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Pop'Sciences - Université de Lyon

BBouc émissaire ou animal-personne ? Le regard sur l’animal évolue, les zoos aussi.

La première cage à ours, construite en 1865, logea un ursidé donné par un particulier © Caroline Depecker

Article #7 du dossier Pop’Sciences « Prenons soin du bien-être des animaux »

Découvrir le zoo du parc de la Tête d’Or, en plein cœur de Lyon, est une proposition insolite. C’est remonter l’histoire de ces institutions spécialisées dans le spectacle des animaux et qui ont su, bon gré mal gré, s’adapter aux évolutions de la société. Professeur d’histoire à l’Université Jean Moulin Lyon 3 et spécialiste des relations entre l’homme et l’animal, Eric Baratay nous apporte ses éclairages lors d’une visite au zoo.

Un article de Caroline Depecker, journaliste scientifique
pour Pop’Sciences – 4 janvier 2022

 

Mercredi 24 novembre 2021, 15h50. Il fait froid à Lyon. Le Soleil darde de maigres rayons. Depuis la porte principale du parc de la Tête d’Or, après avoir longé l’enclos des daims et la place de Guignol, je trouve le zoo. Je l’aborde par la plaine africaine, à son extrémité ouest. Deux girafes m’y attendent. J’ai peu de temps pour les observer : dodelinant de la tête, elles se mettent en marche rapide pour rejoindre à grandes enjambées souples – elles pratiquent l’amble – la giraferie qui leur sert de refuge.

Je me dirige vers l’entrée du zoo, plus à l’est. Après quelques pas, j’arrive à la fameuse « cage à ours », un vestige du passé. Deux panonceaux retracent l’histoire du lieu où je suis et ses intentions premières. « L’évolution du Zoo de Lyon est étroitement liée à celle de la société », peut-on lire. « Sa création, en 1858, fait suite à de grands bouleversements […]. C’est une période d’urbanisation hygiéniste accompagnée d’une volonté de distraire le peuple avec des animaux acclimatés. »

Divertir la population grâce aux spectacles de bêtes mises en scène remonte aux premiers temps de l’Antiquité. La création du zoo du parc de la Tête d’or s’inscrit logiquement dans cette lignée.

Dans sa cage, l’ours doit « se soumettre ou disparaître »

La girafe rentre dans son bâtiment / © Caroline Depecker

Mais pas que. Le panneau nous apprend que le jardin zoologique rejoue un événement majeur de l’époque : la conquête du monde par l’Occident. Les nouveaux territoires colonisés pourvoient ainsi l’Institution en espèces exotiques.

Celle-ci s’arroge encore d’un rôle d’éducateur, en instruisant à la nature toutes les classes sociales. Les animaux sont exposés dans des cages exiguës faisant office de présentoir, non d’habitat. Ils ont le statut d’éléments de collection, bien disposés, bien classés.

« Au 19e siècle, l’animal sauvage était astreint à un seul mot d’ordre : se soumettre ou disparaître ! relate Eric Baratay, professeur d’histoire à l’Université Jean Moulin Lyon 3. Soit il laisse la civilisation le dominer – l’Occident représentant cette dernière – et cède à la domestication. Soit il est exterminé ». Au siècle suivant, les mentalités évoluent toutefois. De la part du public, les critiques affluent, exigeant que cessent ces conditions de détention dans lesquelles l’animal ne peut ni bouger, ni exprimer ses comportements. Le spécialiste en histoire animale complète : « Dans les archives des zoos, dont celui du parc de la Tête d’or, on voit alors fleurir des écrits – émanant souvent de la Bourgeoisie, car ces gens savent lire et écrire – exprimant l’indignation et le refus de cautionner le mal-être animal ainsi exhibé. »

Même s’ils ne le proclament pas, les directeurs de zoos sont sensibles à cette pression croissante de l’opinion publique qui, avec les Trente Glorieuses, se diffuse bien au-delà des seules associations de protection animale et engage dorénavant l’ensemble de la classe moyenne « Au 20e siècle, nous vivons un point de basculement historique, précise Eric Baratay. La population de masse devient le moteur essentiel de l’évolution du zoo qui doit s’adapter à ses requêtes ».

Derrière sa vitre, le capucin fixe le boxer du regard et se met à crier

Voir un ours tourner en rond dans sa cage, ou errant dans son enclos, n’est plus tolérable. A Lyon, le zoo qui a accueilli jusqu’à trois ours dans ses espaces, n’en contient plus. Âgé de 26 ans, le dernier ursidé -un ours à lunettes est décédé en novembre 2018 d’un cancer du foie et du pancréas. Un jeune cerf huppé, ou élaphode, avait alors pris sa place. Lors de l’annonce de l’événement, passé quasi inaperçu, la direction du zoo a affirmé être consciente du peu d’espace offert à ces mammifères, ainsi que sa volonté « d’arrêter de présenter des animaux grand format » pour répondre aux inquiétudes du public.

Laissant la cage aux ours et ses barreaux de fer forgé, je m’avance à l’entrée du zoo. Cinquième vague du Covid oblige, sur le sol, des couloirs sont marqués à la peinture bleue, ou rouge et précisent le sens de visite pour éviter les contacts entre individus. Une précaution qui semble superflue au vu du peu de monde croisé. J’arrive rapidement au bâtiment des primates. Disposées en cercle, plusieurs cages de verre, plutôt spacieuses, me donnent la possibilité d’observer les singes.

Derrière une vitrine, je distingue un capucin à poitrine jaune. Avec une agilité déconcertante, mais normale pour l’animal, le singe arpente à toute vitesse une branche située en hauteur, près du mur de la nurserie.

Un capucin jaune observe l’extérieur de sa cage de verre. / © Caroline Depecker

Il court de son extrémité droite à celle de gauche, et inversement. Il enchaîne de nouveau. Et encore. Le singe se livre à ces allers-retours pendant plusieurs minutes. Je m’interroge sur le sens de ce comportement. S’amuse-t-il ?  Il est seul. Trompe-t-il son ennui ou un stress quelconque ? A ma gauche, un mètre en retrait de la cage, un couple promène son boxer tenu en laisse, puis s’arrête.
C’est alors que le capucin bondit et se retrouve, en quelques sauts, le nez derrière la vitrine. Je réalise alors que j’avais presque oublié la présence de la paroi de verre, tant elle faisait peu obstacle à ma vision. Là-haut, le singe montre les crocs et crie à l’adresse du chien. Le molosse, impassible, observe le primate puis tend un regard vers ses propriétaires. Après avoir ri de l’échange animal, le couple, quelque peu gêné toutefois, s’éloigne. Le calme revient doucement dans la cage. Mon attention se tourne vers le bas : deux nouveaux capucins ont fait leur apparition. L’un d’eux fouille les écorces et les débris de bois qui tapissent le sol. Il ramasse un objet et le porte à sa bouche. De la nourriture ?

Théâtraliser les cages, c’est suggérer la semi-liberté

Je quitte le bâtiment des primates et poursuit ma visite. Je passe devant la porte de sortie de la forêt d’Asie, dont l’accès est fermé à cette heure. Le nouvel aménagement a été inauguré le 5 juillet 2021 par Grégory Doucet, le maire de Lyon, pour qui cette date est un jalon important de « l’engagement désormais prioritaire du zoo envers le bien-être animal ».

Pour sortir de l’image du « zoo prison » dont on les accuse, « les établissements zoologiques innovent dès le début du 20e siècle et adoptent une nouvelle fiction théâtrale avec pour objectif de donner au public l’impression que les animaux évoluent en semi-liberté », explique Eric Baratay dans le livre Révolutions Animales. Le zoo de Stellingen (Allemagne), créé en 1907, est pionnier du genre : on y creuse des fossés pour supprimer les barreaux, on naturalise les espaces avec des végétaux, on agrandit visuellement avec des rochers en béton.

« Plus tard, vers 1960-70, apparaissent les premiers parcs zoologiques. Avec leurs grands enclos dans lesquels on pénètre, le public accède à l’un de ses souhaits : aller à la rencontre de l’animal pour le voir vivre dans la nature » et lui témoigner ainsi respect et amitié. Ils s’appellent La Palmyre, Peaugres ou encore Beauval. Ces parcs zoologiques s’étendent sur plusieurs dizaines d’hectares et permettent d’explorer de vastes espaces mimant les milieux naturels des bêtes (exemple de plaine africaine). Parmi les attractions proposées, on assiste encore à des spectacles d’animaux domptés (vols d’oiseaux, otaries). Privés pour la plupart, les parcs animaliers connaissent immédiatement un franc succès. Les anciens zoos, créés souvent avec peu de moyens, sont contraints de s’adapter.

« Il aurait fallu être révolutionnaire et évacuer 80% des espèces »

Les 4 gibbons à favoris blancs dans la nouvelle volière de la forêt d’Asie. / ©VetAgroSup

A Lyon, la forêt d’Asie occupe l’ancien bâtiment des éléphants. Il y règne un climat tropical. Budgétisé à 4 760 000 euros, elle s’étend sur 4000 m2 (soit 0,4 hectare) et abrite 80 animaux représentant 20 espèces menacées. 11 d’entre elles, déjà présentes sur le zoo, ont été placées là afin d’expérimenter de meilleures conditions de vie. C’est le cas des gibbons à favoris blancs dont un suivi scientifique a été confié à la Chaire bien-être animal de VetAgroSup. Dans ce cadre, un travail de thèse a été engagé afin d’évaluer l’impact de ce changement de lieu de vie sur les singes et d’apprécier l’utilisation effective qu’ils feront de leur nouvel habitat.

Dans cette volière flambant neuve (1770 m2 sur 8 m de haut), adopteront-ils de nouveaux comportements ? Délaisseront-ils leurs habitudes « anormales » qui témoignaient précédemment de leur mal-être ? Parmi les 4 gibbons en question, lesquels rentreront en interaction avec les deux élaphodes, transférés eux-aussi au même endroit ? Pour répondre à ces questions, la jeune vétérinaire Charlotte Langlois a commencé ses observations au printemps 2021. La publication de ses résultats devrait avoir lieu courant de l’année.

La naissance de la forêt d’Asie s’inscrit dans le cadre du deuxième programme de rénovation que connaît le zoo du parc de la Tête d’or depuis sa création. Elle se situe dans la même lignée que la création de la plaine d’Afrique par l’ex maire de Lyon, Gérard Collomb, en 2006.  A l’évocation de la nouvelle installation, Eric Baratay soupire : « Cet aménagement correspond à l’élan des années 1960-70… La première phase de rénovation, elle, était celle des années 1960-80, et correspondait au modèle de Stellingen du début 20e. Comme chaque fois, à Lyon, les aménagements ont un demi-siècle de retard ! »

Pour l’historien, l’explication de ce constat réside dans le caractère public de l’établissement lyonnais. Si elle a des idées, la Direction vétérinaire du zoo dépend avant tout de l’administration locale et de l’extrême lenteur des processus politiques décisionnaires quant à leur application. Et d’un budget restreint. « Lorsque la savane africaine a émergé, il aurait fallu être d’emblée révolutionnaire ! Évacuer près de 80% des espèces et se concentrer uniquement sur celles restantes pour leur offrir un espace beaucoup plus important que cette superficie ridicule. Au lieu de cela, on a choisi la demi-mesure. Le résultat est décevant… déjà dépassé ».

Fermer un zoo nécessite de se débarrasser de ses pensionnaires

Alors que je reprends mon incursion au zoo, je laisse sur ma droite l’enclos vide du Lion Jasrai. Je pensais l’animal endormi dans la petite grotte située quelques mètres derrière la fosse remplie d’eau. Mais peut-être se cachait-il, déjà trop affaibli. En effet, une triste coupure de presse m’avertira plus tard que le lion d’Asie, symbole important du parc, est décédé le vendredi 3 décembre. Probablement d’une gastro-entérite. J’arrive à l’enclos de la panthère de l’Amour. Le fauve est majestueux, bien que je ne le voie que de dos. Derrière le feuillage, je distingue à peine les petits cercles de son pelage, ses ocelles, immobiles.

La panthère « de l’Amour » porte le nom d’un fleuve qui traverse la Russie et la Chine. / © Caroline Depecker

La panthère de l’Amour appartient à une espèce en danger critique d’extinction, d’après les critères de l’Union internationale de la conservation de la nature (UICN). La population sauvage actuelle ne dépasserait pas plus de 35 individus. A ce titre, elle est élevée par le zoo de Lyon afin de constituer -avec d’autres instituts zoologiques- un réservoir génétique suffisant permettant, à terme, de réintroduire l’espèce dans le milieu naturel.

A condition d’avoir un lieu d’accueil propice pour cela. L’observation que je fais un peu plus loin des deux crocodiles d’Afrique de l’Ouest, toujours détenus au zoo, témoigne de la réalité du problème. Ces sauriens auraient dû s’envoler pour le Maroc en septembre dernier afin de finir leurs jours dans un oued protégé. Lors de ma visite, j’ai eu la chance de croiser un zootechnicien du parc. A ma question : « Pourquoi les crocodiles sont-ils encore là ? », sa réponse évasive (« c’est plus long que prévu… ») m’a laissé sur ma faim*.

Communiquer sur le devenir du zoo du parc de la Tête d’Or et de ses animaux est un exercice difficile. Avant son élection en 2020, Grégory Doucet s’était prononcé pour sa fermeture, faisant écho ainsi aux associations locales portant ce message. Le faire s’apparente toutefois à un véritable défi. Fermer un zoo signifie en effet se débarrasser de ses pensionnaires. Et donc leur trouver rapidement une place quelque part. Il peut s’agir d’un espace naturel, comme le Maroc, solution ici en suspens et peu fréquente dans la réalité. Le mouvement associatif assure d’ailleurs, qu’en 165 ans d’existence, « le parc zoologique n’a réinséré aucun animal », témoignant ainsi du scepticisme général de la population face au discours de sauvegarde des zoos.

Seconde solution : offrir aux bêtes un autre enclos, plus vaste, comme lors du départ des anciennes éléphantes, Baby et Népal, pour le jardin de la famille Grimaldi en 2013. Trouver un zoo partenaire qui accepte d’accueillir les animaux transférés enfin, c’est continuer à cautionner publiquement la détention animale. L’engagement de la municipalité lyonnaise pour le bien-être animal s’apparente ainsi à une position de compromis, en attendant que les animaux partent les uns après les autres, en catimini.

Des spectacles d’animaux aux animaux spectacles du 21e siècle, clap de fin ? 

Me voici de nouveau à l’entrée du zoo. Ma visite en boucle est terminée et je me pose la question de l’avenir. Comment le zoo du parc de la Tête d’Or pourra-t-il continuer à évoluer ? A ce sujet, Grégory Doucet a annoncé vouloir créer prochainement « une plaine européenne ». Peut-il vraiment rester ouvert, alors que le sort des animaux en cage est devenu un phénomène de société tel, que certains de leurs défenseurs se présente aujourd’hui à la présidentielle ?

Dans Révolutions animales, Eric Baratay souligne comment cette controverse connait un changement majeur depuis 20 ans : « les récents acquis scientifiques, notamment la démonstration du psychisme animal par l’éthologie cognitive, [celle] du stress, de la souffrance par les neurosciences et la physiologie [..] permettent à la critique de mettre ces aspects au premier plan et d’en parler avec un langage [désormais] valorisé ». L’animal glisse plus que jamais du statut d’objet à celui de personne. C’est son point de vue qui compte dorénavant. Une révolution. Il n’est plus tant question de juger les spectacles d’animaux que de questionner l’éthique face aux animaux spectacles.

Se rapprochant encore de nous, l’animal aurait une culture. De nombreux travaux scientifiques avancent qu’il a une conscience. Garder un être intelligent et conscient apparaît choquant. Les derniers mots échangés avec Eric Baratay me reviennent à l’esprit : « Certes, ces savoirs médiatisés rendent les choses bien plus difficiles pour les jardins zoologiques. Mais attention l’histoire n’est pas linéaire !… On a connu des retournements scientifiques par le passé. Une bonne part des découvertes actuelles avait déjà été faite par l’école de Darwin entre les années 1870 et 1910, et on les avait sciemment occultées. Pareil revirement pourrait de nouveau arriver,
qui sait ?
» L’historien de souligner encore le contexte économique fragilisé de nos sociétés européennes actuelles. Un regain de pauvreté, par exemple, pourrait amener la population à reconsidérer ses priorités et donc ses exigences vis-à-vis de la condition animale.

Deux grues cendrées chantent à l’unisson sur le bord de la plaine d’Africaine. / © Caroline Depecker

A ma droite, sur les berges de la plaine africaine, deux grues cendrées crient à l’unisson, leurs cous tendus vers le ciel. Durant leurs migrations, elles le font très régulièrement pour guider le groupe. Leur chant peut s’entendre à plusieurs kilomètres. Un appel à la liberté ?

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Note

* Une demande d’informations a été faite par courriel auprès de la mairie. Elle est restée sans retour.

ppour aller plus loin

  • Duel : les zoos sont-ils utiles ?, Brut, interview (vidéo) de Baptiste Mulot, chef vétérinaire au Zoo de Beauval et de Muriel Arnal, présidente de l’association de défense des animaux One Voice, 26-11-2021.
  • Biographies animales. Des vies retrouvées, Eric Baratay, Seuil, 2017.
  • Croiser les sciences pour lire les animaux, Eric Baratay, Éd. de la Sorbonne, 2020.
  • Révolutions animales, Karine Lou Matignon, Ed.Les liens qui libèrent, 2016.