CChercheur – journaliste : le temps de se comprendre pour mieux faire ensemble | Récit – Dossier Pop’Sciences : Journalisme et science, quelles relations ? Faire se rencontrer chercheurs et journalistes pour davantage se connaître et collaborer ? Tel est le pari du dispositif de résidence croisée mis en place par l’équipe Pop’Sciences de l’Université de Lyon, dans le cadre du projet LYSiERES². Un défi relevé avec succès lors d’une première résidence en 2023. Retours sur la seconde édition qui révèle une nouvelle expérience féconde et l’envie d’une meilleure coopération aux bénéfices partagés.210 heures, soit 30 jours : c’est le temps que Guillemin Rosi, en charge de la confection des programmes et des magazines thématiques sur BFM Lyon et Coralie Bouchiat, chercheuse au CIRI[1] , auront passé ensemble à la fin de cette seconde résidence croisée, débutée en octobre 2024. La chercheuse s’est rendue dans la rédaction de BFM, en binôme avec le journaliste, qui, par la suite, a rejoint la microbiologiste dans son laboratoire. Objectif : découvrir le métier de l’autre, « s’acculturer » à son univers, avec pour but de contribuer à améliorer les collaborations entre les deux professions. À l’issue de cette immersion, les deux acteurs vont créer des objets pour rendre compte de cette découverte mutuelle. Une bande dessinée ainsi qu’un podcast sont en projet.À l’origine : une méconnaissance mutuelle et une certaine curiosité…Avant de débuter l’aventure, Coralie Bouchiat et Guillemin Rosi partagent le même constat : les relations entre leurs deux métiers sont distantes, voire inexistantes pour la chercheuse : « Mon rapport avec les journalistes avant ? Aucun ! ». Le journaliste confirme que son lien avec la recherche est distendu et qu’il intervient plutôt selon les besoins de l’actualité. Travaillant dans un média grand public, il cherche à obtenir des informations facilement « vulgarisables » et accueillir un invité « bon client qui ne va pas ennuyer ou perdre le téléspectateur… ».Qu’est-ce qui a poussé les deux participants à répondre à l’appel à projet LYSIERES² ? La curiosité ! La chercheuse avait envie d’un projet alternatif et le journaliste souhaitait comprendre les raisons des difficultés entre médias et sciences.Souvenirs du premier jour de résidence : ça pique !Les premiers moments de la résidence vont bien vite les faire renoncer à leurs préjugés sur la profession de l’autre… À son arrivée au siège de BFM Lyon, la chercheuse est frappée par la discrétion des locaux et la modestie des moyens : « La journaliste qui allait rentrer sur le plateau n’avait ni maquilleuse, ni coiffeuse. La jeune reporter partait sur le terrain seule, avec son iPhone et son trépied dans un sac à dos. J’imaginais cet univers avec un peu plus de paillettes ! ». Le journaliste n’est pas, non plus, épargné par la surprise, en entrant, pour la première fois, dans les locaux du CIRI (dont les membres sont partis en congrès). Il découvre un bâtiment immense quasiment vide, assez froid, alors qu’il pensait accéder à lieu très fréquenté et collaboratif : « Les chercheurs ne sont pas là physiquement, ils sont toujours à droite, à gauche. C’est l’inverse de ce que je connais dans mon quotidien ! ». Et puis, il prend conscience que l’activité de recherche n’est pas la seule qui occupe le scientifique : « Il y a plein de temps qui ne sont pas consacrés à la recherche pure : démarches administratives, enseignement ».Des univers de travail aux antipodesChacun va connaître de nouvelles surprises, en approchant le milieu de son binôme. Coralie Bouchiat découvre six personnes réunies dans un open-space, qui se parlent du matin au soir et s’interrompent en permanence : une véritable ruche… « J’ai mis quelques jours à comprendre qu’ils coconstruisent (sur un reportage, l’un va couper les images un autre fait le liner[2] et un autre fait la voix off…) : et en fait, ça marche ! C’est à l’opposé de notre fonctionnement. Dans mon métier, chacun s’occupe de sa tâche de A à Z et il lui faut un minimum de concentration ». Guillemin Rosi confirme qu’il a perçu le métier de chercheur comme solitaire, penché sur sa paillasse ou devant l’ordinateur et conclut : « Je croyais que l’on faisait de la science comme moi je travaillais l’info ».©Vincent Noclin – Séminaire Pop’Sciences mars 2025« On n’a pas du tout le même espace-temps »Ce qui semble aussi différencier radicalement l’univers de la chercheuse de celui du journaliste, c’est la conception du temps. Le journaliste fonctionne dans l’urgence permanente et son unité de temps, c’est l’heure ou la journée, pour préparer le programme de son JT. Il a ainsi du mal à comprendre pourquoi un chercheur ne parvient pas à se rendre disponible immédiatement car « dans l’actualité, un délai d’un mois, une semaine, un jour, ce sera trop tard en fonction du sujet » résume Guillemin Rosi. Dans ce contexte, le journaliste se voit remettre, chaque matin, une tâche à accomplir qui se termine à la fin de la journée. À l’inverse, le processus de travail du chercheur semble infini : pour Coralie Bouchiat, « on n’a jamais de sentiment d’achèvement dans la recherche (y compris quand l’on termine la rédaction d’un article) et l’on ne travaille pas dans l’urgence ». En effet, même si le chercheur est confronté aussi à des délais (congrès, publications), on parle de mois, d’années alors que pour le journaliste, il s’agit d’heures ou de journées.Le sentiment d’illégitimité du chercheur : « je ne suis pas spécialiste de… »Autre obstacle à la collaboration : la difficulté, pour les journalistes, à trouver des chercheurs qui répondent à leurs sollicitations. Guillemin Rosi admet que les volontaires sont rares, à part quelques personnalités habituées et disponibles rapidement. Une cause possible serait ce fameux « sentiment d’illégitimité » du chercheur qui l’empêche d’intervenir. Coralie Bouchiat l’exprime ainsi : « Je suis spécialiste en recherche biomédicale. Pas spécialiste de la coqueluche. J’aurais l’impression de voler la légitimité à l’expert de la coqueluche si j’intervenais sur ce sujet dans les médias. Cela serait très mal vu par mes pairs ». S’ajoute à cela la peur du chercheur de voir ses propos déformés, alors qu’il est attaché à la nuance, à la précision et que le journaliste peut être tenté de prendre des raccourcis. Comme le souligne Coralie Bouchiat : « Il y a du travail à faire pour que les chercheurs arrivent à vulgariser ».Et l’avenir, ce serait mieux comment ?Du côté du journaliste, les attentes ne manquent pas mais les solutions sont possibles : en matière d’accès à l’information, tout d’abord. Celles qui figurent dans les revues scientifiques étant trop techniques et peu accessibles. Il faut aussi pouvoir contacter facilement les chercheurs : « c’est indispensable d’avoir un numéro de mobile pour joindre quelqu’un dans la journée ». Enfin, les laboratoires doivent accepter de donner à voir et mettre à disposition des banques d’images ou des vidéos.Qu’en est-il pour la chercheuse ? « Cette résidence m’a permis de découvrir le monde du journalisme, qui finalement ne fait pas si peur, et surtout de prendre conscience de notre incapacité dans la vulgarisation et communication de nos résultats, ce qui est bien dommage… ». Selon elle, il faut convaincre le chercheur que parler de son travail peut valoriser son activité. Cette sensibilisation doit intervenir au plus tôt, dans le cadre du doctorat, par exemple.Enfin, le sentiment d’illégitimité du chercheur peut être vaincu avec l’aide du journaliste, qui, comme le rappelle Guillemin Rosi, peut cadrer son intervention, le mettre à l’aise sur sa légitimité pour aborder quelque chose de plus vaste que sa spécialité. À condition qu’il accepte de se placer à la portée du journaliste et du public. Comme le résume le physicien Patrice Abry, qui assiste à la restitution : « la vulgarisation scientifique, c’est peut-être renoncer à l’usage de la technique, mais pas renoncer à parler de la science ».Un article rédigé par Anne Guinot, co-rédactrice en chef Pop’Sciences Mag – 16 avril 2025 ————————————————–Notes[1] CIRI – Centre International de Recherche en Infectiologie : https://ciri.ens-lyon.fr/[2] Liner : en communication, un liner est un court message écrit (à la TV) ou parlé (à la radio) permettant au destinataire d’identifier ce qui est présenté : nom de la chaîne, de l’émission, de l’artiste, de la personne interviewée, du titre, du produit, de la marque (source : Wikipedia).
LLa relation chercheur – journaliste : vécus et expériences | #3 – Dossier Pop’Sciences : Journalisme et science, quelles relations ? Comment les chercheurs conçoivent-ils leurs relations avec la presse ? Quand et comment les journalistes sollicitent-ils les chercheurs ? Comment travaillent-ils ensemble ? Pour explorer ces questions, trois chercheurs, trois journalistes et une directrice de la communication sont venus partager leurs expériences lors d’une rencontre organisée par Pop’Sciences à l’occasion d’un séminaire le 17 mars 2025.Chercher, écrire, publier. Les tâches des journalistes et des chercheurs se ressemblent, mais répondent à des objectifs, des logiques et des dynamiques différentes. Pour les premiers , il s’agit d’informer un public plus ou moins éclairé sur des sujets scientifiques en faisant valoir leur pertinence en fonction de l’actualité et en respectant des contraintes temporelles et éditoriales. Pour les seconds, il s’agit de faire avancer un processus de recherche long et méconnu du grand public. La diffusion de cette recherche, et de la science en général, dépend fortement de la relation qu’établissent chercheurs et médias. Comment chacun envisage cette relation ? Comment la vivent-ils et quelles pistes entrevoient-ils pour l’améliorer ?Sélectionner des sujets : des contraintes et des critères différentsLa relation entre journalistes et chercheurs commence dès le choix des sujets à traiter. Pour ouvrir la table-ronde du séminaire Pop’Sciences du 17 mars 2025, les journalistes ont donc été invités à présenter leurs critères de sélection.Leurs réponses ont révélé tout d’abord que chaque type de média n’est pas soumis aux mêmes contraintes ni aux mêmes objectifs. Une première différence réside dans le temps dédié au traitement des sujets. De ce point de vue, la presse spécialisée semble bénéficier d’une temporalité plus étendue, comme le souligne Grégory Fléchet : « Au journal du CNRS ou à Pop’Sciences, on a plus de temps pour préparer un article, cela peut prendre des semaines. Cela nous laisse le temps de préparer des questions en amont, de nous intéresser aux sujets. ». Les médias locaux, généralistes, sont en revanche soumis à des délais plus réduits. « Les heures sont comptées dans les rédactions » témoigne Muriel Florin, journaliste au Progrès. À cette contrainte temporelle s’ajoutent aussi des impératifs d’audience, notamment en presse écrite, qui peuvent conditionner le choix des sujets traités : « Il faut que cela ait un intérêt pour le grand public. Si je fais un sujet sur les tatouages, par exemple, cela va mieux marcher qu’un sujet beaucoup plus pointu ». Et cet intérêt du grand public pour des sujets scientifiques peut être suscité par divers moyens : « Le but est que l’auditeur prenne conscience que la science sert à quelque chose, qu’il voie quelles peuvent en être les retombées pratiques », estime Anaïs Sorce, journaliste et chroniqueuse à la radio RCF Lyon. Tandis que, pour Muriel Florin, la préoccupation sociale pour certains sujets est également un élément essentiel : « C’est important qu’il y ait un intérêt sociétal, par exemple le plastique, la pollution, ce genre de chose. Ce sont des sujets scientifiques qui intéressent ».Communiquer avec le grand public : une mission peu valorisée chez les chercheursSi « la mission de communication auprès du grand public est indispensable et fondamentale pour le chercheur », comme le précise Patrice Abry, directeur de recherche au laboratoire de physique de l’ENS de Lyon, celle-ci est aussi « contradictoire avec son évaluation » selon Jean-François Gérard, directeur adjoint scientifique à l’institut de chimie du CNRS, car peu valorisée et reconnue dans les carrières universitaires. D’autant que, dans certaines disciplines, les chercheurs ne sont pas les interlocuteurs privilégiés. C’est notamment le cas en droit reconnaît Arthur Braun, : « Les journalistes peuvent aussi se tourner vers des avocats, des magistrats, vers des praticiens de manière générale ». Ces raisons encouragent donc d’autant plus les chercheurs à privilégier exclusivement des outils de communication purement académiques (publications, colloques). Surtout que l’exercice médiatique peut également susciter certaines peurs liées au fait de devoir prendre position ou de s’exprimer sur un sujet qu’un chercheur connaît moins : « Souvent les chercheurs craignent de se faire embarquer dans un chemin où on va demander leur avis et ainsi engager leur institution, leur laboratoire, leurs tutelles… », explique Aude Riom, directrice de communication à l’ENS de Lyon. « Nous ne sommes sollicités que sur des catastrophes »À ces craintes s’ajoute le sentiment, pour les chercheurs, de n’être sollicités que dans l’urgence. « Nous ne sommes contactés la plupart du temps que lorsqu’il y a des catastrophes, des problèmes », commente Jean-François Gérard, regrettant de ne pas voir aborder des sujets qui ne sont pas forcément spectaculaires et ne font pas immédiatement sensation. Or, ces situations d’urgence nécessitent un traitement médiatique immédiat auquel les chercheurs ne sont pas toujours préparés, rendant parfois l’exercice embarrassant : « Un de mes collègues en droit constitutionnel était sur un plateau de télévision le soir de la dissolution [du gouvernement] » relate Arthur Braun « le pauvre s’est retrouvé submergé par un tas de questions techniques auxquelles il n’avait aucune réponse ». Les chercheurs sont également sollicités pour répondre à des déclarations ou vérifier des informations circulant sur les réseaux sociaux. « C’est encore de l’urgence », remarque Jean-François Gérard, craignant de devoir parfois apporter des réponses sur des problèmes « plus difficiles […] contenant des connotations politiques ».Des objectifs différents, des concessions à réaliser ?©Vincent Noclin – Séminaire Pop’Sciences mars 2025Si les chercheurs sont parfois surpris par la manière dont les médias les sollicitent, cela est sans doute dû au fait que leurs objectifs diffèrent. « Le chercheur fait de la science, et les médias doivent apporter des sujets qui vont intéresser un public et qui vont avoir une audience », explique Muriel Florin, avant d’ajouter que ces deux démarches ne sont « pas incompatibles à partir du moment où chacun fait un petit pas vers l’autre ». Ce petit pas peut, de la part des journalistes, se traduire par un ensemble d’intentions visant à favoriser une relation de confiance, comme le fait de faire relire leurs articles ou bien de transmettre leurs questions en amont d’une interview, quitte, selon Grégory Fléchet, « à perdre en spontanéité dans les réponses ». Les chercheurs, quant à eux, pourraient envisager l’exercice médiatique comme une forme particulière de transmission de leurs connaissances pour laquelle, comme le rappelle Patrice Abry : « il y a une responsabilité de se préparer ».Co-construction et relation de confiance : des clés pour mieux travailler ensemble ?Cette logique de « concessions » constitue cependant une piste assez limitée pour améliorer la relation entre chercheurs et journalistes. Étendre cette perspective consisterait à favoriser un travail de « co-construction » qui impliquerait, selon Aude Riom, « de sortir de nos logiques cloisonnées pour rentrer dans des logiques d’encouragements et de rencontres qui donnent du sens à notre métier de chargée de communication ». Cette co-construction pourrait prendre forme à travers l’implication directe des chercheurs dans la recherche de sujets à exploiter, une pratique déjà instaurée au sein de la rédaction d’Anaïs Sorce : « On a mis en place un dialogue en demandant directement aux scientifiques : “ comment traiter cette info ? ”, “ quel sujet pouvez-vous nous proposer ? ”. Ce lien nous permet de travailler sur un temps plus long ». De leur côté, les journalistes pourraient se rendre directement dans les laboratoires (comme cela a pu être fait dans le cadre de la résidence croisée chercheurs-journalistes) afin de présenter la science telle qu’elle se réalise au jour le jour, à côté de chez soi, ce que propose Grégory Fléchet : « Le public doit se demander comment les chercheurs travaillent, et ça peut être notre rôle de montrer cela sous la forme de reportages d’immersion, par exemple ».Les chargés et directeurs et directrices de communication dans les universités ou les laboratoires peuvent aussi soutenir des initiatives fructueuses, en établissant notamment des listes de chercheurs à contacter selon les thématiques des sujets que les journalistes souhaitent aborder. Cette pratique, déjà mise en place au CNRS, a reçu un accueil favorable, notamment auprès de l’équipe de Jean-François Gérard : « Cela crédibilise la fonction de vulgarisation et cela légitime le droit du chercheur à répondre puisqu’il se sent soutenu par son institution, ce qui est particulièrement important. ».Les idées ne manquent donc pas pour faciliter le dialogue entre chercheurs et journalistes. Toutefois, la qualité de ce dialogue dépend avant tout de contacts répétés entre ces deux métiers, participant à une meilleure compréhension des professions de chacun et au partage d’une mission commune : favoriser la diffusion du savoir scientifique.Un article rédigé par Étienne Richard, assistant communication Pop’Sciences – 16 avril 2025 —————————————————————MMerci !Pop’Sciences remercie les différents intervenants qui ont accepté de participer à la rencontre avec le réseau des acteurs de culture scientifique et technique le 17 mars 2025 :> Patrice Abry, directeur de recherche – Laboratoire de Physique ENS de Lyon – Traitement du signal> Coralie Bouchiat, maître de conférences universitaire – Praticien Hospitalier au sein du Centre international de recherche en infectiologie – CIRI – à Lyon> Arthur Braun, enseignant chercheur – Unité de recherche CONFLUENCE : Sciences et humanités – Droit public> Grégory Fléchet, journaliste scientifique indépendant (site)> Muriel Florin, journaliste au Progrès> Jean-François Gérard, directeur adjoint scientifique Institut de chimie – CNRS – Recyclage – Recyclabilité & ré-utilisation des matières > Aude Riom, directrice de la communication ENS de Lyon> Guillaume Rosi, journaliste BFM Lyon, en charge de la confection des programmes et des magazines thématiques> Anaïs Sorce, journaliste radio à RCF LyonAinsi que :> l’Unité de Recherche CONFLUENCE : Sciences et Humanités (EA 1598) de l’UCLy et RCF Lyon qui nous ont accueillis et permis d’organiser ce séminaire dans l’espace convivial de la Maison de la Recherche et de l’Entreprise de l’UCLy (merci particulièrement à Anne-Sophie Ancel, Lorraine Guitton, Dorothée Eicholz pour leur accompagnement).
LLife RECYCLO : vers une meilleure gestion des ressources en eau | Un dossier Pop’Sciences Alors que le recyclage des eaux usées est encore peu présent en Europe et en France, la start-up lyonnaise TreeWater lance un projet de recyclage des eaux usées à destination des blanchisseries. Avec Pop’Sciences, suivez toute l’aventure du projet Life RECYCLO.Article rédigé en septembre 2022Dans le cadre du projet européen Life RECYCLO, la société TreeWater, une start-up lyonnaise issue du laboratoire DEEP de l’INSA Lyon, développe un procédé de traitement et de recyclage des eaux usées pour le secteur de la blanchisserie. L’objectif ? Proposer une meilleure gestion des ressources en eau et réduire le déversement de substances polluantes dans le milieu aquatique. Un projet qui prend place en France, en Espagne et au Luxembourg de 2021 à 2024.Partenaire du projet de septembre 2021 à février 2024, Pop’Sciences vous propose de suivre toutes les avancées, les péripéties et les réussites de ce projet au sein de ce dossier mis à jour au fil de l’eau.>> Le dossier :#1 – Recycler les eaux usées de blanchisseries : le projet Life RECYCLO Alors que le recyclage des eaux usées est encore peu présent en Europe et en France, la start-up lyonnaise TreeWater lance un projet de recyclage des eaux usées à destination des blanchisseries. Partenaire du projet, Pop’Sciences vous explique : découvrez le projet Life RECYCLO.#2 – Construire une machine à recycler l’eau : mode d’emploi Pop’Sciences vous emmène découvrir les coulisses de la fabrication du système de recyclage des eaux usées, un procédé innovant. Suivez pas à pas le développement de la technologie RECYCLO.#3 – Sommes-nous d’accord pour laver notre linge avec de l’eau recyclée ? Dans le cadre de ce projet, s’est posée la question suivante : cela est-il acceptable, à la fois pour les gérants et les clients de blanchisseries, de laver du linge avec de l’eau recyclée ? Retrouvez dans cet article les résultats de l’enquête sur la perception sociale du projet. #4 – Recyclage de l’eau : de la théorie à la pratique Des enjeux de la protection de l’eau à la mise en place du premier prototype, l’aventure du projet Life RECYCLO a été filmée et a donnée lieu à un documentaire en 3 épisodes.>> Retrouvez toutes les ressources du dossier : Life RECYCLO | Un dossier Pop’Sciences
RRecycler les eaux usées de blanchisseries : le projet Life RECYCLO | #1 Dossier Pop’Sciences Life RECYCLO Alors que le recyclage des eaux usées est encore peu présent en Europe et en France, la start-up lyonnaise TreeWater lance un projet de recyclage des eaux usées à destination des blanchisseries. Partenaire du projet, Pop’Sciences vous explique.Article rédigé en février 202242 millions de m3 par an, c’est la quantité d’eau utilisée dans le secteur de la blanchisserie en Europe. Un chiffre non-négligeable, d’autant plus dans un contexte de réchauffement climatique où cette ressource va être amenée à être réduite drastiquement. C’est pour tenter de répondre à ce problème que le projet Life RECYCLO a vu le jour. Lancé en septembre 2021 par la société TreeWater, il fait partie du programme LIFE de la Commission européenne, qui finance les initiatives dans les domaines de l’environnement et du climat. Il a pour objectif de mettre en place un système de traitement des eaux usées de blanchisseries pour les recycler et pouvoir ensuite les réutiliser.Selon la Commission européenne, les pénuries d’eau vont être amenées à augmenter de 50 % en Europe d’ici 2030. En France, nous en consommons actuellement 148 litres par jour et par personne. Une fois utilisées, les eaux sont traitées puis rejetées dans le milieu naturel. Mais elles ne sont que très rarement recyclées. Dans le monde, la réutilisation des eaux usées est très hétérogène selon les pays. Ce sont généralement les états pour lesquels cette ressource est limitée qui utilisent davantage des procédés de recyclage. Mexico réemploie, par exemple, près de 100 % de ses eaux usées pour l’irrigation. En Israël, le taux de réutilisation atteint 80 %. Mais ces exemples ne sont pas majoritaires. En Europe, alors que l’Espagne et l’Italie réutilisent respectivement 8 et 14 % de leurs eaux, la France n’en réemploie que moins de 1 %. En France, comme dans le monde, le principal usage de ce recyclage est l’irrigation agricole.Recycler les eaux de blanchisseriesOn dénombre environ 11 000 blanchisseries en Europe. Leurs eaux usées finissent le plus généralement dans les réseaux d’assainissement publics et ne sont que très peu réutilisées. Le lavage du linge conduit à l’émission de micropolluants tels que les phtalates (DEHP, DEP…), les phénols, les métaux lourds, les solvants ou les surfactants. Et les stations d’épuration ne sont très souvent pas adaptées au traitement de ces molécules particulières, qui terminent alors leur trajet dans notre environnement. Or, même à faible concentration, ces polluants affectent directement le milieu aquatique, les écosystèmes et donc notre santé. Plusieurs de ces substances sont ainsi des perturbateurs endocriniens, cancérogènes et mutagènes.Station d’épuration © ShutterstockLe projet Life RECYCLO propose de traiter les micropolluants présents dans les eaux usées de blanchisserie afin de permettre leur réutilisation dans le processus de lavage du linge. Le procédé RECYCLO est un système d’oxydation avancée, qui associe le peroxyde d’hydrogène et les rayons ultraviolets. Ces derniers vont transformer le peroxyde d’hydrogène en radicaux hydroxyles : ce sont alors eux qui vont détruire les polluants. Les rayons UV désinfectent également l’eau en parallèle. Ce procédé a pour objectif de réduire la consommation d’eau potable des blanchisseries de 50 à 80 %, mais également d’éliminer 90 % des polluants rejetés par le lavage du linge. D’autres procédés de recyclage existent et sont développés en France et dans le monde. Celui de TreeWater présente notamment les avantages de ne produire que peu de résidus de traitement et de dégrader directement les polluants organiques, contrairement à d’autres technologies qui ne font que les enlever.Des tests, des analyses et une enquête sociologiqueAprès une première expérimentation réussie dans une blanchisserie du Gard, la Blanchisserie Saint-Jean, ce système breveté poursuit son développement. Le but de ce projet est alors d’achever son industrialisation et de tester sa reproductibilité. Il sera ainsi mis en place dans deux autres blanchisseries : la Fundacio Mas Xirgu en Espagne et Klin SARL au Luxembourg. Le système de la Blanchisserie Saint-Jean sera, quant à lui, transformé en laboratoire in-situ pour préparer le procédé aux nouvelles pollutions émergentes, comme les micro et les nanoplastiques. TreeWater, issue du laboratoire DEEP de l’INSA Lyon, et le Catalan Institute for Water Research de Gérone vont alors réaliser des analyses pour étudier l’efficacité du procédé.En parallèle de ces essais techniques, une enquête sociologique sera également menée auprès de blanchisseries et de leur clientèle pour évaluer leur perception de la réutilisation des eaux usées dans ce contexte. Cette enquête est alors conduite par Pop’Sciences, qui s’occupe également de la communication de ce projet, à l’interface entre sciences et société.Le premier prototype sera mis en place à la fin de l’été 2022. Les deux autres prototypes seront installés au début de l’année 2023. Ils seront, ensuite, suivis et étudiés de très près. Les résultats de l’enquête sont, eux, prévus pour l’automne 2022. Un projet à suivre jusqu’en 2024 !>> Pour suivre toute l’actualité du projet :Site de Life RECYCLOVous souhaitez savoir comment fonctionne une machine à recycler l’eau : cliquez iciPPour aller plus loinRéutilisation des Eaux Usées Traitées : un formidable procédé d’économie circulaire, Centre d’information sur l’eau, juin 2020.Réutilisation des Eaux Usées Traitées – Le panorama français, Cerema, juin 2020.Les eaux usées : une ressource inexploitée, Rapport mondial des Nations-Unies, 2017.Fragmentation en eaux douces : sur la trace des microplastiques dans le Rhône, C. Depecker, Pop’Sciences, 2020.
CConstruire une machine à recycler l’eau : mode d’emploi | #2 Dossier Pop’Sciences Life RECYCLO Le projet Life RECYCLO a pour objectif de développer un procédé de recyclage des eaux usées. Partenaire du projet, Pop’Sciences vous emmène découvrir les coulisses de la fabrication de ce système.Article rédigé en juin 2022Dans le cadre du projet européen Life RECYCLO, la société TreeWater, une start-up lyonnaise issue du laboratoire DEEP de l’INSA Lyon, développe un procédé de traitement et de recyclage des eaux usées pour le secteur de la blanchisserie. L’objectif ? Proposer une meilleure gestion des ressources en eau et réduire le déversement de substances polluantes dans le milieu aquatique. Le procédé développé a pour but d’éliminer plus de 90 % des polluants. Ces eaux recyclées seront alors réutilisées par ces mêmes blanchisseries dans leur processus de nettoyage, avec un objectif d’économie de 50 à 80 % d’eau. Mais comment cela fonctionne-t-il exactement ? Comment fait-on pour recycler de l’eau ?Le procédé RECYCLO se décompose en trois étapes : la coagulation-floculation, l’oxydation avancée et l’adsorption sur charbon actif. La seconde étape est la phase principale du processus : son principe est d’associer un composé chimique, le peroxyde d’hydrogène, et des rayons ultraviolets. Ce procédé doit être adapté à chaque blanchisserie selon ses effluents, c’est-à-dire ses eaux usées. Les ingénieurs de TreeWater font ainsi du sur-mesure pour mettre en place leur technique. Nous vous proposons de découvrir les trois étapes de ce recyclage au travers de la visite des laboratoires et installations de la start-up.Du sur-mesurePremière étape de la recette : la coagulation-floculation. Pour la découvrir, nous nous sommes rendus dans le laboratoire de TreeWater, hébergé au laboratoire DEEP. Thibault Paulet, technicien recherche et développement, nous y accueille, entouré de béchers, pipettes et autres ustensiles. Et il nous explique en quoi consiste cette première étape : « La coagulation va permettre d’enlever tout ce qui n’est pas dissous dans l’eau, les matières en suspension. » Il s’agit ainsi d’une première phase de nettoyage de l’eau, qui est essentielle pour la suite. « Cela va rendre l’eau limpide et améliorer la transmission des rayonnements ultraviolets. Ce qui sera primordial pour l’étape suivante d’oxydation avancée à base de ces derniers », analyse Thibault Paulet.Thibault Paulet est en train de déposer le coagulant dans un effluent de blanchisserie. / © S. DizierPour mettre en place ce processus, il faut introduire un coagulant dans les effluents. Celui-ci va regrouper les molécules solides entre-elles. C’est alors à cette étape que les dosages doivent être faits au cas par cas. Tous les rejets d’eaux usées de blanchisseries ne contiennent pas les mêmes choses, et vont donc réagir différemment avec le coagulant. « Je dois faire des essais sur plusieurs concentrations, parce que si je ne mets pas assez de coagulant, cela ne va pas fonctionner, raconte Thibault Paulet. Mais si on en met trop, cela ne va pas coaguler non plus. Il faut donc trouver le juste milieu. » Le scientifique dépose donc précisément différentes quantités de coagulants dans plusieurs béchers remplis du même effluent. Le but est alors de déterminer quelle est la concentration idéale pour cet effluent précis. Plusieurs essais sont alors nécessaires pour trouver le bon dosage. Des agitateurs sont placés dans les béchers. Et c’est parti pour 200 rotations par minute pendant deux minutes. On voit alors déjà les particules apparaître.Résultats de coagulation-floculation selon des concentrations de produits différentes (de gauche à droite : du moins au plus concentré). / © Thibault PauletLe floculant entre alors en jeu. Son but est de favoriser l’agrégation des molécules, telle une colle. Ce regroupement en amas de molécules rend ainsi la filtration plus aisée. Le technicien rajoute le floculant aux mélanges. Et après quelques tours de rotation supplémentaires, des nuages moutonneux de particules apparaissent au fond des béchers. Il ne reste plus qu’à les filtrer pour obtenir une eau limpide. Une fois le dosage idéal trouvé, cette eau va alors être soumise à des tests sur un prototype miniature du système d’oxydation avancée. Et si le test est concluant, on peut alors passer à la seconde étape de notre recyclage.Peroxyde d’hydrogène et rayons ultravioletsPour cela direction Alixan, à quelques kilomètres de Valence, dans les locaux de TreeWater. Dans un hangar en bois, les ingénieurs de la société s’affairent sur le pilote de leur procédé. Il s’agit de l’élément central de la deuxième phase du processus de recyclage : le système d’oxydation avancée. Le principe de cette technologie est d’associer le peroxyde d’hydrogène et les rayons ultraviolets. Ces derniers vont agir sur le peroxyde d’hydrogène, ce qui a alors pour effet de les transformer en radicaux hydroxyles. Ce sont alors ces radicaux qui vont détruire les polluants. Les rayons UV désinfectent également l’eau en parallèle.Concrètement, le dispositif ressemble à un grand cylindre en métal dans lequel se trouvent les lampes UV et les effluents passent au milieu de celles-ci. Paul Moretti, chef de projet recherche et développement et coordinateur du projet Life RECYCLO, nous présente le pilote sur lequel sont faits les essais. « Ce n’est pas une installation finale, il s’agit d’une machine intermédiaire pour faire des essais à plus grande échelle qu’en laboratoire, nous explique-t-il. Cela permet d’identifier le rendement du traitement sur un effluent spécifique sur une période plus longue et avec de plus grands volumes. »Le réacteur du système d’oxydation avancée du pilote comporte trois lampes UV. / © S. DizierCe pilote comporte trois lampes UV. L’installation finale sera composée de V12, des réacteurs qui contiennent douze lampes et 75 litres d’eau. La quantité de réacteurs dépend alors de la quantité d’eau utilisée quotidiennement par les blanchisseries. Pour une blanchisserie de taille industrielle, comme la Blanchisserie Saint Jean, partenaire du projet, trois V12 seront nécessaires. Il faut alors compter sur des armoires électriques conséquentes pour alimenter ce processus. Vincent Fraisse, responsable conception et fabrication chez TreeWater, nous explique : « L’armoire pilote toute l’installation : les lampes UV, mais aussi tout ce qu’il y a autour comme les pompes, le moteur et l’automate qui pilote l’ensemble. » Tout l’appareillage nécessaire au recyclage – la coagulation/floculation, le système d’oxydation avancée et l’armoire électrique – sera ainsi placé dans un conteneur attenant à la blanchisserie ; une installation d’une taille non-négligeable.L’armoire électrique nécessaire au fonctionnement de tout le processus de recyclage. / © S. DizierAprès le passage dans le système d’oxydation avancée, vient alors l’étape finale de notre recette. Il s’agit de l’adsorption des impuretés sur charbon actif. Pour cela retour au laboratoire où les essais sont également effectués. « C’est le dernier traitement des effluents. L’eau va passer dans la colonne de charbon actif pour la débarrasser des toutes dernières impuretés », nous décrit Thibault Paulet. Après cette ultime étape, notre objectif est atteint : l’eau est recyclée. Elle peut alors être mélangée à 20 % d’eau potable et ainsi être réutilisée en toute sécurité pour le nettoyage du linge.Trois prototypes à l’essaiDans le cadre du projet Life RECYCLO, le premier prototype de cette technologie sera mis en place durant l’automne 2022 dans une blanchisserie espagnole près de Gérone. Deux autres prototypes seront installés en 2023 dans une blanchisserie luxembourgeoise et une blanchisserie française, la Blanchisserie Saint Jean (Gard). L’objectif est alors d’achever l’industrialisation de ce système breveté et de tester sa reproductibilité. Un projet à suivre jusqu’en 2024 !Pour en découvrir davantage sur le projet Life RECYCLO, retrouvez le premier article du dossier Life RECYCLO de Pop’Sciences.
SSommes-nous d’accord pour laver notre linge avec de l’eau recyclée ? | #3 Dossier Pop’Sciences Life RECYCLO Le projet Life RECYCLO a pour objectif de développer un procédé de recyclage des eaux usées adapté au secteur de la blanchisserie. Dans le cadre de ce projet, s’est alors posée la question suivante : cela est-il acceptable, à la fois pour les gérants et les clients de blanchisseries, de laver du linge avec de l’eau recyclée ?Article rédigé en septembre 2022Dans le cadre du projet européen Life RECYCLO, la société TreeWater, une start-up lyonnaise issue du laboratoire DEEP de l’INSA Lyon, développe un procédé de traitement et de recyclage des eaux usées pour le secteur de la blanchisserie. L’objectif ? Proposer un procédé qui éliminera plus de 90 % des polluants issus des eaux de lavage de blanchisseries, et qui recyclera 50 à 80 % de ces eaux, pour qu’elles puissent être réutilisées par ces mêmes entreprises dans leur processus de nettoyage.Une enquête socialeAu sein de ce même projet, il a été décidé de mener une enquête de perception auprès d’acteurs de la blanchisserie afin de mesurer leur degré de sensibilisation à la nécessité de préserver l’eau, mais également de mesurer le degré d’acceptation d’un procédé de recyclage des eaux usées. Organisée par Pop’Sciences, cette enquête a été menée de février à juin 2022 dans toute l’Europe. Elle visait alors à interroger des gérants de blanchisseries, mais aussi leurs clients, ainsi que des acteurs clés du secteur de l’eau et de la blanchisserie, tels que des membres de l’Agence de l’eau ou des représentants de syndicats du textile européens.Cette consultation a été conduite selon les méthodes de la psychologie sociale par le cabinet AD-HOC Lab. Elle s’est déroulée en deux étapes : une première phase d’entretiens avec 18 personnes, suivie de la diffusion d’un questionnaire pour obtenir des données quantitatives. Au total, 66 réponses exploitables ont été recueillies avec ce questionnaire. Si les résultats de cette étude ne sont pas généralisables, ils donnent néanmoins les tendances de ce secteur.Une conscience environnementaleÊtes-vous sensibles à la préservation de l’environnement ? Cela a été la première interrogation de cette consultation. Et la réponse est alors quasi unanime : oui ! La protection de l’eau n’est alors pas en reste. Pour 94 % des répondants, la préservation de l’eau est un enjeu important dans leur vie personnelle. Les participants vivant dans le sud de la France ou en Espagne sont d’autant plus sensibles à ces questions qu’ils sont déjà impactés par des pénuries d’eau. De nombreuses personnes interrogées rapportent avoir mis en place des actions dans leur quotidien pour préserver cette ressource. « Nous sommes en train de construire une maison avec ma conjointe et nous allons faire installer une citerne d’eau dans le jardin pour les toilettes, les machines à laver, l’arrosage du jardin », relate un participant.*La blanchisserie : un secteur à améliorerSuivant cette tendance, l’impact des blanchisseries sur l’environnement est alors perçu de manière négative, autant par les clients que par les gérants de blanchisseries eux-mêmes. Ils sont ainsi d’accord sur le fait que cet impact négatif est principalement dû à la consommation d’eau trop importante de cette activité. Sont, ensuite, mis en cause le rejet de matières polluantes et la consommation énergétique de ces entreprises.Pour contrer cela, 71 % des gérants estiment mettre en place des actions pour avoir un fonctionnement éco-responsable. Cela passe, par exemple, par l’utilisation de produits de lavage écologiques, l’achat de machines moins consommatrices en eau ou une attention portée à l’utilisation de l’énergie.Un procédé de recyclage attractifLe procédé proposé par Life RECYCLO attire ainsi l’intérêt de tous : 82 % des gérants le trouvent intéressant et 93 % des clients sont prêts à recourir aux services d’une blanchisserie utilisant une telle technologie. La plupart des personnes interrogées se disent confiantes dans ce type de procédé. Et les promesses de cette technologie leur apparaissent comme satisfaisantes, tant au niveau des économies d’eau que pour les économies financières qu’elles pourraient engendrer. Pour les gérants, ces économies apparaissent ainsi comme le facteur principal pouvant motiver la mise en place d’un procédé de recyclage. La motivation d’ordre environnementale est aussi un facteur important.Du point de vue des clients, le facteur économique est également un élément majeur. L’impact environnemental n’arrive qu’en quatrième position. Il y a, en effet, sur ce point-là une certaine ambivalence dans les réponses. Lors des entretiens, certains ont fait remarquer que si les blanchisseries consomment moins d’eau, alors ils espèrent que le prix va diminuer. Néanmoins, lors de la diffusion des questionnaires, 83,3 % des répondants se déclarent prêts à payer plus cher un service en blanchisserie pour que celle-ci réduise sa consommation d’eau.Des freins économiquesBien que ce procédé intéresse, les personnes interrogées ont soulevé un certain nombre de problématiques liées à la mise en place d’un tel procédé. Du point de vue des gérants, le principal problème est alors le coût initial. Tous les acteurs du secteur de la blanchisserie ont ainsi soulevé l’importance des aides financières gouvernementales pour inciter à la mise en place de ce procédé. Elles permettraient notamment d’offrir l’accès aux moyennes et petites blanchisseries, pour lesquelles le prix pourrait être une véritable barrière. Un représentant du syndicat du textile européen a ainsi souligné : « Je pense qu’il est clair qu’il est nécessaire de traiter l’eau. Mais si vous êtes une grosse entreprise, vous pouvez investir, alors que si vous êtes de petite taille, cela sera difficile. Et avec l’augmentation actuelle du gaz et de l’électricité, votre priorité est d’abord de survivre. Ils ne peuvent pas s’occuper de changements écologiques, s’ils ne peuvent pas survivre. »*Gérants, comme clients, ont également soulevé le besoin de preuves de l’efficacité du procédé, notamment pour être certains que cela ne dégrade pas la qualité de lavage du linge. L’accréditation de la technologie par un label a, ainsi, été fortement recommandée. Il sera donc nécessaire de démontrer l’efficience de la technique pour tout procédé de recyclage. Il s’agit alors de l’un des principaux objectifs du projet Life RECYCLO, au sein duquel la technologie sera testée jusqu’en 2024.Prêts à recycler l’eauUtiliser de l’eau recyclée pour le lavage du linge semble donc mettre d’accord les participants de l’enquête. Les consciences sont déjà éveillées concernant la nécessité de préserver l’eau. Et les solutions pour garantir sa protection sont donc bien accueillies. Le principal frein a la mise en place et à l’utilisation réelles de ce type de procédé semble donc économique.En France, des aides existent pour l’installation de telles technologies. Et Treewater proposera notamment d’accompagner les entreprises dans leurs recherches pour contribuer à la mise en place de ce procédé. Ils ont également pour objectif de maintenir un coût le plus faible possible pour cette technologie, pour permettre son accès aux petites blanchisseries.* Les citations au sein de cet article proviennent directement de l’enquête et sont donc anonymisées.
RRecyclage de l’eau : de la théorie à la pratique | #4 Dossier Pop’Sciences Life RECYCLO Depuis 2021, le projet européen Life RECYCLO expérimente un procédé de recyclage des eaux usées pour la blanchisserie, développé par l’entreprise Treewater. Partenaire du projet de septembre 2021 à février 2024, Pop’Sciences a produit un documentaire en 3 épisodes sur cette aventure. Des enjeux de la protection de l’eau à la mise en place du premier prototype, découvrez ce projet en vidéo.Épisode 1 : Dépolluer les eaux industriellesLa ressource en eau est aujourd’hui menacée, autant en termes de quantité que de qualité. Une menace pour l’humanité, mais également pour l’environnement. Des enjeux qui nous invitent à penser de nouveaux usages de l’eau…Épisode 2 : Du laboratoire au prototypeLe recyclage des eaux peut être une solution. Retour sur le procédé technique développé par Treewater pour répondre à ces enjeux de consommation et de pollution de la ressource dans le milieu de la blanchisserie industrielle.Épisode 3 : Un prototype en conditions réellesEn octobre 2023, un premier prototype est implanté dans la blanchisserie GRUPFRN, partenaire du projet, à Gérone (Espagne). Il sera suivi de prêt par Treewater et l’ICRA, l’Institut catalan de recherche sur l’eau, pour analyser ses performances.Vidéos produites par Pop’Sciences et réalisées par Animal Pensant, avec le soutien du programme LIFE de la Commission européenne, dans le cadre du projet Life RECYCLO.Pour suivre la suite du projet : Life RECYCLOPour en savoir plus : Life RECYCLO | Dossier Pop’Sciences
PPhysique: une recherche multimillénaire sans cesse renouvelée | Un dossier Pop’Sciences et CNRS En son temps, Isaac Newton confiait « si j’ai pu voir plus loin, c’est que je me tenais sur les épaules de géants ». L’intellectuel britannique s’inscrit dans une immense lignée de physiciennes et de physiciens qui n’ont eu de cesse de bouleverser notre compréhension des phénomènes naturels. L’Année de la physique est l’occasion de revenir sur cette épopée scientifique et de découvrir certains des travaux les plus récents et innovants.> © Emilie JossePoussée par sa curiosité et son désir de compréhension des phénomènes naturels, l’humanité s’est toujours efforcée de décrire et percer les mystères de l’Univers qui l’entoure. C’est ainsi qu’est née la physique, une discipline qui explore les lois fondamentales régissant la matière, l’énergie et les forces qui animent notre monde. L’histoire de la physique se lit comme un récit fascinant fait de découvertes, de théories révolutionnaires et de progrès scientifiques qui ont transformé notre perception du monde, et qui continuent à le faire. L’Année de la physique, qui prend forme tout au long de l’année scolaire 2023-2024, est l’occasion de mettre en lumière cette histoire, ainsi que les grandes avancées et les enjeux contemporains de la recherche en physique. Cet évènement est une occasion sans pareille pour découvrir ou redécouvrir l’intérêt de la discipline et l’étonnante diversité des sujets qu’elle explore. Une aventure scientifique multimillénaire La physique prend racine dès la Préhistoire, spécifiquement au cours du Néolithique entre 9 000 et 2 500 ans avant l’ère commune (AEC). Désireux de comprendre les phénomènes physiques de leur monde, les humains d’alors ont notamment scruté les astres, décrit leurs mouvements et créé les premiers instruments de mesure du temps. En mettant en œuvre l’élément constitutif de toute démarche scientifique – l’observation – ils ont pu suivre les saisons, rythmer les périodes agricoles et commencer à se sédentariser. Par la suite, les savants de l’Antiquité grecque ont magnifié cette « science des phénomènes naturels et de leurs évolutions ». Ainsi, Thalès de Milet (625 – 545 AEC), bien qu’il soit plus connu pour son théorème mathématique sur les triangles semblables, fut l’un des premiers penseurs à introduire la pensée rationnelle pour expliquer les causes des phénomènes naturels. On lui doit notamment le concept « l’eau est la cause matérielle de toute chose », qui démontre un détachement des explications mythologiques encore très prégnantes à l‘époque. Plus tard, Aristote (384 – 322 AEC) émit les premières théories du mouvement dans son traité La physique. Ses intuitions et ses méthodes ont jeté les bases de la pensée scientifique sur les phénomènes naturels et inspiré des dizaines de générations de scientifiques jusqu’à la Renaissance et l’émergence de la physique moderne. Une révolution peut en cacher une autre L’histoire de la physique est jalonnée de révolutions intellectuelles. Une des principales s’est déroulée entre le 16e et le 17e siècle avec les travaux des premiers grands noms de la physique moderne parmi lesquels Johannes Kepler, Nicolas Copernic, Galilée, ou Isaac Newton. À ces esprits visionnaires nous devons, en outre, de nouveaux paradigmes en mécanique céleste et en instrumentation astronomique (la lunette galiléenne), ainsi que la loi fondamentale de la gravitation universelle (la pomme qui chute sur la tête de Newton) et celles du mouvement. Leurs contributions ont permis des avancées spectaculaires dans les domaines de l’astronomie, de la mécanique et de l’optique. Dans le même temps, l’ère de la science moderne prenait forme dans le sillage des écrits de René Descartes sur la méthode (induction, déduction), tandis que Blaise Pascal esquissait les premières notions de pression atmosphérique (au sommet du Puy-de-Dôme). Sur les épaules de ces géants, des générations de scientifiques se sont succédées pour observer, décrire et modéliser une infinité de phénomènes physiques optiques, mécaniques, électriques, thermodynamiques, acoustique, jusqu’à l’essor de la physique moléculaire, puis celle de la radioactivité entre le 19e et le 20e siècle. Au tournant des grands conflits mondiaux, d’autres percées scientifiques ont à nouveau révolutionné notre perception de l’Univers et de la réalité. Les théories de la relativité générale d’Albert Einstein et de la mécanique quantique ont ainsi entraîné des bouleversements majeurs dans notre compréhension fondamentale de la matière, du cosmos et du temps, depuis l’infiniment petit jusqu’aux immensités des corps célestes. Éveiller la curiosité Aujourd’hui, la physique se révèle plus dynamique que jamais, portée par une communauté scientifique mondiale passionnée et engagée. Des tableaux des salles de classe jusqu’aux très grands instruments, elle participe à la résolution des grands défis de notre époque, qu’ils soient environnementaux, énergétiques, sanitaires ou technologiques. « Rien dans la vie n’est à craindre, tout doit être compris » proposait Marie Skłodowska-Curie, la première et seule physicienne doublement nobélisée ! Les femmes, aussi, ont marqué l’histoire de cette discipline. Lise Meitner (fission nucléaire), Maria Goeppert-Mayer (mécanique quantique, également nobélisée) ou encore Claudine Hermann (physique des solides), comptent parmi les nombreuses physiciennes qui perfectionnent notre compréhension du monde et encouragent les carrières scientifiques pour toutes et tous. C’est dans cet esprit que s’inscrit l’engagement de Pop’Sciences et de la délégation Rhône Auvergne du CNRS en cette Année de la Physique. Nous proposons une série de six articles reflétant la diversité et la richesse de la recherche en physique, menée à l’institut Lumière Matière (unité CNRS, université Claude Bernard Lyon 1) et au Laboratoire de physique de l’ENS de Lyon (unité CNRS, ENS de Lyon). Ils offrent un aperçu des travaux en cours et des avancées les plus récentes en thermodynamique, en mécanique des fluides, en catalyse photochimique, ou encore sur l’étude de nouveaux états de la matière. À travers ce dossier, nous espérons inspirer les curieux de sciences, montrer la surprenante diversité des métiers de la physique et éveiller la curiosité des jeunes élèves. Article rédigé par Samuel Belaud, journaliste scientifique, pour le CNRS et Pop’Sciences – mai 2024 lles RESSOURCES du dossierDans ce dossier, nous vous invitons à découvrir un aperçu des travaux en cours et des avancés récentes de physiciennes et physiciens lyonnais. Ces articles ciblent en priorité un public d’initiés. #1 : La nanofluidique : une physique pour la filtration et l’énergie – Publié le 13 mai 2024© Pauline PetitDe récents travaux de physiciens révèlent des phénomènes surprenants dans la dynamique des fluides à l’échelle nanométrique. Certains des mécanismes découverts pourraient être utiles à la filtration des liquides et à la production d’électricité propre et durable. LIRE L’ARTICLE #2 : L’art de contrôler la chaleur à l’échelle nanométrique – Publié le 13 mai 2024©courtesy of Elettra Sincrotrone TriesteDans le monde infiniment petit des nanomatériaux, la propagation de la chaleur suit sa propre logique. Des physiciens s’attèlent à comprendre et maîtriser cette drôle de dynamique thermique et ouvrent la voie à des avancées technologiques cruciales, notamment pour relever les défis de l’efficacité et de la transition énergétique. LIRE L’ARTICLE #3 : Les stupéfiantes propriétés des bactéries magnétotactiques – Publié le 13 mai 2024© Rémy FulcrandSi les ballets aériens des nuées d’oiseaux vous fascinent, vous serez certainement captivés par les comportements collectifs d’autres organismes, bien plus petits, mais non moins surprenants : les bactéries magnétotactiques (BMT). Récemment découvertes, les physiciens s’intéressent de près à leurs propriétés, notamment leur capacité à se déplacer en suivant les lignes du champ magnétique terrestre. LIRE L’ARTICLE #4 : La nage bactérienne et la discrète révolution de la matière active – Publié le 13 mai 2024© Raman Oza – PixabayConnues pour leur capacité de nage autonome et leurs intrigants comportements collectifs, les bactéries passionnent les physiciennes et physiciens. En décryptant leurs stratégies singulières de déplacement, une équipe de recherche ouvre des perspectives inédites pour l’utilisation de la matière et la conception de nouveaux matériaux. LIRE L’ARTICLE #5 : La photocatalyse promet d’accélérer la transition énergétique – Publié le 10 juin 2024© Jean-Claude MOSCHETTI / ISCR / CNRS ImagesUn projet de recherche allie chimie et physique pour exploiter les propriétés de la lumière et du molybdène, métal abondant et peu coûteux, afin de catalyser des réactions chimiques clés dans le cadre de la transition énergétique. #6 : Fragmentation dans les glaces de spins (titre provisoire) – Publication à venir—————————————————————mmerci !Ce dossier a été réalisé grâce à la collaboration de différents scientifiques de l’Université de Lyon. Nous les remercions pour le temps qu’ils nous ont accordé.Anne-Laure Biance, chercheuse CNRS à l’institut Lumière Matière (unité CNRS | Université Claude Bernard Lyon 1)Valentina Giordano, chercheuse CNRS à l’institut Lumière Matière (unité CNRS | Université Claude Bernard Lyon 1)Cécile Cottin-Bizonne, chercheuse CNRS à l’institut Lumière Matière (unité CNRS | Université Claude Bernard Lyon 1)Luke Macaleese, chercheur CNRS à l’institut Lumière Matière (unité CNRS | Université Claude Bernard Lyon 1)Thomas Gibaud, chercheur CNRS au Laboratoire de physique de l’ENS de Lyon (unité CNRS | ENS de Lyon)Peter Holdsworth, enseignant-chercheur au Laboratoire de physique de l’ENS de Lyon (unité CNRS | ENS de Lyon)ppour aller plus loin :Nous vous proposons une sélection de ressources accessibles en ligne pour vous et vos élèves.Espace ressources du site web de l’Année de la Physique 23-24Articles, podcasts, documentaires, ouvrages… Accédez à une multitude de contenus pour mieux comprendre notre monde au travers des recherches en physique.Chaîne YouTube de Julien BobroffPhysicien au Laboratoire de physique des solides (unité CNRS / Université Paris-Saclay) et professeur à l’Université Paris-Saclay, Julien Bobroff cherche à renouveler l’image de la physique auprès du plus grand nombre. Il anime une équipe de recherche, « La Physique Autrement », qui développe de nouvelles façons de vulgariser et d’enseigner les sciences.Chaîne YouTube Physique et chimie – Collège de FranceLa chaîne Physique et chimie donne à voir tous les enseignements donnés par les professeurs du Collège de France spécialistes de ces domaines ainsi que les séminaires et les colloques, les archives et les vidéos les plus récentes.Chaîne YouTube Le Prof de PhysiqueChaîne YouTube d’un professeur de physique et de chimie qui propose des vidéos de cours de rattrapage à destination des élèves.
LLa photocatalyse promet d’accélérer la transition énergétique | #5 Ressource #5 du dossier Pop’Sciences – CNRS : « Physique : une recherche multimillénaire, sans cesse renouvelée »ARTICLE Un projet de recherche allie chimie et physique pour exploiter les propriétés de la lumière et du molybdène, métal abondant et peu coûteux, afin de catalyser des réactions chimiques clés dans le cadre de la transition énergétique. Poudre de clusters métalliques de molybdène sous irradiation UV-A pour des applications dans le domaine de l’énergie (éclairage, affichage) © Jean-Claude MOSCHETTI / ISCR / CNRS ImagesLa photocatalyse est un procédé qui permet d’accélérer une réaction chimique grâce à l’absorption de lumière. Une technique qui peut être appliquée de manière intéressante dans le contexte de la transition énergétique, notamment dans l’optique de piéger chimiquement du CO2, un des gaz à effet de serre les plus notoires. Habituellement, le catalyseur utilisé est à base de dioxyde de titane (TiO2), auquel de l’or ou du platine peuvent être ajoutés pour doper le procédé de manière significative. Mais la classification du TiO2 comme « cancérogène possible » et le coût excessif ainsi que la rareté des deux autres métaux nobles incitent la communauté scientifique à chercher des alternatives. C’est le chemin que prend un consortium de chimistes et de physiciens de l’Institut lumière matière à Lyon1 et de l’Institut des sciences chimiques de Rennes2, avec leurs travaux sur des agrégats de molybdène, un métal blanc argenté peu onéreux, abondant et qui présente un potentiel de catalyse prometteur. Un matériau catalyseur joue le rôle d’intermédiaire dans une réaction entre deux réactifs, en facilitant la réaction sans besoin d’apporter trop d’énergie. Dans le cas de la photocatalyse, l’apport d’énergie se fait par l’absorption de photons. L’originalité de ces recherches, auxquelles participe Luke MacAleese, chercheur à l’Institut lumière matière, réside dans une approche pluridisciplinaire du sujet à la frontière de la chimie et de la physique. Des scientifiques des deux disciplines se sont associés pour « explorer et comprendre les mécanismes réactionnels élémentaires associés à cette famille de catalyseurs ». Leur méthode fait intervenir différentes techniques de pointe : la spectrométrie de masse de type piège à ion – voir plus bas – en association avec des rayonnements laser induisant des photons dont les longueurs d’onde se situent dans les domaines de l’ultraviolet (100 nm – 400 nm), du visible (400 nm – 750 nm). La photocatalyse utile à la production d’énergie décarbonnée / © Émilie JosseTendre un piège à ion Le premier défi consiste à sélectionner et attirer les ions d’agrégats de molybdène dans un piège radiofréquence. Ce piège est rempli d’un gaz inerte (hélium) et d’une proportion parfaitement contrôlée d’un réactif à tester comme le dioxygène (O2) ou le dioxyde de carbone (CO2). Cette approche permet à Luke MacAleese et ses collègues chimistes « d’observer les agrégats évoluer dans cet environnement très contrôlé, durant des temps de réaction longs, jusqu’à plusieurs dizaines de secondes ». Grâce à la spectrométrie de masse et aux lasers, les scientifiques peuvent sélectionner un ion à partir d’un mélange complexe, caractériser sa masse, puis « sonder sa réactivité spécifique ». Cette technique d’analyse repose sur la détection et la séparation d’ions en fonction de leur rapport masse/charge, comme un trieur de pièces de monnaie qui séparerait les pièces en fonction de leur poids. La spectrométrie de masse fournit des informations sur la composition élémentaire des différents ions présents dans l’échantillon et leur abondance relative. Ce faisant, elle révèle des informations cruciales sur les mécanismes réactionnels et le cycle catalytique de nouvelles espèces métalliques, telles que les agrégats de molybdène. La spectrométrie de masse pour caractériser les catalyseurs / © Émilie JosseComprendre et optimiser les processus catalytiques Pour Luke MacAleese, il est « beaucoup plus rationnel d’améliorer les propriétés d’un catalyseur en comprenant les étapes qui sous-tendent le procédé ». Les physiciens et les chimistes s’attachent donc à étudier comment un réactif se lie au catalyseur, ce qu’il provoque, comment il réagit, et quels sont les intermédiaires potentiels au processus chimique de catalyse. « Nous cherchons également à connaitre le spectre d’absorption des agrégats de molybdène », poursuit-il. Cette étape de la recherche est essentielle puisqu’elle permet d’évaluer leur capacité à absorber la lumière et à « atteindre des états excités ». C‘est seulement dans ces états que peuvent se déclencher des réactions chimiques avec d’autres réactifs présents dans leur environnement, comme le CO2 ou l’eau. Connaitre précisément ce spectre d’absorption permet d’étudier l’efficacité des agrégats de molybdène et d’optimiser leur activité catalytique. Par exemple, en ajustant la longueur d’onde de la lumière utilisée pour irradier les clusters, les scientifiques peuvent cibler spécifiquement les transitions électroniques qui mènent aux états excités les plus réactifs et améliorer ainsi les performances photocatalytiques. La transition énergétique en ligne de mire Ces travaux ouvrent la voie à des applications potentielles dans le domaine de l’énergie renouvelable et de la réduction des gaz à effet de serre. En effet, les résultats obtenus jusqu’à présent montrent que les clusters de molybdène pourraient être de bons candidats « photo-catalyseurs » pour deux réactions chimiques utiles à la production d’énergie décarbonée. Il s’agit de la production d’hydrogène par photolyse de l’eau et de la conversion (réduction) du CO2 en produit chimique de base comme le méthanol (CH3OH). Les scientifiques ont notamment observé une potentielle rupture de liaison carbone-oxygène pendant le processus d’irradiation d’agrégats réduits (riches en électrons) et très réactifs avec l’oxygène. Ces résultats prometteurs laissent espérer qu’il sera également possible de réduire le CO2 par liaison avec ces clusters photo-excités. « D’autres expériences doivent être menées pour confirmer et approfondir ces résultats », tempère immédiatement le physicien lyonnais. À l’heure actuelle, ces agrégats de molybdène sont en effet faiblement catalytiques comparativement aux alternatives incorporant de l’or ou du platine. Cependant, les scientifiques sont déterminés à poursuivre leurs travaux fondamentaux afin de comprendre l’origine de la réactivité de ces clusters, d’optimiser leur composition et d’atteindre, à terme, des rendements exploitables. La transition énergétique repose sur trois piliers : la sobriété, l’efficacité énergétique et la décarbonation des procédés techniques polluants. Les travaux du consortium lyonno-rennais s’inscrivent pleinement dans cette dernière catégorie. Ils témoignent de l’importance de la recherche fondamentale et des collaborations interdisciplinaires pour relever les défis énergétiques et environnementaux auxquels notre société est confrontée. Article rédigé par Samuel Belaud, journaliste scientifique – juin 2024—————————————————————[1] Unité de recherche CNRS, Université Claude Bernard Lyon 1.[2] Unité de recherche CNRS, ENSC Rennes, Université Rennes. Ces recherches ont été financées en tout ou partie, par l’Agence Nationale de la Recherche (ANR) au titre du projet ANR-Photocat-AAPG2020. Cette communication est réalisée et financée dans le cadre de l’appel à projet Sciences Avec et Pour la Société – Culture Scientifique Technique et Industrielle pour les projets JCJC et PRC des appels à projets génériques 2020 (SAPS-CSTI-JCJ et PRC AAPG 20).
SSanté mentale : entre pathologies et bien-être | Un dossier Pop’Sciences Durant l’année universitaire 2024-2025, la ComUE Université de Lyon va inaugurer un centre de santé mentale pour les étudiants dans le 7e arrondissement de Lyon. À cette occasion, Pop’Sciences s’intéresse à la recherche qui est menée dans le champ de la santé mentale sur le site universitaire de Lyon Saint-Étienne.« Nous sommes tous concernés ! » nous interpelle le service de la vie étudiante de l’Université de Lyon sur ses pages dédiées à la santé mentale.Voilà qui pourrait surprendre… mais la définition de la santé formulée par l’organisation mondiale de la santé (OMS) – qui proclame que « la santé est un état de complet bien-être physique, mental et social, et ne consiste pas seulement en une absence de maladie ou d’infirmité » nous dit combien nous sommes toutes et tous concernés ! Ainsi la santé mentale s’envisage dans un continuum qui va du bien-être, de l’épanouissement personnel, en passant par notre capacité à disposer de ressources psychologiques pour nous permettre d’agir dans la société, aux situations de détresse psychologique réactionnelle, pouvant être provoquées lorsque nous traversons des situations éprouvantes, des difficultés existentielles, jusqu’aux troubles psychiatriques plus ou moins handicapants. Notre santé mentale se réalise ainsi par la qualité des relations que nous entretenons dans le contexte social, économique, biologique et environnemental de nos existences. Comment la qualité de ce système de relations conditionne notre santé mentale ?S’il est incontournable d’explorer ce qu’il se passe du côté des politiques de santé et du soin, il se révèle nécessaire d’explorer les travaux d’études et de recherches qui sont menées, tant à l’échelle de l’individu que de la société, par les chercheurs en neurosciences, en médecine, en sciences humaines, en droit, en philosophie… il se révèle alors un système foisonnant d’institutions qui travaillent ensemble.Avec Leslie Wallart du l’équipe de recherche PsyR2, nous avons composé une représentation de ces institutions et leurs interactions. Cette « carte mentale » n’a pas pour ambition d’être un inventaire exhaustif, il s’agit avant tout de montrer le grand nombre et la variété des institutions qui travaillent dans le champ de la santé mentale, selon trois entrées, que sont les politiques publiques, le soin et la recherche.Nous vous invitons à ouvrir la carte et cliquer sur les liens afin de mieux découvrir les travaux et missions des différentes institutions et programme de recherche.>> Cliquer sur la carte mentale pour l’afficher en grand écran :>> La santé mentale une question médicale, sociale et politique ?Et si s’intéresser à la santé mentale, à sa santé mentale, était une invitation à nourrir une réflexion et à agir pour mieux faire société, cela en développant des capacités à diversifier les liens que nous tissons avec nos environnements, en étant plus inclusif et attentif aux différents régimes de relations au monde que chacun peut construire. Et si s’intéresser à la santé mentale nous permettait de changer nos regards sur nos vulnérabilités et celle des personnes qui nous entourent ?Pour penser ces questions, nous avons traversé les travaux de la philosophe Élodie Giroux, rencontré l’historienne Isabelle Von Bueltzingsloewen, les Professeurs Nicolas Franck, Frédéric Haesebaert, et Benjamin Rolland, tous les trois psychiatres, ainsi que Rebecca Shankland, professeur en psychologie, Guillaume Sescousse, chercheur en neurosciences, Benoît Eyraud et Nicolas Chambon, tous les deux sociologues, Gwen Le Goff, politiste, et Nathalie Dumet, psychologue clinique.Nous les remercions pour leur contribution à la réalisation de ce dossier. Les articles du dossier#1 Penser la santéTête de femme « Méduse », Lumière et Ombre, 1923 au musée des Beaux-Arts de Lyon / ©Jawlensky Alexej von – Wikimédia commonsSi la santé est un état, c’est aussi un concept. La question de la santé peut alors être envisagée autrement que sous l’angle de la médecine, comme situation particulière d’un organisme, mais aussi à partir de ce qu’implique sa définition. La philosophie s’est ainsi emparée du terme et de ce qu’il entend décrire, conduisant une véritable enquête réflexive à la recherche des contours d’un objet polymorphe. Lire l’article #1 #2 La santé mentale : un champ en perpétuelle transformationA Woman Suffering from Obsessive Envy, circa 1819-1820, au Musée des beaux arts de Lyon / ©Alain Basset, Stéphane Degroisse – Wikimédia commonsLa conception de la maladie mentale et de sa prise en charge a considérablement changé au fil du temps. Mais c’est à partir de 1950, et surtout depuis les années 1990, qu’interviennent les ruptures les plus fortes et que s’impose le terme de santé mentale. Celle-ci est intégrée au champ de la santé globale alors que la priorité est désormais de maintenir les personnes atteintes de troubles psychiques dans l’espace social. Lire l’article #2 #3 Le rétablissement en santé mentaleRevolution of the Viaduct, 1937 of the collection Hamburger Kunsthalle / ©Rachedi Kamel – Wikimédia commonsApparue dans les pays anglo-saxons dans les années 1970, la notion de rétablissement en santé mentale a peiné à se faire une place en France. Du chemin a été parcouru depuis et, aujourd’hui, le rétablissement est l’un des objectifs affichés de la prise en charge psychiatrique. LIRE L’ARTICLE #3 #4 L’autonomie : un droit humain – Exemple de la démarche CapdroitsAfter Right – to the Left, 1932 in Christie’s London / ©wassily kandinsky – Wikimédia commonsLes sociétés démocratiques reposent sur le principe d’une égale capacité civile et politique de tous les citoyens à décider et à agir pour eux-mêmes. Dans de nombreuses situations de vulnérabilité (liées notamment à des difficultés de santé mentale), cet idéal d’égale autonomie est fragilisé, conduisant des proches ou des professionnels à intervenir pour la personne, parfois à sa place, pour la protéger d’une décision – ou absence de décision – qui pourrait mettre la personne en danger. Les mesures civiles de protection (curatelles, tutelles) ou de soin sans consentement donnent un cadre juridique à ces interventions visant à protéger ou soigner des personnes vulnérabilisées. Ces mesures prévoient dans différentes traditions juridiques que cette intervention doit se faire « dans le meilleur intérêt de la personne », ce qui a constitué pendant longtemps le paradigme de régulation du soin et de l’accompagnement.Lire l’article #4 #5 Le psychotraumaThe Great Wave off Kanagawa, between circa 1830 and circa 1832 in Metropolitan Museum of Art / ©Metropolitan Museum of Art – Wikimédia commonsEnquêter sur la dimension sociale et politique du psychotraumatisme. Accident, violences, attentats, viols, maltraitances, harcèlement : les liens entre ces évènements et la santé mentale paraissent aujourd’hui évidents. Prévenir l’apparition d’un état de stress post-traumatique est devenu un enjeu de santé publique majeur. Dès lors, éviter les situations et les actes traumatogènes se révèlent être un enjeu social et politique d’envergure. Lire l’article #5 #6 Addictions : la fatalité n’existe pasThe Card Players, between 1890 and 1892 in the Metropolitan Museum of Art / ©Bequest of Stephen C. Clark – Wikimédia commonsCertes, nous ne sommes pas tous égaux face aux addictions. Chacun possède des facteurs de risque et de protection, individuels et environnementaux, qui nous rendent plus ou moins vulnérables. Pour autant, nos destins ne sont pas tracés d’avance et l’évolution des comportements des individus recèle aussi une part de mystère. Face à une hétérogénéité de profils et de trajectoires, les vérités générales sur les addictions doivent être combattues.Lire l’article #6 #7 Orthorexie : quand manger sain dessert l’équilibre de l’individuUntitled, 1907 in Christie’s / ©Christie’s – Wikimédia commonsSi la psychologie et la psychopathologie cliniques d’orientation psychanalytique ont traditionnellement pour objet l’étude de l’Homme, sa personnalité, son équilibre psychique et ses souffrances subjectives, force est de reconnaître que la frontière est parfois bien ténue entre ce qui relève du normal et du pathologique1. Le souci particulièrement exacerbé en France aujourd’hui du « bien manger », autrement dit le souci d’une alimentation saine, en constitue une illustration.[1] Même si de fait certains troubles psychopathologiques majeurs (hallucinations et délires de patients psychotiques, dépression et troubles bipolaires de certains autres sujets, etc.) laissent peu de doute planer.Lire l’article #7 —————————————————————MMerci !Ce dossier a été réalisé grâce à la collaboration de différents chercheuses et chercheurs, et enseignants-chercheurs, des établissements de la ComUE Université de Lyon :Leslie Wallart, Université Claude Bernard Lyon 1, assistante de direction et de chargée de communication et d’évènements au sein de l’équipe de Recherche PsyR² (neurosciences cliniques en psychiatrie) du Centre de Recherche en Neurosciences de Lyon – CRNL – au CH Le Vinatier ;Isabelle von Bueltzingsloewen, spécialiste d’histoire de la psychiatrie et de la santé mentale et Professeure d’histoire – UFR Temps et Territoires – LARHRA (UMR 5190) ;Rebecca Shankland, professeure de psychologie, chercheuse au Laboratoire Développement, Individu, Processus, Handicap, Éducation – DIPHE – et responsable de l’Observatoire du Bien-être à l’École ( OBE, Université Lumière Lyon 2 ) ;Frédéric Haesebaert, psychiatre et maître de conférences – universités à la faculté de médecine Lyon-Est responsable du service de réhabilitation et du service Premiers épisodes psychotiques ( CL3R-PEP’s et centre hospitalier Le Vinatier) ;Nicolas Franck, enseignement à l’Université Claude Bernard Lyon 1, chef du pôle Centre rive gauche (CL3R-PEP’s, centre hospitalier Le Vinatier et Université Claude Bernard Lyon 1) ;Benoît Eyraud, maître de conférences en sociologie à l’Université Lumière Lyon 2 et chercheur au Centre Max Weber – UMR 5283 CMW associé au Centre d’étude des mouvements sociaux (CEMS-EHESS, CNRS-INSERM et Université Lumière Lyon 2) ;Nicolas Chambon, sociologue, responsable du Pôle Recherche à l’Orspere-Samdarra (Observatoire national sur la santé mentale et les vulnérabilités sociales, hébergé au centre hospitalier Le Vinatier de Lyon-Bron) – Maître de conférences associé à l’Université Lumière Lyon 2, Centre Max Weber – UMR 5283 CMW au sein de l’équipe « politiques de la connaissance » ( CNRS, PoCo et Université Lumière Lyon 2) ;Gwen Le Goff, directrice-adjointe de l’Orspere – Samdarra, responsable du Pôle Ressource, responsable des études du DIU Santé, société et migration, doctorante à l’Université Lumière Lyon 2 sur Les enjeux sociaux et politiques de la prise en charge du psychotraumatisme des personnes migrantes » depuis 2020 sous la direction de Camille Hamidi.Benjamin Rolland, professeur psychiatre et addictologue, responsable du Service Universitaire d’Addictologie de Lyon – SUAL – et chercheur au Centre de Recherche en Neurosciences de Lyon – CRNL au sein de l’équipe PsyR² ( CNRS-INSERM et Université Claude Bernard Lyon 1) ;Guillaume Sescousse, docteur, chercheur à l’Inserm et membre du Centre de Recherche en Neurosciences de Lyon – CRNL au sein de l’équipe de recherche PsyR² ( CNRS-INSERM et Université Claude Bernard Lyon 1) ;Nathalie Dumet, psychologue clinicienne, psychanalyste et professeur de psychopathologie clinique à Institut de Psychologie de l’Université Lumière Lyon 2 – CRPPC ;Élodie Giroux, professeure des universités en philosophie des sciences et de la médecine à l’Université Jean Moulin Lyon 3 et chercheure à l’Institut de Recherches Philosophiques de Lyon – IRPhiL .Nous les remercions pour le temps qu’ils nous ont accordé. Un dossier rédigé par : Isabelle Vio, chargée de projet Pop’Sciences (introduction) ;Ludovic Viévard, Docteur en philosophie de l’Université Paris Sorbonne, Co-fondateur et directeur d’études FRV100 (articles #1 et #2) ;Clémentine Vignon, journaliste scientifique (articles #3 et #6) ;Benoît Eyraud, Maître de conférences en sociologie Université Lumière Lyon 2 (article #4) ; Nicolas Chambon, sociologue, responsable du Pôle Recherche à l’Orspere-Samdarra, et Gwen Le Goff, directrice-adjointe de l’Orspere-Samdarra (article #5) ;Nathalie Dumet, Psychologue clinicienne et psychanalyste Institut de Psychologie de l’Université Lumière Lyon 2 (article #7).