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Pop'Sciences - Université de Lyon

TTenir compte du bien-être animal dans les pratiques d’élevage

Une vache et son veau / © Protocultura_Pixabay

Article #8 du dossier Pop’Sciences « Prenons soin du bien-être des animaux »

Le modèle de production de viande, hyperproductiviste, a longtemps fait peu cas de la sensibilité animale. Sous la pression de la société qui s’est emparée de la question du bien-être animal, les filières doivent s’adapter. Il est donc question de trouver un terrain d’entente pour faire évoluer les pratiques d’élevage et d’abattage. La chaire Bien-être animal de VetAgro Sup s’y emploie en facilitant les débats et en accompagnant les éleveurs.  

Un article de Caroline Depecker, journaliste scientifique
pour Pop’Sciences – 4 janvier 2022


« On est allé trop loin dans certaines pratiques, c’est indiscutable,
pose d’emblée Luc Mounier. Un exemple ? Historiquement les vaches n’avaient pas les cornes coupées. Mais avec l’industrialisation de l’élevage, la taille des troupeaux et leur densité dans les bâtiments sont devenus plus importants. Les compétitions entre animaux et les risques pour l’éleveur aussi. On a donc écorné les vaches… très souvent sans anesthésique car la douleur animale était peu connue. Fin du 20e siècle, dans les pratiques d’élevage industrielles, on a considéré les animaux plus souvent comme des machines que comme des êtres sensibles ».

Ces mots, prononcés par le responsable de la chaire Bien-être animal (BEA) de VetAgroSup, ne constituent ni une excuse, ni un chef d’accusation mais plutôt un constat. « Heureusement, les connaissances scientifiques évoluent et les prises de conscience se font. La sensibilité animale est mieux prise en compte. »

Un système industriel déconnecté de la sensibilité animale

Luc Mounier le reconnaît, comme d’autres professionnels de la santé animale : le système de production de viande industrielle a pendant longtemps trop peu considéré la dimension sensible des animaux. Lorsqu’après-guerre, les politiques ont imposé aux éleveurs le modèle hyperproductiviste actuel, les protestations se sont rapidement fait entendre. Dans les années 1960, la notion de BEA est apparue en Europe. En 1992, le Farm Animal Welfare Council en a édicté une définition pratique sous forme des « 5 Libertés », dont ne doit pas être privé l’animal. Si elle fait toujours référence à ce jour, son application légale et contraignante pour les éleveurs est encore modeste dans les faits. Elle pourrait prendre davantage d’ampleur à l’avenir, à l’exemple de la filière bovine qui continue de s’améliorer.

Chaque Français consomme en moyenne 50 litres de lait et 25 kg de viande bovine par an. Des quantités en légère baisse ces 5 dernières années (de 1 à 2 %), mais qui restent importantes (1500 tonnes de viande à l’année). Cette consommation est toutefois inférieure à celle de viande porcine et de volailles (2100 tonnes et 1900 tonnes respectivement). Notre cheptel bovin (8 millions vaches) se divise en deux groupes de taille similaire : les races laitières et les races à viande. Les premières passent entre 3 et 4 ans à produire du lait avant de voir leur productivité baisser et d’être menées à l’abattoir. Les secondes ont pour mission de faire naitre et d’allaiter des veaux qui sont destinés à être engraissés et abattus ou servent à renouveler le cheptel. Toutes les deux finissent dans notre assiette.

Certaines pratiques sont source de souffrance

Bien que l’élevage bovin soit le plus souvent respectueux des « 5 Libertés », certaines pratiques problématiques et doivent évoluer. C’est le cas de :
–  l’écornage réalisé sans anesthésie et qui est douloureux pour l’animal. Il est réalisé avec cautérisation thermique ou chimique lorsque les cornes sont à l’état de bourgeons (ébourgeonnage) ;
–  en élevage laitier, la séparation du veau et de la mère dans les heures suivants la mise-bas. Cette séparation est cause de détresse morale chez la vache et le jeune qui expriment des comportements de stress (vocalisations, coups de pattes, etc.) ;
– l’absence pour certains animaux d’accéder au pâturage et l’impossibilité d’exprimer leurs comportements naturels, sociaux notamment. Dans le Grand-Est, par exemple, un quart des vaches laitières seraient maintenues entravées à l’étable (on parle d’élevage à l’attache) toute ou partie de l’année (pendant l’hiver essentiellement). Ces cas concernent avant tout de vieilles exploitations ayant un petit nombre de bovins ;
– le transport des bêtes jusqu’à l’abattoir sur plusieurs dizaines, voire centaines de kilomètres, source de stress divers et de meurtrissures.

 

Lorsqu’elles ne sont pas au pâturage, les vaches sont en stabulation / © Jo-Anne McArthur_Unsplash

Des dénonciations choc et des demandes contradictoires

En 2022, les producteurs de veau laitier bio seront contraints de fournir à leurs animaux un parcours en extérieur. Cette avancée en matière de BEA n’a pas fait l’objet des gros titres comme la fin du broyage des poussins ou de la castration des porcs. « Les pratiques d’élevage, dénoncées par les associations de protection animale, et relayées par les médias, sont surtout des images qui choquent, commente Sébastien Gardon, inspecteur des services de protection vétérinaire et formateur à l’École Nationale des Services Vétérinaires de VetAgro Sup. Leur objectif est de mobiliser l’attention de la population et par ricochet, l’action des pouvoirs publics ».

Si le cadre légal permettant de prendre en compte que le bien-être animal existe, de nombreuses dérogations permettent encore de le contourner, notamment celles concernant le maintien à l’attache. C’est ainsi que de petites exploitations peuvent être labellisés bio tout en pratiquant un élevage assez proche in fine de l’agriculture conventionnelle. Sébastien Gardon complète :

« On constate, de façon générale, que le consommateur connaît assez peu les pratiques d’élevage.Ce qui génère des confusions et des demandes parfois contradictoires. Prenons l’exemple de la grippe aviaire. Ses fortes exigences en matière d’enjeux sanitaires et économiques (éviter la propagation de l’épidémie avec les risques pour la santé animale et humaine, ndlr) sont difficilement conciliables avec le bien-être animal puisqu’il s’agit ici de maintenir les volailles en bâtiment ».

Proposer des solutions pragmatiques ensemble

Consommateurs, éleveurs, abatteurs, défenseurs de la cause animale, scientifiques, vétérinaires, pouvoirs publics… Ces acteurs de la société ont des intérêts qui divergent, ou convergent, au regard du BEA. « Il est question aujourd’hui d’être pragmatique ! affirme Luc Mounier. Nous ne serons pas tous végétariens demain, ni dans les 10 prochaines années, mais nous pouvons nous mettre tous ensemble, autour de la même table, afin de trouver des solutions ».

Créée en 2018 et financée en partie par le ministère de l’Agriculture et de l’Alimentation, la chaire bien-être animal de VetAgro Sup remplit trois missions : produire et transférer des connaissances scientifiques en matière de BEA, former les différents acteurs – notamment les éleveurs – à ses pratiques et enfin, favoriser les échanges et le dialogue autour de ces dernières.

Les éleveurs se forment pour anesthésier leurs bêtes

Face à la pression sociétale, le système productif évolue. L’ébourgeonnage à vif tend à disparaître. Accompagnées par les vétérinaires, de plus en plus d’éleveurs se forment aujourd’hui pour anesthésier leurs bêtes et leur donner des antalgiques lorsqu’il s’agit de les ébourgeonner. Des recherches sont en cours dans des fermes pilotes du géant laitier Danone, pour diminuer le mal-être occasionné par la séparation de la vache laitière et de son petit.

Grâce à sa croissance rapide, la Prim’Holstein assure 80% de la collecte de lait nationale / © JCotton_Unsplash

Deux pistes sont testées : placer le veau auprès d’une vache-nourrice, qui n’est pas forcément sa mère, mais qui en prendra soin comme sil elle l’était, ou bien laisser le veau plus longtemps avec sa mère après la mise-bas. Dans ces deux cas, le bénéfice en matière de bien-être animal est jaugé au regard de différents indicateurs (comportement, santé…) et également de la production de lait.

Concernant ce dernier critère, notre filière industrielle contraint les vaches à une productivité potentiellement source de mal-être lorsque la bête n’en a pas la capacité physique ou génétique (développement d’inflammation des mamelles, boiterie). Sélectionnées pour leur capacité à haut rendement, les vaches de race Prim’Holstein produisent en moyenne 9000 litres de lait par an et sont à même de supporter cette condition.

Immobilisation et étourdissement,
deux mesures visant la bientraitance

Pour qu’un animal devienne de la viande, il faut le tuer, c’est une évidence. Discuter des problématiques liées à l’élevage lors d’un dîner entre amis est aisé, évoquer les conditions de mise à mort l’est beaucoup moins. Celle-ci se déroule en 3 étapes. L’animal est tout d’abord poussé dans un couloir jusqu’à un box individuel adapté à sa taille. Là, la loi oblige depuis 1964, à ce que l’animal soit étourdi, c’est-à-dire rendu inconscient.

Pour le bovin, cet étourdissement est réalisé par un ouvrier spécialisé qui, en quelques millièmes de seconde, transperce le crâne de la bête à l’aide d’une tige perforante. L’animal n’a pas le temps de souffrir. Ensuite, il est immédiatement accroché en hauteur à une chaîne, pour être saigné. Il est considéré comme mort lorsqu’il s’est vidé entièrement de son sang. L’immobilisation et l’étourdissement sont deux mesures de bientraitance animale : elles visent à limiter le stress et la souffrance de celui-ci lors de sa fin de vie. De sorte à ce qu’elle soit acceptable.

Voilà pour le contexte légal. Sur le terrain, les choses sont plus complexes et dans les usines d’abattage, des dysfonctionnements existent. « Pendant longtemps, la société a fermé les yeux sur ce qui se passait dans ces lieux, note Sébastien Gardon. Heureusement les choses évoluent. Il est important d’ouvrir cette boîte noire ».

Dans les abattoirs, les box d’immobilisation ne jouent pas toujours leur rôle. Éprouvés par le transport, des animaux s’agitent, d’autant plus s’ils entendent leurs collègues meugler à côté. Des cas de mauvais étourdissements conduisant à l’égorgement d’animaux encore conscients ont été reportés. Mal saignées, des vaches reprennent parfois connaissance alors qu’elles arrivent à l’étape de découpe. A la stupeur des ouvriers éreintés par des conditions de travail éprouvantes.

Une politique de petits pas

Les défauts de pratiques, dans les élevages et les abattoirs, sont dénoncés publiquement par les associations telles que L214. Comment peuvent-elles échapper aux mailles du filet réglementaire, qui devrait les sanctionner, et donc à l’œil des inspecteurs de santé publique vétérinaire ?

Sébastien Gardon souligne la position très inconfortable de ces derniers : « Nous représentons l’État, le consommateur et l’éleveur lors des audits de ces établissements privés qui, eux, ont des objectifs avant tout économiques, et sociaux par le maintien des emplois. Faire respecter la réglementation en matière de sécurité alimentaire et de bien-être animal est donc l’enjeu de pressions de tout bord auxquelles nous devons faire face. Faire avancer les choses nécessite du temps et des compromis. Notre politique est celle des petits pas ».

L’inspecteur vétérinaire insiste aussi sur un autre facteur important : le manque de moyens. Les conditions de travail des inspecteurs de santé publique vétérinaire sont peu attractives. Les postes ne sont pas tous pourvus et la profession manque de personnel alors que son action est de plus en plus sollicitée. Le recrutement de salariés aux postes d’abatteurs est tout aussi problématique.

L’abattoir mobile, expérience pilote en Bourgogne depuis 2021

Abattoir mobile en Suède / © Bœuf Éthique_Sättra Gard

Concernant l’abattage, de timides avancées existent. Pour des raisons d’hygiène et de sécurité alimentaire, la loi interdit que les éleveurs abattent eux-mêmes leurs animaux avant d’amener leurs carcasses à la boucherie. Or, de nombreux petits exploitants souhaiteraient pouvoir accompagner leurs bêtes, dont ils ont pris soin pendant leur vie, jusqu’à cette étape finale. Pour répondre à ce souhait, une éleveuse bio de vaches charolaises, Émilie Jeannin, expérimente depuis cet été un abattoir mobile en Bourgogne.

L’idée simple est la suivante : c’est l’abattoir qu’on déplace aux animaux, de ferme en ferme, et non l’inverse. Préservés du transport, les bovins restent dans leur milieu naturel et avec leurs congénères jusqu’au bout, ils sont moins stressés. Amenés par leurs propriétaires, ils sont abattus dignement et d’après Émilie Jeannin, leur viande est plus goutue. Ce projet innovant a mis 5 ans pour émerger. La viande est commercialisée sous le label « Bœuf éthique ».

Pour ce qui est des 250 abattoirs répartis sur l’Hexagone, une personne référente en matière de BEA est désignée désormais. Elle doit être formée et porter une vigilance accrue sur le transport, l’arrivée des animaux et leurs conditions d’attente. Avec pour objectif une meilleure prise en compte de la protection animale. Dans les locaux, les innovations techniques restent toutefois encore peu nombreuses. Des aménagements sont envisageables, tels ceux proposés par Temple Grandin, professeure de zootechnie dans le Colorado (USA), et qui permettraient de diminuer le stress des animaux moyennant investissements.

Limiter les dérogations à l’abattage sans étourdissement

Mais, d’un point de vue bien-être animal, une amélioration essentielle reste à faire : limiter les dérogations à l’abattage sans étourdissement. En effet, pour être considérées comme apte à la consommation par les autorités religieuses musulmanes et juives, les vaches (comme les chèvres et les moutons) doivent être abattues sans être étourdies. Cette méthode, autorisée par dérogation pour produire de la viande, respectivement halal et kasher, est cause d’une très grande souffrance pour la bête qui se vide de son sang en étant consciente. Ce moment peut durer entre 30 secondes à plusieurs minutes.

Or, une partie de la viande issue de l’abattage rituel se retrouve dans la consommation classique. Et, même si nous ne l’avons pas choisi, nous sommes susceptibles d’en manger. Des nations, comme les Pays-Bas, ont interdit l’abattage rituel sur leur sol. Mais ils ont déplacé le problème en important la viande halal et kasher. « Un levier d’action pourrait être le consommateur, observe Luc Mounier. Un premier pas consisterait à l’informer sur l’origine de la viande qu’il a dans son assiette. Provient-elle d’un abattage avec ou sans étourdissement ?  Le consommateur pourra choisir en connaissance de cause ».

Manger moins de viande, mais de meilleure qualité

Sensibiliser la société sur les bonnes pratiques d’élevage, communiquer davantage est une des missions fortes de la chaire Bien-être animal. Former les acteurs des filières, et tout particulièrement les éleveurs, constitue un autre volet important de ses actions. « Je pense que lorsque le professionnel prend conscience que l’animal dont il s’occupe est un être vivant sensible, il modifie de lui-même ses habitudes pour lui accorder davantage de respect et de bienveillance, continue Luc Mounier. Un changement qui est gagnant-gagnant, car une relation humain-animal apaisée, c’est aussi plus de confort et de satisfaction pour l’éleveur ».

Malmenés par l’agribashing, c’est-à-dire le discours ambiant qui les rend responsables d’une partie des émissions de gaz à effet de serre et d’autres pollutions, en prise avec une réalité économique difficile, les éleveurs – tout comme les agriculteurs – ont une charge de travail et morale importante. A compter de 2022, un décret les oblige à désigner une des personnes de l’exploitation comme référent du bien-être animal et à le former sur le sujet.
Pour que nous puissions manger une viande produite dans de meilleures conditions. Et peut-être faire le choix de la qualité plutôt que de la quantité.

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