Pop’Sciences répond à tous ceux qui ont soif de savoirs, de rencontres, d’expériences en lien avec les sciences.

EN SAVOIR PLUS

Santé mentale : entre pathologies et bien-être | Un dossier Pop’Sciences

SSanté mentale : entre pathologies et bien-être | Un dossier Pop’Sciences

À la rentrée universitaire 2024, la ComUE Université de Lyon inaugure un centre de santé mentale pour les étudiants dans le 7e arrondissement de Lyon. À cette occasion, Pop’Sciences sintéresse à la recherche qui est menée dans le champ de la santé mentale sur le site universitaire de Lyon Saint-Étienne.

« Nous sommes tous concernés ! » nous interpelle le service de la vie étudiante de l’Université de Lyon sur ses pages dédiées à la santé mentale.

Voilà qui pourrait surprendre… mais la définition de la santé formulée par l’organisation mondiale de la santé (OMS) – qui proclame que « la santé est un état de complet bien-être physique, mental et social, et ne consiste pas seulement en une absence de maladie ou d’infirmité » nous dit combien nous sommes toutes et tous concernés ! Ainsi la santé mentale s’envisage dans un continuum qui va du bien-être, de l’épanouissement personnel, en passant par notre capacité à disposer de ressources psychologiques pour nous permettre d’agir dans la société, aux situations de détresse psychologique réactionnelle, pouvant être provoquées lorsque nous traversons des situations éprouvantes, des difficultés existentielles, jusqu’aux troubles psychiatriques plus ou moins handicapants. Notre santé mentale se réalise ainsi par la qualité des relations que nous entretenons dans le contexte social, économique, biologique et environnemental de nos existences.  Comment la qualité de ce système de relations conditionne notre santé mentale ?

S’il est incontournable d’explorer ce qu’il se passe du côté des politiques de santé et du soin, il se révèle nécessaire d’explorer les travaux d’études et de recherches qui sont menées, tant à l’échelle de l’individu que de la société, par les chercheurs en neurosciences, en médecine, en sciences humaines, en droit, en philosophie… il se révèle alors un système foisonnant d’institutions qui travaillent ensemble.

Avec Leslie Wallart du l’équipe de recherche PsyR2, nous avons composé une représentation de ces institutions et leurs interactions. Cette « carte mentale » n’a pas pour ambition d’être un inventaire exhaustif, il s’agit avant tout de montrer le grand nombre et la variété des institutions qui travaillent dans le champ de la santé mentale, selon trois entrées, que sont les politiques publiques, le soin et la recherche.

Nous vous invitons à ouvrir la carte et cliquer sur les liens afin de mieux découvrir les travaux et missions des différentes institutions et programme de recherche.

>> Cliquer sur la carte mentale pour l’afficher en grand écran :

>> La santé mentale une question médicale, sociale et politique ?

Et si s’intéresser à la santé mentale, à sa santé mentale, était une invitation à nourrir une réflexion et à agir pour mieux faire société, cela en développant des capacités à diversifier les liens que nous tissons avec nos environnements, en étant plus inclusif et attentif aux différents régimes de relations au monde que chacun peut construire. Et si s’intéresser à la santé mentale nous permettait de changer nos regards sur nos vulnérabilités et celle des personnes qui nous entourent ?

Pour penser ces questions, nous avons traversé les travaux de la philosophe Élodie Giroux, rencontré l’historienne Isabelle Von Bueltzingsloewen, les Professeurs Nicolas Franck, Frédéric Haesebaert, et Benjamin Rolland,  tous les trois psychiatres, ainsi que Rebecca Shankland, professeur en psychologie, Guillaume Sescousse, chercheur en neurosciences, Benoît Eyraud et Nicolas Chambon, tous les deux sociologues, Gwen Le Goff, politiste, et Nathalie Dumet, psychologue clinique.

Nous les remercions pour leur contribution à la réalisation de ce dossier.

  Les articles du dossier

  • #1 Penser la santé

Tête de femme « Méduse », Lumière et Ombre, 1923 au musée des Beaux-Arts de Lyon / ©Jawlensky Alexej von – Wikimédia commons

Si la santé est un état, c’est aussi un concept. La question de la santé peut alors être envisagée autrement que sous l’angle de la médecine, comme situation particulière d’un organisme, mais aussi à partir de ce qu’implique sa définition. La philosophie s’est ainsi emparée du terme et de ce qu’il entend décrire, conduisant une véritable enquête réflexive à la recherche des contours d’un objet polymorphe.

 

Lire l’article #1

 

  • #2 La santé mentale : un champ en perpétuelle transformation

A Woman Suffering from Obsessive Envy, circa 1819-1820, au Musée des beaux arts de Lyon / ©Alain Basset, Stéphane Degroisse – Wikimédia commons

La conception de la maladie mentale et de sa prise en charge a considérablement changé au fil du temps. Mais c’est à partir de 1950, et surtout depuis les années 1990, qu’interviennent les ruptures les plus fortes et que s’impose le terme de santé mentale. Celle-ci est intégrée au champ de la santé globale alors que la priorité est désormais de maintenir les personnes atteintes de troubles psychiques dans l’espace social.

 

 

Lire l’article #2

 

  • #3 Le rétablissement en santé mentale

Revolution of the Viaduct, 1937 of the collection Hamburger Kunsthalle / ©Rachedi Kamel – Wikimédia commons

Apparue dans les pays anglo-saxons dans les années 1970, la notion de rétablissement en santé mentale a peiné à se faire une place en France. Du chemin a été parcouru depuis et, aujourd’hui, le rétablissement est l’un des objectifs affichés de la prise en charge psychiatrique.

 

 

LIRE L’ARTICLE #3

 

  • #4 L’autonomie : un droit humain – Exemple de la démarche Capdroits

After Right – to the Left, 1932 in Christie’s London / ©wassily kandinsky – Wikimédia commons

Les sociétés démocratiques reposent sur le principe d’une égale capacité civile et politique de tous les citoyens à décider et à agir pour eux-mêmes. Dans de nombreuses situations de vulnérabilité (liées notamment à des difficultés de santé mentale), cet idéal d’égale autonomie est fragilisé, conduisant des proches ou des professionnels à intervenir pour la personne, parfois à sa place, pour la protéger d’une décision – ou absence de décision – qui pourrait mettre la personne en danger. Les mesures civiles de protection (curatelles, tutelles) ou de soin sans consentement donnent un cadre juridique à ces interventions visant à protéger ou soigner des personnes vulnérabilisées. Ces mesures prévoient dans différentes traditions juridiques que cette intervention doit se faire « dans le meilleur intérêt de la personne », ce qui a constitué pendant longtemps le paradigme de régulation du soin et de l’accompagnement.

Lire l’article #4

 

  • #5 Le psychotrauma

The Great Wave off Kanagawa, between circa 1830 and circa 1832 in Metropolitan Museum of Art / ©Metropolitan Museum of Art – Wikimédia commons

Enquêter sur la dimension sociale et politique du psychotraumatisme. Accident, violences, attentats, viols, maltraitances, harcèlement : les liens entre ces évènements et la santé mentale paraissent aujourd’hui évidents. Prévenir l’apparition d’un état de stress post-traumatique est devenu un enjeu de santé publique majeur. Dès lors, éviter les situations et les actes traumatogènes se révèlent être un enjeu social et politique d’envergure.

 

Lire l’article #5

 

  • #6 Addictions : la fatalité n’existe pas

The Card Players, between 1890 and 1892 in the Metropolitan Museum of Art / ©Bequest of Stephen C. Clark – Wikimédia commons

Certes, nous ne sommes pas tous égaux face aux addictions. Chacun possède des facteurs de risque et de protection, individuels et environnementaux, qui nous rendent plus ou moins vulnérables. Pour autant, nos destins ne sont pas tracés d’avance et l’évolution des comportements des individus recèle aussi une part de mystère. Face à une hétérogénéité de profils et de trajectoires, les vérités générales sur les addictions doivent être combattues.

 

  • #7 Orthorexie : quand manger sain dessert l’équilibre de l’individu

Untitled, 1907 in Christie’s / ©Christie’s – Wikimédia commons

Si la psychologie et la psychopathologie cliniques d’orientation psychanalytique ont traditionnellement pour objet l’étude de l’Homme, sa personnalité, son équilibre psychique et ses souffrances subjectives, force est de reconnaître que la frontière est parfois bien ténue entre ce qui relève du normal et du pathologique1. Le souci particulièrement exacerbé en France aujourd’hui du « bien manger », autrement dit le souci d’une alimentation saine, en constitue une illustration.

[1] Même si de fait certains troubles psychopathologiques majeurs (hallucinations et délires de patients psychotiques, dépression et troubles bipolaires de certains autres sujets, etc.) laissent peu de doute planer.

Lire l’article #7

 

—————————————————————

MMerci !

Ce dossier a été réalisé grâce à la collaboration de différents chercheuses et chercheurs, et enseignants-chercheurs, des établissements de la ComUE Université de Lyon :

  • Élodie Giroux, professeure des universités en philosophie des sciences et de la médecine à l’Université Jean Moulin Lyon 3 et chercheure à l’Institut de Recherches Philosophiques de Lyon –  IRPhiL .

Nous les remercions pour le temps qu’ils nous ont accordé.

 

Un dossier rédigé par :

  • Isabelle Vio, chargée de projet Pop’Sciences (introduction) ;
  • Ludovic Viévard, Docteur en philosophie de l’Université Paris Sorbonne, (articles #1 et #2) ;
  • Clémentine Vignon, journaliste scientifique (articles #3 et #6) ;
  • Benoît Eyraud, Maître de conférences en sociologie Université Lumière Lyon 2 (article #4) ;
  • Nicolas Chambon, sociologue, responsable du Pôle Recherche à l’Orspere-Samdarra, et Gwen Le Goff, directrice-adjointe de l’Orspere-Samdarra (article #5) ;
  • Nathalie Dumet, Psychologue clinicienne et psychanalyste Institut de Psychologie de l’Université Lumière Lyon 2 (article #7).

Penser la santé | #1 Dossier Pop’Sciences « Santé mentale : entre pathologies et bien-être »

PPenser la santé | #1 Dossier Pop’Sciences « Santé mentale : entre pathologies et bien-être »

Tête de femme « Méduse », Lumière et Ombre, 1923 au musée des Beaux-Arts de Lyon / ©Jawlensky Alexej von – Wikimédia commons

Si la santé est un état, c’est aussi un concept. La question de la santé peut alors être envisagée autrement que sous l’angle de la médecine, comme situation particulière d’un organisme, mais aussi à partir de ce qu’implique sa définition.

La philosophie s’est ainsi emparée du terme et de ce qu’il entend décrire, conduisant une véritable enquête réflexive à la recherche des contours d’un objet polymorphe.

Un article rédigé par Ludovic Viévard, rédacteur,
pour Pop’Sciences – 29 février 2024

 

 

 

 

Absence de maladie ou bien-être ?
Longtemps comprise comme un déséquilibre des humeurs composant le corps, la santé ne se conçoit qu’à partir du 19e siècle comme l’absence de maladie. Elle devient science de la pathologie et, dans ce modèle dit biomédical, elle est le domaine exclusif du médecin. En 1946, l’Organisation mondiale de la santé en formule une nouvelle définition :

« un état de complet bien-être physique, mental et social, [qui] ne consiste pas seulement en une absence de maladie ou d’infirmité ».

Un état positif donc, dans la mesure où il n’est pas l’effet d’un manque, mais sous-tend une forme de plénitude de l’être que celui-ci soit envisagé dans sa dimension relationnelle ou individuelle. Avec l’explosion des maladies chroniques, la santé évolue encore ; puisqu’il s’agit de vivre avec et non d’en guérir, elle sera considérée comme « la capacité d’adaptation et d’autonomie face à des défis sociaux, physiques et émotionnels »1.

Engelshut, 1931 / ©Gemäldescan Christian Mantey – Wikimédia commons

La santé comme objet d’enquête philosophique
Ce (trop) rapide tour des conceptions de la santé vise seulement à souligner combien la notion de santé a varié. Mais au-delà de l’histoire des idées – qui en décrit l’évolution des formes dans le temps –, la santé peut être interrogée en tant que concept. C’est tout l’objet de la philosophie de la santé explique Élodie Giroux, professeure des universités en philosophie des sciences et de la médecine – Université Jean Moulin Lyon 3, pour qui il s’agit « d’interroger des concepts du sens commun, de les critiquer ou de questionner leur usage »2. Une entreprise d’autant plus nécessaire que la santé est un concept « vulgaire », dira le philosophe G. Canguilhem, au sens où il appartient à tout le monde. Cette enquête philosophique, indique la chercheure, « engage des questions [telles que] : qu’est-ce que la normalité humaine ? Qu’est-ce que l’identité, la norme, la différence, la ressemblance, les rapports entre le même et l’autre ? Y a-t-il une définition biologique de la norme et de l’espèce humaine ? Comment s’articulent les dimensions biologiques, sociales, psychiques de la vie humaine dans les notions de santé et de maladie ? »3

L’individu, la société, la planète
Pour comprendre la pleine portée de ce questionnement philosophique, on peut évoquer quelque unes des frontières qu’il bouscule. Georges Canguilhem, par exemple, portera son effort critique sur la rationalité médicale. La médecine, essentiellement empirique et statistique, édicte un état normal qu’elle oppose au pathologique. Or, dira Canguilhem, la vie est normative, au sens où elle produit ses propres normes nécessaires à son maintien et à son développement. Ainsi, écrit Élodie Giroux, « les concepts de normal et de pathologique n’ont de signification que par rapport à cette normativité du vivant, qui elle-même ne peut se comprendre que dans la relation d’influence réciproque d’un vivant avec son milieu »4. On voit que la question de la santé quitte le registre de la pure objectivité pour faire part à la subjectivité de la personne.

Mais la santé peut aussi s’interroger dans sa dimension sociale. On retrouve ici la définition de l’OMS dans laquelle « la santé est envisagée comme un état qui permet avant tout à l’individu humain d’assumer ses fonctions relationnelles, sociales et familiales et son rôle professionnel »5. Si pour Élodie Giroux cette définition pose difficulté en ce qu’elle fait insuffisamment la différence entre santé et bonheur, elle installe une conception dite bio psychosociale de la santé. Dans ce modèle, l’individu est relié à un ensemble de systèmes de plus en plus extérieurs à lui-même et qui, de ses cellules à la biosphère, contribuent à en définir la santé.

Ainsi, au-delà de la dimension sociale, la santé peut-elle être analysée dans le lien de l’individu à l’environnement. Se font alors jour des perspectives globalisantes, avec la notion de santé environnementale, de santé globale ou d’une seule santé (One Health). Si cette dernière approche « ne repose pas encore sur une définition consensuelle », souligne Élodie Giroux, elle permet « d’alerter sur l’interdépendance entre santés humaine, animale et environnementale et l’importance de l’interdisciplinarité »6.

On le voit, la santé n’engage pas que le corps et l’esprit. Penser la santé, c’est conduire une réflexion sur l’humain, son rapport à lui-même et aux autres, humains et non humains, ainsi que son environnement.

—————————————————————

Notes

[1] : Huber, M., Knottnerus, J.A., Green, et al. (2011), « How should we define health? », BMJ 2011, 343(4163)
[2] : « Note de fin », Revue Phares, vol. XVI, hiver 2016
[3] : « Note de fin », Revue Phares, vol. XVI, hiver 2016
[4] : Philosopher sur les concepts de santé : de l’Essai de Georges Canguilhem au débat anglo-américain », Dialogue, 52 (2013)
[5] : « Concept de santé », Encyclopædia Universalis [s.d.]
[6] : « Concept de santé », Encyclopædia Universalis [s.d.]

Un champ en perpétuelle transformation | #2 Dossier Pop’Sciences « Santé mentale : entre pathologies et bien-être »

UUn champ en perpétuelle transformation | #2 Dossier Pop’Sciences « Santé mentale : entre pathologies et bien-être »

A Woman Suffering from Obsessive Envy, circa 1819-1820, au Musée des beaux-arts de Lyon / ©Alain Basset, Stéphane Degroisse – Wikimédia commons

La conception de la maladie mentale et de sa prise en charge a considérablement changé au fil du temps. Mais c’est à partir de 1950, et surtout depuis les années 1990, qu’interviennent les ruptures les plus fortes et que s’impose le terme de santé mentale. Celle-ci est intégrée au champ de la santé globale alors que la priorité est désormais de maintenir les personnes atteintes de troubles psychiques dans l’espace social.

Un article rédigé par Ludovic Viévard, rédacteur,
pour Pop’Sciences – 29 février 2024

 

 

 

De la folie au trouble mental
Très ancienne – on la trouve déjà dans l’Antiquité – la notion de folie désigne l’inverse de la raison. Le fou est aliéné c’est-à-dire incapable de rationalité. Infirme, possédé ou puni par Dieu, les interprétations sont diverses mais la conséquence est toujours la même : le fou est rejeté de l’espace social. Avec l’apparition de la psychiatrie, la « folie » cède progressivement la place à la « maladie mentale ». Mais au fil du 19e siècle, cette dernière est de plus en plus souvent considérée comme héréditaire et donc incurable. Ce n’est qu’après la Seconde Guerre mondiale que le rapport entre normalité et pathologie est requestionné, en particulier par le philosophe Georges Canguilhem, ouvrant la voie à une autre conception, moins stigmatisante de la maladie mentale. C’est notamment sur la base de ses travaux que l’OMS propose, en 1946, une définition positive de la santé comprise comme un « état de complet bien être physique, mental et social qui ne consiste pas seulement en une absence de maladie ou d’infirmité ». Pour l’historienne de la psychiatrie Isabelle von Bueltzingsloewen, « c’est à partir de là qu’on peut commencer à parler de santé mentale ».

La visita al hospital, 1889 in the book: Historia del Arte ©Photo scan – Wikimédia commons

De l’enfermement à la déshospitalisation
Une seconde transformation concerne la prise en charge des personnes atteintes de troubles mentaux. Isabelle von Bueltzingsloewen explique que « jusqu’à la Seconde Guerre mondiale, celle-ci se fait quasi exclusivement à l’hôpital psychiatrique – terme qui n’apparaît qu’en 1937 pour remplacer celui d’ »asile d’aliénés » ». Après la guerre, et surtout à partir des années 1960, se manifeste la volonté de rompre avec l’enfermement jusqu’ici considéré comme une thérapeutique à part entière. Les hôpitaux psychiatriques s’ouvrent sur l’extérieur et « on assiste à une déshospitalisation des patients grâce à la création de structures extra-muros. Le nombre de longs séjours asilaires diminue progressivement pour ne plus concerner que les patients « en crise » ». Aujourd’hui, la plupart des personnes atteintes de troubles mentaux sont suivies hors de l’hôpital, dans des centres médico-psychologiques (CMP), des hôpitaux de jour, des centres d’accueil thérapeutiques à temps partiel (CATTP) ou vivent dans des foyers ou des appartements thérapeutiques. Cette évolution s’est traduite par une diminution drastique du nombre de lits hospitaliers. Or les moyens des structures extra-hospitalières étant insuffisants,
nombre de patients vivent dans la rue ou sont en prison.

Vers une réhabilitation sociale
Si ce mouvement de déshospitalisation est soutenu par de nombreux psychiatres et par les politiques de santé publique, il a été rendu possible par l’apparition, à partir des années 1950, de nouveaux traitements médicamenteux (antipsychotiques, anxiolytiques, neuroleptiques retard, etc.). Mais il va aussi de pair avec l’affirmation du courant optimiste du rétablissement (Recovery). Venu d’Amérique du Nord, celui-ci se développe en France depuis les années 1990. « Ce qui est visé est moins la guérison que le renforcement des capacités et du « pouvoir d’agir » (empowerment) du patient qui, grâce aux techniques de remédiation psycho-sociale1, mais aussi grâce à des dispositifs tels que l’allocation aux adultes handicapés (AAH), doit pouvoir prendre sa vie en main et trouver sa place dans la société », indique Isabelle von Bueltzingsloewen. Puisant à la même inspiration, l’accompagnement des patients par des pairs, c’est-à-dire par des personnes ayant ou ayant eu elles-mêmes des troubles, prend une place de plus en plus importante grâce à la création des groupes d’entraide mutuelle (GEM).

De l’aliénation à la neurodiversité
Évoquons une dernière transformation qui concerne le regard porté sur les personnes atteintes de troubles de la santé mentale. Si les préjugés sont encore tenaces, les évolutions précédentes ont induit un mouvement progressif de déstigmatisation et d’inclusion des personnes atteintes de troubles psychiques. Elles se prolongent dans la prise de parole de personnes qui refusent d’être catégorisées comme malades ou souffrant d’un quelconque trouble. Ainsi, précise Isabelle von Bueltzingsloewen, « les voice-hearers, par exemple, considèrent qu’il est tout à fait normal d’entendre des voix
et renvoient l’anormalité du côté de ceux qui n’en entendent pas ». À ceux qualifiés de neurotypiques, il est ainsi opposé une neurodiversité qui installe la possibilité d’une différence radicale, y compris dans le rapport à l’autre et au réel.

—————————————————————

Note

[1] : Reprogrammation mentale : une dialmectique corps & cerveau, un article Pop’Sciences rédigé par Nathalie Mermet – Mars 2021

Le rétablissement en santé mentale | #3 Dossier Pop’Sciences « Santé mentale : entre pathologies et bien-être »

LLe rétablissement en santé mentale | #3 Dossier Pop’Sciences « Santé mentale : entre pathologies et bien-être »

Apparue dans les pays anglo-saxons dans les années 1970, la notion de rétablissement en santé mentale a peiné à se faire une place en France. Du chemin a été parcouru depuis, et aujourd’hui, le rétablissement est l’un des objectifs affichés de la prise en charge psychiatrique.

Un article de Clémentine Vignon, journaliste scientifique, rédigé
pour Pop’Sciences – 29 février 2024

L’idée qu’une personne présentant des troubles psychiques puisse réussir à mener une vie ordinaire n’allait pas de soi. En santé mentale, un certain fatalisme l’emportait, y compris chez les soignants.
Mais le champ de la psychiatrie n’a cessé d’évoluer. Aujourd’hui, le rétablissement est reconnu et constitue même l’une des principales cibles de la prise en charge en santé mentale. Au centre hospitalier Le Vinatier, à Bron, les patients qui présentent des troubles sévères, de l’ordre de la schizophrénie ou du trouble bipolaire, peuvent notamment bénéficier de techniques de réhabilitation psychosociale. « Leur objectif n’est ni la diminution ni la disparition des symptômes, mais le rétablissement de la personne, c’est-à-dire de lui permettre de réussir sa vie selon ses propres critères », indique le Pr Nicolas Franck,
psychiatre et chef du pôle Centre Rive Gauche, où se situe le centre ressource de réhabilitation psychosociale, une structure nationale reconnue.

La réhabilitation psychosociale
En renforçant le pouvoir de décision et d’action des patients, la réhabilitation psychosociale vise avant tout leur réinsertion sociale et/ou professionnelle. Elle s’appuie sur une panoplie d’outils tels que la remédiation cognitive, dont l’objectif est de réduire l’impact des troubles cognitifs sur la vie du patient, ou encore l’entraînement des compétences sociales (capacités d’écoute empathique, résolution de conflits, etc.). Ces techniques ont pour point commun de se focaliser sur les capacités des personnes plutôt que sur leurs limitations. Elles consistent en des exercices de résolution de problèmes concrets, des mises en situation, ou encore des jeux de rôle.
Tout l’enjeu est d’amener les patients à mieux se connaître afin qu’ils puissent construire leur projet de soin en fonction de leur projet de vie, selon des objectifs professionnels, familiaux, amicaux ou autres.
Les bénéfices de la réhabilitation psychosociale sont largement démontrés. « Grâce à elle, de nombreux patients reprennent des trajectoires de vie favorables après avoir été interrompues par la maladie », soutient le Pr Nicolas Franck (Université Claude Bernard Lyon1 / Centre hospitalier Le Vinatier). Ils retrouvent un travail, des relations sociales satisfaisantes, fondent une famille, et certains finissent même par se détacher complètement de la psychiatrie. Pour d’autres, la poursuite d’un traitement médicamenteux demeure une condition essentielle du rétablissement. Dans tous les cas, seul le patient est à même de se prononcer sur son rétablissement.

Tangotee, between 1919 and 1921 of the Private collection / © Christie’s – Wikimédia commons

Prise en charge précoce : une priorité
Plus la prise en charge du patient est précoce, plus la réhabilitation psychosociale aura de chance d’aboutir à un rétablissement. Or, les patients qui bénéficient aujourd’hui de la réhabilitation sont souvent déjà bien avancés dans la maladie. La détection précoce des troubles psychotiques, notamment auprès des jeunes, est donc une priorité. Dans cet objectif, le dispositif PEP’s a été créé en 2019 par le Pr Frédéric Haesebaert (Université Claude Bernard Lyon 1/Centre hospitalier Le Vinatier), chef de service au Vinatier, pour accueillir des jeunes adultes de 18 à 35 ans présentant un premier épisode psychotique.
Accolé au centre référent de réhabilitation psychosociale de Lyon, ce dispositif permet de proposer rapidement de la réhabilitation aux personnes qui en ont besoin. « On sait que c’est dans les 2 à 5 premières années qui suivent le premier épisode qu’on obtient un maximum de bénéfices de nos interventions », soutient Frédéric Haesebaert. La prise en charge précoce, rappelle le psychiatre, réduit fortement la mortalité.
Afin de repérer encore plus efficacement les jeunes en souffrance psychique, Frédéric Haesebaert a eu l’idée d’aller au devant d’eux directement dans les universités. Avec le service de santé universitaire (SSU) de l’Université Claude Bernard Lyon 1, il a co-construit le projet PRIOR-ETU. Dans les faits, un psychiatre du Vinatier est détaché sur le campus LyonTech-la Doua pour mener des consultations auprès des étudiants. En fonction des situations, les étudiants sont ensuite suivis à l’université ou peuvent intégrer le dispositif PEP’s. Une action qui a du sens, quand une étude scientifique publiée en 2020 a montré que seuls 6 % des étudiants qui avaient présenté des troubles psychologiques pendant le confinement, déclaraient avoir consulté un professionnel de la santé (étude nationale portant sur plus de 69 000 étudiants1).

Lutter contre la stigmatisation
D’autres actions sont mises en place afin de sensibiliser les étudiants sur la santé mentale. C’est le cas du programme ETUCARE, financé par l’ARS Bourgogne-Franche-Comté et conçu par des chercheurs en psychologie du laboratoire DIPHE de l’Université Lumière Lyon 2 en collaboration avec l’IREPS BFC. « Il s’agit d’une plateforme en ligne que nous avons co-construite avec les étudiants et qui les sensibilise sur différentes thématiques en lien avec la
santé mentale, comme la régulation des émotions ou encore la gestion du stress » explique Rebecca Shankland, professeur en psychologie du développement au sein du laboratoire DIPHE (département PsyDev). Ce type d’initiative vise aussi à lutter contre la stigmatisation en santé mentale. Tout comme le dispositif ZEST (zone d’expression contre la stigmatisation), porté par le centre ressource national de réhabilitation psychosociale, qui encourage la prise de parole des personnes concernées par des troubles psychiques. Ou encore l’engagement des pair-aidants, ces patients rétablis qui s’appuient sur leur expérience pour accompagner les personnes concernées par un trouble mental. Preuves vivantes qu’il est possible d’être en bonne santé mentale malgré un syndrome psychiatrique, ils laissent entrevoir une issue positive, insufflent de l’espoir, et guident les patients sur le chemin du rétablissement.

—————————————————————

Note :

[1] JAMA Netw Open. 2020 Oct; 3(10): e2025591.

PPour aller plus loin

L’autonomie : un droit humain | #4 Dossier Pop’Sciences « Santé mentale : entre pathologies et bien-être »

LL’autonomie : un droit humain | #4 Dossier Pop’Sciences « Santé mentale : entre pathologies et bien-être »

Les sociétés démocratiques reposent sur le principe d’une égale capacité civile et politique de tous les citoyens à décider et à agir pour eux-mêmes. Dans de nombreuses situations de vulnérabilité (liées notamment à des difficultés de santé mentale), cet idéal d’égale autonomie est fragilisé, conduisant des proches ou des professionnels à intervenir pour la personne, parfois à sa place, pour la protéger d’une décision – ou absence de décision – qui pourrait mettre la personne en danger. Les mesures civiles de protection (curatelles, tutelles) ou de soin sans consentement donnent un cadre juridique à ces interventions visant à protéger ou soigner des personnes vulnérabilisées. Ces mesures prévoient dans différentes traditions juridiques que cette intervention doit se faire « dans le meilleur intérêt de la personne », ce qui a constitué pendant longtemps le paradigme de régulation du soin et de l’accompagnement.

Un article de Benoît Eyraud, Maître de conférences en sociologie, rédigé
pour Pop’Sciences – 23 février 2024

 

Avec la Convention Internationale relative aux droits des personnes handicapées (CIDPH), adoptée par les Nations Unies en 2006 et ratifiée par la France en 2010, ce paradigme change. Son article 12, qui traite de la capacité juridique, introduit un changement de regard et de règles juridiques par rapport aux personnes en situation de vulnérabilité. Il fait des « volontés et préférences » de la personne, et non plus de « ses intérêts » ou de « ses besoins », le fondement juridique des décisions ou actions (soins, travail, vie affective, gestion des biens, déplacements, alimentation, hygiène, participation à la vie sociale…). Il préconise de généraliser les systèmes de « prise de décision assistée », en évitant ainsi de décider à la place d’autrui et d’user de la contrainte à son encontre. Cet article a des conséquences importantes en relation avec de nombreux domaines de vie et des transformations de pratiques de soins. Il donne un fondement au développement de nouvelles pratiques cliniques comme celle du rétablissement.

Pourtant, le recours à des mesures de « contrainte légale » (tutelles, curatelles, soins sans consentement) ne cesse d’augmenter dans les domaines de la santé mentale, du handicap et de la dépendance. Ainsi, en France, les mesures de protection juridique sont passées de quelques milliers dans les années 1960 à près de 900 000 aujourd’hui. De même, le recours aux mesures de soins sans consentement augmente régulièrement depuis les années 1990, avec une accélération de cette tendance depuis la mise en œuvre de la loi du 5 juillet 2011. Cette évolution n’est pas propre au contexte français, des tendances comparables existant dans de nombreux pays européens ou nord-américains notamment.

Ces évolutions paradoxales sont dé battues par les spécialistes et les militants : les promoteurs de la convention de l’ONU sur les droits des personnes en situation de handicap affirment avec force un modèle du handicap fondé sur les droits de l’homme, interdisant toute restriction d’exercice de la capacité juridique pour des raisons de santé ou de handicap, et toute mesure légale de prise de décision substitutive. Ce modèle, que le Comité des droits des personnes handicapées de l’ONU promeut est contesté notamment par des professionnels de la santé mentale, qui craignent qu’il puisse « saper » l’accès effectif aux droits des personnes en situation de grande vulnérabilité.

La démarche scientifique et citoyenne Capdroits cherche à donner une caisse de résonance aux débats initiés par ce changement de paradigme, et à analyser ses implications cliniques et sociales.

Elle s’appuie sur une méthodologie de mise en problème public de l’expérience qui se caractérise par l’accompagnement à la recherche de personnes ayant l’expérience de mesures de contraintes légales, mais aussi par un accompagnement à la réception publique de ces expériences. La démarche revisite des modalités de recherche-action-participative.

Untilted, 1914 in the collection of sotheby’s / ©sotheby’s – wikimédia commons

Elle a conduit à prendre position sur au moins trois controverses. La première est directement relative à l’abolition des mesures de prise de décision substitutive. La mise en dialogue souligne que les mesures contraintes de protection posent des problèmes à tous les acteurs concernés, médecins, juges, personnes hospitalisées, en tutelle, en curatelle, mais que leur abolition suscite des inquiétudes ontologiques importantes. A cet égard, l’abolition de ces mesures constitue non pas une utopie déconnectée des réalités, mais un idéal dont il s’agit d’imaginer les conditions sociales de réalisation.

La seconde est relative à une critique ordinaire développée par rapport à la notion d’autonomie qui serait « un mythe », une « illusion ». A travers les expériences partagées, nous soulignons la fragilité de cette notion d’autonomie dans la vie sociale, et nous invitons à « ne pas céder sur l’autonomie ». Nous reconnaissons ainsi l’importance de l’autonomie « de vie », en tant qu’appréhension située et relationnelle de l’autonomie, comme droit humain.

La troisième est relative au terme de désinstitutionnalisation, explicité dans l’Observation générale n°5 sur l’autonomie de vie et l’inclusion dans la société du comité des droits des Nations Unies. Cette observation insiste sur la place excessive prise par les établissements et services dédiés dans la vie des personnes vulnérabilisées et appelle à leur fermeture. Il nous semble important de reconnaître le changement de regard qui a été favorisé par ce terme tout en prenant en compte les incompréhensions qu’il peut susciter. Nous considérons en cela qu’il s’agit plutôt de s’emparer des institutions.
La reconnaissance des droits humains constitue une pierre angulaire autant qu’un horizon de sens des sociétés contemporaines. Ce droit s’est formulé notamment dans l’article 19 de la convention internationale des droits des personnes handicapées comme un droit à l’autonomie de vie, qui consacre pour la première fois en droit positif le droit de bénéficier de conditions de développement de l’autonomie dans sa vie, à égalité avec les autres. Il constitue un pas en avant dans une perspective d’une plus grande justice sociale.

PPour aller plus loin

La convention internationale pour les droits des personnes handicapées Degener :
  • Démarche Capdroits, manifeste toutes et tous capables, toutes et tous vulnérables, 2018 Démarche Capdroits, L’autonomie de vie comme droit humain. Une contribution aux débats interpersonnels et institutionnels Eyraud, Minoc, Hanon, 2018, Choisir et agir pour autrui ?
  • Controverses autour de la Convention Internationale pour les droits des personnes handicapées, Eyraud Benoît, Reconnaître la capacité juridique comme droit humain. Une sociologie affirmative, ENS Lyon, 2024 Freeman et alii., 2015

Le psychotrauma | #5 Dossier Pop’Sciences « Santé mentale : entre pathologies et bien-être »

LLe psychotrauma | #5 Dossier Pop’Sciences « Santé mentale : entre pathologies et bien-être »

Enquêter sur la dimension sociale et politique du psychotraumatisme.
Accident, violences, attentats, viols, maltraitances, harcèlement : les liens entre ces évènements et la santé mentale paraissent aujourd’hui évidents. Prévenir l’apparition d’un état de stress post-traumatique est devenu un enjeu de santé publique majeur. Dès lors éviter les situations et les actes traumatogènes se révèlent être un enjeu social et politique d’envergure.

Un article de Nicolas Chambon, sociologue et Gwen Le Goff, directrice-adjointe de l’ Orspere-Samdarra rédigé
pour Pop’Sciences – 15 février 2024

Histoire
Au cours du XXe siècle, des médecins militaires commencent à caractériser la « névrose de guerre » à la suite de la Première Guerre mondiale. Puis au sortir de la seconde guerre mondiale apparaissent les concepts de « syndromes d’épuisement », « syndrome de survivant » ou encore « syndrome des camps de concentration » décrivant les conséquences psychiques des horreurs vécues pendant la guerre. On les envisage alors comme des réactions normales face à des facteurs de stress intense.
C’est à la suite de la guerre du Vietnam et de l’activisme des vétérans de retour au pays, qu’apparait l’entité « Post traumatic Stress Disorder », PTSD (Trouble de Stress Post Traumatique, TSPT en français), qui sera inscrite dans le Manuel diagnostique et statistique des troubles mentaux (DSM 3) en 1980, ouvrant la voie à une reconnaissance et ainsi à une indemnisation. D’abord « réservé » au monde militaire, cette notion passe dans le domaine civil suite à différents attentats (RER B en France en 1995, le 11 septembre 2001  aux États Unis).

Définitions du psychotraumatisme
Elles sont encore aujourd’hui plurielles et non consensuelles. De manière usuelle on définit un événement traumatique comme un évènement qui confronte « au réel de la mort.»1
Aujourd’hui et depuis les 30 dernières années, les définitions se précisent du fait des recherches et du développement des connaissances. On peut comprendre le psychotraumatisme comme une fracture dans le parcours de vie, qui fait suite à événement, entrainant une détresse et une souffrance marquée. C’est un événement majeur dépassant le cadre du vécu ordinaire, représentant une menace pour ceux qui le subissent et causant des sentiments d’impuissance, d’horreur ou de terreur.
Un événement n’est pas traumatisant en soi et nous sommes inégaux face au vécu d’un même événement. On pourrait considérer que les événements ont un potentiel traumatique plus ou moins élevé, mais que le développement de souffrances et de troubles psychiques associés varie en fonction des facteurs de vulnérabilité et de protection de chacun. En conséquence, il est impossible de préjuger pour l’autre du caractère traumatisant de tel ou tel événement ; ce qui nous apparaît bénin peut provoquer un psychotraumatisme à d’autres, et inversement.
À la différence du stress qui est un mécanisme d’adaptation physiologique à un stimulus, le trauma vient déborder les capacités d’adaptation. Il peut induire des réactions « physiologiques » disproportionnées (tachycardie, hypertension), une dissociation qui se manifeste sous la forme d’une rupture de l’unité psychique, induisant des altérations de la perception et de la conscience. La
dissociation peut être responsable d’une dépersonnalisation, d’une déréalisation ou d’une amnésie traumatique. La dissociation importante est un facteur de risque de développer un trouble mental dans les suites.
La manifestation de ces troubles diffère également selon la temporalité à laquelle ils apparaissent, il est donc important de repérer et de prendre en charge le plus précocement possible le psychotraumatisme, afin d’en éviter la chronicisation.

 

Evening Melancholy, 1896 de Edvard Munch au Munch – Ellingsen Gruppen, Bono / ©Google Art Project – Wikimédia commons

Psychotrauma complexe ?
Une autre forme de psychotrauma ne suivant pas ce schéma (événement → réaction → trouble) est le psychotrauma complexe, qui est plus fréquent chez les personnes en situation de précarité et/ou de migration. Il survient lorsque des individus sont victimes de violences répétées, intenses, perpétrées par d’autres humains (inceste, guerre, torture, violence conjugale…). Il s’accompagne de
modification profonde de la personnalité et du rapport au monde. En plus de la triade « classique » du trouble de stress post traumatique, évitement (pouvant aller jusqu’à l’agoraphobie) hypervigilance (état d’alerte permanent, sursaut, colères..), reviviscences (cauchemars, flash-back…), le tableau diagnostique comprend l’altération durable de la régulation des émotions, la modification de la personnalité et du rapport aux autres.

Les dimensions sociales et politiques du psychotraumatisme
Le traumatisme comprend une dimension subjective, ne dépendant pas seulement de la nature de l’évènement mais de sa rencontre avec un contexte à la fois personnel et sociétal (la manière dont l’individu, la famille, la communauté et la société réagissent).
Considérer ces dimensions permet de reconnaître le potentiel objectivement douloureux ou traumatique de certains évènements dans un contexte donné, et ainsi de ne pas axer seulement sur la difficulté de l’individu à y faire face. La reconnaissance politique et sociale des évènements qui peuvent provoquer de la souffrance permet de plus que se développent des solidarités et des moyens
d’agir sur ces évènements (dans un axe préventif, afin que moins d’individus y soient confrontés), et concourt au développement de moyens d’aide et d’entraide pour faire face à la souffrance associée.
La prévention passe d’une part par des actions politiques en faveur de droits humains (respect du droit d’asile, lutte contre le harcèlement, contre les violences sexistes et sexuelles…), et d’autre part par des actions en santé publique favorisant le repérage et la prise en charge globale du psychotraumatisme. Considérer cette dimension politique permettrait de visibiliser les blessures
qu’on « ne sait pas voir ». À ce titre, l’expérience de la précarité ou de la migration peut induire la confrontation à des évènements à potentiel traumatique.
C’est pourquoi nous cherchons à documenter au mieux ces expériences2 et les impacts sur la santé mentale3, comme à problématiser les enjeux que pose la prise en charge des personnes migrantes dans les Centres Régionaux de Psychotraumatisme4.

—————————————————————

Notes

[1] : Le Traumatisme Psychique par François LEBIGOT. Revue Francophone Stress et Trauma. Nov 2009. Le psychotrauma en quête de reconnaissance.
[2] : Collectif « Paroles expériences et migration »,. Le parcours du combattant. Expériences plurielles de la demande d’asile en France. Presses de Rhizome, 2022
[3] : Chambon, Nicolas, et Gwen Le Gof. « Les leçons du traumatisme », Rhizome, vol. 80-81, no. 2-3, 2021, pp. 2-3
[4] : «les enjeux sociaux et politiques de la prise en charge du psychotraumatisme chez les personnes en situation de migration », thèse de Gwen Le Gof sous la direction de Camille Hamidi, Université Lyon 2, laboratoire Triangle.

Addictions : la fatalité n’existe pas | #6 Dossier Pop’Sciences « Santé mentale : entre pathologies et bien-être »

AAddictions : la fatalité n’existe pas | #6 Dossier Pop’Sciences « Santé mentale : entre pathologies et bien-être »

Certes, nous ne sommes pas tous égaux face aux addictions. Chacun possède des facteurs de risque et de protection, individuels et environnementaux, qui nous rendent plus ou moins vulnérables. Pour autant, nos destins ne sont pas tracés d’avance et l’évolution des comportements des individus recèle aussi une part de mystère. Face à une hétérogénéité de profils et de trajectoires, les vérités générales sur les addictions doivent être combattues.

Un article de Clémentine Vignon, journaliste scientifique, rédigé
pour Pop’Sciences – 29 février 2024

 

« Je suis complètement accro au chocolat, c’est une vraie addiction ! » On a tous entendu ou prononcé cette phrase au moins une fois dans notre vie, le « chocolat » pouvant être remplacé, selon les goûts, par « sucre », « fromage » ou toute autre gourmandise. Il s’agit pourtant d’une utilisation abusive du terme addiction. L’addiction répond en réalité à des critères très précis, détaillés dans les classifications internationales des troubles mentaux. Parmi ces critères, on retrouve une perte de contrôle de l’usage, un envahissement de la vie de l’individu, ou encore un délitement progressif de son insertion sociale et professionnelle. Les addictions se caractérisent par la poursuite d’un usage en dépit de lourdes conséquences sur la vie de l’individu. Les addictions aux substances reconnues à ce jour concernent le tabac (par le biais de la nicotine), l’alcool, le cannabis, les opiacés (héroïne, morphine), la cocaïne, ainsi que les amphétamines et dérivés de synthèse. Seules deux addictions sans substance sont validées par la communauté scientifique : les troubles du jeu vidéo et du jeu d’argent. Parler « d’addiction aux écrans » pour dénoncer le temps excessif passé sur nos téléphones, est un abus de langage qu’il faut donc éviter.

L’usage ne fait pas l’addiction
« Quelle que soit la substance ou le comportement, l’usage ne fait pas l’addiction », rappelle le Pr Benjamin Rolland, psychiatre addictologue au Centre hospitalier Le Vinatier, à Bron. Un continuum existe entre la consommation dite récréative et la perte de contrôle de l’usage. Mais quels sont les facteurs qui expliquent que certains individus vont finir par basculer dans l’addiction, alors que d’autres parviendront à arrêter ou à contrôler leur usage sur le long terme ? La réponse à cette question est complexe et doit prendre en compte aussi bien les vulnérabilités individuelles (prédispositions génétiques, biologiques, présence de troubles psychologiques ou psychiatriques, etc.) que celles liées à l’environnement, à savoir l’entourage social de l’individu, mais aussi la société dans laquelle il évolue, vectrice de valeurs et de représentations culturelles spécifiques.

L’exemple des soldats américains durant la guerre du Viêt Nam illustre à quel point le contexte dans lequel une substance est consommée est déterminant. « Beaucoup de soldats se sont mis à consommer de l’héroïne pendant la guerre, une substance considérée comme particulièrement addictive. Or, plusieurs études ont montré que lors de leur retour aux États-Unis, la très grande majorité des soldats avaient arrêté leur consommation d’héroïne du jour au lendemain » raconte le Pr Rolland. Sans minimiser les risques sur la santé de l’utilisation d’une telle substance, cet exemple interroge le rôle joué par l’environnement, par rapport à la substance en elle-même, dans le processus addictif.

Playing Cards and Glass of Beer de Juan Gris, 1913 in the Colombus Museum of Art / © Colombus Museum of Art – Wikimédia commons

Un processus dynamique
Qu’ils soient internes à la personne ou environnementaux, les différents facteurs qui fragilisent ou protègent les individus face aux addictions s’entremêlent et sont susceptibles d’évoluer au fil du temps, dans un processus dynamique. « Il y a toujours une part d’imprévu dans l’évolution des comportements des individus », souligne le Pr Rolland, qui y voit-là matière à ne pas sombrer dans le fatalisme. « Alcoolique un jour, alcoolique toujours » ? Un slogan anachronique, qui a le don de l’irriter. Selon le psychiatre, des études épidémiologiques ont d’ailleurs montré que certaines personnes pouvaient reprendre une consommation contrôlée de la substance responsable de leur addiction, alcool y compris, sans pour autant rechuter. Pour le Pr Rolland, il est donc primordial de ne pas sous-estimer l’hétérogénéité des profils des personnes présentant des conduites addictives pour ne pas faire de généralités abusives.

Vers une médecine personnalisée ?
Par ailleurs, il semblerait qu’il n’y ait pas une, mais des addictions. « Les mécanismes cérébraux sous-jacents diffèrent en fonction des addictions, et on a tout lieu de penser qu’ils diffèrent aussi pour une même addiction en fonction des sous-profils de patients » indique Guillaume Sescousse, chercheur en neurosciences dans l’équipe PsyR2 du Centre de Recherche en Neurosciences de Lyon (CRNL). Ses recherches en neuroimagerie portent notamment sur l’addiction aux jeux d’argent, dans laquelle on peut distinguer deux profils principaux bien particuliers. D’un côté, les joueurs dits « émotionnels », au profil plutôt anxieux et dépressif, qui trouvent dans le jeu une échappatoire à leurs soucis, de l’autre les joueurs « impulsifs », qui sont à la recherche d’émotions fortes et ressentent vraiment l’excitation du jeu. Dans les deux cas, c’est la perte de contrôle qui mène à l’addiction.

Partant du postulat que des profils comportementaux différents relèvent de bases cérébrales différentes, y compris pour une même addiction, tout l’enjeu est de mieux comprendre ces dernières afin d’adapter les réponses thérapeutiques. Et ainsi tendre vers la médecine personnalisée ? On en est encore loin, tempère le chercheur, même si l’une des grandes promesses de l’imagerie cérébrale lorsque celle-ci est apparue dans les années 2000 était de devenir un outil d’aide au diagnostic et au pronostic des patients à l’échelle individuelle. « C’est beaucoup plus compliqué que ce qu’on espérait, mais peut-être que l’intelligence artificielle va faire évoluer les choses » espère Guillaume Sescousse.

—————————————————————

PPour aller plus loin

Orthorexie : quand manger sain dessert l’équilibre de l’individu | #7 Dossier Pop’Sciences « Santé mentale : entre pathologies et bien-être »

OOrthorexie : quand manger sain dessert l’équilibre de l’individu | #7 Dossier Pop’Sciences « Santé mentale : entre pathologies et bien-être »

Untitled, 1907 in Christie’s / ©Christie’s – Wikimedia Commons

Si la psychologie et la psychopathologie cliniques d’orientation psychanalytique ont traditionnellement pour objet l’étude de l’Homme, sa personnalité, son équilibre psychique et ses souffrances subjectives, force est de reconnaître que la frontière est parfois bien ténue entre ce qui relève du normal et du pathologique1. Le souci particulièrement exacerbé en France aujourd’hui du « bien manger », autrement dit le souci d’une alimentation saine, en constitue une illustration.

 

Un article de Nathalie Dumet, Psychologue clinicienne et psychanalyste, rédigé
pour Pop’Sciences – 29 février 2024

Qu’est-ce que l’orthorexie ?

Du grec « ortho » qui veut dire droit, correct, exact et de « orexis », qui signifie appétit, l’orthorexie est l’appellation consacrée pour désigner la préoccupation à l’endroit d’une alimentation équilibrée (soit, correcte pour la santé) qui, chez certains individus, peut virer à l’obsession (à la folie…) au point d’entraîner des comportements bizarres, inadaptés2 et surtout un retrait socio-relationnel majeur. Elle peut même devenir une véritable addiction. Certes, d’aucuns penseront qu’il vaut sans doute mieux une addiction à la nourriture saine plutôt qu’une addiction à la « junk food » et a fortiori à d’autres substances nettement plus toxiques. Pourtant, et quel que soit l’objet de dépendance, si problématique addictive il y a, celle-ci révèle assurément l’existence de conflits, d’angoisses, de souffrances, bien souvent méconnus, impensés pour ne pas dire déniés chez les sujets concernés.

Le souci de la rectitude alimentaire n’est pas récent3 ; il a toutefois fait son apparition avec force sur la scène médico-sociale depuis une petite trentaine d’années. Ce qui souligne son lien étroit avec des réalités et facteurs d’environnement – on y reviendra. On doit en général au médecin américain Steven Bratman la première description de ce phénomène, en 1997 aux USA (Bratman, Knight, 2000), sous le terme d’« orthorexia nervosa » (orthorexie nerveuse). L’expression ne manque pas de résonner immédiatement avec de graves troubles des conduites alimentaires bien connus que sont l’anorexie mentale (« anorexia nervosa ») et la boulimie nerveuse (« bulimia nervosa »). En effet, des conduites orthorexiques ne sont pas rares dans le tableau psychopathologique de l’anorexie4 (traque du gras, du sucre, contrôle et limitation des incorporations…). L’orthorexie peut aussi précéder, accompagner l’anorexie, la boulimie, les remplacer, leur succéder, ou ne pas du tout leur être liée. Ce qui montre la multiplicité des formes que peut prendre cette conduite, au point qu’il soit préférable de parler de « la clinique des orthorexies » (Chapy, 2023), lesquelles s’étendent donc le long d’un vaste continuum allant du normal au (psycho)pathologique.

Nature morte,1905, in the Yale University Art Gallery / ©Yale University Art Gallery – Wikimedia Commons

À l’origine de l’orthorexie…

Le phénomène orthorexique, de par nombre de ses caractéristiques, est particulièrement intéressant ici pour discuter de la santé, repenser sa définition même, sous l’angle des apports de la psychologie et de la psychopathologie cliniques.

Tout d’abord, il est impossible de superposer santé physique et santé mentale, les deux ne vont pas forcément de pair. Il faut de plus ajouter que ce qui peut contribuer à l’équilibre somatique du sujet peut parfois résulter chez lui de mécanismes ou mobiles hautement psychopathologiques (et inversement). En témoigne justement l’orthorexie : comportement manifeste sensé, rationnel, au service d’un objectif vertueux, le maintien du sujet en bonne santé. Un comportement attestant même d’une remarquable assimilation des recommandations médico-diététiques en vigueur, à savoir : manger équilibré, manger moins gras, moins sucré, moins salé, etc., contrôler ses ingestas, son poids (voire plus largement toutes ses conduites…). Celui-ci peut néanmoins traduire et relever d’angoisses et de conflits psychiques inconscients et ignorés du sujet lui-même, mais trouvant alibis voire rationalisations sur la scène sociale elle-même. En effet, cette peur observée aujourd’hui dans l’assiette (Fishler, 2001) trouve assurément certains de ses fondements sinon justifications dans les nombreux scandales survenus dans le monde agroalimentaire : épidémie de grippe aviaire, scandale de la vache folle, tromperies du consommateur5, découverte des perturbateurs endocriniens…

Mais peut-on s’en tenir à une seule lecture socio-collective pour expliquer cette peur ?

Face aux mêmes diktats alimentaires, tout le monde ne développe pas cette préoccupation à outrance pour la nourriture dite saine. L’obsession d’une nourriture saine témoigne donc d’une peur chez le sujet. Il s’agit d’une peur envahissante, ayant élu spécifiquement domicile sur la sphère nutritionnelle. À ce titre, l’orthorexie constitue une phobie alimentaire, témoignant des difficiles relations existant entre le sujet et le monde qui l’entoure.

Comme les études psychologiques le révèlent, elle est plus précisément révélatrice d’un manque de sécurité interne, d’un manque de confiance pour ne pas dire encore de la méfiance envers ce qui est étranger au sujet, ce qui provient de l’autre, de la réalité extérieure et de la nécessité concomitante, en conséquence, pour l’individu de garder maîtrise et contrôle, sur soi comme sur tout ce qui n’est pas soi et a fortiori ce qui d’étranger entre en soi…

L’étude des phénomènes d’orthorexie permet ainsi d’attirer l’attention sur les maillages complexes, et à chaque fois individuels, qui se réalisent entre le sujet singulier, son corps, son psychisme et son, ou plutôt ses environnements, les relations de dépendance ou non, que l’individu noue avec ceux-ci et ce, selon les moments de son existence ou de son histoire.

La souffrance subjective revêt ainsi des formes plurielles et variables, selon les individus et aussi selon les moments de l’existence même du sujet singulier. Ces formes vont des expressions les plus psychopathologiques pour les unes (troubles psychiques et psychiatriques à part entière) aux plus somatiques (ou somatisées) pour d’autres, en passant par des solutions agies ou comportementales, que celles-ci soient clairement symptomatiques (telle l’anorexie mentale) ou apparemment plus discrètes dès lors qu’elles se fondent dans le paysage, voire se confondent avec des normes et/ou des idéaux socio-culturels ; ce qui n’enlève cependant en rien leur caractère psychopathologique, potentiel ou avéré, comme le phénomène des orthorexies le met en évidence.

L’humain érige les solutions qu’il peut dans les contextes de vie qui sont les siens. Certaines phases ou crises sont susceptibles de le fragiliser, le désorganiser, mettre plus ou moins à mal son équilibre, aux plans psychique comme physique. La traversée et le dépassement de ces moments-limites de l’existence et in fine le réaménagement de l’équilibre psychique, voire psychosomatique tout entier de la personne, dépendront de sa capacité à mobiliser des ressources, internes comme externes, dans le moment particulier de conjoncture de vie et de réalité traversé.

—————————————————————

Notes

Cet article reprend un certain nombre d’éléments du chapitre de N. Dumet, « Orthorexie : le souci d’une alimentation saine. Du normal au pathologique », paru dans Corps et socius, sous la direction de N. Dumet et B. Smaniotto (Malakoff, Dunod, 2023, pp. 113-132).

[1] : Même si de fait certains troubles psychopathologiques majeurs (hallucinations et délires de patients psychotiques, dépression et troubles bipolaires de certains autres sujets, etc.) laissent peu de doute planer.

[2] : Et préjudiciables alors pour la santé : tel ce sujet orthorexique qui ne s’alimente plus que de carottes extraites de terre moins de 20 minutes avant leur consommation, au motif qu’elles perdraient sinon leurs apports nutritionnels. Pareil comportement alimentaire conduit à des restrictions sources de carences pour la bonne santé de l’individu.

[3] : Il semblerait en effet qu’on en trouve trace auprès du médecin italien Santorio en 1614 dans son ouvrage De statica medicina (A. Rowley, 2004).

[4] : L’anorexie mentale constitue en effet un trouble psychique en ce sens qu’il s’agit d’un refus volontaire actif de s’alimenter de la part d’un individu, le conduisant à une perte pondérale drastique et risquant d’entraîner des complications somatiques (dentaires, digestives, cardiaques, …) à court terme, sans parler de l’atteinte de son pronostic vital. D’autres traits psychopathologiques accompagnent ce TCA.

[5] : Jean Bergeret, psychiatre, psychanalyste, fut aussi professeur de psychopathologie clinique à l’Université Lyon2. Pour plus de précisions sur l’homme, son œuvre, ses apports, le lecteur pourra se reporter au Livret des Actes du colloque lui ayant rendu hommage, tenu à l’Université le 9 Février 2018, après son décès.  Lien : https://crppc.univ-lyon2.fr/actualites/parutions

PPour aller plus loin

  • Bergeret J., 1974, La personnalité normale et pathologie, Paris, Dunod.
  • Bratman S., Knight D., 2000, Health Food Junkies: Overcoming the Obsession with Healthful Eating, New York, Broadway Books.
  • Brusset B., 1998, Psychopathologie de l’anorexie, Paris, Dunod.
  • Chapy A., 2023, L’orthorexie, une hypocondrie contemporaine ?, Thèse de doctorat en Psychologie, Université de Paris Cité.
  • Corbeau J-P., Poulain J-P., 2002, Penser l’alimentation. Entre imaginaire et rationalité, Paris, Privat.
  • Dumet N., 2023, « Orthorexie : le souci d’une alimentation saine. Du normal au pathologique », in Corps et socius, sous la direction de N. Dumet et B. Smaniotto, Malakoff, Dunod, pp. 113-132.
  • Fishler C., 2001, « La peur est dans l’assiette », Revue Française du Marketing, n°183/184, 3/4, 7-10.
  • Le Breton D., 2015, Disparaître de soi, une tentation contemporaine, Paris, Métailié.
  • Rowley A., 2004, « Le degré zéro de la gastronomie », Commentaire, n°2, 106, 489-490.
  • Winnicott D.W., 1960, « Distorsion du moi en fonction du vrai et du faux-self », dans Processus de maturation Paris, Payot, pp. 115-132.

Quand la lumière éclaire le vivant | Un dossier Pop’Sciences

QQuand la lumière éclaire le vivant | Un dossier Pop’Sciences

Pour son dossier consacré à la lumière, Pop’Sciences est allé à la rencontre des scientifiques et professionnels des métiers de la lumière de la région Lyon Saint-Étienne. Un dossier sous les feux de la rampe … Un dossier en clair-obscur !

« Ce n’est pas Versailles ici ! ». Au-delà du slogan publicitaire qui nous enjoint, à juste titre, d’appliquer des gestes éco-responsables, la lumière, et l’absence de lumière, a de multiples implications dans le monde vivant. Action sur notre biorythme, innovations en matière d’éclairages, impact environnemental, mise en lumière dans les arts de la scène, pollution lumineuse… sont quelques unes des multiples facettes que Pop’Sciences vous propose de découvrir tout au long de ce dossier.

  Les articles du dossier

  • #1 Comment la lumière régule notre santé

©Pixabay

Comment la lumière agit-elle sur notre biorythme ? Pour le savoir, des dispositifs expérimentaux ont été spécialement conçus à Lumen, la Cité de la lumière de Lyon. À la clé, une étude qui s’intéresse aux troubles du sommeil des travailleurs de nuit. Reportage.

Lire l’article #1

 

  • #2 En ville, innover pour éclairer mieux et moins 

©PxHere.com

Double innovation de rupture, la led présente des atouts qui permettent d’envisager son utilisation dans l’éclairage urbain en limitant au mieux ses impacts sur l’environnement. Mais d’autres solutions innovantes émergent qui utilisent la capacité du vivant à émettre de la lumière, sans électricité.

Lire l’article #2

 

  • #3 Concevoir la lumière et faire rêver les spectateurs, tout un art 

©Ensatt

Illuminer un sujet, savamment, c’est le mettre en valeur. C’est vrai pour les paysages nocturnes lyonnais, mais aussi, et surtout, pour une pièce de théâtre. Un exercice qui demande d’avoir l’œil sensible et de suivre certaines règles pour créer l’émotion, comme l’explique Christine Richier, éclairagiste et responsable du master Conception Lumière à l’École nationale supérieure des arts et techniques du théâtre – Ensatt – de Lyon.

Lire l’article #3

 

  • #4 Préserver la nuit : un enjeu de sciences pour nous tous

L’environnement lumineux de Lyon la nuit. / monlyon – free download

Responsable d’effets en cascade sur la biodiversité et de dégradation de la qualité du ciel, la pollution lumineuse s’est accentuée au cours de la dernière décennie. Des solutions technologiques existent pour en diminuer les impacts en ville. À nous toutefois de redécouvrir comment la nuit est belle !

Lire l’article #4

 

—————————————————————

MMerci !

Ce dossier a été réalisé grâce à la collaboration de différents chercheuses et chercheurs en sciences de l’Université de Lyon :

  • Raphaël Labayrade, chercheur au Laboratoire de Tribologie et Dynamique des Systèmes – LTDS (École Nationale des Travaux Publics de l’État – ENTPE, École Centrale de Lyon, CNRS Rhône Auvergne) ;
  • Dominique Dumortier, chercheur en physique au LTDS ;
  • Claude Gronfier, spécialiste en chronobiologie chercheur au Centre de recherche en neurosciences de Lyon – CRNL, au sein de l’équipe Waking (UMR CNRS, Inserm, Université Claude Bernard Lyon 1) ;
  • Christine Richier, spécialiste conception lumière, chercheuse au Laboratoire Passages Arts et Littérature – XX-XXI – de l’Université Lumière Lyon 2 ;
  • Isabelle Vauglin, astrophysicienne au Centre de recherche en astrophysique de Lyon – CRAL (CNRS / Université Claude Bernard Lyon 1 / ENS de Lyon).

Ainsi qu’avec la participation de :

  • Philippe Badaroux, président du Cluster Lumière, Lyon ;
  • François Brunet, directeur général du Cluster Lumière, Lyon ;
  • Hélène Foglar, écologue et conseillère en éclairage public au sein du bureau d’étude Athena-Lum, membre de l’Observatoire de l’environnement nocturne (CNRS) ;
  • Pascal Moeschler, biologiste, ex-conservateur au Muséum d’histoire naturelle de Genève et co-fondateur de la noctilogie ;
  • Éric Achkar, ex-président de la société astronomique de Genève et co-fondateur de la noctilogie.

Nous les remercions pour le temps qu’ils nous ont accordé.

Un dossier rédigé par : Caroline Depecker, journaliste scientifique, pour Pop’Sciences.

 

 

En ville, innover pour éclairer mieux et moins | #2 Dossier Pop’Sciences « Quand la lumière éclaire le vivant »

EEn ville, innover pour éclairer mieux et moins | #2 Dossier Pop’Sciences « Quand la lumière éclaire le vivant »

Article #2 – Dossier Pop’Sciences Quand la lumière éclaire le vivant 

Double innovation de rupture, la led présente des atouts qui permettent d’envisager son utilisation dans l’éclairage urbain en limitant au mieux ses impacts sur l’environnement. Mais d’autres solutions innovantes émergent qui utilisent la capacité du vivant à émettre de la lumière, sans électricité.

Un article de Caroline Depecker, journaliste scientifique, rédigé
pour Pop’Sciences – 29 juin 2023

Efficaces en énergie, modulables à souhait, déclinables selon toutes les couleurs, les diodes électroluminescentes – ou leds- ont débarqué sur le marché de l’éclairage il y a une quinzaine d’années et en ont bousculé les codes. L’emploi excessif qui en serait fait n’est pas sans poser de souci. Renforçant un sur-éclairage constaté en ville, elles contribuent à une pollution lumineuse qui est pointée du doigt pour ses méfaits sur la biodiversité et les activités humaines (lire l’article #1 du dossier). Un usage raisonné des leds est à imaginer alors, qu’à l’instar de la bioluminescence, de nouvelles solutions innovantes émergent pour un éclairage plus « doux » de la nuit.

« En tant qu’innovation de rupture, la led a fortement déstabilisé la filière éclairage à son arrivée. On découvrait un éventail incroyable de nouveaux usages pour cette technologie qui, aujourd’hui, est mature », explique François Brunet, directeur du Cluster Lumière, un réseau qui regroupe sur Lyon les professionnels de la lumière impliqués dans l’éclairage et l’ensemble de sa chaîne de valeur. La led présente deux avantages majeurs par rapport à ses concurrentes passées (les ampoules halogènes et fluorescentes1) : un rendement énergétique et une durée de vie et, en tant que composant électronique, un possible pilotage à distance.

Deux atouts : rendement énergétique et digitalisation

À éclairement lumineux identique, la gamme de puissance des leds va de 4 à 10 watts alors que les solutions précédentes (les lampes à décharge, ndlr) affichent des valeurs entre 60 et 100 watts. « Pour une collectivité, remplacer son parc de lampes à sodium par des sources lumineuses LED, c’est l’occasion de faire entre 30% et 60% d’économies d’énergie », commente François Brunet. Le gisement est énorme. Les lampes les plus énergivores, à vapeur de mercure ou de sodium utilisées historiquement dans l’éclairage extérieur, sont condamnés à disparaître en application de la directive européenne 2009 qui en interdit la vente. Or, à ce jour, seul 25% du parc public est équipé en leds.

©Samuel Challeat,- Observatoire environnement nocturne – CNRS -GEODE

Parce qu’on peut ajuster sa puissance d’alimentation depuis un ordinateur, la led est devenue un éclairage digital. « C’est la seconde innovation de rupture qui accompagne la led. Avec l’envolée des coûts énergiques, cet aspect prend une valeur considérable pour réaliser des économies d’énergie », argumente Philippe Badaroux, président du Cluster. Piloter un parc à leds, c’est définir les horaires à partir desquels l’intensité des diodes est abaissée – en milieu de nuit par exemple – ou au contraire rehaussée – au petit matin. La mise en place de capteurs de présence associés aux lampadaires permet d’augmenter l’éclairage lors du passage transitoire d’un véhicule dans la zone pour davantage de visibilité. Ce type de solution est en cours d’expérimentation dans les quartiers lyonnais du Point-du-Jour et de Monchat depuis deux ans.

Grâce au pilotage intelligent des leds, il serait encore possible de diviser par deux la consommation énergétique d’un éclairage extérieur. De quoi faire réfléchir les collectivités qui ont le budget nécessaire pour faire face aux investissements requis par ces équipements derniers cris. « Attention aux effets pervers toujours possibles en cas d’innovation technologique, tempère Philippe Badaroux. L’effet rebond en est un qui consiste ici à surestimer le nombre de leds à installer alors que leur efficacité énergétique les rend économiquement attractives ».

Créer un éclairage mimant la lumière du Soleil

Au sein du cluster, un groupe de travail a été créé afin de voir comment prendre en compte les problématiques de sobriété énergétique et, lumineuse. Son objectif : faire réfléchir conjointement fabricants d’éclairage et grands consommateurs pour définir des usages pertinents à la lumière tout en intégrant sa qualité environnementale. La réflexion suppose de battre en brèche certaines idées acquises comme l’éclairage systématique des chaussées sur leur linéaire entier. « Plutôt que penser l’éclairage conditionné par des trames noires, difficiles à cerner vu la complexité des interactions entre les espèces nocturnes et la nuit, nous défendons l’idée d’optimiser les trames éclairées. Philippe Badaroux déroule le questionnement. Y’a-t-il réellement besoin d’éclairage ? À quel moment ? Pour quel objectif ? Dans l’affirmative, avec quelle intensité ? »

La digitalisation de la led libère l’imagination des concepteurs lumière. Qu’il s’agisse d’éclairer la ville, de soigner une mise en scène ou encore de proposer des environnements de travail dits « capacitants », c’est-à-dire favorisant une meilleure santé et le développement des capacités individuelles. Dans les Alpes-Maritimes, le fabricant de luminaires Résistex© a ainsi développé une solution d’éclairage créant l’illusion d’un puits de lumière. Dédiés aux espaces dépourvus de fenêtre ou à faible éclairage, le « Waouh » reproduit un faisceau lumineux identique à celui du soleil et variant comme lui au cours de la journée, voire des saisons.  Capable de se synchroniser avec l’astre solaire, l’éclairage adopte un cycle circadien qui, dans ses variations de lumière et d’obscurité, respecterait au mieux le fonctionnement de notre horloge biologique. L’occasion d’optimiser nos capacités cognitives tout en préservant notre rythme veille-sommeil.

Puits de lumière artificielle proposé par l’entreprise Résistex pour éclairer des pièces borgnes : éclairage pour le matin, au zénith et le soir. / ©C. Depecker

 

Changement de paradigme, autre innovation de rupture : un éclairage sans ampoule, ni électricité ! Mais en faisant appel à la capacité du vivant d’émettre spontanément de la lumière, ce qu’on appelle la bioluminescence. Une levier d’action inédit pour davantage de sobriété lumineuse. En décembre dernier, la start up WoodLight a obtenu à ce sujet plus de 100 000 euros, grâce à une campagne de financement participatif. Son objectif : mettre au point un plant bioluminescent à l’horizon 2024.

Mais le projet le plus abouti concerne la lumière produite par les bactéries marines. Initiatrice du concept en 2014, la start up Glowee, basée à Evry, en a fait sa spécialité. En guise de première installation valorisant le potentiel créatif de la technologie et le bien-être que génère chez la plupart la lumière bleutée caractéristique des abysses, une Glowzen Room a été installée au château Cornu, à 70 kilomètres de Lyon, en 2019. Janvier de cette année, l’entreprise a franchi un pas important de son déploiement en installant, pour la première fois au monde, du mobilier urbain bioluminescent.

Cultiver des bactéries luminescentes dans un mobilier urbain

Le « Rambolium » est un panneau de signalisation qui brille, de jour comme de nuit, sur le parvis de la lanterne à Rambouillet. À l‘intérieur de son bourgeon sommital, les bactéries marines baignent dans des tubes d’eau saline enrichie quotidiennement en nutriments, et de façon automatique, pour qu’elles puissent se multiplier.  L’alimentation en air du dispositif, nécessaire pour que le phénomène biologique ait lieu, a lui aussi été automatisé, ainsi que des rinçages et nettoyages pour éviter les contaminations. Le liquide enfermé dans le mobilier est extrait des cultures bactériennes élevées par Glowee dans ses laboratoires afin, entre autres, d’en optimiser les performances.

Le « Rambolium » diffuse la lumière produite par les bactéries marines qui sont contenues dans son bourgeon sommital. / DR Glowee – https://www.glowee.com/

 

La luminosité produite par les bactéries est trop faible pour concurrencer l’éclairage de la voirie dédiée à la voiture. Le potentiel représenté par la lumière des abysses se situe plutôt en zone piétonne. Comme l’explique l’urbaniste Nicolas Houel, spécialiste en aménagement de l’espace nocturne, dans les Échos : « Les couleur bleu vert de la bioluminescence sont apaisantes et procurent ce sentiment de sécurité recherché par les piétons,  tout en minimisant la pollution lumineuse ». Un moyen de rassurer le citoyen sur ce qui se cacherait dans la nuit, tout en évitant l’approche coutumière du lampadaire à l’éclairage uniforme et puissant.

Huit ans après les premières mises au point de la lumière marine, Glowee poursuit ses travaux de recherche et développement pour rendre son système suffisamment stable et remplir le cahier des charges de l’éclairage urbain. Une question de taille est à résoudre : garder les bactéries luminescentes par toute température car, pour l’instant, celles-ci ne produisent de la lumière qu’entre 10 et 40 degrés. Le panneau de signalisation a été planté sur la place rambolitaine pour une expérimentation de quatre mois afin de tester la robustesse, l’opérabilité et la recevabilité du système. L’issue de l’opération est stratégique pour la start up. Si celle-ci est concluante, Glowee espère essaimer largement sa solution : elle travaillerait d’ores et déjà sur une cinquantaine de projets avec des aménageurs, promoteurs, opérateurs d’énergie, collectivités pour déployer ce type d’éclairage en ville. Dans cette perspective, la société œuvre pour industrialiser une gamme de mobilier bioluminescents : la commercialisation des produits a été fixée à 2024.

———————————————————-

Notes

[1] Les lampes à incandescence ne sont plus autorisées à la vente depuis 2013 et les halogènes depuis 2018. Restent les lampes fluocompactes.

 

PPour aller plus loin