle mesure le verre garde en mémoire les stress subis. Avec à la clé, la possibilité de décrire comment ces matériaux vieillissent.

« Car les performances d’un verre, et donc son utilisation potentielle, sont le fruit d’une histoire, celle de tous les événements qu’il a vécus, commente-t-elle. En comprenant comment les propriétés des verres sont altérées avec le temps, on pourrait prévoir, a contrario, les conditions qui leur conféraient la plus grande stabilité ».

Parmi les points d’attention de la chercheuse : la fragilité à la rupture des verres métalliques lors de leur usage répété. Un écueil rencontré par la firme américaine Vitreloy lors de la commercialisation de clubs de golf dans les années 1990.

Contribuer à étoffer des modèles théoriques encore largement incomplets n’est pas le seul attendu du type de recherche menée par Beatrice Ruta. De meilleures connaissances sur les verres pourraient étonnamment intéresser l’industrie pharmaceutique. Modifier la conception de médicament en leur conférant une structure vitreuse et non cristalline serait un moyen, par exemple, d’en améliorer la diffusion dans le corps de patients et, ainsi, de limiter le recours à des solutions injectables.

Beatrice Ruta pose devant les lignes de lumière de l’ESRF, qui en totalise 42 disséminées le long de l’anneau. / © C. Depecker

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Encart

         Le verre, un matériau qui se renouvelle depuis 5000 ans

Le verre de silice – ou « verre », puisque l’usage courant réduit l’appellation au premier terme – existe à l’état naturel. Il constitue le squelette externe des diatomées, de minuscules algues unicellulaires, et se trouve dans plusieurs roches volcaniques. Sous forme d’obsidienne, l’Homme l’a utilisé pour la première fois, il y a 100 000 ans, pour confectionner des outils, des armes coupantes et des bijoux. Les premiers verres synthétiques ont été fabriqués en Mésopotamie, en Syrie et en Égypte dès 3000 av. J.-C. Il s’agissait de verres de surfaces opaques, appelés glaçures, recouvrant des poteries.

La composition d’un verre comprend : pour majorité le vitrifiant, à base de silice SiO2 (il forme le squelette atomique du verre, 60% à 70% de la masse environ), un fondant dont le rôle est d’abaisser la température de fusion du mélange (de la soude Na2O, de l’oxyde de potassium K2O ou de magnésium MgO), un stabilisant (tel que la chaux CaO) qui modifie légèrement la qualité et parfois un colorant en très faible proportion (un oxyde métallique tel que l’oxyde de cuivre CuO qui donne une teinte verte).

Creux, plat, feuilleté, hydrophobe, soufflé, moulé, étiré… Les aspects du verre se sont multipliés au cours de sa longue histoire, alors que ses procédés de mise en forme se sont sophistiqués. Omniprésent au fil des siècles, le verre est encore aujourd’hui utilisé dans tous les secteurs d’activité, économiques et artistiques. Une de ses applications emblématiques, marque de son modernisme, réside dans la production de fibres optiques : des objets qui servent aussi bien à propager l’information à grande vitesse à l’autre bout du monde, qu’à mesurer la pollution en milieu aquatique ou à surveiller l’apparition de lésions cellulaires en cas de suspicion de cancer.

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