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La nage bactérienne et la discrète révolution de la matière active | #4

LLa nage bactérienne et la discrète révolution de la matière active | #4

Ressource #4 du dossier Pop’Sciences – CNRS : « Physique : une recherche multimillénaire, sans cesse renouvelée »
ARTICLE 

Connues pour leur capacité de nage autonome et leurs intrigants comportements collectifs, les bactéries passionnent les physiciennes et physiciens. En décryptant leurs stratégies singulières de déplacement, une équipe de recherche ouvre des perspectives inédites pour l’utilisation de la matière et la conception de nouveaux matériaux. 

Les bactéries pèsent pour près de 15 % de la masse totale des êtres vivants dans la biosphère. Où qu’elles agissent, depuis notre microbiote intestinal jusque dans le sous-sol océanique, elles explorent leur environnement à l’aide de leurs flagelles, comme un nageur qui usent du battement de ses jambes pour parfaire son déplacement dans une piscine.  

Cette nage, très spécifique, que les bactéries opèrent de manière autonome intéresse de nombreux scientifiques. Ces micro-organismes peuvent en effet se déplacer en ligne droite, en courbe, à contre-courant, et même faire des demi-tours. Lorsqu’elles forment un groupe, ces micronageuses adoptent des comportements collectifs tout aussi fascinants, qui restent mal compris et font l’objet d’investigations poussées dans le domaine de la physique de la matière active.  

© Raman Oza – Pixabay

Autonomie et sens du collectif 

Thomas Gibaud est physicien CNRS au Laboratoire de physique de l’ENS de Lyon1. Il appartient à la communauté des scientifiques qui travaillent sur des particules du vivant, dites ‘’actives’’ en opposition aux particules passives (comme des protéines ou des colloïdes) qui ne possèdent pas de capacité motrice intrinsèque. Son quotidien ? « Observer leurs mouvements, pour les modéliser et former des assemblages originaux ».  

Dans le cas de la matière non-active, « les scientifiques utilisent l’agitation thermique pour contrôler et dynamiser de petites particules dans des fluides à l’échelle nanométrique », rappelle-t-il. C’est le mouvement Brownien. Or, lorsqu’une colonie de bactéries est rassemblée dans ce fluide (on parle de suspension bactérienne), chaque organisme apporte une puissance mécanique autonome au milieu, qui est bien supérieure à l’agitation thermique. Des dynamiques collectives se mettent alors en place dans cette matière active, répondant à des lois de conservation encore parées de mystères.  

Les travaux menés par Thomas Gibaud et ses collègues consistent à étudier et décrypter les déplacements des bactéries Escherichia coli et leurs interactions avec d’autres petites particules colloïdales en suspension dans une solution liquide. Ces bactéries ont la particularité d’opérer des mouvements successifs de run and tumble. C’est-à-dire qu’elles se déplacent d’abord en ligne droite grâce au mouvement synchrone de leurs flagelles (run), puis ces flagelles se reconfigurent et font tourner la bactérie sur elle-même (tumble), avant de repartir dans une nouvelle direction (run).  

Bactéries nageuses. © Emilie Josse

Des footballeuses hors-pair 

Les scientifiques placent les bactéries « dans une cavité avec des parois perméables à l’oxygène pour les maintenir en vie et pour qu’elles puissent faire ces déplacements », précise Thomas Gibaud. Ils observent ensuite les bactéries et les colloïdes à l’aide de la microscopie par fluorescence et reconstruisent leurs trajectoires et leurs interactions grâce à un algorithme de suivi (tracking). 

« J’aime comparer mes expériences à une partie de football, sourit le chercheur lyonnais, où les bactéries jouent le rôle du joueur et les particules celui du ballon ». En l‘absence de joueurs, les ballons se déplacent aléatoirement dans le milieu du fait de l’agitation thermique. Mais dès que des bactéries actives entrent en jeu, les ‘’frappes’’ (les collisions) qu’elles opèrent sur les particules entrainent ces dernières dans « des déplacements rapides et erratiques, qui diffèrent de ceux dus à l’agitation thermique », souligne le physicien .  

Les particules colloïdales influencées par les bactéries nageuses. © Emilie Josse

Les scientifiques sont parvenus à caractériser les interactions dynamiques entre bactéries et particules, ainsi qu’à mesurer certains effets collectifs de nage bactérienne. Dans le détail, ils ont établi un modèle de prédiction de la géométrie de ces trajectoires et de la diffusion colloïdale à long terme. Leurs résultats ont été publiés dans la revue Soft Matter en février 2020. L’intérêt ? Ouvrir la voie à une nouvelle famille de matériaux « vivants », alimentés par le mouvement des bactéries, capables d’interagir avec leur environnement et de structurer de manière autonome les colloïdes qu’elles rencontrent. 

Vers des matériaux vivants ? 

« Les matériaux vivants ne sont pas encore près d’exister », pondère prudemment Thomas Gibaud. Ses travaux montrent, en outre, que ce type de système demeure fragile et « difficile à contrôler ». Néanmoins, les scientifiques ambitionnent d’aller plus loin dans la conception de systèmes actifs. « Nous savons désormais que les bactéries représentent de bons moteurs potentiels pour mettre en mouvement des colloïdes avec une dynamique différente de celle engendrée par l’agitation thermique», rappelle le chercheur.  

Alors, dans une nouvelle phase de travaux, son équipe souhaite capitaliser sur les déplacements provoqués par les bactéries « pour autoorganiser les colloïdes vers de nouveaux états de la matière ».  In fine, les scientifiques ambitionnent de créer des structures mésoscopiques autonomes, qui utilisent la synergie des bactéries, repoussant ainsi les limites de la matière active.  

À l’intersection de la physique, de la biologie et de l’ingénierie, ces travaux rendent envisageable l’exploitation de la puissance mécanique des bactéries et de leurs effets collectifs. Si cette phase fondamentale de recherche est concluante, il ne sera plus impossible d’imaginer des fluides se mélangeant d’eux-mêmes dans l’exiguïté de nanopuces ou de systèmes micro-fluidiques, le tout sans intervention extérieure. Ces perspectives, autrefois confinées aux pages de la science-fiction, pourraient bien transformer notre perception de la matière et bouleverser le champ disciplinaire de la physique de la matière active. 

Article rédigé par Samuel Belaud, journaliste scientifique – mai 2024

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1 Unité de recherche CNRS, ENS de Lyon

 

Ces recherches ont été financées en tout ou partie, par l’Agence Nationale de la Recherche (ANR) au titre du projet ANR-StruBaDy-AAPG2018. Cette communication est réalisée et financée dans le cadre de l’appel à projet Sciences Avec et Pour la Société – Culture Scientifique Technique et Industrielle pour les projets JCJC et PRC des appels à projets génériques 2018-19 (SAPS-CSTI-JCJ et PRC AAPG 18-19).

Amandine Chauviat, doctorante en écologie microbienne | Visages de la science

AAmandine Chauviat, doctorante en écologie microbienne | Visages de la science

Dans le cadre de son dossier sur l’antibiorésistance, Pop’Sciences vous emmène dans le laboratoire d’écologie microbienne à l’Université Claude Bernard Lyon 1. C’est ici que nous rencontrons Amandine Chauviat, doctorante, avec laquelle nous avons enregistré un podcast à propos de son expérience en thèse au laboratoire d’écologie microbienne.

 

Pour commencer, pourriez-vous vous présenter ?

Je m’appelle Amandine Chauviat, j’ai 27 ans et je suis en troisième année de thèse au laboratoire d’écologie microbienne (Université Claude Bernard Lyon 1), au sein de l’équipe Bacterial Efflux and Environnemental Resistance (BEER). Dans notre équipe, nous nous intéressons aux facteurs environnementaux qui favorisent l’émergence de résistance aux antibiotiques.

 

Quel a été votre parcours universitaire ?

Après avoir obtenu mon bac Scientifique en France, je suis parti à l’étranger. J’avais envie d’une expérience à l’étranger, donc j’ai suivi une licence d’immunologie et de microbiologie à l’université de Montréal au Canada. C’était de la microbiologie très orientée sur le domaine médical. Ensuite, je suis revenue en France pour suivre un master de microbiologie, beaucoup plus porté sur le pendant écologique, m’apportant de nouvelles notions que je n’avais pas. J’ai donc fait un M2 MAABE (Microbiologie Appliquée à l’Agroalimentaire, au Biomédical et à l’Environnement), un parcours de microbiologie appliquée pour s’insérer en entreprise.

À cette époque, sans jamais n’avoir fermé la porte à l’idée de faire une thèse, ce n’était pas forcément mon objectif et j’avais envie de voir ce qu’il se passait en entreprise au niveau de la recherche. C’est mon stage de Master 2, en collaboration avec une entreprise cosmétique et le laboratoire dans lequel je suis actuellement, qui a révélé que j’étais faite pour la recherche académique. Au laboratoire, j’ai rencontré une équipe avec qui je m’entendais très bien et avec qui il y avait une forte émulation scientifique. J’ai donc reconsidéré mon envie de faire une thèse. Pour moi, c’était vraiment un besoin d’aller au bout de quelque chose.

Or, ma date de diplomation de master ne me permettait pas de présenter le concours de la bourse doctorale la même année. Le laboratoire m’a donc proposé un CDD d’un an sur un projet de recherche, en qualité d’assistante ingénieure. Ce contrat m’a notamment permis de préparer le concours pour obtenir une bourse de thèse.

Cette bourse doctorale vous a donc permis d’intégrer un laboratoire. Est-ce que vous pouvez nous en dire plus sur cette structure ainsi que sur vos directeurs et directrices de thèse ?

Je suis employée par l’université Claude Bernard Lyon 1, au sein du laboratoire d’écologie microbienne et j’ai deux directeurs de thèse. Sabine Favre-Bonté qui a une formation de microbiologie clinique, avec tout un volet antibiorésistance et qui a ensuite évolué sur des problématiques liées à l’écologie. Sabine est également responsable du parcours MAABE à l’université Claude Bernard.

Mon deuxième co-directeur est Thibaut Meyer, un jeune maître de conférences qui se penche plus sur des questions d’interactions plantes/bactéries et qui travaille aussi sur l’identification de métabolites secondaires. Mes deux directeurs de thèse se combinent donc très bien par rapport à ma thématique de thèse.

 

Comment s’est fait cette rencontre avec vos directeurs de thèse ?

Sabine est la responsable du Master 2 que j’ai suivi, je l’ai donc connue via le master. J’ai eu l’opportunité lors de mon stage de M2 de collaborer avec son équipe de recherche. Ce n’était pas elle qui m’encadrait mais Sylvie Nazaret, qui dirige aujourd’hui ce laboratoire. Thibaut Meyer, pour sa part, a été recruté au tout début de ma thèse, puis a été rattaché à mon sujet de thèse et a très naturellement pris sa place de co-directeur.

 

Pourriez-vous nous résumer votre sujet de thèse ?

Je travaille sur un mécanisme de résistance aux antibiotiques : les pompes à efflux, de petites pompes présentes sur la membrane des bactéries. Ces pompes ont la capacité de rejeter des composés à l’extérieur de la bactérie, dont les antibiotiques. On retrouve dans l’environnement des bactéries qui possèdent ce système de rejet activé et qui sont donc naturellement résistantes aux antibiotiques.

La question qui se pose c’est : quelles sont les conditions et les molécules qui vont induire le fonctionnement des pompes à efflux ? Parce que l’on sait qu’il y a des antibiotiques dans la nature, mais en concentrations trop faibles pour expliquer à elles seules cette résistance aux antibiotiques dans l’environnement.

Moi je travail sur un contexte environnementale bien particulier puisque mon sujet porte sur l’interaction entre les bactéries et les amibes libres. Les amibes sont des protozoaires, des organismes unicellulaires qui vont manger les bactéries. Mais la bactérie sur laquelle je travaille est capable de résister à la phagocytose (le fait d’être absorbée par une amibe) et de se multiplier à l’intérieur des amibes. Les amibes constitueraient donc une niche à l’origine de l’émergence et de la dissémination de l’antibiorésistance. J’essaye d’identifier quelles sont les molécules qui, dans l’interaction avec les amibes, induisent l’expression des pompes à efflux.

Retrouvez l’article d’Amandine Chauviat à propos de son sujet de thèse :

La résistance aux antibiotiques : une problématique environnementale ?

 

Aujourd’hui nous nous intéressons particulièrement à votre expérience en tant que doctorante. Pourriez-vous nous expliquer ce que c’est qu’être doctorante et à quoi ressemblent les journées d’une étudiante en thèse ?

Ce que j’adore c’est qu’il n’y a pas de journée type ! Toutes les journées sont différentes, nous sommes challengés au quotidien, et c’est vraiment quelque chose que j’apprécie et dont j’ai besoin. Les journées sont rythmées par une partie d’expérimentation, l’analyse des résultats et l’interprétation. Selon ce que l’on obtient comme résultats, il faut ensuite recréer de nouvelles expériences, et ce en collaboration très étroite avec mes directeurs de thèses avec qui j’échange énormément. Cette émulation scientifique et le fait de mener mon projet de recherche, c’est ce qui me plait dans ce travail de doctorante. Ensuite j’ai également des activités complémentaires d’enseignements que j’apprécie énormément. Transmettre mes connaissances et être en contact avec les étudiants a été une vraie découverte lors de ma thèse, et ça me motive quotidien.

 

Et qu’est-ce que vous enseignez ?

J’enseigne aux niveaux licences pro, L2 ou L3 en biologie, des TP ou TD qui sont liés à la microbiologie et à l’écologie microbienne.

 

En plus des cours que vous dispensez, avez-vous d’autres activités en dehors de votre thèse ? Vous avez par exemple participé à la rédaction d’un article scientifique en 2021 sur les risques microbiens dans l’industrie cosmétique ?

Cet article est lié à mon stage de M2, un projet qui s’est poursuivi lors de mon CDD avant que je passe le concours. Mais en dehors de mes activités de recherche au sein du laboratoire j’ai été représentante des doctorants pendant une année. Le but était de représenter la voix des doctorants au conseil d’unité et de proposer des suivis du bien être étudiant au sein du laboratoire. J’ai aussi été co-responsable de l’animation scientifique au sein du laboratoire, j’ai proposé des présentations scientifiques, organisé des rencontres avec d’anciens doctorants pour que les doctorants actuels puissent entrevoir les poursuites après thèses.

Je suis assez active à ce niveau-là et grâce à Pop’Sciences j’ai mis le pied dans la vulgarisation scientifique et ça me plait énormément. J’aime beaucoup échanger et transmettre, notamment avec de personnes qui ne font pas forcément parti du monde de la science, des personnes qui n’ont pas la possibilité d’y avoir accès facilement. Je pense que c’est important que tout le monde puisse avoir accès aux connaissances scientifiques, même sur des sujets pointus et complexes.

 

En parlant de l’après thèse, qu’envisagez-vous à l’heure actuelle ?

J’aimerais beaucoup rester dans la recherche académique. J’aime cette liberté de pouvoir mener des projets de recherche. C’est quelque chose qui s’est révélé à moi pendant mon doctorat, donc idéalement, je souhaite partir sur un post-doctorat à l’étranger pour ensuite passer les concours en France afin d’accéder à un poste de maître de conférences. L’enseignement c’est un volet que je ne souhaite pas mettre de côté, j’aime cette balance entre la recherche et l’enseignement.

 

Justement pourriez-vous nous rappeler ce que c’est qu’un post-doctorat ?

Un « post-doc » c’est un contrat de recherche d’un à trois ans, faisant suite au doctorat. Sur un projet de recherche, ces contrats permettent de prendre un peu d’expérience pour ensuite présenter des concours pour accéder à des postes en CDI de la fonction publique.

 

Et vous déjà des pistes, des envies, pour votre futur post-doc ? D’ailleurs, combien de temps vous reste-t-il avant de soutenir votre thèse ?

Normalement je dois soutenir avant décembre 2023, donc l’échéance est proche, elle arrive ! Au niveau des pistes, je suis très attirée par les pays d’Europe du nord, comme le Danemark, la Finlande, la Suède, plus par des attraits culturels de découvrir ces pays. J’ai déjà commencé à identifier des laboratoires qui pourraient m’intéresser, donc le but maintenant c’est de regarder les offres à venir pour terminer mon doctorat.

Pour terminer, que conseilleriez-vous aux aspirantes et aspirants doctorants ?

D’une part, je pense qu’avant de se lancer dans une thèse il faut bien réfléchir sur ce qu’un doctorat peut apporter en plus. Dans le public ou le privé, il faut regarder à quels postes cela permet d’accéder. Beaucoup d’étudiants en master désirent naturellement poursuivre en doctorat sans forcément réfléchir à ce que cela pourrait leur apporter en plus.

Le conseil que j’aurais à donner pour celles et ceux qui se dirigent vers une thèse, c’est de trouver une équipe dans laquelle on se sent bien. Ce sont trois années qui peuvent être difficiles, avec beaucoup de haut et de bas, et lorsqu’on a le soutien de ses directeurs de thèse et de son équipe, ça change tout ! La thèse se passe totalement différemment. Pour ceux qui le veulent vraiment et qui sont sûrs de faire un doctorat, je conseillerais de ne rien lâcher. Il y a plein de types de financements différents. Si c’est vraiment ce qu’ils veulent, ils finiront par trouver leur place quelque part. Ne pas perdre espoir, suivre les offres et postuler.

 

Auriez-vous une dernière anecdote, un souvenir à nous partager ?

Lorsqu’on apprend que l’on a eu la bourse de thèse, c’est une grande fierté ! Et quand les articles sont acceptés pour publication ce sont aussi de grands moments de joies que l’on célèbre. Et tous les moments du quotidien qui font que l’on est heureux de venir au travail le matin. Nous avons des pauses café, des pauses le midi où nous échangeons beaucoup, beaucoup d’émulation scientifique. Toutes les rencontres que l’on peut faire au travers du doctorat et de stages à l’étranger, on rencontre pleins de personnes qui travaillent sur pleins de thématiques différentes. Énormément de souvenirs !

PPour aller plus loin

Résistance aux médicaments : la recherche en quête de solutions, un dossier Pop’Sciences – CNRS – 23 mai 2023.

Résistances aux traitements : la recherche en quête de solutions | Un dossier Pop’Sciences et CNRS

RRésistances aux traitements : la recherche en quête de solutions | Un dossier Pop’Sciences et CNRS

En dépit des considérables avancées du domaine biomédical, les bactéries résistent et persistent à déjouer les méthodes thérapeutiques les plus avancées. Si la communauté scientifique continue d’étudier les mécanismes biochimiques de cette antibiorésistance, le champ de la recherche s’étend également aux sciences humaines et sociales et notamment à l’étude des conditions socio-écologiques dans lesquelles elle se développe. Une approche systémique qui ouvre la voie à de nouvelles stratégies thérapeutiques ainsi qu’à une meilleure  prévention.

En partenariat avec le CNRS, Pop’Sciences vous propose un tour d’horizon pluridisciplinaire des recherches qui participent à endiguer la crise sanitaire mondiale de l’antibiorésistance.

L’art de résister

Tous les micro-organismes sont dotés d’une capacité intrinsèque à naturellement s’adapter à leur environnement. Cette fonctionnalité permet aux plus virulents d’entre eux d’infecter massivement les populations humaines, et les nombreuses pandémies qui jalonnent notre histoire en sont les sombres témoignages. Les 25 millions de morts de la peste noire du 16e siècle, ou encore les 40 à 50 millions de personnes que la grippe espagnole a emportées à la fin de la Première Guerre mondiale, comptent parmi les nombreuses victimes de cet « art de résister » des bactéries et des virus.

Le premier antibiotique, la Pénicilline G,  a été découvert à la fin des années 1920 par Alexander Fleming, révolutionnant durablement la médecine et permettant de sauver de nombreuses vies grâce à leur capacité à inhiber la croissance des bactéries ou à les détruire. Dès le départ, cependant, le biologiste écossais  avertissait que les micro-organismes s’adapteraient inévitablement à ce type de molécules si elles étaient utilisées de façon inappropriée : « cela aboutirait à ce que, au lieu d’éliminer l’infection, on apprenne aux microbes à résister à la pénicilline et à ce que ces microbes soient transmis d’un individu à l’autre, jusqu’à ce qu’ils en atteignent un chez qui ils provoqueraient une pneumonie ou une septicémie que la pénicilline ne pourrait guérir. »

Il ne pensait sans doute pas si bien dire, puisque dès les années 1940, les premières bactéries résistantes à ces traitements novateurs étaient identifiées. L’antibiorésistance était alors déjà née, fruit de la fulgurante capacité d’adaptation des bactéries aux stress extérieurs et de la sélection progressive des plus résistantes d’entre elles. Ce phénomène a été en grande partie dopé par l’utilisation excessive et préventive d’antibiotiques chez les humains et les animaux d’élevages intensifs.

Au fil des années, l’antibiorésistance s’est ainsi propagée de façon continue dans le monde entier, au point que certaines bactéries développent désormais des résistances simultanées à différentes familles d’antibiotiques.

Une crise mondiale à bas bruit

L’Organisation mondiale de la santé (OMS) a lancé en 2015 un système mondial de surveillance de la résistance et de l’utilisation des antimicrobiens (GLASS), qui vise à standardiser la collecte et l’analyse des données épidémiologiques à l’échelle du globe. Le dernier rapport qui a été publié dans ce contexte, concerne près des 3⁄4 de la population mondiale et fait apparaître des niveaux de résistance à certains antibiotiques supérieurs à 50 % pour des bactéries telles que Klebsiella pneumoniae (entérobactérie qui peut provoquer pneumonies, septicémies, ou des infections urinaires), ou encore Neisseria gonorrhoeae (une maladie sexuellement transmissible courante).

© Morgane Velten / Cliquez sur l’illustration pour l’agrandir.

En dépit de campagnes de prévention massives (qui ne se souvient pas du martèlement « Les antibiotiques, c’est pas automatique » ?), ou d’autres mesures plus drastiques comme la récente interdiction européenne des usages préventifs en élevage, la résistance aux antibiotiques gagne irrémédiablement en vigueur.

Des infections bactériennes courantes deviennent de plus en plus difficiles à soigner, comme c’est le cas pour la tuberculose ou la salmonellose. Les traitements nécessitent alors des doses plus élevées sur une durée plus longue, ce qui augmente les risques d’effets secondaires chez les personnes malades. Préoccupée, l’OMS prévient que sans mesures d’urgence, « nous entrerons bientôt dans une ère post-antibiotique dans laquelle des infections courantes et de petites blessures seront à nouveau mortelles ».

En plus d’être inquiétante l’antibiorésistance est, en outre, une menace silencieuse et invisible. Elle implique en effet des pathogènes microscopiques – les bactéries – qui s’adaptent aux traitements avec autant de vélocité que de discrétion. La crise sanitaire qui en résulte est également plus difficile à concevoir et à identifier que pour une épidémie « classique » comme la Covid-19. Pourtant, en l’absence d’une inversion de tendance, l’antibiorésistance pourrait être associée aux décès de plus de 10 millions de personnes par an d’ici 2050 (OMS). C’est davantage que le nombre de décès causés par le cancer.

À menace globale, réponse globale

Pour être combattue, l’antibiorésistance exige désormais un investissement de l’ensemble des champs scientifiques ainsi qu’une approche systémique et combinée de la santé humaine, animale et environnementale.

Si les chimistes et les biologistes travaillent toujours d’arrache-pied à décrypter les mécanismes internes de résistance des bactéries et adapter les traitements en conséquence, il convient d’associer ces recherches avec celles menées en sciences humaines et sociales. L’antibiorésistance est un phénomène complexe qui, pour être combattu, requiert d’étudier simultanément les contextes microbiologiques, environnementaux, sociaux et écologiques dans lesquels il se développe.

C’est en adoptant une posture holistique, et en combinant les approches fondamentales, cliniques et sociales, que les scientifiques ouvrent la voie à des stratégies de prévention plus efficaces, des traitements mieux ciblés et de nouvelles thérapies. C’est également l’occasion de repenser  notre rapport aux soins et plus largement notre vision de la santé, à la lumière de l’approche intégrée “One Health” (Une seule santé).

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[1] Le niveau de résistance aux antibiotiques d’une bactérie est mesuré (en %) par un test de sensibilité : l’antibiogramme. Il consiste à exposer la bactérie à différents antibiotiques à des concentrations différentes pour déterminer la concentration minimale inhibitrice (CMI), c’est-à-dire la concentration d’antibiotique qui empêche la croissance de la bactérie.

 

lles RESSOURCES du dossier

Dans ce dossier, nous vous invitons à découvrir les travaux de scientifiques lyonnais, engagés à différents niveaux pour mieux répondre à la crise de l’antibiorésistance.

 

  • #1 : La résistance aux antibiotiques : une problématique environnementale ? Auteure : Amandine ChauviatPublié le 4 janvier 2023
    Comment expliquer que des bactéries, non exposées aux antibiotiques, puissent malgré tout développer des résistances à ces traitements ?

> Lire l’article

Pour aller plus loin :

À l’occasion d’une interview, Amandine Chauviat, doctorante en écologie microbienne, présente son parcours, son sujet de thèse, ses motivations et ses envies…> ÉCOUTER LE PODCAST

  • #2 : Antibiorésistance : comment éviter une crise mondiale ? – Publié le 23 mai 2023
    Si aucune action n’est prise, des millions de décès pourraient, chaque année, être imputés à des maladies causées par des bactéries résistantes aux antibiotiques d’ici 2050. Pour y remédier, des chercheurs ambitionnent de décrypter certains mécanismes de résistance encore énigmatiques, tandis que d’autres préparent le terrain pour de nouvelles stratégies de ciblage de ces médicaments.

> Lire l’article

  • #3 : Un bon en avant vers des médicaments plus performants – Publié le 23 mai 2023 
    Après dix années de travaux, un consortium de chercheurs est en passe de parfaire la compréhension des cibles médicamenteuses, ouvrant la voie à l’amélioration de nombreux traitements.

> Lire l’article

  • #4 : Un espoir pour éradiquer la Brucellose – Publié le 23 mai 2023
    De récentes recherches ont permis d’identifier une série de gènes impliqués dans la propagation de la Brucellose, maladie animale transmissible à l’humain et répandue sur l’ensemble de la planète. L’horizon se dégage pour le développement de traitements plus performants et susceptibles de contourner les mécanismes sophistiqués de défense de la bactérie.

> Lire l’article

  • #5 : Existe-t-il un lien entre la pollution aux métaux lourds et la résistance aux antibiotiques ? – Publié le 23 mai 2023
    Comprendre l’origine et l’évolution de la relation entre les métaux lourds et la résistance aux antibiotiques implique de retourner avant la période industrielle, depuis laquelle des métaux et des antibiotiques sont rejetés dans l’environnement.

> Écouter le podcast

  • #6 : Médicaments, biocides et nappes phréatiquesAuteur : Dir. Communication INSAPublié le 19 janvier 2023
    Jusqu’où peuvent s’infiltrer les molécules pharmaceutiques des médicaments que nous ingérons ? Depuis plusieurs années, les pouvoirs publics et la communauté scientifique s’interrogent sur la présence de résidus de médicaments dans l’eau et, a fortiori, dans les nappes souterraines.

> Lire l’article

  • #7 : « L’antibiorésistance est une conséquence du rapport dévoyé qu’entretient notre espèce avec le reste du vivant » – Publié le 23 mai 2023
    Claire Harpet, anthropologue, étudie les relations qu’entretiennent les sociétés humaines avec le vivant et s’intéresse particulièrement à la résistance aux antibiotiques comme un fait social total.
    > Lire l’interview

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mmerci !

Ce dossier a été réalisé grâce à la collaboration de différents chercheur.e.s en sciences de l’Université de Lyon. Nous les remercions pour le temps qu’ils nous accordé.

  • Ahcène Boumedjel, professeur de chimie organique à la Faculté de Pharmacie de l’Université Grenoble Alpes et membre du Laboratoire des Radiopharmaceutiques Bioclinique (Université Grenoble Alpes, Inserm)
  • Amandine Chauviat, doctorante au laboratoire d’Écologie Microbienne (CNRS, Université Claude Bernard Lyon 1, INRAE)
  • Pierre Falson, directeur de recherche CNRS au laboratoire Microbiologie moléculaire et biochimie structurale (CNRS, Université Claude Bernard Lyon 1)
  • Christophe Greangeasse, directeur du laboratoire Microbiologie moléculaire et biochimie structurale (CNRS, Université Claude Bernard Lyon 1)
  • Claire Harpet, ingénieure de recherche au laboratoire Environnement, Ville et Société (CNRS, ENTPE, Lyon Lumière Lyon 2, Université Jean Moulin Lyon 3 Jean Moulin, ENSAL, ENS de Lyon, Université Jean Monnet)
  • Catherine Larose, chargée de recherche au laboratoire Ampère (CNRS, INSA de Lyon, École Centrale de Lyon, Université Claude Bernard Lyon 1)
  • Cédric Orelle, directeur de recherche CNRS au laboratoire Microbiologie moléculaire et biochimie structurale (CNRS, Université Claude Bernard Lyon 1)
  • Noémie Pernin, doctorante au laboratoire Déchets, Eaux, Environnement, Pollutions (INSA Lyon)
  • Suzana Salcedo, directrice de recherche INSERM au laboratoire Microbiologie moléculaire et biochimie structurale (CNRS, Université Claude Bernard Lyon 1)

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ppour aller plus loin :

La résistance aux antibiotiques : une problématique environnementale ? | #1

LLa résistance aux antibiotiques : une problématique environnementale ? | #1

Ressource #1 du dossier Pop’Sciences – CNRS : « Résistances aux traitements : la recherche en quête de solutions »

La résistance aux antibiotiques [encart] est une préoccupation majeure en santé publique. Si beaucoup de recherches sont conduites dans le domaine clinique, la présence de bactéries résistantes dans l’environnement a étendu leur étude à ce nouveau compartiment. Mais comment expliquer que des bactéries dans l’environnement, non exposées aux antibiotiques, puissent développer ces résistances ?

La résistance aux antibiotiques, une préoccupation environnementale

Santé Publique France a publiée en novembre 2022 un rapport1 alertant sur la consommation trop importante d’antibiotiques en France. Une nouvelle campagne de sensibilisation auprès de la population a donc été mise en place car cette consommation massive et parfois inadaptée des antibiotiques augmente le risque d’émergence de bactéries résistantes. En effet, si l’usage des antibiotiques n’est pas mieux encadré, le traitement des infections bactériennes deviendra de plus en plus difficile en raison d’une réduction de la gamme d’antibiotiques efficaces. Cette escalade pourrait conduire, au pire, à une absence d’antibiotique sur le marché permettant de traiter les infections.

Si combattre les bactéries résistantes est longtemps resté une préoccupation seulement en milieu hospitalier, elle concerne aussi les élevages où les animaux sont parfois traités par des antibiotiques, Depuis quelques années, la compréhension de l’émergence et de la dissémination de ces bactéries résistantes est intégrée à une approche de santé globale qualifiée de One Health (« une seule santé »).  Ce concept, né au début des années 2000, reconnait l’interdépendance de la santé de l’Homme, de la santé de l’animal et de celle de l’environnement.

Concept One Health : les trois cercles représentant la santé de l’homme, de l’animal et de l’environnement sont interconnectés. Des exemples concrets des liens qui relient ces compartiments sont donnés autour / Cliquer sur l’image pour l’agrandir. / @inrae.fr

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

Dans l’environnement, la contamination des eaux et sols aux antibiotiques demeure relativement faible. Cependant et de manière surprenante, de nombreuses bactéries résistantes à plusieurs familles d’antibiotiques ou multi-résistantes y sont retrouvées.

Les pompes à efflux, un mécanisme de résistance généraliste

Nous avons précédemment décrit les différents mécanismes de résistances aux antibiotiques [encart ci-dessous]. Certains de ces mécanismes sont dits spécifiques, car ils ne confèrent une résistance qu’à une seule famille d’antibiotique ; d’autres, plus généralistes, permettent une résistance à plusieurs familles.

Dans l’équipe BEER (Bacterial Efflux and Environmental Resistance) dans laquelle je réalise ma thèse, nous étudions un mécanisme de résistance généraliste particulier : les pompes à efflux. Ces mécanismes sont présents dans les membranes des bactéries et permettent d’expulser à l’extérieur de la cellule bactérienne des molécules toxiques. Une seule pompe peut ainsi prendre en charge une multitude de composés tels que des désinfectants, des antiseptiques et plusieurs familles d’antibiotiques. Cette propriété en font des contributrices majeures dans l’émergence de bactéries multi-résistantes.

Pompe à efflux (violet), présente dans la membrane de la bactérie qui permet d’expulser en-dehors de la cellule bactérienne des composés de natures diverses. / @Amandine Chauviat

Les bactéries environnementales étudiées dans l’équipe sont fortement dotées de ces mécanismes et, même si elles ne sont pas exposées à des antibiotiques, leurs pompes peuvent être activées. C’est notamment le cas de bactéries pathogènes opportunistes2, problématiques en milieu hospitalier, qui sont naturellement présentes dans l’environnement (on parle alors de réservoir environnemental). L’équipe cherche à comprendre quels sont les facteurs environnementaux biotiques et abiotiques3 favorisant l’activation des pompes à efflux et donc l’émergence de résistances aux antibiotiques. Nous nous interrogeons donc sur les facteurs induisant cette activation.

L’interaction amibes-bactéries : générateur de résistances aux antibiotiques ?

Mon sujet de thèse se concentre sur la bactérie Stenotrophomonas maltophilia qui est une bactérie ubiquitaire d’origine environnementale. Elle se retrouve dans les eaux, les sols, les sédiments, en association avec les végétaux, les animaux, les insectes, sur les fruits et légumes, etc. Elle est responsable d’infections nosocomiales et d’infections communautaires (en dehors de l’hôpital), toutes ces infections étant de plus en plus difficiles à traiter en raison de sa multirésistance aux antibiotiques.

Acanthamoeba castellanii observée au ZOE™ Fluorescent Cell Imager. Chaque tache grise est une amibe. / @Amandine Chauviat

Je m’intéresse particulièrement à cette bactérie lorsqu’elle est en interaction dans l’environnement avec l’amibe Acanthamoeba castellanii, qui est un micro-organismes très largement disséminé dans l’environnement (eau, sol, air). L’amibe se nourrit de bactéries par le phénomène de phagocytose. Elle attrape les bactéries grâce à des pseudopodes (sorte de bras) et les ingère dans des vacuoles (équivalent à un petit estomac) pour les digérer. Certaines bactéries, notamment des pathogènes comme S. maltophilia, sont capables de survivre à cette digestion voire de se multiplier à l’intérieur de l’amibe. Les amibes servent ainsi de « véhicule » pour la dissémination de ces bactéries et les protègent de l’environnement extérieur.

De précédents travaux dans l’équipe ont mis en évidence que les pompes à efflux de la bactérie S. maltophilia étaient activées au contact de molécules produites pendant l’interaction amibe-bactérie, ce qui pourrait conduire à l’augmentation de la résistance aux antibiotiques de la bactérie.

C’est donc là que j’interviens en cherchant à (i) identifier les molécules produites au cours de l’interaction amibe – bactérie et (i) à caractériser le rôle des pompes dans la survie à l’intérieur de l’amibe.

Ainsi, si les pompes à efflux sont impliquées dans la survie au sein de l’amibe, ces dernières participeraient également à la dissémination de la résistance aux antibiotiques augmentant ainsi le risque pour l’Homme d’être confronté à des bactéries résistantes.

Un article écrit par Amandine Chauviat, doctorante au Laboratoire d’Écologie Microbienne, Équipe BEER « Bacterial Efflux and Environmental Resistance », Université Claude Bernard Lyon 1 – 4 janvier 2023

> Écouter son interview

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          Encart

         La résistance aux antibiotiques, quésaco ?

La résistance aux antibiotiques correspond à la capacité d’une bactérie à devenir insensible à l’effet d’un antibiotique. Plusieurs mécanismes de résistance existent et confèrent à la bactérie la capacité :

  • à dégrader l’antibiotique (à l’image d’un Pacman qui mangerait les antibiotiques),
  • à empêcher la molécule de rentrer dans la bactérie (comme on porte un imperméable pour se protéger de la pluie)
  • à atteindre sa cible (comme si l’on essayait de faire rentrer un rond dans un triangle avec un jeu d’enfant)
  • à expulser l’antibiotique à l’extérieur de la bactérie (comme une pompe qui éjecterait l’antibiotique).

Face à une bactérie résistante, les traitements antibiotiques deviennent inefficaces pour combattre une infection.

Les différents mécanismes de résistance aux antibiotiques : la cellule bactérienne est représentée en jaune, la boule rouge représente un antibiotique. Les différents mécanismes sont symbolisés et explicités dans le texte avec les numéros. / @Amandine Chauviat

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

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Notes
[1] La France encore trop consommatrice d’antibiotiques, Santé Publique France, 2 nov. 2022.

[2] Bactéries qui ne causent des infections que chez des patients affaiblis ou immunodéprimés mais n’affectent pas les patients en bonne santé. Elles peuvent provoquer des infections diverses telles que des infections urinaires, pulmonaires, des infections du site opératoire, des infections du sang, etc. Ces bactéries sont une préoccupation grandissante en santé  car elles sont de plus en plus résistantes aux antibiotiques.

[3] Facteurs biotiques : facteurs qui sont d’origine biologique, du domaine du vivant (ex : interaction avec d’autres bactéries, des plantes, etc.). Facteurs abiotiques : facteurs qui sont d’origine non biologique, domaine du non-vivant (ex. : présence de métaux lourds, augmentation de la température, etc.)

BBibliographie

« L’antibiorésistance est une conséquence du rapport dévoyé qu’entretient notre espèce avec le reste du vivant » | #7

«« L’antibiorésistance est une conséquence du rapport dévoyé qu’entretient notre espèce avec le reste du vivant » | #7

Ressource #7 du dossier Pop’Sciences – CNRS : « Résistance aux traitements : la recherche en quête de solutions »
INTERVIEW de Claire Harpet

Claire Harpet est anthropologue à l’Université Jean Moulin Lyon 3, ingénieure de recherche au sein du Laboratoire Environnement, Ville et Société1 (EVS) et de la Chaire « Valeurs du soin ». Elle étudie les relations qu’entretiennent les sociétés humaines avec le vivant et s’intéresse particulièrement à la résistance aux antibiotiques comme un fait social total.

Dès la découverte des antibiotiques dans les années 1920, leurs inventeurs alertaient sur l’inévitable adaptation des bactéries à ces traitements. À peine un siècle plus tard, on dénombre près de 5 millions de décès annuels associés à l’antibiorésistance. Comment expliquez-vous que malgré cette menace grandissante, celle-ci demeure largement invisible ?

Claire Harpet : Au moment où il découvre la pénicilline, Alexander Fleming prévient en effet que la capacité d’adaptation et de résistance des bactéries est un phénomène naturel qu’il faut anticiper. Elle a effectivement proliféré de façon incontrôlée depuis, rendant un grand nombre d’antibiotiques inopérants pour plusieurs maladies infectieuses, et cela tient à nos choix de société ainsi qu’à nos modes d’appréhender les maladies et de les combattre.

En plus d’être un fait biologique, l’antibiorésistance est donc surtout un fait social. Or, jusque dans les années 2000, elle est restée une problématique peu traitée par les sciences humaines et sociales (SHS), seulement abordée du point de vue biomédical. C’est notamment ce qui explique que nous ayons d’abord cherché à enrayer le problème en essayant de modifier les comportements individuels de chaque patient vis-à-vis de leur médicamentation. Force est de constater que cela n’a pas fonctionné et qu’il faut désormais envisager l’antibiorésistance dans toute sa complexité, en particulier du point de vue des représentations et des pratiques sociales.


Vous venez justement de coordonner la publication de l’ouvrage collectif L’antibiorésistance : Un fait social total (Éd. Quae, 2022). En quoi ce que vous appelez l’ethnomédecine et la prise en compte des aspects sociaux et écologiques peut-elle aider à comprendre l’antibiorésistance et limiter son développement ?

CH : Les SHS, l’ethnologie en particulier, se révèlent pertinentes pour comprendre les structures sociales dans lesquelles nous sommes toutes et tous enchâssés. Lorsqu’on s’intéresse à une communauté du point de vue de l’ethnomédecine, on cherche à décrypter ses représentations sociales, ses croyances et ses pratiques à l’égard de la maladie et du médicament. On va donc s’immerger avec elle et s’intéresser aux contextes culturels, sociaux et écologiques dans lesquels elle vit et interagit.

Communauté de femmes d’Antrema (Côte Nord-Ouest de Madagascar) © Claire Harpet

Ce faisant, nous sommes en mesure de déceler les paramètres sociaux qui concourent à la propagation d’une maladie ou le développement d’un phénomène sanitaire (ici, l’antibiorésistance), mais également de découvrir les pratiques sociales qui permettent de la combattre. Par exemple, le lavage des mains est une pratique simple qui s’applique à l’ensemble des sociétés humaines ; et on retrouve d’autres pratiques, plus spécifiques, comme le grand soin que prend une société d’éleveurs de ne pas boire au même point d’eau que son bétail.

C’est dans cette perspective que je me rends à Madagascar en mai 2023 pour travailler avec les équipes soignantes et les populations, dans la perspective de trouver ensemble de nouveaux moyens d’enrayer la prolifération de bactéries résistantes aux traitements.


On retrouve des traces d’antibiotiques à toutes les échelles du vivant, dans l’eau, l’alimentation, les sols et même dans l’air. Faut-il considérer les antibiotiques comme la marque d’une emprise de l’humain sur son environnement ?

CH : Oui. C’est sans aucun doute un des marqueurs de l’Anthropocène. Il n’y a sur Terre pas un seul territoire exempt de trace d’antibiotique et donc potentiellement d’antibiorésistance. C’est donc un stigmate, durable, de l’impact de notre civilisation sur les écosystèmes.

Il y a eu un bouleversement qui s’est opéré au moment où les antibiotiques ont été conditionnés sous formes de comprimés et qu’ils sont entrés dans la sphère domestique. Ils ont alors, dans les années 1960-70, commencé à faire partie du cadre des ménages au même titre que d’autres médicaments classiques, ne nécessitant plus de passer par la main du médecin pour être administrés (par injection). À partir de ce moment-là, les antibiotiques sont devenus constitutifs de nos quotidiens et on ne peut plus imaginer qu’ils en soient absents. Notre société s’est, depuis, habituée à moins souffrir, à moins bien supporter la douleur et donc à privilégier le remède quasi « instantané » qu’est l’antibiotique.


Il y a également eu une rupture du point de vue de notre alimentation, avec une croissance exponentielle de la consommation de protéines animales. Les pratiques intensives d’élevages mises en place pour « satisfaire » ces nouvelles habitudes ont massivement fait usage d’antibiotiques…

CH : Il est certain que l’élevage intensif a poussé à une sur-administration d’antibiotiques, non pas pour des raisons sanitaires, mais bien pour accélérer la croissance des animaux et gagner en productivité. Ces pratiques ont de facto entraîné une propagation des résistances aux traitements, d’abord chez les animaux d’élevages, puis chez les humains en raison de notre alimentation effectivement très carnée.

L’administration préventive d’antibiotiques pour la santé animale est désormais interdite en France et nous avons constaté une baisse considérable des niveaux d’antibiorésistance pour plusieurs médicaments chez les animaux d’élevage. On constate donc que de nouvelles réglementations peuvent produire des effets positifs et relativement rapides.

Néanmoins, le problème n’est pas seulement sanitaire. Le choix que nous avons fait de produire et d’élever en quantité des animaux pour la consommation humaine a entraîné des déséquilibres écologiques majeurs. Dans leurs rapports, le GIEC2 et l’IPBES3 démontrent très bien l’importance cruciale de faire baisser la part de viande dans notre alimentation et donc sa production. Nous avons perdu 80 % de la biomasse de mammifères sauvages dans le monde et près de 60 % des mammifères actuellement vivants sont des animaux d’élevages.

Le problème est donc systémique et appelle à un changement de paradigme et de pratiques. Pour y parvenir, le concept One Health présente un intérêt majeur selon moi.

Vous évoquez justement dans vos travaux l’importance de l’approche One Health, une seule santé, pour une compréhension holistique de l’antibiorésistance. Que recouvre-t-elle et en quoi est-elle pertinente dans ce contexte ?

CH : Le concept One Health considère sur le même plan la santé humaine, animale et environnementale. C’est un concept fondateur qui oblige l’ensemble des disciplines à travailler de concert pour interpréter et anticiper les risques sanitaires mondiaux et y faire face.

One Health a pris de l’importance au fur et à mesure que les crises zoonotiques se sont faites plus nombreuses et récurrentes (avec comme point d’orgue la pandémie de Covid-19). Ces crises, qui sont provoquées par la transmission de pathogènes entre animaux et humains, montrent qu’une meilleure santé passe par une meilleure compréhension des déterminants écologiques et sociaux mondiaux. Les contacts avec les animaux sauvages et leurs hôtes pathogènes sont en effet de plus en plus fréquents, depuis que nous avons largement anthropisé les écosystèmes planétaires et rogné sur le peu d’espaces de vies qu’il leur reste, notamment en artificialisant les sols et en déforestant à outrance.

En somme, l’antibiorésistance est une conséquence du rapport dévoyé qu’entretient notre espèce avec le reste du vivant. Une approche intégrée et globale, comme celle proposée par le concept One Health, peut aider à enrayer sa prolifération.

Comment concrétiser le vœu que vous formulez d’associer les sciences humaines et sociales, les sciences du vivant et la médecine ?

CH : Je plaide pour mieux prendre en compte la part socioculturelle de l’antibiorésistance, notamment en ce qui concerne la prévention et le diagnostic. Autrement dit, je suis convaincue que la situation ne s’améliorera que si les populations locales sont mieux impliquées dans la recherche de solutions.

Il faut donc décloisonner les disciplines et les manières de faire de la science en adoptant une approche « émique ». Il s’agit, autrement dit, d’impliquer les populations locales dans le projet scientifique. Et l’anthropologie est particulièrement bien outillée pour ce faire. Il faut, par exemple, reconsidérer l’importance des thérapies locales et traditionnelles qui ont pu être réduites au silence au moment du processus colonial et de l’hégémonie de la médecine conventionnelle. Cette médecine « traditionnelle » a pourtant comme vertu d’être immédiatement identifiée et adoptée par les populations natives du territoire, et on mesure de plus en plus le côté bénéfique de permettre à chaque médecine d’avoir sa part d’implication dans un parcours de soins. Cette situation n’est pas seulement vécue hors frontière. Elle existe aussi et de manière de plus en plus prégnante au sein de nos espaces hospitaliers.

En France singulièrement, nous avons basculé vers une société du curatif. Les antibiotiques en sont une concrétisation flagrante. Des habitudes simples de protection se sont ainsi perdues aux bénéfices d’une société de « consommation du médicament ». La pandémie Covid-19 a été un signal d’alerte : il ne faut pas attendre d’être malade pour trouver des solutions, mais bien anticiper le risque, mieux écouter et impliquer les populations en amont et évoluer vers une société du préventif.

 

Propos recueillis par Samuel Belaud, journaliste scientifique – 23 mai 2023

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1 Unité CNRS, ENTPE, ENSAL, Université Jean Monnet, École Normale Supérieure de Lyon, Université Lumière Lyon 2, Université Jean Moulin Lyon 3

2 Groupe d’experts intergouvernemental sur l’évolution du climat

3 Plateforme intergouvernementale scientifique et politique sur la biodiversité et les services écosystémiques

Ateliers BARCamp

AAteliers BARCamp

©BU Sciences Lyon 1

Le principe des ateliers BARCamp – Bienvenue à la Recherche – est de permettre aux doctorants ou jeunes chercheurs de présenter en une dizaine de minutes leur sujet de thèse à un public non initié et de valoriser l’activité de recherche auprès du public étudiant, dans un format moins conventionnel que les séminaires ou journées d’étude.

Ce mardi 5 avril, 2 doctorants vous présenteront leurs travaux :

 

  • Jérémie Bouvier est doctorant au Laboratoire Interuniversitaire de Biologie de la Motricité (LIBM). Ses recherches portent sur la caractérisation des propriétés mécaniques des muscles ischio-jambiers chez la femme sportive, en lien avec l’activité physique et le cycle menstruel.
  • Amandine Chauviat est doctorante au Laboratoire d’Ecologie Microbienne au sein de l’équipe Bacterial Efflux and Environnemental Resistance (BEER). Elle travaille sur les pompes à efflux RND de Stenotrophomonas maltophilia et leur implication dans l’émergence de l’antibiorésistance dans l’environnement. Retrouvez l’article d’Amandine Chauviat à propos de son sujet de thèse sur Pop’Sciences.

 

>> En savoir plus :

BU sciences lyon 1

Le tour du monde des microbes

LLe tour du monde des microbes

Les activités humaines transforment radicalement la circulation des microbes sur la planète, avec des répercussions probables sur les écosystèmes et les populations.

Une équipe internationale de chercheurs a dressé le constat dans une étude parue en 2017 dans la revue Science.

Lire l’article :

CNRS le Journal

 

 

Bactéries mes amies ! A la découverte des bonnes bactéries de notre corps…

BBactéries mes amies ! A la découverte des bonnes bactéries de notre corps…

Retrouvons-nous enfants, parents, grands-parents et chercheur.e.s autour d’un jeu made in LabEx ECOFECT pour passer un moment ludique et convivial en apprenant davantage sur les « bonnes » bactéries que l’on a dans le ventre, mais aussi sur la peau ou dans la bouche…

Quelles sont ces bactéries ? D’où viennent-elles ? A quoi servent-elles ?… Autant de questions auxquelles nous essaierons de répondre tous ensemble.

Proposé par :

  • Dominique Pontier, Professeure,
  • Charlotte Streicher,
  • Isabelle Raineteau-Weiss,

de l’Equipe coordinatrice du projet LabEx ECOFECT – Université de Lyon

En savoir plus :

UNIVERSITE OUVERTE LYON 1