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Podcast « Zootopique » | The Conversation

PPodcast « Zootopique » | The Conversation

« Zootopique » est une série de podcasts réalisés en partenariat avec l’Anses (Agence nationale de sécurité sanitaire de l’alimentation, de l’environnement et du travail) qui interroge nos relations avec les animaux au prisme de la santé. Après une première saison portant sur des thèmes aussi variés que le déclin des abeilles ou les maladies portées par les moustiques et les tiques, nous vous proposons une deuxième saison.

Grippe, un virus du passé qui a de l’avenir

Pour ce premier épisode, Béatrice Grasland, chef d’unité virologie, immunologie, parasitologie aviaires et cunicoles à l’Anses et Bruno Lina, directeur du centre national de référence pour les virus des infections respiratoires (ENS de Lyon) font le point sur la grippe, ou plutôt les grippes.

Depuis quand cette maladie existe ? Pourquoi cette maladie touche les humains, mais aussi les animaux ? Pourquoi revient-elle tous les ans ? Doit-on s’attendre à une prochaine pandémie ? Sommes-nous prêts ?

Crédits : Conception : Anses et The Conversation France. Réalisation : Moustic Studio. Animation : Benoît Tonson.The Conversation

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La résistance aux antibiotiques, une pandémie silencieuse

Pour ce troisième épisode, Jean-Yves Madec, directeur scientifique de l’axe antibiorésistance de l’Anses et Claire Harpet, anthropologue de la santé, ingénieur recherche à l’Université Jean-Moulin Lyon 3 nous éclairent sur un phénomène inquiétant : l’antibiorésistance. C’est le phénomène qui décrit la résistance des bactéries aux antibiotiques. En faisant reculer de nombreuses maladies bactériennes, les antibiotiques ont transformé les médecines humaine et animale. Mais leur utilisation s’est accompagnée de l’émergence de souches résistantes qui menacent aujourd’hui notre santé. Selon l’OMS, l’antibiorésistance sera à l’origine de 10 millions de morts par an dans le monde, à l’horizon 2050.

Demain, pourrons-nous toujours nous soigner ? Des infections banales pourront-elles devenir de graves menaces ? Est-il possible de lutter contre ce phénomène ?

Retrouvez notre entretien avec Claire Harpet dans le dossier Pop’Sciences – CNRS : « Résistance aux traitements :

« L’antibiorésistance est une conséquence du rapport dévoyé qu’entretient notre espèce avec le reste du vivant »

Crédits : Conception : Anses et The Conversation France. Réalisation : Moustic Studio. Animation : Benoît Tonson.The Conversation


 

Cet article est republié à partir de The Conversation sous licence Creative Commons.

>> Retrouvez tous les épisode de Zootopique sur :

THE CONVERSATION

Amandine Chauviat, doctorante en écologie microbienne | Visages de la science

AAmandine Chauviat, doctorante en écologie microbienne | Visages de la science

Dans le cadre de son dossier sur l’antibiorésistance, Pop’Sciences vous emmène dans le laboratoire d’écologie microbienne à l’Université Claude Bernard Lyon 1. C’est ici que nous rencontrons Amandine Chauviat, doctorante, avec laquelle nous avons enregistré un podcast à propos de son expérience en thèse au laboratoire d’écologie microbienne.

 

Pour commencer, pourriez-vous vous présenter ?

Je m’appelle Amandine Chauviat, j’ai 27 ans et je suis en troisième année de thèse au laboratoire d’écologie microbienne (Université Claude Bernard Lyon 1), au sein de l’équipe Bacterial Efflux and Environnemental Resistance (BEER). Dans notre équipe, nous nous intéressons aux facteurs environnementaux qui favorisent l’émergence de résistance aux antibiotiques.

 

Quel a été votre parcours universitaire ?

Après avoir obtenu mon bac Scientifique en France, je suis parti à l’étranger. J’avais envie d’une expérience à l’étranger, donc j’ai suivi une licence d’immunologie et de microbiologie à l’université de Montréal au Canada. C’était de la microbiologie très orientée sur le domaine médical. Ensuite, je suis revenue en France pour suivre un master de microbiologie, beaucoup plus porté sur le pendant écologique, m’apportant de nouvelles notions que je n’avais pas. J’ai donc fait un M2 MAABE (Microbiologie Appliquée à l’Agroalimentaire, au Biomédical et à l’Environnement), un parcours de microbiologie appliquée pour s’insérer en entreprise.

À cette époque, sans jamais n’avoir fermé la porte à l’idée de faire une thèse, ce n’était pas forcément mon objectif et j’avais envie de voir ce qu’il se passait en entreprise au niveau de la recherche. C’est mon stage de Master 2, en collaboration avec une entreprise cosmétique et le laboratoire dans lequel je suis actuellement, qui a révélé que j’étais faite pour la recherche académique. Au laboratoire, j’ai rencontré une équipe avec qui je m’entendais très bien et avec qui il y avait une forte émulation scientifique. J’ai donc reconsidéré mon envie de faire une thèse. Pour moi, c’était vraiment un besoin d’aller au bout de quelque chose.

Or, ma date de diplomation de master ne me permettait pas de présenter le concours de la bourse doctorale la même année. Le laboratoire m’a donc proposé un CDD d’un an sur un projet de recherche, en qualité d’assistante ingénieure. Ce contrat m’a notamment permis de préparer le concours pour obtenir une bourse de thèse.

Cette bourse doctorale vous a donc permis d’intégrer un laboratoire. Est-ce que vous pouvez nous en dire plus sur cette structure ainsi que sur vos directeurs et directrices de thèse ?

Je suis employée par l’université Claude Bernard Lyon 1, au sein du laboratoire d’écologie microbienne et j’ai deux directeurs de thèse. Sabine Favre-Bonté qui a une formation de microbiologie clinique, avec tout un volet antibiorésistance et qui a ensuite évolué sur des problématiques liées à l’écologie. Sabine est également responsable du parcours MAABE à l’université Claude Bernard.

Mon deuxième co-directeur est Thibaut Meyer, un jeune maître de conférences qui se penche plus sur des questions d’interactions plantes/bactéries et qui travaille aussi sur l’identification de métabolites secondaires. Mes deux directeurs de thèse se combinent donc très bien par rapport à ma thématique de thèse.

 

Comment s’est fait cette rencontre avec vos directeurs de thèse ?

Sabine est la responsable du Master 2 que j’ai suivi, je l’ai donc connue via le master. J’ai eu l’opportunité lors de mon stage de M2 de collaborer avec son équipe de recherche. Ce n’était pas elle qui m’encadrait mais Sylvie Nazaret, qui dirige aujourd’hui ce laboratoire. Thibaut Meyer, pour sa part, a été recruté au tout début de ma thèse, puis a été rattaché à mon sujet de thèse et a très naturellement pris sa place de co-directeur.

 

Pourriez-vous nous résumer votre sujet de thèse ?

Je travaille sur un mécanisme de résistance aux antibiotiques : les pompes à efflux, de petites pompes présentes sur la membrane des bactéries. Ces pompes ont la capacité de rejeter des composés à l’extérieur de la bactérie, dont les antibiotiques. On retrouve dans l’environnement des bactéries qui possèdent ce système de rejet activé et qui sont donc naturellement résistantes aux antibiotiques.

La question qui se pose c’est : quelles sont les conditions et les molécules qui vont induire le fonctionnement des pompes à efflux ? Parce que l’on sait qu’il y a des antibiotiques dans la nature, mais en concentrations trop faibles pour expliquer à elles seules cette résistance aux antibiotiques dans l’environnement.

Moi je travail sur un contexte environnementale bien particulier puisque mon sujet porte sur l’interaction entre les bactéries et les amibes libres. Les amibes sont des protozoaires, des organismes unicellulaires qui vont manger les bactéries. Mais la bactérie sur laquelle je travaille est capable de résister à la phagocytose (le fait d’être absorbée par une amibe) et de se multiplier à l’intérieur des amibes. Les amibes constitueraient donc une niche à l’origine de l’émergence et de la dissémination de l’antibiorésistance. J’essaye d’identifier quelles sont les molécules qui, dans l’interaction avec les amibes, induisent l’expression des pompes à efflux.

Retrouvez l’article d’Amandine Chauviat à propos de son sujet de thèse :

La résistance aux antibiotiques : une problématique environnementale ?

 

Aujourd’hui nous nous intéressons particulièrement à votre expérience en tant que doctorante. Pourriez-vous nous expliquer ce que c’est qu’être doctorante et à quoi ressemblent les journées d’une étudiante en thèse ?

Ce que j’adore c’est qu’il n’y a pas de journée type ! Toutes les journées sont différentes, nous sommes challengés au quotidien, et c’est vraiment quelque chose que j’apprécie et dont j’ai besoin. Les journées sont rythmées par une partie d’expérimentation, l’analyse des résultats et l’interprétation. Selon ce que l’on obtient comme résultats, il faut ensuite recréer de nouvelles expériences, et ce en collaboration très étroite avec mes directeurs de thèses avec qui j’échange énormément. Cette émulation scientifique et le fait de mener mon projet de recherche, c’est ce qui me plait dans ce travail de doctorante. Ensuite j’ai également des activités complémentaires d’enseignements que j’apprécie énormément. Transmettre mes connaissances et être en contact avec les étudiants a été une vraie découverte lors de ma thèse, et ça me motive quotidien.

 

Et qu’est-ce que vous enseignez ?

J’enseigne aux niveaux licences pro, L2 ou L3 en biologie, des TP ou TD qui sont liés à la microbiologie et à l’écologie microbienne.

 

En plus des cours que vous dispensez, avez-vous d’autres activités en dehors de votre thèse ? Vous avez par exemple participé à la rédaction d’un article scientifique en 2021 sur les risques microbiens dans l’industrie cosmétique ?

Cet article est lié à mon stage de M2, un projet qui s’est poursuivi lors de mon CDD avant que je passe le concours. Mais en dehors de mes activités de recherche au sein du laboratoire j’ai été représentante des doctorants pendant une année. Le but était de représenter la voix des doctorants au conseil d’unité et de proposer des suivis du bien être étudiant au sein du laboratoire. J’ai aussi été co-responsable de l’animation scientifique au sein du laboratoire, j’ai proposé des présentations scientifiques, organisé des rencontres avec d’anciens doctorants pour que les doctorants actuels puissent entrevoir les poursuites après thèses.

Je suis assez active à ce niveau-là et grâce à Pop’Sciences j’ai mis le pied dans la vulgarisation scientifique et ça me plait énormément. J’aime beaucoup échanger et transmettre, notamment avec de personnes qui ne font pas forcément parti du monde de la science, des personnes qui n’ont pas la possibilité d’y avoir accès facilement. Je pense que c’est important que tout le monde puisse avoir accès aux connaissances scientifiques, même sur des sujets pointus et complexes.

 

En parlant de l’après thèse, qu’envisagez-vous à l’heure actuelle ?

J’aimerais beaucoup rester dans la recherche académique. J’aime cette liberté de pouvoir mener des projets de recherche. C’est quelque chose qui s’est révélé à moi pendant mon doctorat, donc idéalement, je souhaite partir sur un post-doctorat à l’étranger pour ensuite passer les concours en France afin d’accéder à un poste de maître de conférences. L’enseignement c’est un volet que je ne souhaite pas mettre de côté, j’aime cette balance entre la recherche et l’enseignement.

 

Justement pourriez-vous nous rappeler ce que c’est qu’un post-doctorat ?

Un « post-doc » c’est un contrat de recherche d’un à trois ans, faisant suite au doctorat. Sur un projet de recherche, ces contrats permettent de prendre un peu d’expérience pour ensuite présenter des concours pour accéder à des postes en CDI de la fonction publique.

 

Et vous déjà des pistes, des envies, pour votre futur post-doc ? D’ailleurs, combien de temps vous reste-t-il avant de soutenir votre thèse ?

Normalement je dois soutenir avant décembre 2023, donc l’échéance est proche, elle arrive ! Au niveau des pistes, je suis très attirée par les pays d’Europe du nord, comme le Danemark, la Finlande, la Suède, plus par des attraits culturels de découvrir ces pays. J’ai déjà commencé à identifier des laboratoires qui pourraient m’intéresser, donc le but maintenant c’est de regarder les offres à venir pour terminer mon doctorat.

Pour terminer, que conseilleriez-vous aux aspirantes et aspirants doctorants ?

D’une part, je pense qu’avant de se lancer dans une thèse il faut bien réfléchir sur ce qu’un doctorat peut apporter en plus. Dans le public ou le privé, il faut regarder à quels postes cela permet d’accéder. Beaucoup d’étudiants en master désirent naturellement poursuivre en doctorat sans forcément réfléchir à ce que cela pourrait leur apporter en plus.

Le conseil que j’aurais à donner pour celles et ceux qui se dirigent vers une thèse, c’est de trouver une équipe dans laquelle on se sent bien. Ce sont trois années qui peuvent être difficiles, avec beaucoup de haut et de bas, et lorsqu’on a le soutien de ses directeurs de thèse et de son équipe, ça change tout ! La thèse se passe totalement différemment. Pour ceux qui le veulent vraiment et qui sont sûrs de faire un doctorat, je conseillerais de ne rien lâcher. Il y a plein de types de financements différents. Si c’est vraiment ce qu’ils veulent, ils finiront par trouver leur place quelque part. Ne pas perdre espoir, suivre les offres et postuler.

 

Auriez-vous une dernière anecdote, un souvenir à nous partager ?

Lorsqu’on apprend que l’on a eu la bourse de thèse, c’est une grande fierté ! Et quand les articles sont acceptés pour publication ce sont aussi de grands moments de joies que l’on célèbre. Et tous les moments du quotidien qui font que l’on est heureux de venir au travail le matin. Nous avons des pauses café, des pauses le midi où nous échangeons beaucoup, beaucoup d’émulation scientifique. Toutes les rencontres que l’on peut faire au travers du doctorat et de stages à l’étranger, on rencontre pleins de personnes qui travaillent sur pleins de thématiques différentes. Énormément de souvenirs !

PPour aller plus loin

Résistance aux médicaments : la recherche en quête de solutions, un dossier Pop’Sciences – CNRS – 23 mai 2023.

Résistances aux traitements : la recherche en quête de solutions | Un dossier Pop’Sciences et CNRS

RRésistances aux traitements : la recherche en quête de solutions | Un dossier Pop’Sciences et CNRS

En dépit des considérables avancées du domaine biomédical, les bactéries résistent et persistent à déjouer les méthodes thérapeutiques les plus avancées. Si la communauté scientifique continue d’étudier les mécanismes biochimiques de cette antibiorésistance, le champ de la recherche s’étend également aux sciences humaines et sociales et notamment à l’étude des conditions socio-écologiques dans lesquelles elle se développe. Une approche systémique qui ouvre la voie à de nouvelles stratégies thérapeutiques ainsi qu’à une meilleure  prévention.

En partenariat avec le CNRS, Pop’Sciences vous propose un tour d’horizon pluridisciplinaire des recherches qui participent à endiguer la crise sanitaire mondiale de l’antibiorésistance.

L’art de résister

Tous les micro-organismes sont dotés d’une capacité intrinsèque à naturellement s’adapter à leur environnement. Cette fonctionnalité permet aux plus virulents d’entre eux d’infecter massivement les populations humaines, et les nombreuses pandémies qui jalonnent notre histoire en sont les sombres témoignages. Les 25 millions de morts de la peste noire du 16e siècle, ou encore les 40 à 50 millions de personnes que la grippe espagnole a emportées à la fin de la Première Guerre mondiale, comptent parmi les nombreuses victimes de cet « art de résister » des bactéries et des virus.

Le premier antibiotique, la Pénicilline G,  a été découvert à la fin des années 1920 par Alexander Fleming, révolutionnant durablement la médecine et permettant de sauver de nombreuses vies grâce à leur capacité à inhiber la croissance des bactéries ou à les détruire. Dès le départ, cependant, le biologiste écossais  avertissait que les micro-organismes s’adapteraient inévitablement à ce type de molécules si elles étaient utilisées de façon inappropriée : « cela aboutirait à ce que, au lieu d’éliminer l’infection, on apprenne aux microbes à résister à la pénicilline et à ce que ces microbes soient transmis d’un individu à l’autre, jusqu’à ce qu’ils en atteignent un chez qui ils provoqueraient une pneumonie ou une septicémie que la pénicilline ne pourrait guérir. »

Il ne pensait sans doute pas si bien dire, puisque dès les années 1940, les premières bactéries résistantes à ces traitements novateurs étaient identifiées. L’antibiorésistance était alors déjà née, fruit de la fulgurante capacité d’adaptation des bactéries aux stress extérieurs et de la sélection progressive des plus résistantes d’entre elles. Ce phénomène a été en grande partie dopé par l’utilisation excessive et préventive d’antibiotiques chez les humains et les animaux d’élevages intensifs.

Au fil des années, l’antibiorésistance s’est ainsi propagée de façon continue dans le monde entier, au point que certaines bactéries développent désormais des résistances simultanées à différentes familles d’antibiotiques.

Une crise mondiale à bas bruit

L’Organisation mondiale de la santé (OMS) a lancé en 2015 un système mondial de surveillance de la résistance et de l’utilisation des antimicrobiens (GLASS), qui vise à standardiser la collecte et l’analyse des données épidémiologiques à l’échelle du globe. Le dernier rapport qui a été publié dans ce contexte, concerne près des 3⁄4 de la population mondiale et fait apparaître des niveaux de résistance à certains antibiotiques supérieurs à 50 % pour des bactéries telles que Klebsiella pneumoniae (entérobactérie qui peut provoquer pneumonies, septicémies, ou des infections urinaires), ou encore Neisseria gonorrhoeae (une maladie sexuellement transmissible courante).

© Morgane Velten / Cliquez sur l’illustration pour l’agrandir.

En dépit de campagnes de prévention massives (qui ne se souvient pas du martèlement « Les antibiotiques, c’est pas automatique » ?), ou d’autres mesures plus drastiques comme la récente interdiction européenne des usages préventifs en élevage, la résistance aux antibiotiques gagne irrémédiablement en vigueur.

Des infections bactériennes courantes deviennent de plus en plus difficiles à soigner, comme c’est le cas pour la tuberculose ou la salmonellose. Les traitements nécessitent alors des doses plus élevées sur une durée plus longue, ce qui augmente les risques d’effets secondaires chez les personnes malades. Préoccupée, l’OMS prévient que sans mesures d’urgence, « nous entrerons bientôt dans une ère post-antibiotique dans laquelle des infections courantes et de petites blessures seront à nouveau mortelles ».

En plus d’être inquiétante l’antibiorésistance est, en outre, une menace silencieuse et invisible. Elle implique en effet des pathogènes microscopiques – les bactéries – qui s’adaptent aux traitements avec autant de vélocité que de discrétion. La crise sanitaire qui en résulte est également plus difficile à concevoir et à identifier que pour une épidémie « classique » comme la Covid-19. Pourtant, en l’absence d’une inversion de tendance, l’antibiorésistance pourrait être associée aux décès de plus de 10 millions de personnes par an d’ici 2050 (OMS). C’est davantage que le nombre de décès causés par le cancer.

À menace globale, réponse globale

Pour être combattue, l’antibiorésistance exige désormais un investissement de l’ensemble des champs scientifiques ainsi qu’une approche systémique et combinée de la santé humaine, animale et environnementale.

Si les chimistes et les biologistes travaillent toujours d’arrache-pied à décrypter les mécanismes internes de résistance des bactéries et adapter les traitements en conséquence, il convient d’associer ces recherches avec celles menées en sciences humaines et sociales. L’antibiorésistance est un phénomène complexe qui, pour être combattu, requiert d’étudier simultanément les contextes microbiologiques, environnementaux, sociaux et écologiques dans lesquels il se développe.

C’est en adoptant une posture holistique, et en combinant les approches fondamentales, cliniques et sociales, que les scientifiques ouvrent la voie à des stratégies de prévention plus efficaces, des traitements mieux ciblés et de nouvelles thérapies. C’est également l’occasion de repenser  notre rapport aux soins et plus largement notre vision de la santé, à la lumière de l’approche intégrée “One Health” (Une seule santé).

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[1] Le niveau de résistance aux antibiotiques d’une bactérie est mesuré (en %) par un test de sensibilité : l’antibiogramme. Il consiste à exposer la bactérie à différents antibiotiques à des concentrations différentes pour déterminer la concentration minimale inhibitrice (CMI), c’est-à-dire la concentration d’antibiotique qui empêche la croissance de la bactérie.

 

lles RESSOURCES du dossier

Dans ce dossier, nous vous invitons à découvrir les travaux de scientifiques lyonnais, engagés à différents niveaux pour mieux répondre à la crise de l’antibiorésistance.

 

  • #1 : La résistance aux antibiotiques : une problématique environnementale ? Auteure : Amandine ChauviatPublié le 4 janvier 2023
    Comment expliquer que des bactéries, non exposées aux antibiotiques, puissent malgré tout développer des résistances à ces traitements ?

> Lire l’article

Pour aller plus loin :

À l’occasion d’une interview, Amandine Chauviat, doctorante en écologie microbienne, présente son parcours, son sujet de thèse, ses motivations et ses envies…> ÉCOUTER LE PODCAST

  • #2 : Antibiorésistance : comment éviter une crise mondiale ? – Publié le 23 mai 2023
    Si aucune action n’est prise, des millions de décès pourraient, chaque année, être imputés à des maladies causées par des bactéries résistantes aux antibiotiques d’ici 2050. Pour y remédier, des chercheurs ambitionnent de décrypter certains mécanismes de résistance encore énigmatiques, tandis que d’autres préparent le terrain pour de nouvelles stratégies de ciblage de ces médicaments.

> Lire l’article

  • #3 : Un bon en avant vers des médicaments plus performants – Publié le 23 mai 2023 
    Après dix années de travaux, un consortium de chercheurs est en passe de parfaire la compréhension des cibles médicamenteuses, ouvrant la voie à l’amélioration de nombreux traitements.

> Lire l’article

  • #4 : Un espoir pour éradiquer la Brucellose – Publié le 23 mai 2023
    De récentes recherches ont permis d’identifier une série de gènes impliqués dans la propagation de la Brucellose, maladie animale transmissible à l’humain et répandue sur l’ensemble de la planète. L’horizon se dégage pour le développement de traitements plus performants et susceptibles de contourner les mécanismes sophistiqués de défense de la bactérie.

> Lire l’article

  • #5 : Existe-t-il un lien entre la pollution aux métaux lourds et la résistance aux antibiotiques ? – Publié le 23 mai 2023
    Comprendre l’origine et l’évolution de la relation entre les métaux lourds et la résistance aux antibiotiques implique de retourner avant la période industrielle, depuis laquelle des métaux et des antibiotiques sont rejetés dans l’environnement.

> Écouter le podcast

  • #6 : Médicaments, biocides et nappes phréatiquesAuteur : Dir. Communication INSAPublié le 19 janvier 2023
    Jusqu’où peuvent s’infiltrer les molécules pharmaceutiques des médicaments que nous ingérons ? Depuis plusieurs années, les pouvoirs publics et la communauté scientifique s’interrogent sur la présence de résidus de médicaments dans l’eau et, a fortiori, dans les nappes souterraines.

> Lire l’article

  • #7 : « L’antibiorésistance est une conséquence du rapport dévoyé qu’entretient notre espèce avec le reste du vivant » – Publié le 23 mai 2023
    Claire Harpet, anthropologue, étudie les relations qu’entretiennent les sociétés humaines avec le vivant et s’intéresse particulièrement à la résistance aux antibiotiques comme un fait social total.
    > Lire l’interview

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mmerci !

Ce dossier a été réalisé grâce à la collaboration de différents chercheur.e.s en sciences de l’Université de Lyon. Nous les remercions pour le temps qu’ils nous accordé.

  • Ahcène Boumedjel, professeur de chimie organique à la Faculté de Pharmacie de l’Université Grenoble Alpes et membre du Laboratoire des Radiopharmaceutiques Bioclinique (Université Grenoble Alpes, Inserm)
  • Amandine Chauviat, doctorante au laboratoire d’Écologie Microbienne (CNRS, Université Claude Bernard Lyon 1, INRAE)
  • Pierre Falson, directeur de recherche CNRS au laboratoire Microbiologie moléculaire et biochimie structurale (CNRS, Université Claude Bernard Lyon 1)
  • Christophe Greangeasse, directeur du laboratoire Microbiologie moléculaire et biochimie structurale (CNRS, Université Claude Bernard Lyon 1)
  • Claire Harpet, ingénieure de recherche au laboratoire Environnement, Ville et Société (CNRS, ENTPE, Lyon Lumière Lyon 2, Université Jean Moulin Lyon 3 Jean Moulin, ENSAL, ENS de Lyon, Université Jean Monnet)
  • Catherine Larose, chargée de recherche au laboratoire Ampère (CNRS, INSA de Lyon, École Centrale de Lyon, Université Claude Bernard Lyon 1)
  • Cédric Orelle, directeur de recherche CNRS au laboratoire Microbiologie moléculaire et biochimie structurale (CNRS, Université Claude Bernard Lyon 1)
  • Noémie Pernin, doctorante au laboratoire Déchets, Eaux, Environnement, Pollutions (INSA Lyon)
  • Suzana Salcedo, directrice de recherche INSERM au laboratoire Microbiologie moléculaire et biochimie structurale (CNRS, Université Claude Bernard Lyon 1)

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ppour aller plus loin :

La résistance aux antibiotiques : une problématique environnementale ? | #1

LLa résistance aux antibiotiques : une problématique environnementale ? | #1

Ressource #1 du dossier Pop’Sciences – CNRS : « Résistances aux traitements : la recherche en quête de solutions »

La résistance aux antibiotiques [encart] est une préoccupation majeure en santé publique. Si beaucoup de recherches sont conduites dans le domaine clinique, la présence de bactéries résistantes dans l’environnement a étendu leur étude à ce nouveau compartiment. Mais comment expliquer que des bactéries dans l’environnement, non exposées aux antibiotiques, puissent développer ces résistances ?

La résistance aux antibiotiques, une préoccupation environnementale

Santé Publique France a publiée en novembre 2022 un rapport1 alertant sur la consommation trop importante d’antibiotiques en France. Une nouvelle campagne de sensibilisation auprès de la population a donc été mise en place car cette consommation massive et parfois inadaptée des antibiotiques augmente le risque d’émergence de bactéries résistantes. En effet, si l’usage des antibiotiques n’est pas mieux encadré, le traitement des infections bactériennes deviendra de plus en plus difficile en raison d’une réduction de la gamme d’antibiotiques efficaces. Cette escalade pourrait conduire, au pire, à une absence d’antibiotique sur le marché permettant de traiter les infections.

Si combattre les bactéries résistantes est longtemps resté une préoccupation seulement en milieu hospitalier, elle concerne aussi les élevages où les animaux sont parfois traités par des antibiotiques, Depuis quelques années, la compréhension de l’émergence et de la dissémination de ces bactéries résistantes est intégrée à une approche de santé globale qualifiée de One Health (« une seule santé »).  Ce concept, né au début des années 2000, reconnait l’interdépendance de la santé de l’Homme, de la santé de l’animal et de celle de l’environnement.

Concept One Health : les trois cercles représentant la santé de l’homme, de l’animal et de l’environnement sont interconnectés. Des exemples concrets des liens qui relient ces compartiments sont donnés autour / Cliquer sur l’image pour l’agrandir. / @inrae.fr

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

Dans l’environnement, la contamination des eaux et sols aux antibiotiques demeure relativement faible. Cependant et de manière surprenante, de nombreuses bactéries résistantes à plusieurs familles d’antibiotiques ou multi-résistantes y sont retrouvées.

Les pompes à efflux, un mécanisme de résistance généraliste

Nous avons précédemment décrit les différents mécanismes de résistances aux antibiotiques [encart ci-dessous]. Certains de ces mécanismes sont dits spécifiques, car ils ne confèrent une résistance qu’à une seule famille d’antibiotique ; d’autres, plus généralistes, permettent une résistance à plusieurs familles.

Dans l’équipe BEER (Bacterial Efflux and Environmental Resistance) dans laquelle je réalise ma thèse, nous étudions un mécanisme de résistance généraliste particulier : les pompes à efflux. Ces mécanismes sont présents dans les membranes des bactéries et permettent d’expulser à l’extérieur de la cellule bactérienne des molécules toxiques. Une seule pompe peut ainsi prendre en charge une multitude de composés tels que des désinfectants, des antiseptiques et plusieurs familles d’antibiotiques. Cette propriété en font des contributrices majeures dans l’émergence de bactéries multi-résistantes.

Pompe à efflux (violet), présente dans la membrane de la bactérie qui permet d’expulser en-dehors de la cellule bactérienne des composés de natures diverses. / @Amandine Chauviat

Les bactéries environnementales étudiées dans l’équipe sont fortement dotées de ces mécanismes et, même si elles ne sont pas exposées à des antibiotiques, leurs pompes peuvent être activées. C’est notamment le cas de bactéries pathogènes opportunistes2, problématiques en milieu hospitalier, qui sont naturellement présentes dans l’environnement (on parle alors de réservoir environnemental). L’équipe cherche à comprendre quels sont les facteurs environnementaux biotiques et abiotiques3 favorisant l’activation des pompes à efflux et donc l’émergence de résistances aux antibiotiques. Nous nous interrogeons donc sur les facteurs induisant cette activation.

L’interaction amibes-bactéries : générateur de résistances aux antibiotiques ?

Mon sujet de thèse se concentre sur la bactérie Stenotrophomonas maltophilia qui est une bactérie ubiquitaire d’origine environnementale. Elle se retrouve dans les eaux, les sols, les sédiments, en association avec les végétaux, les animaux, les insectes, sur les fruits et légumes, etc. Elle est responsable d’infections nosocomiales et d’infections communautaires (en dehors de l’hôpital), toutes ces infections étant de plus en plus difficiles à traiter en raison de sa multirésistance aux antibiotiques.

Acanthamoeba castellanii observée au ZOE™ Fluorescent Cell Imager. Chaque tache grise est une amibe. / @Amandine Chauviat

Je m’intéresse particulièrement à cette bactérie lorsqu’elle est en interaction dans l’environnement avec l’amibe Acanthamoeba castellanii, qui est un micro-organismes très largement disséminé dans l’environnement (eau, sol, air). L’amibe se nourrit de bactéries par le phénomène de phagocytose. Elle attrape les bactéries grâce à des pseudopodes (sorte de bras) et les ingère dans des vacuoles (équivalent à un petit estomac) pour les digérer. Certaines bactéries, notamment des pathogènes comme S. maltophilia, sont capables de survivre à cette digestion voire de se multiplier à l’intérieur de l’amibe. Les amibes servent ainsi de « véhicule » pour la dissémination de ces bactéries et les protègent de l’environnement extérieur.

De précédents travaux dans l’équipe ont mis en évidence que les pompes à efflux de la bactérie S. maltophilia étaient activées au contact de molécules produites pendant l’interaction amibe-bactérie, ce qui pourrait conduire à l’augmentation de la résistance aux antibiotiques de la bactérie.

C’est donc là que j’interviens en cherchant à (i) identifier les molécules produites au cours de l’interaction amibe – bactérie et (i) à caractériser le rôle des pompes dans la survie à l’intérieur de l’amibe.

Ainsi, si les pompes à efflux sont impliquées dans la survie au sein de l’amibe, ces dernières participeraient également à la dissémination de la résistance aux antibiotiques augmentant ainsi le risque pour l’Homme d’être confronté à des bactéries résistantes.

Un article écrit par Amandine Chauviat, doctorante au Laboratoire d’Écologie Microbienne, Équipe BEER « Bacterial Efflux and Environmental Resistance », Université Claude Bernard Lyon 1 – 4 janvier 2023

> Écouter son interview

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          Encart

         La résistance aux antibiotiques, quésaco ?

La résistance aux antibiotiques correspond à la capacité d’une bactérie à devenir insensible à l’effet d’un antibiotique. Plusieurs mécanismes de résistance existent et confèrent à la bactérie la capacité :

  • à dégrader l’antibiotique (à l’image d’un Pacman qui mangerait les antibiotiques),
  • à empêcher la molécule de rentrer dans la bactérie (comme on porte un imperméable pour se protéger de la pluie)
  • à atteindre sa cible (comme si l’on essayait de faire rentrer un rond dans un triangle avec un jeu d’enfant)
  • à expulser l’antibiotique à l’extérieur de la bactérie (comme une pompe qui éjecterait l’antibiotique).

Face à une bactérie résistante, les traitements antibiotiques deviennent inefficaces pour combattre une infection.

Les différents mécanismes de résistance aux antibiotiques : la cellule bactérienne est représentée en jaune, la boule rouge représente un antibiotique. Les différents mécanismes sont symbolisés et explicités dans le texte avec les numéros. / @Amandine Chauviat

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

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Notes
[1] La France encore trop consommatrice d’antibiotiques, Santé Publique France, 2 nov. 2022.

[2] Bactéries qui ne causent des infections que chez des patients affaiblis ou immunodéprimés mais n’affectent pas les patients en bonne santé. Elles peuvent provoquer des infections diverses telles que des infections urinaires, pulmonaires, des infections du site opératoire, des infections du sang, etc. Ces bactéries sont une préoccupation grandissante en santé  car elles sont de plus en plus résistantes aux antibiotiques.

[3] Facteurs biotiques : facteurs qui sont d’origine biologique, du domaine du vivant (ex : interaction avec d’autres bactéries, des plantes, etc.). Facteurs abiotiques : facteurs qui sont d’origine non biologique, domaine du non-vivant (ex. : présence de métaux lourds, augmentation de la température, etc.)

BBibliographie

Antibiorésistance : comment éviter une crise mondiale ? | #2

AAntibiorésistance : comment éviter une crise mondiale ? | #2

Ressource #2 du dossier Pop’Sciences – CNRS : « Résistances aux traitements : la recherche en quête de solutions »

Si aucune action n’est prise, des millions de décès pourraient, chaque année, être imputés à des maladies causées par des bactéries résistantes aux antibiotiques d’ici 2050. Pour y remédier, des chercheurs ambitionnent de décrypter certains mécanismes de résistance encore énigmatiques, tandis que d’autres préparent le terrain pour de nouvelles stratégies de ciblage de ces médicaments.

Plus silencieuse mais également plus ancienne que la Covid-19, l’antibiorésistance n’en est pas moins une menace majeure pour la santé mondiale. L’efficacité de nombreux traitements antibiotiques est en effet compromise en raison de la capacité croissante des bactéries pathogènes à échapper à ces stratégies thérapeutiques.

Christophe Grangeasse, Directeur de Recherche CNRS au laboratoire Microbiologie Moléculaire et Biochimie Structurale1 (MMSB), exprime son inquiétude en rappelant qu’en 2014, une étude britannique alertait déjà sur l’importance « de découvrir de nouvelles molécules capables d’échapper aux processus d’antibiorésistance, sans quoi le nombre de décès liés aux bactéries pourrait atteindre 10 millions de personnes et dépasserait celui des décès dus aux cancers d’ici 2050 ».

© Samuel Belaud

Le phénomène est d’autant plus alarmant que « contrairement aux cancers qui touchent majoritairement les personnes plus âgées, les infections bactériennes – elles – s’attaquent à l’ensemble de la population et notamment aux enfants » souligne le récent médaillé d’argent du CNRS.

Une pandémie silencieuse

Cédric Orelle, Directeur de Recherche CNRS dans la même unité, tient à rappeler que « les antibiotiques ont, avant toute chose, révolutionné la médecine moderne. Avant les années 1940, la moindre infection pouvait nous être fatale ! » Néanmoins, il relève aussi que depuis, leur utilisation inappropriée et abusive « y compris dans le contexte des élevages industriels a généré de graves problèmes ».

Des générations de bétail ont en effet été exposées à ces molécules, rendant certaines bactéries de plus en plus résistantes et contraignant les éleveurs à recourir à des doses d’antibiotiques encore plus élevées. En outre, près de la moitié des antibiotiques fabriqués à travers le monde sont destinés à l’élevage et ce chiffre grimpe à 80% aux États-Unis. Une surutilisation qui a entraîné la présence de traces résiduelles d’antibiotiques dans l’environnement : des eaux usées, jusque dans nos assiettes.

La recherche en ordre de bataille

« Par ailleurs, commente Cédric Orelle, les rejets de nombreuses autres molécules dans l’environnement (antiseptiques, pesticides, polluants, etc.) ont aussi pu contribuer à la sélection de bactéries résistantes à ces molécules ainsi qu’à certains antibiotiques ». Combinée avec une administration excessive chez l’humain, cette situation a favorisé la prolifération de bactéries résistantes et l’inefficacité d’un nombre croissant de traitements contre certaines infections.

Face à cette menace grandissante, « la recherche scientifique mondiale peine à trouver des molécules avec de nouveaux modes d’action » souligne Christophe Grangeasse. Les avancées les plus récentes en matière de traitements d’infection bactérienne consistent essentiellement en des modifications d’antibiotiques déjà existants. Dès lors, sous l’impulsion de l’Organisation Mondiale de la Santé (OMS) et des agences nationales de recherche, les scientifiques du monde entier se sont récemment remis en ordre de bataille pour trouver de nouvelles stratégies de lutte et prévenir une crise sanitaire mondiale. Un combat qui débute par une étape fondamentale : infiltrer les rangs de l’adversaire pour acquérir une connaissance approfondie de ses mécanismes de fonctionnement.

Infiltrer les rangs ennemis

On sait d’ores et déjà que les cellules bactériennes disposent de plusieurs moyens de défense qu’elles peuvent combiner avec une efficacité redoutable. Cédric Orelle les énumère : « elles peuvent acquérir des mutations sur les gènes codant la cible de l’antibiotique ; freiner l’entrée de l’antibiotique dans la bactérie ; exprimer une protéine qui inactive l’antibiotique ; ou enfin, mon sujet d’étude, utiliser certaines protéines membranaires pour rejeter les antibiotiques hors de la bactérie ».

Mécanismes de résistance des bactéries. / © Samuel Belaud

C’est par une analyse approfondie de tous ces facteurs de résistance que les scientifiques espèrent faire émerger de nouvelles solutions pour les contourner. Une des stratégies consiste à explorer de nouvelles voies de régulation des bactéries. Autrement dit, il s’agit de décrypter les mécanismes qui permettent aux cellules bactériennes de contrôler et d’ajuster leur réponse à différents signaux extérieurs.

Découvrir de nouvelles cibles

« C’est une approche novatrice, souligne Christophe Grangeasse, qui se souvient qu’au début des années 2000, un dogme scientifique prédominant soutenait que les bactéries – contrairement aux cellules eucaryotes* – étaient dépourvues d’un ensemble de protéines régulatrices que l’on appelle des sérine/thréonine protéines kinases (PK) ». Il est maintenant clairement établi que ces PK jouent un rôle central dans la capacité des bactéries à se multiplier et à s’adapter à leur environnement.  « Il s’agit d’une avancée fondamentale, insiste le chercheur, car ces protéines pourraient, à terme, être considérées comme de nouvelles cibles thérapeutiques ».

« En utilisant une approche interdisciplinaire alliant l’imagerie cellulaire, la génétique et la biochimie structurale, poursuit-il, nous nous sommes rendu compte que ces PK exerçaient une influence considérable sur l’intégrité de la cellule bactérienne, et donc sur leur survie ». Les travaux que mènent Christophe Grangeasse et son équipe visent donc à décrypter ces mécanismes de régulation pour, à terme, imaginer des traitements qui puissent directement cibler les PK. Ce nouveau type de médicament affecterait la viabilité de la bactérie et l’empêcherait de s’adapter à son environnement et donc de provoquer une infection.

Les pneumocoques, modèles de résistance

Parmi les bactéries particulièrement concernées par la résistance aux antibiotiques qu’étudie le chercheur, le pneumocoque tient une place de choix. Chaque année, malgré l’existence d’un vaccin et d’antibiotiques efficaces, plus d’1,5 million de personnes meurent des suites des conséquences d’une infection par la bactérie Streptococcus pneumoniae dans le monde. Ce pouvoir infectieux s’explique notamment par un des modes de survie du pneumocoque, qui consiste à “assimiler” de l’ADN exogène (qui peut provenir d’autres organismes) et de manipuler ensuite son propre génome de façon à pouvoir acquérir rapidement des mutations. Celles-ci lui permettent ensuite de résister aux traitements antibiotiques et même d’échapper aux vaccins.

Streptococcus pneumoniae observée en microscopie à contraste de phase (arrière-plan) ; et zoom sur une seule cellule observée en microscopie électronique à balayage / © Christophe Grangeasse

Christophe Grangeasse et son équipe étudient également l’ensemble du cycle cellulaire du pneumocoque, pour dénicher une faille dans son système de résistance. Grâce à leur expertise sur les protéines de régulation PK et à une large panoplie de techniques, ils se penchent par exemple sur un mécanisme qui se déroule lors de l’assemblage de la paroi de Streptococcus pneumoniae. Christophe Grangeasse rappelle que « la synthèse du peptidoglycane (élément essentiel de la structure de cette paroi) fait intervenir de nombreuses protéines parmi lesquelles, les PBP (penicillin-binding proteins). Ces enzymes sont la cible privilégiée d’antibiotiques largement utilisés, comme la pénicilline ». Or, ces PBP sont sujets à des mutations génétiques qui permettent aux bactéries de développer une résistance à ces antibiotiques.

Pour prendre la bactérie à son propre jeu, les chercheurs ont choisi de se concentrer sur des protéines régulatrices des PBP. En changeant de cible, leur ambition est de concevoir des traitements qui permettraient de re-sensibiliser les souches résistantes aux antibiotiques, comme c’est le cas pour la pénicilline.

Déceler de nouveaux points faibles

Un étage au-dessus, Jean-Michel Jault et Cédric Orelle s’intéressent à une autre famille de protéines impliquées dans la résistance aux antibiotiques : les pompes à efflux. « Il s’agît de protéines membranaires capables de reconnaître plusieurs types d’antibiotiques et de les rejeter à l’extérieur des bactéries » expose Cédric Orelle. Leur objectif est donc de comprendre comment ces protéines fonctionnent, et quels sont les facteurs qui leur permettent de reconnaître tant d’antibiotiques différents. Pour ce faire, « nous adoptons une approche à la fois biochimique et structurale, déclare-t-il, qui se manifeste concrètement par le recours à des techniques de pointe, comme la cryomicroscopie électronique. » 

Grâce à un travail collaboratif au sein d’un consortium de plusieurs équipes du MMSB, les chercheurs ont pu accéder à des images détaillées et inédites de la structure et révéler certains mouvements essentiels à l’activité de ces pompes à efflux. « Grâce à ces travaux, nous avons notamment pu obtenir de nouvelles informations sur le mécanisme de transport d’une pompe à efflux, poursuit Cédric Orelle, en mettant à jour ce qui favorise sa capacité à rejeter les antibiotiques et comment la protéine utilise l’énergie nécessaire à son fonctionnement ».

L’objectif est donc de comprendre les points forts et les points faibles de ces pompes à efflux, dans le but de faciliter la conception de traitements qui contournent leurs mécanismes de résistance. Les stratégies envisagées pourraient consister à les empêcher de capter de l’énergie, à bloquer leur mouvement pour qu’elles ne puissent plus expulser les médicaments hors de la bactérie, ou encore à contrarier leur capacité de reconnaissance des antibiotiques.

La bataille est encore longue, mais ces recherches prometteuses menées au laboratoire MMSB sont de nature à envisager sereinement l’avenir. Ces travaux très fondamentaux sont cruciaux pour décrire avec précision les mécanismes de régulation qui pourront être la clé de futurs traitements. Une perspective encourageante dans la lutte contre l’antibiorésistance.

Article rédigé par Samuel Belaud, journaliste scientifique, 23 mai 2023.

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[1] Unité CNRS / Université Claude Bernard Lyon 1

Ces recherches ont été financées en tout ou partie, par l’Agence Nationale de la Recherche (ANR) au titre des projets ANR-BIOTIFLUX et PEGASE -AAPG2019. Cette communication est réalisée et financée dans le cadre de l’appel à projet Sciences Avec et Pour la Société – Culture Scientifique Technique et Industrielle pour les projets JCJC et PPRC des appels à projets génériques 2018-2019 (SAPS-CSTI-JCJ et PRC AAPG 18/19).

Un bond en avant vers des médicaments plus performants | #3

UUn bond en avant vers des médicaments plus performants | #3

Ressource #3 du dossier Pop’Sciences – CNRS : « Résistances aux traitements : la recherche en quête de solutions »

Après dix années de travaux, un consortium de chercheurs est en passe de parfaire la compréhension des cibles médicamenteuses, ouvrant la voie à l’amélioration de nombreux traitements.

Près de 70% des médicaments, qu’ils soient administrés pour traiter une légère infection ou un cancer, ciblent des protéines localisées dans la membrane cellulaire, la zone qui entoure chaque cellule. Il est essentiel de parvenir à bien décrypter et décrire ces protéines membranaires (MPs) pour concevoir ensuite des médicaments qui les atteignent efficacement. Toutefois, cette étape a donné du fil à retordre à des générations de scientifiques, puisqu’elle nécessite d’extraire et d’isoler ces protéines à l’aide de détergents* qui peuvent parfois dégrader leur structure.

Des détergents qui brouillent l’analyse des cibles thérapeutiques

« Nous étions confrontés au fait que ces protéines devenaient instables dès lors qu’elles sortaient de leur contexte membranaire » précise Pierre Falson, directeur de Recherche CNRS au laboratoire Microbiologie Moléculaire et Biochimie Structurale1 (MMSB). Dès lors, certaines de leurs fonctions biochimiques observées en laboratoire étaient altérées et différentes de celles qui se produisent naturellement dans la membrane plasmique. Les données permettant d’améliorer la liaison des médicaments aux récepteurs qu’ils ciblent peuvent alors manquer de précision et, finalement, nuire à l’élaboration d’un médicament efficace.

Depuis près de 10 ans2, Pierre Falson a pris les rênes d’un groupement international de chimistes, biochimistes et biologistes pour tenter de résoudre ce problème grâce à la création et l’évaluation de détergents plus « doux ». L’objectif étant de former un milieu stabilisateur qui maintient et préserve la structure des MPs lors de leur analyse. Une fois les protéines intactes isolées, les scientifiques passent à l’étape de la cristallographie pour étudier précisément leur structure tridimensionnelle. Cette technique d’imagerie repose sur la capacité des molécules à se « cristalliser », c’est-à-dire à s’organiser de manière régulière dans l’espace pour former des cristaux. Les chercheurs utilisent alors la diffraction (déviation de rayons) obtenue par le « bombardement » du cristal avec des faisceaux de particules pour déterminer la position exacte (et en 3D) des atomes qui composent les protéines membranaires.

Structure ouverte vers l’extérieur du transporteur ABC BmrA de Bacillus subtilis en complexe avec son substrat, la rhodamine 6G. La structure présente une région cytoplasmique et une région membranaire en conformation ouverte vers l’extérieur de la cellule, avec 2 molécules de rhodamine 6G liées / © Pierre Falson

Une précision jamais atteinte dans la description des protéines membranaires

Ces recherches peuvent être comparées à l’évolution de la photographie pour mieux comprendre les avancées qu’elles ont permises. Les détergents classiques, similaires aux premières solutions de traitement et de développement photographiques, altèrent suffisamment les protéines membranaires pour que la structure de ces dernières soit peu précise. L’objectif était donc de développer une solution plus douce pour révéler la structure de la protéine dans ses moindres détails, tout comme les procédés optiques les plus récents permettent de révéler des images de haute résolution, allant jusqu’au GigaPixel, soit un milliard de pixels. Pierre Falson préfère filer la métaphore serrurière : « si le médicament est une clé, alors la serrure sera la structure moléculaire de la cible, ici les MPs. Notre recherche s’attache donc à mieux connaître ces serrures pour produire des clés sans défectuosité ».

Grâce à leurs travaux sans précédents, les chercheurs ont réussi à concevoir deux concepts de détergents qui ont été brevetés, parmi lesquels les DCODs (glycosyl-substituted dicarboxylate detergents) dont la structure chimique modifiée a considérablement amélioré l’extraction des MPs. L’efficacité du caractère « stabilisant » de ces détergents est mesurée en termes de décalage thermique, c’est-à-dire en comparant les températures à laquelle les MPs se dégradent en présence et en l’absence de détergent. Un décalage thermique considéré comme « positif » se produit lorsque la température à laquelle la protéine se dégrade est plus élevée en présence de détergent qu’en son absence ; on considère alors que son milieu est plus protecteur. Dans le cadre des expériences sur les DCODs, la protéine BmrA, qui aide la bactérie Bacillus subtilis à contrôler la résistance aux antibiotiques,  a ainsi toléré des températures plus élevées de 30°C grâce à ces stabilisants.

Un procédé nobélisé dans l’équation

Dans une nouvelle étape, les chercheurs tentent d’améliorer encore ce procédé d’analyse des protéines, grâce à une autre technique d’imagerie apportée par l’équipe suédoise associée au projet : la cryomicroscopie électronique.

Nobélisé en 2017, ce procédé utilise des échantillons cryogénisés (préservés à froid dans leur état natif) et permet de visualiser des structures complexes à des résolutions très élevées, allant jusqu’à 2-3 Ångströms (1 Ångström = 1 dixième de nanomètre, soit un dix-milliardième de mètre, l’échelle de taille d’un atome). Grâce à cette précision, les chercheurs peuvent déterminer la localisation exacte des domaines actifs et des sites d’interaction des protéines avec d’autres molécules ; une information cruciale pour identifier les sites cibles des médicaments.

Les chercheurs ont ainsi pu comprendre les mécanismes, jusqu’alors inconnus, par lesquels les transporteurs ABC (protéines transmembranaires*) permettent à certaines substances médicamenteuses de franchir la membrane plasmique. Une découverte majeure, qui a fait l’objet d’un article publié en 2022 dans le journal Science Advances.

Une innovation peut en cacher une autre

Pour Ahcène Boumendjel, Professeur des Universités rattaché au Laboratoire des Radiopharmaceutiques Biocliniques3 (LRB), le succès et la rapidité d’innovation de ce projet résident dans « la combinaison fructueuse des expertises en chimie médicinale, biochimie et biologie structurale ». Cette multidisciplinarité offre deux promesses pour le développement de nouveaux médicaments : tout d’abord, les chercheurs peuvent espérer concevoir des molécules qui se lient spécifiquement aux sites cibles identifiés, ce qui permet d’éviter des effets secondaires indésirables. Ensuite, le processus de développement des médicaments (habituellement long d’une quinzaine d’années) pourrait être considérablement réduit en disposant très tôt de données précises sur la structure des protéines cibles des futurs candidats médicaments.

Interrogé sur la possibilité de se passer de détergents pour isoler ces protéines, Pierre Falson répond avec prudence : « c’est envisageable, oui, mais pas tout de suite, loin de là ». Il anticipe d’ailleurs une véritable révolution de la biologie structurale dans les prochaines décennies avec le développement d’AlphaFold. Un outil basé sur de l’intelligence artificielle potentiellement capable de prédire les structures des protéines, mais qui est encore loin d’être pleinement efficace. D’ici là, les solutions apportées par ces chercheurs permettront à la communauté scientifique de parfaire leur compréhension des protéines membranaires et de lutter ainsi plus efficacement contre de nombreuses maladies.

 

Article rédigé par Samuel Belaud, journaliste scientifique, 23 mai 2023.

ppour aller plus loin

 

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[1] Unité CNRS / Université Claude Bernard Lyon 1

[2] Ces recherches ont été financées en tout ou partie, par l’Agence Nationale de la Recherche (ANR) au titre du projet ANR-CLAMP2-AAPG2018. Cette communication est réalisée et financée dans le cadre de l’appel à projet Sciences Avec et Pour la Société – Culture Scientifique Technique et Industrielle pour les projets JCJC et PPRC des appels à projets génériques 2018-2019 (SAPS-CSTI-JCJ et PRC AAPG 18/19).

[3] Unité INSERM / Université Grenoble Alpes

Un espoir pour éradiquer la Brucellose | #4

UUn espoir pour éradiquer la Brucellose | #4

Ressource #4 du dossier Pop’Sciences – CNRS : « Résistance aux traitements : la recherche en quête de solutions »

De récentes recherches ont permis d’identifier une série de gènes impliqués dans la propagation de la Brucellose, maladie animale transmissible à l’humain et répandue sur l’ensemble de la planète. L’horizon se dégage pour le développement de traitements plus performants et susceptibles de contourner les mécanismes sophistiqués de défense de la bactérie.

En France, fin 2022, la Brucellose refait parler d’elle après l’apparition d’un foyer infectieux dans un élevage bovin en Haute-Savoie, pour lequel les bouquetins du massif voisin du Bargy sont soupçonnés d’être les transmetteurs. Afin de se prémunir de nouvelles transmissions de cette maladie très contagieuse aux vaches d’alpages qui paissent non loin de là, les autorités préfectorales décident, en octobre, d’abattre préventivement 75 des ongulés sauvages. Cette méthode d’éradication a provoqué des critiques et exacerbé les tensions entre les éleveurs de la région et les défenseurs de la vie sauvage.

Loin des polémiques que ce type de décision provoque, des scientifiques mènent des recherches fondamentales à la racine du problème : la bactérie Brucella. Les travaux les plus récents ont permis de mieux la décrypter, de mieux comprendre ses mécanismes d’infection et ouvrent la voie à des méthodes innovantes pour mieux la combattre.

Les ravages ancestraux de la brucellose

Fléau du bétail depuis l’Antiquité, la Brucellose fait toujours des ravages dans les rangs des animaux sauvages et d’élevage de nombreuses régions du monde. La maladie n’épargne malheureusement pas non plus les humains et affecte chaque année des millions de personnes. « Elle demeure une des zoonoses (maladies dont l’origine est animale – ndlr) les plus prévalentes dans le monde » souligne Suzana Salcedo, directrice de recherche Inserm au laboratoire lyonnais Microbiologie Moléculaire et Biochimie Structurale (MMSB)1.

Dans ce contexte, la prudence est de mise en raison des risques sanitaires considérables qu’elle pose. La Brucellose peut en effet provoquer de graves troubles, allant de fortes fièvres à des douleurs articulaires et musculaires, ainsi que des complications hépato-biliaires (relatives au foie et aux voies biliaires). Dans certains cas plus sévères, si elle n’est pas diagnostiquée ou traitée à temps, la maladie peut devenir chronique et entraîner des atteintes neurologiques, des troubles cardiovasculaires, ou encore des infections des organes reproducteurs. « Sa nature hautement contagieuse et infectieuse nous oblige à travailler dans un laboratoire de niveau de sécurité biologique 3, avec un contrôle rigoureux de l’ANSM (Agence nationale de sécurité du médicament et des produits de santé – ndlr) », souligne la chercheuse américano-portugaise. Brucella est d’ailleurs considérée comme un agent de bioterrorisme, en raison de son potentiel hautement infectieux par voie aérienne.

Image de macrophages (bleu) infectés par Brucella abortus (magenta) pendant 65 heures.

Image de macrophages (bleu) infectés par Brucella abortus (magenta) pendant 65 heures. L’image a été obtenue par microscopie confocale. / © Suzana Salcedo

Depuis sa découverte par le couple Mary Elizabeth et David Bruce à la fin du 19e siècle, la bactérie a été l’objet d’une attention constante de la part de la communauté scientifique, désireuse de percer les mystères de son processus infectieux. Les chercheurs ont ainsi progressivement élucidé ses voies de transmission, ses effets et ses origines, permettant l’émergence de traitements efficaces et de mesures préventives rigoureuses. Ainsi, la vaccination des animaux, les abattages préventifs de bêtes infectées et de leur entourage, ou encore la pasteurisation du lait ont permis de réduire considérablement la propagation de la Brucellose dans de nombreuses régions du monde.

Les mystères de sa propagation en passe d’être élucidés

Les progrès de la science n’ont cependant pas encore suffi à éradiquer cette menace pour la santé publique. Les traitements antibiotiques actuellement disponibles sont longs à suivre (plusieurs semaines), les rechutes fréquentes, les vaccins ne sont pas assez développés et les mécanismes d’infection restent encore largement méconnus. Malgré cela, Suzana Salcedo, qui a consacré l’essentiel de sa carrière de microbiologiste à l’étude de Brucella, se veut optimiste quant à l’émergence prochaine de solutions pour éradiquer ce fléau. Elle souligne d’ailleurs que ses recherches sur le sujet ont pris un tournant majeur il y a une quinzaine d’années lorsqu’elle était rattachée au Centre d’immunologie de Marseille-Luminy (CIML)2. « C’était un moment charnière où nous avons pu cribler (déchiffrer – ndlr) l’ensemble du génome de la bactérie » se rappelle la chercheuse, pour qui un champ des possibles s’ouvrait après des décennies d’incertitudes scientifiques quant aux mécanismes précis permettant à Brucella d’infecter et de se multiplier en contournant le système immunitaire.

Suzana Salcedo est alors parvenue « à identifier une série de gènes candidats qui codaient pour des protéines effectrices de la bactérie. » Elle a, en d’autres termes, établi une liste de gènes qui pourraient être impliqués dans la production de protéines (des effecteurs) capables de modifier la réponse immunitaire de l’hôte infecté et ainsi de créer un environnement favorable à la croissance bactérienne.

Une bactérie plus sournoise qu’il n’y paraît

La découverte de ces protéines (effecteurs) permettant à la bactérie de se faufiler dans les cellules et d’échapper au système immunitaire de l’hôte, a marqué la fin d’une période de stagnation dans la recherche sur Brucella . « Depuis quelques années, les travaux sont très dynamiques, précise-t-elle. On connaît désormais beaucoup de protéines impliquées, mais on décrypte surtout de plus en plus les mécanismes qui permettent aux bactéries de se “cacher” dans les cellules ». Au cœur de cette dynamique scientifique, les récents travaux de son équipe se distinguent particulièrement, en dévoilant le rôle crucial de deux de ces effecteurs dans la progression de l’infection. Une étape indispensable à l’élaboration de traitements innovants pour lutter contre celle-ci.

Pour comprendre cette avancée scientifique, il faut plonger au cœur des cellules – plus précisément dans le réticulum endoplasmique, repère favori de Brucella pour s’y répliquer. C’est à cet endroit que se déroulent la fabrication et la synthèse des protéines. Une fois infiltrée, la bactérie est en capacité de discrètement détourner les fonctions du réticulum endoplasmique, pour modifier la réponse immunitaire et pouvoir s’y répliquer sans peine. « Ce qui est incroyable avec Brucella et qu’on observe en laboratoire, c’est que cette bactérie peut complètement coloniser une cellule, la remplir, sans pour autant la tuer » s’exclame la chercheuse. C’est justement ce processus, par lequel la bactérie échappe aux processus de défense de cellules, auquel Suzana Salcedo et son équipe donnent aujourd’hui des clés de compréhension.

Un mécanisme resté trop longtemps caché

L’équipe de recherche a ainsi récemment dévoilé deux avancées majeures, publiées dans des revues prestigieuses et qui portent sur deux effecteurs de Brucella qu’elle est parvenue à décrypter. Le premier, BspL (pour Brucella-secreted protein L) est responsable d’un effet étonnant : en détournant une fonction du réticulum endoplasmique, il ralentit la sortie de la bactérie de la cellule, offrant ainsi plus de temps à Brucella pour se reproduire. Le second effecteur que les chercheurs ont identifié vient de faire l’objet d’une publication dans Nature Communications. « Nous l’avons surnommée Nyx, sourit la directrice de recherche, en référence à la personnification mythologique de la nuit, fille du Chaos, tant la fonction de cette protéine est restée longtemps dans l’ignorance ». Les chercheurs ont compris que Nyx empêche la mobilisation d’une protéine de la cellule hôte, SENP3, qui est importante pour la défense de la cellule.

La Nuit Auguste Raynaud © Artvee

Une nouvelle stratégie thérapeutique

Les chercheurs entrevoient désormais comment Brucella diminue la réponse immunitaire et peuvent désormais s’intéresser à comment développer de nouvelles approches anti virulentes. « L’objectif est de développer un traitement innovant qui, au lieu de tuer la bactérie, bloquerait sa capacité à se cacher dans les cellules et l’empêcherait de se reproduire » explique avec conviction la microbiologiste. Imaginez un projecteur qui mettrait en lumière la bactérie pour que le système immunitaire la repère et puisse la neutraliser efficacement.

Suzana Salcedo rappelle par ailleurs que « les traitements antibiotiques actuellement dispensés pour guérir d’une infection à Brucella sont très lourds : la prise se fait sur de longues semaines et l’infection risque de revenir si les patients ne les suivent pas dans leur totalité ». Or, une approche thérapeutique qui ne cherche pas à éliminer mais plutôt à prévenir la dissimulation d’une bactérie dans les cellules pourrait augmenter l’efficacité de nombreux traitements antibiotiques – d’autant plus que la communauté scientifique est de plus en plus préoccupée par les résistances croissantes à ces médicaments.

Une percée qui pourrait, à terme, contribuer à éliminer la brucellose et ainsi éviter l’éclosion de tensions sociales autour de la gestion des foyers infectieux, tout en offrant un nouvel horizon thérapeutique pour de nombreuses autres infections bactériennes, comme celles provoquées par Acinetobacter baumannii, que l’équipe de Suzana Salcedo étudie également.

Article rédigé par Samuel Belaud, journaliste scientifique – 23 mai 2023

 

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[1] Unité de recherche CNRS / Université Claude Bernard Lyon 1

[2] Unité de recherche CNRS / Aix-Marseille Université / Inserm

Ces recherches ont été financées en tout ou partie, par l’Agence Nationale de la Recherche (ANR) au titre du projet ANR-Charm-Ed-AAPG2018. Cette communication est réalisée et financée dans le cadre de l’appel à projet Sciences Avec et Pour la Société – Culture Scientifique Technique et Industrielle pour les projets JCJC et PRC des appels à projets génériques 2018-2019 (SAPS-CSTI-JCJ et PRC AAPG 18/19).

Existe-t-il un lien entre la pollution aux métaux lourds et la résistance aux antibiotiques ? | #5

EExiste-t-il un lien entre la pollution aux métaux lourds et la résistance aux antibiotiques ? | #5

Ressource #5 du dossier Pop’Sciences – CNRS : « Résistance aux traitements : la recherche en quête de solutions »
CHRONIQUE RADIO

Dans le cadre du projet Paleo-MARE, Catherine Larose, chargée de recherche CNRS au laboratoire Ampère, étudie le rôle de la pollution aux métaux lourds dans la propagation de la résistance aux antibiotiques.

© Vincent Moncorgé

Les gènes de résistance : un long processus d’évolution

La résistance aux antibiotiques existe depuis des millions, voire peut-être des milliards d’années. Les antibiotiques sont produits par les micro-organismes comme moyen de défense pour éliminer d’autres organismes : lors de la compétition pour l’accès aux ressources par exemple. S’ils produisent des antibiotiques, ils ont également besoin de développer des gènes de résistances aux antibiotiques pour se protéger. C’est un long processus de sélection évolutive.

Parallèlement, en libérant des métaux lourds dans l’environnement et en altérant les flux géochimiques, les humains ont perturbé l’équilibre naturel à l’échelle planétaire. Les micro-organismes, très vulnérables aux métaux lourds ont aussi développé des gènes de résistance spécifiques.

La présence simultanée de gènes de résistance aux métaux lourds et de gènes de résistance aux antibiotiques dans les génomes microbiens suggère une co-sélection.

Comprendre l’origine et l’évolution de la relation entre les métaux lourds et la résistance aux antibiotiques

Le projet Paleo-MARE consiste à comprendre l’origine et l’évolution de cette relation. Ceci implique de retourner avant la période industrielle, depuis laquelle des métaux et des antibiotiques sont rejetés dans l’environnement. Pour ce faire, Catherine Larose s’appuiera sur l’analyse de carottes glaciaires qui permettront d’étudier, grâce aux éléments qu’elles renferment, des environnements remontant à des milliers d’années.

>>> Catherine Larose est l’invitée de la chronique scientifique « Dis, pourquoi ? » du mois d’avril.
Écoutez son passage radio  en ligne.

Médicaments, biocides et nappes phréatiques | #6

MMédicaments, biocides et nappes phréatiques | #6

Ressource #6 du dossier Pop’Sciences – CNRS : « Résistance aux traitements : la recherche en quête de solutions »

Jusqu’où peuvent s’infiltrer les molécules pharmaceutiques des médicaments que nous ingérons ? Depuis plusieurs années, les pouvoirs publics et la communauté scientifique s’interrogent sur la présence de résidus de médicaments dans l’eau et, a fortiori, dans les nappes souterraines. Au sein du laboratoire DEEP (Déchets, Eaux, Environnement, Pollutions), Noémie Pernin, ingénieure INSA et doctorante, travaille sur le sujet avec deux laboratoires INRAE de Versailles-Grignon et Narbonne1.

À travers le projet Télesphore, un nom2 tout indiqué pour une étude qui se consacre à évaluer la contamination des sols par des résidus de médicaments et de biocides, Noémie étudie le parcours de ces polluants. Depuis deux ans, elle observe leur mobilité vers les nappes phréatiques à travers l’épandage agricole de boues urbaines et de lisiers. Jusqu’alors, ils restent présents à l’état de traces dans les sols. Explications. 

Pour amender les terres agricoles, il n’est pas rare que les boues urbaines, résultant du traitement des eaux usées, soient utilisées. Riches en matières organiques, en azote et en phosphore, elles représentent une source de fertilisant pour les sols appauvris, évitant ou réduisant l’usage d’engrais chimiques. « Au même titre que le lisier, l’épandage agricole avec des boues urbaines est une solution souvent utilisée localement et peu coûteuse. Seulement, ces deux sources de nutriments peuvent contenir des résidus pharmaceutiques et des biocides », annonce Noémie Pernin.

L’ingénieure INSA et doctorante dispose d’un terrain expérimental en Haute-Savoie mis à disposition par le Syndicat des Eaux des Rocailles et de Bellecombe. ©Noémie Pernin

La pratique de l’épandage est fortement réglementée en France : les boues provenant des stations d’épuration doivent répondre à des critères bactériologiques et de contamination précis, comme l’absence de certains métaux lourds ou polluants organiques. Néanmoins, aucune réglementation concernant les résidus pharmaceutiques et les biocides n’est actuellement en vigueur. « Mon travail de thèse s’applique à étudier le comportement de ces molécules dans le sol, pour savoir si, lorsque l’on épand ces boues et lisiers, il existe un potentiel transfert vers les nappes phréatiques. » (…)

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[1] La thèse de Noémie Pernin est financée par l’Agence de l’Eau Rhône Méditerranée Corse et par l’EUR H2O’Lyon.
[2] Dans la mythologie, Télesphore, troisième fils d’Asclépios dieu de la médecine, est le dieu de la convalescence.

« L’antibiorésistance est une conséquence du rapport dévoyé qu’entretient notre espèce avec le reste du vivant » | #7

«« L’antibiorésistance est une conséquence du rapport dévoyé qu’entretient notre espèce avec le reste du vivant » | #7

Ressource #7 du dossier Pop’Sciences – CNRS : « Résistance aux traitements : la recherche en quête de solutions »
INTERVIEW de Claire Harpet

Claire Harpet est anthropologue à l’Université Jean Moulin Lyon 3, ingénieure de recherche au sein du Laboratoire Environnement, Ville et Société1 (EVS) et de la Chaire « Valeurs du soin ». Elle étudie les relations qu’entretiennent les sociétés humaines avec le vivant et s’intéresse particulièrement à la résistance aux antibiotiques comme un fait social total.

Dès la découverte des antibiotiques dans les années 1920, leurs inventeurs alertaient sur l’inévitable adaptation des bactéries à ces traitements. À peine un siècle plus tard, on dénombre près de 5 millions de décès annuels associés à l’antibiorésistance. Comment expliquez-vous que malgré cette menace grandissante, celle-ci demeure largement invisible ?

Claire Harpet : Au moment où il découvre la pénicilline, Alexander Fleming prévient en effet que la capacité d’adaptation et de résistance des bactéries est un phénomène naturel qu’il faut anticiper. Elle a effectivement proliféré de façon incontrôlée depuis, rendant un grand nombre d’antibiotiques inopérants pour plusieurs maladies infectieuses, et cela tient à nos choix de société ainsi qu’à nos modes d’appréhender les maladies et de les combattre.

En plus d’être un fait biologique, l’antibiorésistance est donc surtout un fait social. Or, jusque dans les années 2000, elle est restée une problématique peu traitée par les sciences humaines et sociales (SHS), seulement abordée du point de vue biomédical. C’est notamment ce qui explique que nous ayons d’abord cherché à enrayer le problème en essayant de modifier les comportements individuels de chaque patient vis-à-vis de leur médicamentation. Force est de constater que cela n’a pas fonctionné et qu’il faut désormais envisager l’antibiorésistance dans toute sa complexité, en particulier du point de vue des représentations et des pratiques sociales.


Vous venez justement de coordonner la publication de l’ouvrage collectif L’antibiorésistance : Un fait social total (Éd. Quae, 2022). En quoi ce que vous appelez l’ethnomédecine et la prise en compte des aspects sociaux et écologiques peut-elle aider à comprendre l’antibiorésistance et limiter son développement ?

CH : Les SHS, l’ethnologie en particulier, se révèlent pertinentes pour comprendre les structures sociales dans lesquelles nous sommes toutes et tous enchâssés. Lorsqu’on s’intéresse à une communauté du point de vue de l’ethnomédecine, on cherche à décrypter ses représentations sociales, ses croyances et ses pratiques à l’égard de la maladie et du médicament. On va donc s’immerger avec elle et s’intéresser aux contextes culturels, sociaux et écologiques dans lesquels elle vit et interagit.

Communauté de femmes d’Antrema (Côte Nord-Ouest de Madagascar) © Claire Harpet

Ce faisant, nous sommes en mesure de déceler les paramètres sociaux qui concourent à la propagation d’une maladie ou le développement d’un phénomène sanitaire (ici, l’antibiorésistance), mais également de découvrir les pratiques sociales qui permettent de la combattre. Par exemple, le lavage des mains est une pratique simple qui s’applique à l’ensemble des sociétés humaines ; et on retrouve d’autres pratiques, plus spécifiques, comme le grand soin que prend une société d’éleveurs de ne pas boire au même point d’eau que son bétail.

C’est dans cette perspective que je me rends à Madagascar en mai 2023 pour travailler avec les équipes soignantes et les populations, dans la perspective de trouver ensemble de nouveaux moyens d’enrayer la prolifération de bactéries résistantes aux traitements.


On retrouve des traces d’antibiotiques à toutes les échelles du vivant, dans l’eau, l’alimentation, les sols et même dans l’air. Faut-il considérer les antibiotiques comme la marque d’une emprise de l’humain sur son environnement ?

CH : Oui. C’est sans aucun doute un des marqueurs de l’Anthropocène. Il n’y a sur Terre pas un seul territoire exempt de trace d’antibiotique et donc potentiellement d’antibiorésistance. C’est donc un stigmate, durable, de l’impact de notre civilisation sur les écosystèmes.

Il y a eu un bouleversement qui s’est opéré au moment où les antibiotiques ont été conditionnés sous formes de comprimés et qu’ils sont entrés dans la sphère domestique. Ils ont alors, dans les années 1960-70, commencé à faire partie du cadre des ménages au même titre que d’autres médicaments classiques, ne nécessitant plus de passer par la main du médecin pour être administrés (par injection). À partir de ce moment-là, les antibiotiques sont devenus constitutifs de nos quotidiens et on ne peut plus imaginer qu’ils en soient absents. Notre société s’est, depuis, habituée à moins souffrir, à moins bien supporter la douleur et donc à privilégier le remède quasi « instantané » qu’est l’antibiotique.


Il y a également eu une rupture du point de vue de notre alimentation, avec une croissance exponentielle de la consommation de protéines animales. Les pratiques intensives d’élevages mises en place pour « satisfaire » ces nouvelles habitudes ont massivement fait usage d’antibiotiques…

CH : Il est certain que l’élevage intensif a poussé à une sur-administration d’antibiotiques, non pas pour des raisons sanitaires, mais bien pour accélérer la croissance des animaux et gagner en productivité. Ces pratiques ont de facto entraîné une propagation des résistances aux traitements, d’abord chez les animaux d’élevages, puis chez les humains en raison de notre alimentation effectivement très carnée.

L’administration préventive d’antibiotiques pour la santé animale est désormais interdite en France et nous avons constaté une baisse considérable des niveaux d’antibiorésistance pour plusieurs médicaments chez les animaux d’élevage. On constate donc que de nouvelles réglementations peuvent produire des effets positifs et relativement rapides.

Néanmoins, le problème n’est pas seulement sanitaire. Le choix que nous avons fait de produire et d’élever en quantité des animaux pour la consommation humaine a entraîné des déséquilibres écologiques majeurs. Dans leurs rapports, le GIEC2 et l’IPBES3 démontrent très bien l’importance cruciale de faire baisser la part de viande dans notre alimentation et donc sa production. Nous avons perdu 80 % de la biomasse de mammifères sauvages dans le monde et près de 60 % des mammifères actuellement vivants sont des animaux d’élevages.

Le problème est donc systémique et appelle à un changement de paradigme et de pratiques. Pour y parvenir, le concept One Health présente un intérêt majeur selon moi.

Vous évoquez justement dans vos travaux l’importance de l’approche One Health, une seule santé, pour une compréhension holistique de l’antibiorésistance. Que recouvre-t-elle et en quoi est-elle pertinente dans ce contexte ?

CH : Le concept One Health considère sur le même plan la santé humaine, animale et environnementale. C’est un concept fondateur qui oblige l’ensemble des disciplines à travailler de concert pour interpréter et anticiper les risques sanitaires mondiaux et y faire face.

One Health a pris de l’importance au fur et à mesure que les crises zoonotiques se sont faites plus nombreuses et récurrentes (avec comme point d’orgue la pandémie de Covid-19). Ces crises, qui sont provoquées par la transmission de pathogènes entre animaux et humains, montrent qu’une meilleure santé passe par une meilleure compréhension des déterminants écologiques et sociaux mondiaux. Les contacts avec les animaux sauvages et leurs hôtes pathogènes sont en effet de plus en plus fréquents, depuis que nous avons largement anthropisé les écosystèmes planétaires et rogné sur le peu d’espaces de vies qu’il leur reste, notamment en artificialisant les sols et en déforestant à outrance.

En somme, l’antibiorésistance est une conséquence du rapport dévoyé qu’entretient notre espèce avec le reste du vivant. Une approche intégrée et globale, comme celle proposée par le concept One Health, peut aider à enrayer sa prolifération.

Comment concrétiser le vœu que vous formulez d’associer les sciences humaines et sociales, les sciences du vivant et la médecine ?

CH : Je plaide pour mieux prendre en compte la part socioculturelle de l’antibiorésistance, notamment en ce qui concerne la prévention et le diagnostic. Autrement dit, je suis convaincue que la situation ne s’améliorera que si les populations locales sont mieux impliquées dans la recherche de solutions.

Il faut donc décloisonner les disciplines et les manières de faire de la science en adoptant une approche « émique ». Il s’agit, autrement dit, d’impliquer les populations locales dans le projet scientifique. Et l’anthropologie est particulièrement bien outillée pour ce faire. Il faut, par exemple, reconsidérer l’importance des thérapies locales et traditionnelles qui ont pu être réduites au silence au moment du processus colonial et de l’hégémonie de la médecine conventionnelle. Cette médecine « traditionnelle » a pourtant comme vertu d’être immédiatement identifiée et adoptée par les populations natives du territoire, et on mesure de plus en plus le côté bénéfique de permettre à chaque médecine d’avoir sa part d’implication dans un parcours de soins. Cette situation n’est pas seulement vécue hors frontière. Elle existe aussi et de manière de plus en plus prégnante au sein de nos espaces hospitaliers.

En France singulièrement, nous avons basculé vers une société du curatif. Les antibiotiques en sont une concrétisation flagrante. Des habitudes simples de protection se sont ainsi perdues aux bénéfices d’une société de « consommation du médicament ». La pandémie Covid-19 a été un signal d’alerte : il ne faut pas attendre d’être malade pour trouver des solutions, mais bien anticiper le risque, mieux écouter et impliquer les populations en amont et évoluer vers une société du préventif.

 

Propos recueillis par Samuel Belaud, journaliste scientifique – 23 mai 2023

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1 Unité CNRS, ENTPE, ENSAL, Université Jean Monnet, École Normale Supérieure de Lyon, Université Lumière Lyon 2, Université Jean Moulin Lyon 3

2 Groupe d’experts intergouvernemental sur l’évolution du climat

3 Plateforme intergouvernementale scientifique et politique sur la biodiversité et les services écosystémiques